Noël

[Anne Veillac]

Le cadeau

Noël, ça été horrible cette année.
J’ai d’abord pris le cadeau de mes parents. Rectangulaire. Lourd. Sans l’ouvrir, je savais ce que c’était. Encore un « beau » livre, un livre sur un pays étranger de préférence, moi qui déteste voyager. Je l’ai ouvert : c’était le Mexique cette fois.
Je suis ensuite allée chercher le cadeau de ma sœur sous le sapin. Petit. Il faisait du bruit quand on le bougeait. Je l’ai ouvert. Un petit flacon. Des gélules à l’intérieur. Ma sœur m’a dit :
- C’est extraordinaire tu sais. C’est vraiment efficace pour maigrir !
Et là, je ne sais pas ce qui m’a pris. Quand je l’ai vue avec toute sa minceur, toute sa suffisance, la colère est montée en moi.
Je suis partie et j’ai claqué la porte.




La dernière

- Tu sais la dernière de cette conne de Joëlle ?
- Ne l’appelle pas comme ça. Joëlle ça suffit.
- Ouais. T’as raison. L’appeler Joëlle ça suffit, pas besoin de dire conne, c’est sous entendu.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire… Arrête un peu avec elle. Accepte-la.
- Ah… parce que tu trouves pas qu’elle est conne peut-être…
- Si, mais il faut bien l’accepter maintenant qu’elle fait partie de la famille. Alors, c’est quoi la dernière ?
- La dernière quoi ?
- Tu avais dit « tu sais la dernière de Joëlle ? »
- Ah oui… c’est à propos de Noël. Elle a proposé qu’on ne fasse pas de cadeau aux autres, mais que chacun se fasse deux cadeaux, à soi-même, emballés, que l’on mettrait sous le sapin.
- Pas con…
- Ben si, c’est con.
- Au moins, on serait sûr d’avoir ce qu’on a envie. Et, en plus, on serait sûr de ne pas dépenser de l’argent inutilement.
- Attends… n’importe quoi ! Où est le partage ?
- Bof… tu sais bien, à chaque fois, on reçoit des trucs qui ne nous servent à rien… et puis, à l’inverse, on voit bien la tête des autres quand ils ouvrent nos paquets… Il faut dire, on achète les cadeaux au dernier moment, on achète n’importe quoi, histoire d’avoir quelque chose, absolument. C’est nul tout ça.
- Et les tasses que je t’ai achetées l’année dernière, elles n’étaient pas belles ?
- Si… si… mais je n’en avais pas vraiment besoin.
- Et alors ? Un cadeau ça doit forcément être utile ?
- Non…
- De toute façon, elle est nulle l’idée de cette conne de Joëlle.
- Ne l’appelle pas comme ça…
- D’accord.



Foule

C’est terrible d’être aussi seule au milieu d’une telle foule. Et avec Noël qui approche, ça va être de pire en pire. En fait, c’est proportionnel. Plus il y a de monde, plus je me sens seule. Logique. Je suis une anonyme perdue dans une marée de visages. Je repense au livre d’Anna Gavalda. Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. Je me dis autre chose. Je voudrais que quelqu’un m’aime, quelque part.



Le petit dernier

Cette année, à Noël, il y avait ma cousine Laure et ses enfants. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vue. Ses enfants, encore plus. Je les voyais souvent quand ils étaient petits, mais là, c’était de jeunes adultes. Il y avait l’ainé, Pierre, Julie, la deuxième, et Ludovic, le petit dernier. Il a bien réussi dans la vie. Il travaille dans l’édition. Pourtant, je me souviens, quand il était enfant, il était toujours malade, il avait de gros problèmes à l’école. C’est ma cousine qui a tout fait pour le repêcher. Qu’est-ce qu’elle a pu s’occuper de lui ! D’ailleurs, on aurait dit que c’était son enfant préféré. Celui de son mari aussi.
C’est drôle. Pendant tout ce repas de Noël, j’ai eu l’impression que c’était l’inverse. Ma cousine parlait à ces deux autres enfants, à Pierre et Julie. Elle leur parlait et elle parlait d’eux. Mais Ludovic était comme transparent pour elle. De préféré, il serait passé à l’enfant auquel on ne s’intéresse plus ? Parce qu’il avait fini par prendre sa vie en main, tout seul ?

