Chauvshenko, ou le dernier des créateurs

[Sergei]

« Dans ce monde, il y a ceux qui construisent, et ceux qui détruisent. Ceux qui construisent, les grands hommes, ceux dont on se souvient, par leurs exploits qui n’en restent qu’humains. Car en effet, tout n’est qu’une question de relativité. Le plus grand empire ne sera jamais qu’un hameau face à l’immensité d’un univers que Pascal nous a si bien décrit avec tout le style qu’on lui accorde. Son centre est partout et sa circonférence nulle part. Il y a ensuite ceux qui détruisent, et qui font la grandeur de ceux qui construisent. En effet, ils sont la difficulté de la construction. Allez donc construire une maison sur une termitière. Ces destructeurs, souvent vus tels des parasites, ne construisent pas eux-mêmes quelque chose ? Une termite dans Versailles est un parasite. Mais après avoir tant rongé une des fiertés de l’architecture française, cette termite et ses compères ne s’y sentiront-elles pas plus à leur aise ? N’auront-elles pas construit les ruines d’un palais, tout aussi utiles à elles que le palais lui-même le fût à ses constructeurs ? Ainsi destruction et création se complètent, ou plutôt ne font qu’un. Elles sont toutes deux des altérations de l’environnement dans le but précis de plaire à quelque chose ou quelqu’un. De ce fait, le grand homme est tout autant parasite que le vandale.
Jamais plus on ne pourra nous traiter de parasites ! Aujourd’hui, les rôles sont inversés, et l’humanité voit clair dans le jeu du petit nombre qui la dirige depuis si longtemps ! »

La foule hurla à la suite du discours du commandant Chauvshenko, l’anticapitaliste le plus fervent que le globe connaisse en cette année 2031. L’immense armée révolutionnaire qui s’étendait aux pieds du charismatique représentant de la destruction vomissait sa véhémence. Brûlant d’une ardeur flamboyante, elle n’avait plus qu’une envie, obéir aux derniers ordres du commandant.

Le discours avait été retransmis à la radio dans la totalité des pays riches, dis du Nord. Dans toutes les grandes villes, c’était l’aliénation des populations à la seule cause qui paraissait alors juste. La destruction pure et simple pour une reconstruction sur de bonnes bases. Les rues étaient à présent bondées de manifestants sans aucune revendication concrète, simplement en attente des prochains ordres de Chauvshenko.

Sur l’estrade, de dernier savourait la mise en application de ce qu’il avait assidument préparé depuis près de trente ans, par le biais d’un éreintant investissement dans tout ce qu’il aberrait : la politique véreuse, le business boueux. Mais c’en était fini de cette société. La voix des muets allait maintenant s’élever dans toutes les rues. Les rôles s’inversaient. Les termites allaient enfin hurler la colère de toute une colonie écrasée sous les fondations d’un système uniquement stabilisé par des discours sans grande valeur, la mise en avant de la rhétorique et d’une sophistique exécrable. Les parasites seraient écrasés par la masse. L’argent ne serait plus la seule source de pouvoir. La véritable démocratie serait mise en place, dirigée par celui qu’on vénérerait encore dans mille ans. Et tout les ans dans toutes les villes du monde, serait célébré l’anniversaire de la libération du monde, les hommes et les femmes chanteraient, et jusqu’aux confins de l’univers on entendrait résonner le nom de celui qui aura montré la lumière : Chauvshenko ! Chauvshenko ! Chauvshenko !

Chauvshenko !

Le vieil homme s’écroula par terre après avoir proféré ces dernières paroles au jeune Kiburtz. Il avait trop parlé d’un passé si lointain que seuls les vieux ouvrages relataient encore aujourd’hui. Kiburtz éclata de rire après le récit du vieillard. Il devait être fou. Jamais de tels hommes ou de telles idées avaient pût exister, même si cela remontait à plus de mille ans.

