Funerarium

[milo]

C’est devant la porte trop lourde que la main hésite sur le geste.
Contre l’inox froid de la poignée elle se crispe
puis se relâche.
Elle s’arrête
puis se crispe à nouveau, en même temps que tous les cœurs qui battent encore, en alternance, contre mon dos.
Ne te retourne pas !
Parce que derrière, c’est les hommes face au désastre,
juste des yeux rougit pleins d’eau et de sel, posés sur des visages fragiles comme des morceaux de sucre.
Ne te retourne pas… c’est la première larme qui libère toutes les autres.

Ensuite les choses se font seules. On entre, sans trop savoir comment.
La pièce est neutre mais les murs sont pleins de fantômes, et des rideaux tirés nous laissent croire qu’il existe une fenêtre.
Une fenêtre dans un funérarium
Comme on écrit un mensonge avec les doigts, dans du ciment frais.

Bien sur on regarde partout, le coin du mur rouge, les fleurs sans couleurs, le Jésus, les fleurs sans odeurs, le bénitier, mais surtout
On regarde vers la fenêtre qui n’existe pas.
Pourtant au milieu de la pièce il y a la mort, allongée et belle, apprêtée, apaisée sur un visage blanc. Il y a la mort dans un corps. Le corps de celui que l’on a aimé
Forcément trop en sourdine…
Quelques mots du prêtre, des psaumes je crois. Puis on tend le bâton pour bénir. Je ne sais pas bénir. J’ai envie de pleurer.

[Invité]

Fort ! J'ai particulièrement aimé
"Une fenêtre dans un funérarium
Comme on écrit un mensonge avec les doigts, dans du ciment frais."

La toute dernière phrase est peut-être de trop.

[Invité]

Je suis réservée sur cette phrase, dont je comprends bien l'intention mais qui me fait l'effet d'être un peu trop "alimentaire" et du coup légèrement incongrue :

juste des yeux rougit pleins d’eau et de sel, posés sur des visages fragiles comme des morceaux de sucre.

Sinon, il me semble que le texte aurait pu être encore plus fort en insistant sur cette volonté de regarder partout pour reculer le moment où l'on va regarder au milieu de la pièce. Enfin, c'est mon ressenti.

[Invité]

zut ! j'ai surligné une faute sans la corriger :"les yeux rougis"

[Invité]

Magnifique texte. Sobre et poignant. Rien à retoucher, pour moi.

[lol47]

Beau.

sur des visages fragiles comme des morceaux de sucre.

Un peu trop "apprêté", le texte le dit. Se lit avec douceur et sans déplaisir.

[Invité]

c’est les hommes face au désastre

J'aurais écrit: Ce sont les hommes face au désastre. Je ne sais expliquer bien pourquoi, moi qui d'habitude est friand des tournures indisciplinées.

[Anne Veillac]

Texte très fort, très émouvant.
J’ai pensé au film « la chambre du fils ».
J’ai juste hésité sur les images à avoir en tête, au début du texte. La porte. L’inox. Moi, je voyais les poignées du cercueil. Quelques uns, dont le narrateur ou la narratrice, portant le cercueil, et les autres derrières. Du coup, je ne comprenais pas la première phrase.
Juste un détail : bien sûr

[Sahkti]

Un beau texte, milo, sobre et émouvant, tu n'en fais pas trop, même si de ci de là, on sent que le fil n'est pas loin.

J'ai envie de pleurer, à la fin, ne me paraît pas indispensable; je pense que l'idée est déjà bien présente et expliqué dans le corps du texte.

[boc21fr]

Oui, c'est une très beau texte où seule la dernière phrase est peut-être de trop à mon sens...

[Chako Noir]

Oui, je crois que la dispensabilité du J'ai envie de pleurer fait unanimité.
Pour tout ce qui le précède, rien à toucher, du beau, de l'émouvant, le ton comme il faut. Je tire mon chako.

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