ITINERAIRES ORDINAIRES: les fantômes aiment aussi les churos

[Bluewitch]

Pas d'autre prétention que de tenir parole, de le finir, ce texte. C'est fait. Et de l'envoyer ici, pour qu'il évite les poussières.
Pas de relecteur ni de correction, c'est ce qui arrive quand on décide d'arriver après la fête. :-)

L’envie lui était venue après avoir vu La nuit du forain de Bergmann. Une envie qui vient comme le naturel : chercher dans le réel la fille maladroitement jolie, naïve, hystérique, exaspérante et aux aisselles sombres qu’il avait vue à l’écran. Ce ne serait sans doute pas la même, elle aurait les cheveux courts, peut-être, pas noirs mais roux. Elle serait plus grande ou plus petite, mieux maquillée, plus mûre. Peut-être qu’elle aurait dans le regard ce qui manquait à celle du film : la conscience de son existence à lui.

Il pleuvait, mais c’était pire dedans, et Benjamin avait décidé de fouler les pavés humides de la place Sainte-Catherine. Parce qu’elle avait un air de foire, c’était la période. Parce qu’on y trouvait chaque année un manège qui suscitait la nostalgie des fêtes foraines d’avant. Il rêva d’une femme à barbe et d’un éléphant triste.
Il s’était assis sur le rebord métallique du manège et se ménageait un torticolis en fixant une autruche de bois et fer qui s’égosillait en silence. Tournant mille fois sous la pluie. Pas d’enfant dessus. Il mangeait des churos et avait les doigts brillants d’huile mais merveilleusement odorants. Avait décidé du même coup d’arrêter de fumer.
- Ce manège aurait très bien pu se trouver dans le rêve que j’ai fait l’autre nuit. Avec des trolls qui cherchaient du tissu et des poussins dans un distributeur de bonbons. J’aurais voulu les libérer mais je n’avais pas de pièce.
La voix ne venait pas de la fille du film mais d’un ado. On d’un adulte qui en avait l’air. Il lui ressemblait même très fort. Normal, c’était son fantôme.
- C’est vrai, tu les avais dépensées en fringues pour les trolls, dit Benjamin à son autre lui.
- Ils n’ont jamais bon goût niveau vestimentaire.
- C’est parce que ce sont des trolls.
- Tu me files un churos ?
- Y en a plus et c’est mauvais pour ta peau, les trucs gras.
- Tu n’as pas pris de parapluie et tes cheveux ont l’air sale.
Détail aigu qui compromettait d’une bousculade sa capacité d’exister dans un autre regard que le sien. Exister positivement, s’entend.
Après un soupir, Benjamin vit que son fantôme avait disparu. Sans doute pas pour aller lui chercher un parapluie. Ou un journal qui ne servirait plus à rien. Il reviendrait sûrement, les mains vides et la bouche remplie d’absurdités.

Le manège s’était arrêté. A sa hauteur, une sorte d’automate qui ressemblait à l’homme en fer blanc le regardait avec un air pas content du tout. C’était sûr : il préférait l’autruche.
Ca ne servait à rien de rester assis à côté de sa nostalgie. Il se leva, se nettoya les mains avec la pluie, abandonnant à regret l’odeur des churos dans un mouchoir en papier. Fataliste, il se dit que la fille du Bergmann n’aimait peut-être pas les manèges enchantés.

Il parlait souvent avec ses fantômes. C’était mieux qu’avec les meubles. Pour meubler le temps. La plupart avaient toujours des choses à lui dire et déprimaient moins que lui. Sauf un. Le fantôme déprime. Il ne surgissait que quand Benjamin commençait à aller mieux, c’est à dire parfois, et avait besoin d’un plus mal en peau que lui.
Le fantôme déprime ressemblait bizarrement à son père et ça l’arrangeait bien de ne pas le voir trop souvent.
Aujourd’hui, il avait plutôt besoin du fantôme marin ostendais. Celui qui l’encourageait à laisser parler ses hormones, dans cette langue qu’il ne comprenait pas toujours lui-même.
Le marin ostendais, il l’avait croisé un jour, dans le creux de son adolescence. Avec le temps, il avait oublié son visage et lui avait collé sur les traits un mélange de Corto Maltèse et de Raspoutine. Le marin ostendais était sûr de lui, le marin ostendais avait les mains rugueuses mais ça plaisait aux filles, pour sûr. Heureusement, son fantôme n’avait pas d’odeur.
Benjamin repensait à l’autruche, à ses longs cils, et rien que ceux-là, ses cils, lui inspirèrent un fichu sentiment de solitude. Une solitude bien romanesque qui lui donna une fausse idée d’importance. Il marcha un peu, jusqu’à entendre les pas du marin s’accorder aux siens.
- Dis, fieu, la bise nous coupe en deux. T’as pas la gorge sèche à force de ruminer ton désert sentimental ?
- Si. Et j’ai la dalle, pas assez de churos.
Entrée dans un café, brouhaha, banc en bois et table au vernis un peu terni. Une place pour son fantôme. Une bière, pour commencer. Plonger les yeux dedans, s’inventer une histoire chaude dans la boisson froide. La mousse formait une chorale de phylactères vides prêts à être remplis.
- Tu as vu, là ? La fille sur le banc avec un chien ?
Benjamin leva la tête. Son marin de fantôme était beaucoup plus subtil que lui. Il y avait une fille. Il y avait un chien. Elle griffonnait quelque chose entre la table et son crayon. Sur une feuille rose. Et elle caressait le chien.
Elle n’avait rien de la foraine de Bergmann, mais elle aurait pu. Il l’imagina trapéziste, il l’imagina dormant contre un ours débonnaire, il l’imagina vivant dans une maison hantée, il l’imagina jongler avec crânes, il l’imagina nue pirouettant dans des cerceaux en flammes.
C’était joli.

