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L'empreinte du bois flotté (3)

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L'empreinte du bois flotté (3) Empty L'empreinte du bois flotté (3)

Message  ptipubi Ven 9 Jan 2009 - 11:42

Il n’avait jamais ressenti auparavant ce bien-être face au spectacle de la rue, celui que l’on regarde en sachant qu’il faut partir avant la fin si on ne veut pas faire tinter une piécette dans le chapeau tendu. Un regard d’enfant faussement émerveillé, parmi ceux des autres badauds clairsemés en demi-cercle, dont personne ne doute, en dépit de l’âge que son corps peut laisser paraître.
D’ordinaire au pire aller, on traîne la jambe. On est pris dans les travails du temps. Il court ce trottoir, mais, soit qu’il fatigue ses congénères, ou qu’il racole par paresse et ennui, le résultat est un foisonnement de membres en action imposant une direction, molle, qui incite à ne plus décider où aller. De chaque côté, les immeubles, habillés de balcons fleuris, vêtus de câbles le long de leurs façades, comme des varices sur des jambes trop actives, sont des rails au pouvoir à la fois étouffant et exaltant. Le soleil sur la peau est futile face à ses connexions vitales dissimulant une solitude qui ne tient qu’à un fil. Quelquefois, il se croit dans le lit d’un torrent de montagne, en train de se faire lisser et arrondir par l’eau, qui l’été venu, le laissera dorer, acéphale et placide. A d’autres moments, au milieu de ce même torrent, il est un roc sur lequel se fracasse l’eau ; en s’écartant elle l’enserre et se referme immédiatement derrière lui pour le lover, enfin le croit-il.

Paul continue son chemin et renonce à comprendre les gens qui se lissent tandis qu’ils courent, se croisent et s’entrechoquent dans un lit ou ailleurs. Il prend une allure et s’y tient ; ici ce n’est pas une spirale mais un enchaînement de tourbillons alignés qui picotent les flancs un peu trop flasques, la peau archi-tendue et les sens titillés par le remous des bulles de rêves volées à l’étalage comme si celles-ci étaient saturées par une surexposition au mouvement de la vie : une senteur de marrons chauds, des cris de chalands, des cris de joie, des cris retenus, des cris de plaisir, des cris d’amour, des cris de douleur, des cris de folie, des cris de pub, et dans le même temps, le son poli des collants, les cotons, les synthétiques, le cuir et son odeur acre soufflé sur le trottoir, une vitrine froide et embuée par les haleines, deux regards accrochés, un peu plus loin, un ballon au bout d’une ficelle, deux mains collées, une salive au goût sucré, le roulis des pneus, les rais par terre, le frôlement intentionnel ou non de peaux et de tissus inconnus, une fumée avalée ou non, une suée ou non, un déjeuner ou non. Tout compte fait, la photo est instantanée et figée et après une petite oscillation du poignet pour qu’elle sèche, on cherche de manière hautaine et automatique, l’âge des visages et des corps qui y marchent. Pourquoi ? Sûrement pour s’amuser de ces gens dont on entrevoit l’amorce des dessous de chaussures semblables aux pointus gauches de milliers de footeux évoluant tous dans la même direction, dans le même camp et dans la même équipe.

