Fin de vie

[Arielle]

Quel âge peut-elle avoir ?
Un âge canonique, sans aucun doute.
Je la regarde errer dans l'allée du jardin. Une vingtaine de pas, elle s'arrête, cueille un brin d'herbe, pousse un gravier, s'assied, gonfle ses jupes et s'assoupit.
Elle ne paraît pas souffrir mais la vie qui se retire d'elle ne semble plus l'intéresser. Elle oublie de boire, de manger, accepte une gorgée d'eau, avale une bouchée puis se détourne …

Je la revois, guillerette, aimantée à ma bêche quand je retournais le potager. J'entends son babillage au pied de l'échelle quand je taillais le vieux pommier, elle ne perdait pas un de mes gestes. Elle se tenait souvent à la porte de la véranda, se cambrant sous la caresse dont on la gratifiait au passage. L'été, quand je chaussais des sandales, elle venait picorer le vernis de mes orteils.

Quand elle a commencé à décliner, les chiens la suivaient pas à pas et la flairaient longuement, ils passent maintenant au large, ils l'évitent.
Ses commères s'approchent à tour de rôle, l'incitent à se lever par quelques coups de becs persuasifs.
Si sa robe de faille luit encore au soleil, le coquelicot de sa crête s'est fripé, fané, délavé.
Comme elle n'a plus la force de sauter au perchoir, je l'installe dans le foin à la tombée de la nuit; chaque matin je m'attends à trouver son cadavre raidi dans un coin du poulailler.

Est-ce raisonnable de s'attacher à une poule, de lui laisser vivre cette lente agonie au lieu de lui couper le cou ?

[pierrot]

Très finement observé. je suis bien entendu parti sur la mauvaise piste voulue et me suis laissé conduire dans cette écriture agréable.
Peut-être un petit regret d'un texte un peu court. Quelques évocations de souvenirs de "vie commune" ? Je reconnais qu'avec une poule ce n'est pas facile.
Cette histoire n'est- pas sans me rappeler un petit poussin que mon gros chien avait pris sous sa garde. Le poussion dormait dans les pattes du chien, lui tirait les poils sans qu'il ose bouger et si le 2 pattes s'éloignait le gros toutou n'avait de cesse de le ramener par der cercles autour de lui et des oups de museau. Mais le poussin a grandi. Nous l'avons hypocritement donné à une ferme voisine et le chien a pleuré quelques jours. Que les hommes sont cruels, n'est-ce pas ?

[Invité]

Votre écriture élégante et douce convient à merveille à cette histoire ! Contrairement à pierrot, je ne crois pas qu'il faudrait développer le texte dont l'argument pourrait paraître un peu mince si on le diluait.

Et, oui, c'est très bien observé.

[Invité]

Comme Pierrot j'ai commencé par me fourvoyer avant de subodorer que tu nous menais en bateau.
Le texte est agréable, tendre mais pas trop, finement observé, mais mon enthousiasme s'arrête là, même si je dois bien admettre être agréablement surprise de trouver un texte sur une poule de basse-cour (je précise, n'est-ce pas ?), ça change des habituels chiens et chats.

[Lonely]

J'apprécie beaucoup la légèreté de l'écriture, sans effet inutile ni emphase pesante. Un sujet simple, traité avec simplicité mais nimbé d'une beauté éthérée qui lui sied très bien. J'ai même ressenti un sentiment de... "fragilité" en quelques sortes.

Mais a contrario, j'ai moins apprécié la fin, abrupte, qui tranche (volontairement j'imagine) avec l'aspect presque poétique qui entraîne le lecteur durant le récit. Dur retour à la réalité, aussi légitime dans l'émergence du constat inévitable de la finitude des êtres qui nous accompagnent que dérangeant tant on aurait aimé que la poésie continue encore un peu.


Non, en fait je crois cet effet final procède de la logique des sentiments quand ils se heurtent à la réalité. Dans tous les cas un bien joli texte, très empreint d'une émotion quasi palpable. Bravo.

[Anne Veillac]

Moi aussi, je me suis laissée piéger. Mais quand même, je me suis assez vite dit que le personnage devait être un animal puisqu'il était plus vieux que le narrateur. Mais la poule, non, je n'avais pas deviné.
Du coup, j'ai tout relu en sachant la fin. Ca fonctionne vraiment bien !

Elle existe cette poule ?

Merci pour ce petit plaisir de lecture.

[Hellian]

Sinon, j'ai une recette, mais faut cuire longtemps...

Mais noooon ! le n'y suis pas insensible à cette vieille poule canonique.

C'est très subtile ce texte, parce que ce qui compte ici c'est plus la fin de vie que la poule. et c'est ça qui piège, comme si en découvrant qu'il s'agit d'une poule il y avait lieu de reprendre son émotion.

Et bien moi, je dis bravo ! je veux pleurer sur l'agonie des gallinacés.

[Sahkti]

J'ai pensé à un personnage, puis la caresse m'a guidée vers un animal et le vernis picoré a achevé de m'éclairer sur la nature du sujet.
Tu décris cette fin de vie avec tendresse, regrets et pas mal de sensibilité. Pourquoi pas une poule en effet, puisque tu y es attachée, c'est ça qui compte.
Tu lui donnes une certaine allure dans ce texte, on la sent importante et il y a une forme de respect qui transparaît du début à la fin.
Le paradis des poules, ça doit exister ! :-)

[Charles]

Pourquoi pas une poule en effet...

Ah, une poule, t'en as pas encore :-)) bientôt un nouveau membre à la famille ?

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pour le texte : me semble qu'il fonctionne bien, présente de manière sensible et cependant "mesurée", l'affection que l'on peut avoir pour n'importe quel animal, y compris une poule ... suis d'accord avec Socque, je crois, qui disait que le texte n'était pas trop court...

[Jeangeo]

Texte plein de tendresse et de douceur.
Un style chaleureux qui me fait penser à celui de "Embellie"
J'ai beaucoup apprécié.
Merci pour ce moment de plaisir.

Jeangeo.

[Ba]

A conserver avant qu'elle ne soit confondue avec une grenouille ;-)

[Invité]

Qui ne sait ce qui se passe dans la tête d’une poule ? Dans celle d’un homme, on sait (Viens, Poupoule !, Viens, Poupoule ! viens !). C’est un peu cabot un homme. Mais une poule, non, même si les chiens la suivent pas à pas.
Elle a du pot la poule, de ne pas y être passé. :-))
Un bon texte servi par une belle écriture.

[Nicolah]

Un beau portrait qui se dessine et des mots justes.

[Invité]

Zut, je la connaissais pas cette poule !
Tu penses si j'adhère, si je comprends, si je compatis ... et si j'admire l'élégance de l'écriture, la tendresse du propos ! Moi qui suis gâteuse de mes poulettes
J'aime les gens qui ont des relations avec les animaux, qui leur accorde attention et affection... On découvre que les animaux sont capables de sentiments .. que les humains commencent presque à oublier : l'entraide, l'amour, la fidélité... Bien sûr ça fait ricaner certains... comme l'idée qu'un noir pouvait être aussi intelligent qu'un blanc ou qu'une femme pouvait avoir une âme a en son temps fait rigoler des tas de gens bien pensants...

[hi wen]

trop good.

[Arielle]

Merci Jeangeo pour ce repêchage au fond de mon poulailler.

Coline, je viens d'apprendre que les plantes, elles-mêmes, auraient une forme d'intelligence ! Pourquoi pas des sentiments ? L'âme des roses se cacherait-elle dans leurs épines ? Celle des femmes transita bien un temps par leur utérus avant de migrer vers de plus hautes sphères ...

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