Nina

[Menestroll]

Spoiler:

      Nina est morte avant-hier.

       J'errai lundi matin dans les rues d'une de ces grandes métropoles européennes. Les nombreux décalages horaires et le manque de sommeil m'avaient dérouté au point que je ne sache ou j'avais fini par atterrir. C'était ce genre de ville lumineuse et vivante de jour mais sombre et grouillante dès le soleil couché. J'étais arrivé vers dix-neuf heure, éreinté par les quinze heures d'avion j'avais sauté dans le premier taxi dans l'espoir de rejoindre le lit glacial du premier hôtel venu mais bien c'est quand on désir quelque chose à tout prix que le destin décide de vous mettre des bâtons dans les roues. Le chauffeur me sentant déboussolé jugea bon de me faire traverser la ville de part en part pour enfin me déposer dans une rue inquiétante avec une facture qui l'était encore plus. J'étais dans une caricature de polar. On pouvait discerner sous la lueur blafarde des lampadaires des silhouettes discrètes se faufiler sous les enseignes lumineuses de club de striptease. Une vraie carte postale.

       Je ne sais pas ce qui m'a poussé à pénétrer dans l'un de ces établissements de débauche. Peut-être était-ce le besoin de compagnie, même superficielle, qui me fit commander à boire et m'asseoir dans l'un de ces sièges rouges. Une petite télé dans un coin de la salle diffusait les images d'un accident de la route en sourdine. Les sous-titre indiquaient que l'on avait pas retrouvé le corps du conducteur de la première voiture abandonné non loin de l'aéroport.
       A cette heure-ci une danseuse fait son spectacle sur scène. Un N est tatoué sur sa cuisse. Sympa. Il n'y a quasiment personne, l'aube est bien trop proche pour que les pères de famille et les gens honnêtes restent éloignés de leur maison. Excepté moi. Je ne sais même plus pourquoi je suis ici, dans cette ville dont le nom s'est égaré au fond de ma mémoire, dans ce bar miteux à l'enseigne lubrique, devant cette fille qui danse pour moi. Ce n'est qu'à cet instant que je posai réellement mes yeux sur elle, la considérant plus comme une personne qu'un objet affiché en vitrine. Elle n'était pas belle, juste un brin jolie, maquillée à outrance afin que même les alcooliques du comptoir puissent le voir du fond de la salle. Selon tout mauvais polar j'aurai du tomber amoureux d'elle, la rejoindre dans les loges, puis la tirer, de ce milieu infâme pour ensuite la perdre dans une fusillade avec son ancien patron. Manque de chance je n'étais pas ce genre d'homme, et je me contentai de la regarder quitter la scène avant de commander un autre verre. Le dernier pour cette nuit.

       Lorsque je quittai le club quelques dizaines de minutes plus tard, le soleil commençait déjà à se lever. Les noctambules troquaient leur impers pour un costume-cravate, embrassaient leur femme et leurs enfants avant d'aller au bureau. Moi je restai là, sur le trottoir, ne sachant ou aller. Foutu décalage horaire, j'avais la tête en vrac, impossible d'avoir les idées claires. D'un coin de l'œil je repérai la danseuse sortir d'une ruelle adjacente au club. Surement la sortie des « artistes ». Ne sachant vraiment pourquoi, je la suivi. Lorsque l'on est perdu dans une ville inconnue, on se rattache à la moindre petite chose. Cette femme m'avait marqué, ou plutôt c'était la seule dont je me souvenais. Le visage du chauffeur de taxi avait déjà disparu et les traits du barman plongés dans une brume amnésique. Seul le visage de la danseuse persistait. Mais pour combien de temps ?

       Elle s'avançait dans la rue. Marchait le long des voitures garées, et je continuais à la suivre sans vraiment savoir pourquoi. Les minutes s'écoulèrent, et quelques dizaines de croisements plus loin elle finit par s'engouffrer dans un hôpital. Était-elle malade ? Intrigué, je continuai ma filature, cela aurait été trop bête de s'arrêter maintenant. Le hall était déjà plein à craquer malgré l'heure matinale. La maladie ne respecte pas les heures de travail, elle frappe le weekend et le jours fériés, ça bouscule la monotonie. Slalomant entre les patients je m'évertuai de ne pas perdre la jeune femme des yeux. Elle marchait d'un pas rapide à la manière d'une habituée- il s'agissait peut-être d'une visite à un proche- et prit les escaliers en direction du sous-sol. Elle pouvait travailler à la lingerie après tout.