Sur le chemin de retour vers son petit village perdu au fin fond d’une immense forêt tropicale qui recouvrait le dernier pays habitable en cette époque, Kiburtz entendait encore les dernières folies de ce Chauvshenko résonner dans sa tête. Comment un tel monde avait pu précéder le leur ? Alors qu’aujourd’hui, tout le monde vivait au fond des bois. Mais il savait bien que tous ces mythes de la création du monde n’étaient que des inventions.

Le monde serait une suite infinie de destruction créatrice ? Le destin de l’humanité serait donc de détruire pour reconstruire à chaque fois ? Chauvshenko, le Destructeur Créateur… Comme tout homme. Si l'homme est si sensible, ce serait pour renforcer sa dépendance à la nature, et ainsi son individualisme, le poussant ainsi à accomplir sa destiné de destructeur.

[Invité]

J'ai eu l'impression que votre texte cherchait trop à démontrer, assenait sa vérité, et ne laissait pas au lecteur d'espace pour rêver un peu, construire sa réflexion à partir d'une histoire. Tout m'a paru trop cadré, trop explicite...

Il y a quelques fautes, je vous en signale une :
"un éreintant investissement dans tout ce qu’il abhorrait" (le verbe "aberrer", à ma connaissance, n'existe pas)

[Invité]

Une très intéressante idée, mais le texte est trop démonstratif. C'est terriblement difficile de faire passer des idées sans que ça devienne dogmatique ou pédagogique. Toute la difficulté consiste à laisser le lecteur " découvrir" lui-même l'idéologie sous-jacente, et ça ... ( je précise que je n'y arrive pas non plus, ou rarement !!)
Mais ça vaudrait le coup de t'y essayer quand même, l'idée est vraiment séduisante !
l’anticapitaliste le plus fervent que le globe connaisse en cette année 2031 je dirais "connût".

[Invité]

Le verbe "aberrer" existe et signifie "être dans l'erreur."
J'ai apprécié cette lecture mais, comme socque et coline Dé, j'aurais préféré plus de suggestif, d'implicite.

[Sergei]

Je comprends tout à fait chacune de vos remarques, et j'avoue que ce n'est pas évident de rendre tout ça plus enfoui. C'est un de mes gros défauts, je ne laisse pas souvent assez d'autonomie au lecteur. Je vais tâcher de corriger ce problème qui est hélas récurrent dans mes textes.

Merci à tous pour vos commentaires, c'est agréable de voir des gens qui s'intéressent un peu à ce qu'on fait Ce forum est vraiment une bonne idée.

[slave1802]

Attention à ne pas vous faire traiter d'anticommuniste primaire !

J'aurais bien vu des singes, ou des les lémuriens à notre place dans 1000 ans...

[Sahkti]

La démonstration du commandant Chauvshenko me paraît nébuleuse et laborieuse, dans son ensemble. Mais c'est peut-être volontaire cette complexification (pas sûre que ce mot soit français, hum) d'une idée simple ?

Si j'apprécie les qualités de l'écriture, je reste toutefois partagée sur le texte, essentiellement son propos. Il me semble qu'il ne mène pas bien loin et que la dénonciation d'une situation sociétale est trop appuyée. Beaucoup d'explications, d'insistance pour que tout soit compris et le lecteur a le sentiment d'être l'étranger de service face au texte.
Ceci dit, je le répète, l'écriture est signée et plaisante.

[Lonely]

Je plussois les autres intervenants, et je rajouterai que vous manipulez avec une certaine aisance un mécanisme universel pourtant éculé. Le principe de votre texte fait appel à un fondement puissant de nos sociétés, de notre Histoire (et même de ce qui n'est pas anthropocentré).

Mais c'est là que réside aussi le bât qui blesse : ce n'est qu'une reconduction de mécanismes déjà traités depuis très longtemps, que ce soit à travers les différentes cosmogonies ou les développements plus récents de certaines théories scientifiques.


Bref, ce qui fait la force fait aussi la faiblesse en quelques sortes... c'est en tout cas mon sentiment.

Sinon, bravo de vous être frottés à un sujet aussi coton...

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