Mélanges du pouvoir (rectificatif et suite)

[ptipubi]

Quelques modifications par rapport au texte initial et la suite.

Mélanges du pouvoir

Comment en était-il arrivé là ? Il ne savait plus. Il ne regrettait rien mais il y avait des jours comme ce matin pour lesquels il n’était pas fait. Il n’était pas bien, enfoui dans ses draps en coton et dans sa procrastination. Il n’en serait pas mieux ensuite. Aujourd’hui, il y avait en plus juste cet énervement occasionnel qu’il contractait au réveil, entre le moment où son corps soulageait le sommier et celui où ses orteils recroquevillés touchaient le carrelage glacial de la chambre, achevant ainsi définitivement l’arrivée du flux sanguin dans son membre stimulé par de doux rêves. Cette constatation faite, Eloi avait désormais envie d’en découdre avec le miroir, le café trop chaud, la vie trop longue et le chat de Virginie qui miaulait tandis que sa cuillère décrivait un mouvement serein et circulaire dans le mièvre breuvage constellé de corn-flakes. Dans la salle à manger, des canettes de Red bull et de bière, des taches de sangria et des cendriers pleins se donnaient en spectacle à même le sol. Une fête, un dimanche soir. Encore une idée de Virginie et Kamir, ses deux jeunes co-locatrices mais ce matin, un seul se levait pour aller bosser. Dans le couloir, il perçut, par la porte entrouverte, un râle de ténor enroué.
- Prends-moi de l’acétone et une boîte de Tampax…grogna Virginie dont le sein girond s’échappait de la couette, déclenchant une demi- prédation à l’entour.
Son téton aux pigments incarnadins était aussi doux à contempler que beau à caresser, pensa-t-il en dévalant la rue du Poteau. Avec son sourire citadin et la démarche lambda, c’était un peu de Kamir et Virginie qu’il reniait. Il se cala à l’arrière du taxi : direction le travail. Le temps du trajet il se remit dans la peau du conseiller d’ambassadeur ; susurrant à l’oreille, suggérant, un pas en arrière, à un homme qui ne partageait que son incompétence et son humour. Eloi n’était qu’un agglomérat de protocoles, un chevalet sans toile calé par un manche roide et oblique. Sa vie ne pouvait se cantonner à ça !
Au début, il avait eu des remords à profiter de ces filles à la recherche d’une caverne tout confort, s’imaginant dans une relation maître-esclave. Il avait donné ses conditions lubriques, d’hébergement, hors week-end, comme on énumère une liste de convives mais ça avait vite dérapé : un jour, elles négociaient, un autre, elles acceptaient, parfois elles devançaient et le fonctionnaire avait délicieusement perdu pied.
Un dimanche après midi, Kamir lui disait, viens. Un mardi soir, il les accompagnait à une soirée étudiante, bras dessus, bras dessous, affichant sans complexes leur vie à trois. Les détails n’intéressaient pas les autres convives et ça, il n’y était plus habitué.
Le visage grenu, une immense mèche en tôle ondulée en travers du front, le cheveu long juste ce qu’il fallait, l’ambassadeur s’avança, vêtu d’un costume au mesure-trop optimiste. Moins rogue qu’à l’accoutumée, il s’informa.
- Y’a un problème mon vieux ?
Kamir était enceinte. Elle avait sa première échographie, mercredi, en même temps que cette foutue réception de pingouins ! Il devait être à ses côtés comme une mère auprès de sa fille ; d’ailleurs, il avait l’âge d’être sa mère.
- J’ai un empêchement mercredi. Mon père est malade, je dois me rendre à Tours, répondit-il simplement.
Pour que l’on ne jasât pas de ces emplettes féminines, il les effectuait régulièrement dans un quartier neutre, et puis incognito, il rentrait en bus, chargé tel un sherpa fataliste, priant que le sac plastique ne fût pas trop transparent. Au moins, ce soir, les courses étaient sommaires.
En entrant, il enjamba une série d’obstacles et se dirigea vers la chambre de Kamir. Son teint hâve le préoccupait. Appuyé au chambranle, il s’enquit.
- Tu veux toujours le garder ?
- Qu’est-ce qui te préoccupe ?...Il n’est pas de toi ! lança-t-elle.
- On aurait pu le faire sans capotes.
- Ca ne fait pas partie de nos petites conventions. Ne crois pas que je dépende de toi, je me débrouillerai seule.
Elle était là, allongée, les bras le long du corps, un bouquin de droit somnolant sur son ventre légèrement bombé.
- Si le géniteur est incertain ou aux abonnés absents, je peux faire comme si, proposa-t-il.
- Hé, le quadra ! Si tu veux un enfant, je veux bien t’le porter, moi ! Histoire de finir tranquille mes études et ma grossesse dans ton appart de fonction ! … Mais il va falloir que tu attendes quelques jours, mon poulet! cria Virginie sur la cuvette des toilettes, la porte grande ouverte.
- Brune ou blonde, monsieur l’ambassadeur? brailla Kamir dont le visage impassible s’estompait sous l’effet du crépuscule.
D’un coup, Eloi explosa.
Je revendique haut et fort…le fait d’avoir appris à aimer ce qui n’est pas simple !... tortueux !…j’aime ce qui pleure, ce qui crie, ce qui jouit!... et surtout ! J’emmerde mes voisins pour ce qu’ils sont vraiment!!!... fils de bonne famille, je suis désormais un bohémien nostalgique !... pourfendeur de vos habitudes !!
On était dans ces pièces de théâtre uniquement destinées à être lues. La chasse d’eau se fit entendre et un fou rire triangulaire fusa dans la seconde. Ils se retrouvèrent sur le lit de Kamir, heureux d’être ensemble. Simplement.
- …et je vous ferai des bébés café au lait… avec des cheveux crépus comme moi!
Les jambes tendues verticalement sous les couvertures, ils se montaient un chapiteau tout en se soufflant mutuellement leur haleine dans le nez. Deux corps blancs pour un corps noir. Kamir exhalait le petit déjeuner de 17h, Virginie, les relents d’un régime strict et Eloi, le monde extérieur.C’était du n’importe quoi ; Il les accueillait comme un père, les baisait comme un amant et chahutait comme un frère. Une famille ? Le trio ne se faisait aucune illusion sur la pérennité de leur passion de papier. Un avenir qui s’était trop figé face à deux qui s’inventaient.Pourtant, ce soir, il ferait l’amour à Kamir, certes, tout doucement, mais sans s’en vouloir.