Il a des sous, il a du temps.
Le reste n’est qu’une question de choix. D’autres idées lui sont passées par la tête mais il décide de se diriger vers le « pion », son cercle d’échecs. Comme d’habitude, il saluera tout le monde … enfin ceux qui, à cette heure matinale, sont tellement imbibés de cette passion abstraite qu’ils en délaissent sommeil et réalité pour voyager sur soixante quatre cases belles comme une perspective florentine. Il avancera entre les tables et se contentera d’observer les parties des autres, rythmées par le swingue des pendules attendant le son aigre doux des cuivres. Jouer et qui plus est participer à un tournoi échiquéen lui ont été strictement déconseillés (c’est l’expression employée par le Dr Portier) depuis trop d’années par son cardiologue. Sa pompe est usée au point de ne pas résister aux émotions du scénario chaotique et aléatoire de combats aussi virtuels puissent ils être.
De temps à autres, il se permet tout de même un shoot en feuilletant une revue ou un livre sur les échecs et en rejouant des parties de grands maîtres qui datent d’une décade ou d’un siècle, peu importe car ce qui l’intéresse se niche dans l’esprit indépendamment des siècles. Il est toujours fasciné par l’atemporalité de certaines parties et par l’impact du contexte historique pour d’autres. Que ce soient Kortchnoï ou Philidor, Karpov ou Steinitz, dans leur façon de concevoir un plan, transparaît un état d’esprit du moment touché par l’élixir de jouvence éternelle. Il devine le Karpov de l’ère Brejnev à son jeu génialement positionnel et rude comme un hiver moscovite puis, la page suivante, il voyage avec Giochino Greco dit le Calabrais dans toute l’Europe du XVIIème grâce à ses parties jusqu’auboutistes et nécessairement esthétiques. En fait, chaque partie possède une dimension historique à l’état brut dont il se délecte mais c’est un tel délice que cela décuple sa frustration de ne pouvoir jouer. Jadis, chaque partie était une pièce qu’il mettait en scène en poussant l’un des acteurs sous les projecteurs, en attendant le moment de rupture, en choisissant de trancher, en changeant le lieu de l’action, et, cabotinage oblige, en jouant en fonction de l’attente du public. Son esprit donné en pâture sans vergogne à tous, ceux qui entourent la table, à tous ceux qui surfent sur le net si la partie en vaut la peine, à un quidam de la fin du troisième millénaire. On laisse pénétrer son esprit par les autres ; c’est cette première fille facile de notre adolescence que l’on croyait méprisée mais à qui l’on pense ardemment lors de moments peu frivoles.
Après toutes ces années, il a appris, passif et envieux, à se contenter du théâtre des autres pour en faire des adaptations quelconques. Il enfile les capotes usagées des autres ; il travestit son sexe roide en guerrier fourbu de plaisir ; il lui reste l’amour tellement intellectuel, tellement féminin (en a-t-il un ?) tellement émotionnel pour elles ; trop chichement charnel et physique pour lui. Comme une épreuve dans le vide qui pousse à la résignation, le corps entrave l’esprit dans un esclavagisme réciproque. Il redoute le jour où, pendant qu’il pénètrera dans le hall d’entrée de l’immeuble cossu de son cardiologue, ses ventricules et ses oreillettes s’animeront plus que de coutume comme par instinct. Le docteur Portier le fera entrer dans son cabinet aux tentures garance abîmées par l’ennui et lui assénera la phrase qu’il refuse d’entendre même sous des cieux oniriques.
- Mr Rongiès, ce que je vais vous dire est quelque peu délicat mais, en tant que médecin, je me dois de le faire…je crois qu’il est souhaitable que vous limitiez autant que faire se peut votre activité sexuelle. Votre cœur, à chaque nouvel examen, nous montre qu’il n’est plus à même de supporter des émotions intensives et fréquentes.
-Ha … ? Vous êtes catégorique ? répondrait-il.
- Absolument. C’est la blouse blanche qui parle. Je sais qu’à soixante ans, de nos jours, la sexualité est une chose très importante néanmoins il en va de votre santé. A chaque fois que vous ferez l’amour, il faudra être conscient qu’il y aura un risque pour votre vie.
L’éternelle sacro-sainte cohabitation d’Eros et de Thanatos, penserait-il. Alors s’engagerait entre les deux hommes une discussion qu’il a du mal à imaginer. Il parlerait sans retenue, en desperado, comme perché sur la cime d’un séquoia. A peu près ceci.
- Portier (il n’aurait pas envie d’affubler le sinistre rebouteux du nom de docteur), il y a sept ans vous m’avez demandé de ne plus jouer de parties d’échecs en tournoi puis quelques temps après vous avez poussé jusqu’à m’interdire de simples parties amicales. Désormais, j’en suis réduit à regarder les autres, respirant le plaisir sur l’échiquier, humant le musc de la victoire, le mufle tourné vers le ciel, légèrement palpitant et dilaté, laissant la prédation m’abandonné, laissant mon corps patauger dans un élément qui le dégoûte. Quel plaisir triste et solitaire, de chaque côté de la langue, le goût amer qui s’en dégage me chagrine les sens !