Il retourna à ses phylactères, qui négociaient un contrat de morale sur son compte et tentaient de lancer un débat sur ses prétentions de séduction. But d’une traite sa bière pour couper court.
Sur sa cuisse, il sentit une main légère. Son fantôme marin ostendais avait laissé la place à son fantôme maîtresse. Sa poupée gonflable mentale.
- Allez… Tu sais que je ne suis pas jalouse. Et puis, j’ai besoin de vacances : t’as pas la forme.
- Tu dois me faire une demande écrite pour les vacances. Les intérimaires ne se trouvent pas comme ça…
- Il y a une candidate, là-devant. Si tu acceptes les animaux, ça ne devrait pas poser de souci.
La candidate l’observait. L’observa encore un peu et il se laissa faire. Puis elle partit. Avec son chien.
- Avec la crise, tu ne devrais pas faire ton difficile, Benjamin !
Sur sa table, la fille avait laissé sa feuille rose. Il voulait voir, évidemment. Lire, espérer un mot. Un numéro de téléphone. Mais il y avait juste cette phrase, écrite quatre fois : « S’il-vous-plait, rendez-moi ma feuille ».
Il partit sans payer.

[Invité]

L'ambiance est intéressante, et j'aime bien la fin, mais le texte m'a paru un peu fouillis... Bonne écriture, allègre et triste à la fois je trouve.

[Invité]

il est indéniable que d'une part c'est bien écrit et que le traitement est original, mais je ne sis pas arrivée à entrer dans le récit, à sentir une espèce d'empathie avec le personnage et ses divers fantômes. J'ai le sentiment d'avoir dû trop me concentrer sur le déroulement du récit, sur les incursions successives de fantômes pour me laisser porter.

[Kilis]

Vrai que tu nous embarques sur plusieurs pistes et, que du coup, on s'embrouille un peu.
Mais ça reste un plaisir de te lire, Blue. De se balader dans cet univers doux-amer et "si tant" poétique.

[Lucy]

M'a bien embarqué, cet Itinéraire. Contente d'en trouver un que je n'avais pas lu. Puis, contente également de lire Bluewitch ce que je crois n'avoir pas encore fait.
Bonne idée que celle de ces "fantômes". La fête foraine est un cadre qui sied bien à cette histoire. J'aurais aimé suivre cela sur quelques autres paragraphes.

[Sahkti]

Je n'ai pas vraiment été embarquée dans cette histoire, en raison notamment de quelques aspects un brin confus mais aussi à cause d'une impression d'étirement et de répétition dans le sens, comme si il fallait marteler pour que la mélancolie et la détresse soient bien ressenties. Ce n'est sans doute pas volontaire et peut-être le besoin de se raccrocher à un fil conducteur fait que cette corde soit si tendue, trop visible au milieu de tout le reste. Dommage parce que l'ambiance est là, je retrouve quelques traits caractéritiques de ta plume qui, en général, me plaît, mais quelque chose ne fonctionne pas à 100% et m'empêche de pleinement apprécier ce texte.

[Charles]

l'idée est belle, originale et pourrait aboutir sur du très bon.


suis d'accord avec Easter, Sahkti ... un peu confus. le tout reste clair si l'on se concentre bien mais du coup, on perd un peu de l'ambiance et on se laisse difficilement embarqué. Bref, avec un peu de travail sur la clarté, la fluidité, ça pourrait être super.

peut-être aussi trouver une autre dénomination que fantôme-maitresse, fantôme-marin ... j'ai pas trop accroché à "l'expression". mais c'est peut-être juste une impression perso..

[Krystelle]

Plein de belles idées dans ce texte. J'ai aimé les fantômes et le spleen, en trame de fond.
J'ai regretté parfois les considérations ou allusions psychologiques qui viennent donner une dimension explicative à l'imaginaire de ton personnage.
Il a aussi peut-être manqué une ou deux relectures à ce texte pour alléger certaines tournures, mais j'ai trouvé beaucoup de qualités à tes lignes.

[Bluewitch]

Merci pour vos commentaires. ;-)
Oui, il y a des lectures qui manquent là-dessous, je me dis que c'est dommage mais voilà, j'ai terminé ce texte pour me remettre à VE comme au vélo: ça revient, mais on perd l'équilibre. ;-)

Et puis, ce qui est fait de manière trop rapide manque souvent de maïzena. ;-)
Au moins il y a le plaisir de l'avoir fait!

:-)

[Contenu sponsorisé]