[Lonely]

J'ai hésité à répondre à ce texte puisqu'il avait été partiellement traité il y a peu de temps. Mais en recherchant l'original, il y a une chose qui m'a suffisamment interpelé pour que je le mentionne ici.


Tout d'abord, je trouve que certaines phrases sont à rallonge, enchaînant des détails ou des descriptions qui pèsent inutilement. J'ai pourtant lu d'autres texte de toi et je les ai trouvé autrement plus agréable et bien écris. Très bien même pour certains. Et la connotation érotique, voire perverse ne me dérange pas forcément.

Mais le truc qui me taraude, c'est que tu as justifié ce texte sous prétexte de dénoncer une situation. Je te cite :

Exact. J'ai écrit ce début en voyant une émission à la télé où un haut fonctionnaire flouté sur l'écran expliquait avec naturel et pragmatisme qu'il hébergeait, dans son logement de fonction, des étudiantes sur Paris en contre-partie de "services sexuelles" à la carte. Ca m'a fait froid dans le dos car j'ai une fille étudiante sur Paris, hébergée chez mes parents. Je me demande si ces procédés n'sont pas encore plus méprisables- venant de quelqu'un censé incarner quelques valeurs républicaines- que ceux employés par les marchands de sommeil qui pullulent un peu partout en france.
Je vais avoir du mal à être un narrateur objectif pour la suite mais je vais faire un travail sur-moi même et essayer de ne pas devenir moralisateur.
Merci de votre lecture.