- Paul, je suis dans votre camp. Je devine que vous avez une passion débordante dans beaucoup de domaines mais ça ne cadre plus avec l’état de votre corps. J’en suis le premier désolé car nous avons sensiblement le même âge mais, et même si on vous affirme le contraire, on ne peut pas toujours tout faire à tout âge. Le mélange des genres mène quelquefois à des culs-de-sac. N’oubliez pas les plaisirs simples. Vous êtes aussi père et grand-père et une famille représente aussi une grande source de satisfaction. Vous me parliez de partage, voilà un cercle au sein duquel on peut ressentir du plaisir en partageant des choses qui sont enfouies en nous.
Amen.
A ce moment précis, il sent qu’il aurait une foule de sentiments qui s’agripperaient à son visage ; comme les meurtrières d’un château son sourcil tomberait pour ne laisser à son œil qu’un interstice faussé du monde ; constellées veinules, ses joues se déformeraient attirées vers le bas par des liliputiens oeuvrant avec cordages, poulies et huile de coude, avec pour conséquence la minéralisation de son visage que l’on viendrait de toutes parts observer comme l’exemple parfait de vivre pour les autres. Vieillesse. Morne altruisme.
Rongiès n’y tenant plus.
- Que va dire le père et le grand-père aux femmes qu’il désire ? Désolé mais quelques caresses pourraient m’être fatales. Affriandées par ces moments aussi sublimes qu’angoissants où deux êtres s’étreignent physiquement, je les laisserai, seules, brûlantes dans des draps à peine tièdes, avec pour seules solutions, leur intellect et leur fantasme. Les fois où j’ai fait coïncider l’amour et le sexe se compte sur les doigts d’une main qui fait du stop, on a le plus souvent l’un sans l’autre : que ce soit du sexe avec un amour inapproprié mais aussi un amour flamboyant scellé par des ébats d’une mièvrerie à pleurer. Cette vague, on l’attend, une vie parfois, assis sur une planche, le regard vers le large et les mains ridées par l’eau et le temps, clapotant les vaguelettes berçantes et éphémères…et moi vous me dites que je n’y ai pas le droit. Que je dois me contenter de l’amour, d’un parterre de géraniums autour d’une caravane somnolente. Moi je veux l’océan et bouffer tout le sable !... Comment je peux imaginer ça ? …Comment puis-je l’accepter ?... C’est comme si j’entendais leurs cris sans les baiser.
- En tant qu’homme, je vous avoue que je ne sais pas si j’aurais la volonté de passer outre cette assuétude. Pourtant il va falloir trancher car je ne crois pas que la passion puisse être la compagne de la demi-mesure, elle ne peut être une anguille très longtemps.
- La vie ne peut être demi-mesure. La regarder sans intervenir a toujours des conséquences à très long terme. Moi-même, je suis hanté par l’immobilisme, le fatalisme, l’individualisme : tout ce qui fait que l’on se refuse de voir la souffrance des autres ou de provoquer cette souffrance. Quand j’avais vingt ans, au Portugal, j’étais très engagé, un illuminé et…, non ! Rongiès n’est pas proche de Portier. Il serait incapable d’exposer ses démons à un individu dénué de vie intérieure pour lui dire tout ce qui l’englue dans le terne et l’abyssal. Il continuerait sobrement sa complainte du cul. Le cul est souvent l’arbre qui cache la forêt.
- Comme pour les échecs, il ne me reste plus que le plaisir de regarder. Pendant qu’un garenne fera l’amour à Dona, je les regarderai faire, mais inéluctablement, j’aboutirai à coup sûr à ce maudit soliflore pour lequel je n’ai que du mépris l’extase achevée. Je n’ai aucune prédilection pour le voyeurisme ; le visage de Dona se déformant sous les spasmes de l’orgasme, les différentes caresses qu’ils pourront se prodiguer et les yeux de Dona, ses yeux dans les miens quand elle jouira. Les murs des hôtels ne seront plus qu’une mosaïque d’impressions que mon âge et mon corps m’imposeront. C’est un mal qui ne peut qu’empirer. Perché comme un singe sur l’épaule, il est un fidèle compagnon, toujours à l’affût d’un moment de faiblesse car il sait que vous pouvez transgresser l’interdit n’importe où, n’importe quand. A chaque séance de voyeurisme, ce sera autant de coups d’alène portés à ce mal de vivre ventripotent. J’imagine Dona se faisant pénétrer par un autre et la seule image qui me vient est celle d’une tique au moment précis où elle trouve un support animal chaud et humide. Elle le perfore de son rosse tout en agitant ses pattes pour s’ancrer. Délicatement, je peux enlever le parasite mais une partie de lui-même peut rester et c’est l’infection. De celle qui attaque autant le corps que la volonté, autant le sexe que l’amour. Jour après jour, Je crois que je me contenterai de regarder la bête se gorger de sang et son corps grossir à vue d’oeil comme une outre.
-Vous me laissez le choix entre soigner un voyeur déprimé ou un épicurien qui défie la mort dans une arène au centre de la quelle la moleta n’est qu’un sex-toy qui brave la mort et décuple l’ennui à plusieurs. Tout compte fait, baisez. Il en restera toujours quelque chose