[Arielle]

J'ai surtout aimé le petit dernier ... cette ironie douce qui dit juste avec beaucoup de sensibilité. C'est un ton qui très personnel et qui me touche dans tes textes. Les autres sont bien aussi mais plus banals et j'y retrouve moins ta petite musique si délicate.

[Invité]

Quatre textes intéressants, bien vus, des flashes qui "sonnent" très vrai... J'ai moins aimé le troisième, trop évident peut-être pour moi, moins subtil que les autres.

[Sdai]

Pour ma part, j'ai préféré "La dernière", qui me rappelle Charlotte Gainsbourg dans "La Bûche", de Danielle Thompson.
"Il faut dire, on achète les cadeaux au dernier moment, on achète n’importe quoi, histoire d’avoir quelque chose, absolument"
C'est absolument vrai. Le plus drôle, ce sont les gens qui tentent vainement de justifier leurs achats, alors que tout le monde sait pertinemment qu'ils ont pris la première compilation correspondant à peu près aux goût musicaux de l'intéressé qui trônait sur une pille de promos à la Fnac.

J'ai trouvé "Le Petit Dernier" intéressant, mais pas assez approfondi à mon goût. Si j'étais toi, je m'y pencherais à nouveau, c'est plutôt prometteur.

[Invité]

J'aurais aimé que le premier soit un peu plus étoffé, dans sa brièveté il me semble un peu caricatural.

Le deuxième est acide à souhait et le quatrième d'une perspicacité féroce.

Je verrais bien le troisième inclus dans quelque chose de plus long ou alors développé.

Quoi qu'il en soit, j'ai toujours du plaisir à retrouver ces observations fines mises en valeur pas une écriture dénuée d'effets de style, simple mais convaincante.

[Kilis]

J'aime tes flocons de Noël, Anne Veillac.

[Kash Prex]

J'ai apprécié ces textes, très complémentaires, avec des pointes sarcastiques. Une description réaliste de ce que Noël occasionne. Pas mal =)

[Anne Veillac]

Désolée de faire remonter ces textes mais j'ai modifié le premier.



Les cadeaux

Je n’ai pas aimé Noël cette année.
J’ai d’abord pris le cadeau de mes parents. Rectangulaire. Lourd. Sans l’ouvrir, je savais ce que c’était. Encore un « beau » livre, un livre sur un pays étranger de préférence, moi qui déteste voyager. Je l’ai ouvert : c’était le Mexique cette fois.
Je suis ensuite allée chercher le cadeau de ma sœur sous le sapin. Petit. Il faisait du bruit quand on le bougeait. Je l’ai ouvert. Un petit flacon. Des gélules à l’intérieur. Ma sœur m’a dit :
- C’est extraordinaire tu sais. C’est vraiment efficace pour maigrir !
Alors je l’ai regardée, avec toute sa minceur et toute sa suffisance.
Je n’ai rien dit.
Pendant le reste de la soirée, je n’ai pas été très gaie. Le lendemain, à la maison, j’ai pris le flacon, j’ai ouvert la poubelle et puis finalement je l’ai refermée. Et j’ai gardé les gélules dans ma main. Et si ça marchait…

[Invité]

Moins abrupte la fin, plus ironique. Oui.

[slave1802]

Prendre la porte, des fois ça fait maigrir aussi !

Très agréable à déballer ces petits paquets.

[mentor]

bon, puisqu'il faut choisir (non ? fallait pas ?), ben c'est le deuxième, sans hésiter
mais le tout est bien vu
j'aime bien tes petites chroniques, Anne
sans doute moyen d'en faire un vrai recueil, un jour
Philippe Delerm fait ça très bien ;-)

[Kash Prex]

Pour compléter mon commentaire : si je devais choisir ce serait le 3ème, pour l'aspect psychologique. Mais je pense que ces textes forment un tout.

[Sahkti]

Wouaw, offrir des pilules amaigrissantes comme cadeau de Noël, faut oser ! :-) (j'aime moins la seconde version de ce texte)

"La dernière" est un régal !

"Foule" et "Le petit dernier" me parlent moins, comme si ils étaient plus détachés.

Des fragments qui font du bien, provoquent des sourires et des soupirs. Je trouve vraiment que ton écriture a mûri, Anne, par rapport à tes premiers textes qui proposaient également de tels petits morceaux de vie.

[Contenu sponsorisé]