[Menestroll]

     La lumière tamisée des couloirs du sous-sol donnait un aspect sinistre et macabre à l'endroit. L'agitation présente il y a quelques instants à peine avait laissé place à un silence pesant. Seul le choc des talons de la danseuse à présent invisible résonnait contre les murs. La température semblait plus fraîche, on aurait pu se croire dans l'antichambre de la Mort. Le long du couloir de nombreuses portes étaient disposées dont une sur laquelle était inscrit le mot laverie. Bon sang ! Ou pouvait-elle donc aller ? Le bruit de ses pas était à présent inaudible. Je continuai au hasard le long du couloir qui finissait par obliquer vers la droite. Personne non plus, juste des portes disposées à intervalle régulier contre le mur, dont une dernière tout au fond. Je ne sais pourquoi, mais je ne tentai d'en ouvrir aucune ayant le sentiment que cela ne mènerait à rien et poussai le battant de l'ultime issue qui se présentait devant moi. Je pouvais soit faire demi-tour et mettre fin à cette mascarade, ce simulacre de filature digne d'un plus mauvais polar, soit appuyer sur la poignée et suivre cette pulsion jusqu'au bout. J'optai pour la deuxième solution.

     Derrière la porte, un laboratoire. Du moins c'est ce que je cru au premier coup d'œil, mais ces tiroirs placés contre le mur étaient bien trop grands pour contenir de la simple paperasse. Le corps nu d'un barbu quinquagénaire recouvert seulement d'un léger drap sur une table m'ôta l'infime part de doute qui subsistait. Je me sentais à présent nerveux. J'avais chaud. Bordel ! Je n'allais pas faire une crise d'angoisse pour trois macchabées dans une morgue. J'avais maté suffisamment le JT du vingt heure pour ne pas être surpris par ce genre de vision. Le barbu en plus ne s'était pas fait sauté en plein milieu d'une rue avec un kilo d'explosif sur son torse, il n'aurait même pas choqué un gamin de dix ans.

« Je peux vous aider monsieur ? »

Je sursautai et pivotai sur mes talons réprimant par la même occasion un petit cri de surprise.

« ...Oh Monsieur P ! »

     C'était elle. La danseuse du club de striptease, la fille au tatouage. Celle que j'avais suivi tout ce temps poussé seulement par un désir obscur de m'attacher à quelqu'un. Elle était à présent la, face à moi et me dévisageait l'air à la fois surprise et gênée. M'avait-elle appelé par mon nom ? Monsieur P ? Qui cela pouvait-il être d'autre à part moi ? Pas le barbu en tout cas.

« ...Vous ne devriez pas revenir ici, ce n'est pas bon pour vous. Votre femme... »

     Que racontait-elle ? Ma tête me faisait souffrir, tandis que mon corps se mettait à suer par tous les pores. Ma femme ? Qui est ma femme ? Ou est-elle ? La danseuse continuait de me parler d'un air à présent inquiet. Ses paroles étaient inaudibles et ses lèvres bougeaient en vain. Comment s'appelle ma femme ? Ou est-elle ? Je plongeai ma tête dans mes mains et senti une masse chaude gluante sur le haut de mon front. Du sang sur mes doigts. Que m'est-il arrivé ? Qui suis-je ? Ou est ma femme ?

     La danseuse continuait de parler dans le vide. Vêtue d'une blouse blanche, elle tenait dans sa main une paire de ciseaux et dans l'autre une brosse à cheveux. A la vue du sang sur mon front elle prit peur et se précipita vers le téléphone. Je ne faisais plus attention à elle depuis plusieurs secondes déjà, une seule chose avait captivé mon attention. Un autre corps allongé sur une des tables d'examen.

     Nina, ma femme.
     Morte avant-hier renversée par un chauffard.

[Nechez]

Voila le froid qui s'empare du chaud. Une mise en scène magnifique. De belles expressions, un style efficace.

Je me suis beaucoup accroché au personnage. Vraiment. Tu m'a donné envie d'écrire un peu à la 1er personne. Il y a ce quelque chose dans le texte qui a fait germer de belle image dans ma tête. Je pourrais presque le dessiné tant tes mots parlaient bien. Vraiment. J'ai aimé.

[Invité]

Une histoire sympa, mais j'ai été gênée par des incertitudes dans le régime des temps (il y a notamment à un moment du présent qui déboule dans le texte au passé).

[Invité]

Le texte me semble manquer déquilibre avec un début un peu long par rapport à la chute de la fin. Et puis j'ai ressenti, sans vraiment mettre le doigt dessus, un côté parfois brouillon qui m'a empêchée d'apprécier le récit autant que je l'aurais souhaité.

[Invité]

Vouais. D'accord avec Easter(Island) pour le côté brouillon.

[Sahkti]

Ambiance bien définie, des passages mystérieux, une intrigue qui attire mais un fil conducteur par moments emmêlé, me semble-t-il, ou alors cette impression que tu ne savais peut-être pas tout le temps où tu allais. Tu prends ton temps au début, tu poses les décors et les lumières, les mots font passer beaucoup de choses et puis ça s'accélère, tu épures, sans doute un peu trop, et ça devient presque confus.
A mon avis, il y aurait peut-être à revoir un peu la fin, cette révélation d'une situation qui n'est pas celle à laquelle on pensait.

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