Comment prendrait-il cette dernière phrase s’il l’entendait réellement un jour dans la bouche de Portier ? Il ne l’entendra jamais. Portier est un médecin, sans complicité, sans une once d’irrationnel, celui qui garde toujours une distance suffisante avec son patient même au bout de vingt ans de palpations et de diagnostics. Il serait difficile de sortir du cercle du raisonnable et de lui dire sans pincettes.
- Portier, je préfère baiser une fois et mourir, plutôt que de m’astiquer et survivre les yeux trop ouverts. Entre l’histoire de cul ou l’histoire de cœur, je prends le cul. Au diable le cœur ! Une petite mort en vaut bien une grande. Les petites histoires ne font elles pas l’Histoire ?
Portier, même pas dans les cordes, même pas compté, fixant les paysages insipides des cadres photos posés sur son bureau, pas une seule frimousse attendrissante et rassurante, rien que du minéral, du végétal. Du voyage vendu sur catalogue. Du rêve sans l’imprévu.
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Message  Invité Ven 9 Jan 2009 - 13:56

Je repêche l'idée par-ci par-là, mais je ne peux l'empêcher d'être noyée...
Désolée.

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Message  Invité Mar 13 Jan 2009 - 15:14

L'écriture est riche mais le propos est long, tout en introspection, en analyses qui restent en plan. Les dialogues ne donnent pas lieu à un "allègement" du ton, je termine sur une impression de lourdeur, d'un texte qui ne veut pas décoller.

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Message  Sahkti Jeu 22 Jan 2009 - 11:17

A nouveau des dialogues qui me paraissent peu réussis.
Pourtant, ce troisème morceau, certes plus long et tout aussi dense, me plaît davantage que les deux précédents. Sans doute parce qu'enfin, j'arrive à cerner Paul un peu mieux, à lui coller des images, à faire un bout de chemin avec lui.
Je reste cependant d'avis qu'alléger un peu tout cela ne ferait pas de mal à ton texte et permettrait au lecteur de creuser la brèche et de 'y engouffrer, afin de participer un peu/beaucoup au récit.
Je pense aussi que le ton trop régulier de ton fil conducteur rend le rythme de ton texte monotone et, à la longue, lassant. Les dialogues devraient pourtant briser cela mais dans la mesure où ils sont aussi chargés que le reste, ça ne décolle pas vraiment.
Pas simple de changer tout cela, j'en conviens. Tu sembles aimer cette densité, au vu de la défense que tu prends chaque fois en réponse aux commentaires.
Sahkti
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