Or, en te lisant, j'ai plus lu un énorme fantasme qu'une terrible dénonciation de ces arrangements odieux. On ne sent nulle part la contrainte, le désespoir des étudiants sans le sou, la perversion du maître des lieux ou même le dégout face à une situation pourtant scabreuse.

Non, ils font la fête, il part bosser, elles ne glandent rien. Pas de relations plus correctes (pas de petits amis pour elles ?), pas de tentative d'échapper à la contrainte contractuelle, au contraire ! "Parfois elles devançaient...", "Kamir lui disait viens", et il partaient avec elles dans les soirées ! N'ont-elles donc aucune vie pour traîner en longueur de temps avec celui qui est censé être un exploiteur honteux ?


Kamir tombe enceinte sans que ça ne l'inquiète plus que ça... et elle remet le couvert le soir, gentiment, docilement. Et l'autre Virginie qui n'en sourcille même pas, projetant même l'idée de squatter 9 mois de plus s'il parvenait à la mettre en cloque itou. Pauvre Eloi... qui devient soudain une espèce de victime.

Non... décidément, tout cela n'est qu'un ramassis de fantasme de vieux à qui sont inféodées 2 donzelles étudiantes, nymphomanes et sans lendemain. On sent presque que le vieil Eloi subit les jeunes filles et se laisse entraîner dans la petite folie de leur jeunesse... mais sans qu'à aucun moment ne transpire une once de l'ignominie que constitue pourtant la situation que tu dépeins. Ca fait très "youpi, le maître est rentré... c'est moi qui y passe ce soir !" :-(

Donc, ce texte ne dénonce rien de ce que tu as avancé dans tes explications, il raconte une autre histoire qui porte en elle l'inconséquence absurde d'une situation où tout va bien.

Mais peut-être ai-je mal saisi ?

[Invité]

C'est sûr que le texte donne moins le sentiment d'une dénonciation de certaines "pratiques" que le sentiment que les 3 personnages ont trouvé un modus vivendi confortable, où chacun trouve son compte, les filles autant voire plus encore que le conseiller. Du coup, je me demande quelle est la finalité du texte, outre le fait qu'il n'est pas désagréable à lire, avec une espèce de charme étrange, et ceci en dépit du peu de sympathie que m'inspirent les 3 personnages.

[ptipubi]

tout cela reste de l'écriture: Je suis allé où mon imagination m'a porté au de-là de mes convictions. Je n'ai pas voulu dénoncer de manière militante.La relation entre les personnages est moins tranchée et moralisatrice que ce que l'on peut attendre mais ne me semble pas un fantasme.
J'ai essayé de mettre en place une situation avec un harmonie artificielle qui met de côté le pouvoir de chacun. Je l'assume pleinement.
Il n'y a pas que les contraintes qui soient source de création.
Merci de vos commentaires

[Sahkti]

Je rejoins pas mal l'avis de Lonely sur ce texte et cette hésitation entre dénonciation et fantasme est peut-être ce qui explique que le texte ne sait pas trop bien où il va.
Au début, nous avons un narrateur assez froid, qui se ferait volontiers passer pour cruel et inhumain, un type qui réfléchit cliniquement et analyse mathématiquement sa vie et les autres. Puis plus loin, face à Kamir et l'échographie, le mec est presque plouc, dévordé de sentiments qu'il ne contrôle pas et les expliquant de bien piètre manière.
Ce n'est pas incohérent, certes, le gars pourrait ainsi révéler sa véritable nature, mais il y a tout de même un truc qui ne colle pas vraiment à mes yeux dans ce procédé.

[Roz-gingembre]

Pas franchement emballée non plus par ce texte. J'avais entendu aussi parler de cette pratique, dérangeante forcément même si ce n'est pas ce qui est dit ici. Le texte en lui même semble ne pas toujours savoir où il va, il hésite entre le phantasme et l'interdit. Périlleux comme exercice!

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