L'homme

[Kali Lorca]

9 janvier 1757

Ne cherchez pas, vous ne me connaissez pas. Je prédis pourtant, qu’un jour, un monstre regroupant toutes les connaissances crachera des détails de mon existence. Saurez-vous deviner qui je suis ?

Je vis le jour le 11 février 1657 à Rouen. Il y a de cela quatre-vingt-dix-neuf ans et onze mois.
Je suis un homme ambivalent, un homme de son temps. Rien ne me fait peur, je touche à toutes les sciences. Ce n’est qu’ainsi qu’un homme excelle. Il faut se confronter à la réalité.

Ce détail, car cela en est bien un, vous intéressera peut-être bien plus que tout ce que je pourrais dire : je suis lié par le sang à une famille célèbre. A un homme qui fit de l’ombre à mon oncle Thomas, un homme bon qui méritait le respect d’autrui et de son frère qui le priva du succès. Les fratries sont souvent le lieu de rivalités et de haine.

Je fis mes études chez les Jésuites. On parla de moi en ces termes : « un jeune homme parfait sous tous les rapports ». Que pouvais-je demander de plus ? Je fis mon entrée au barreau, comme mon père avant moi. Je plaidai une fois, perdis, partis. Je rejoins mon oncle Thomas C. à Paris, dans le but d’entreprendre une chose nouvelle : la littérature. Je devins un auteur.

Peut être avez-vous entendu parler de La Comète. Je crois être plus connu pour l’origine des sifflets. Ma tragédie Aspar initia cette technique du non d'un public révolté. Je ne m’arrêtai pas là. Mieux valait être sifflé qu’être la cible d’une tomate pourrie. J’écrivis, sans succès. Mes œuvres s’oubliaient avant même d’être nées. Je changeai. Je m’essayai à d’autres registres : des opéras, des textes mortifères et bien d’autres. Le chemin était un python vert qui se mouvait sans cesse. Après mes échecs, il m’était donné deux options : rester couché ou me relever. Je fis comme mon oncle Thomas : je poursuivis le combat.

Il me fallut bien des chutes et du temps pour trouver ma voie. Ce fut la littérature scientifique dans laquelle je brillais enfin. Je reçus de nombreux éloges. J’étais un homme du monde, un homme à l’esprit vaste. J’avais envié ces hommes de science au savoir faramineux. On me propulsait désormais à leur hauteur. J’étais le médiateur, leur transcripteur. Ils étaient l’obscurité du savoir, je lui rendais sa lumière. Ils parlaient dans un langage technique que je déchiffrais sans peine, oui, je connaissais suffisamment les sciences. Je n’avais pas franchi la limite, cette limite qui fait qu’on devient un savant incompris. Je vulgarisai les sciences, les mettaient à la portée de chaque homme.

En 1691, j’entrai enfin à l’Académie ! Que de déceptions avaient ponctuées ma vie et voilà, qu’enfin, je touchais le ciel de ces mains qui m’avaient érigés un palais littéraire.
Après cette distinction, il fallut attendre 28 ans pour que naisse mon chef d’œuvre. Pour moi, ce n’était qu’un enfant de plus. Un enfant que j’avais engendré et choyais comme les autres. Le monde le gratifia de ses honneurs. J’étais comblé.

Je m’occupai de mon bonheur. Je le savais si volatile que je ne pouvais m'imaginer le perdre. Je reçus encore bien des critiques. Certains m’appréciaient, d’autres pas. Il est si facile de clabauder, ne trouvez-vous pas ? Je fus néanmoins très apprécié, voire recherché. J’étais l’invité de la Duchesse du Maine, ou encore de la marquise de Lambert. Ils affectionnèrent mon talent et mon esprit, parait-il.

Mon oncle Thomas Corneille avait vécu 81 ans, je le dépassai dans la longévité. Il avait survécu à l’ombre de Pierre, moi, je bénissais son soutien littéraire.
Je vis depuis tant d’années! Un nouveau siècle éclaira les Hommes et placarda d'espoir leur cœur. Je dus m’accommoder à nombre de changements. Je découvris et m’accoutumai non sans heurts. Le plus dur fut, sans nul doute, de laisser partir mon entourage. Le temps m’avait gardé. Mes échecs m’avaient donnés la force de me battre. Je survivais et m’inscrivais dans le temps. Ils partirent tandis que je demeurais terrien.

Mon intelligence fut saluée. Elle me permit de faire ma place dans ce monde. Dans ma jeunesse je mettais pris pour un grand auteur. Il suffisait d’un mot pour me donner la sensation d’être un homme de Lettres. J’appris la patience, la tolérance et surtout la modestie.
Je pensais déjà aux Lumières et elles me suivirent. Le mouvement enfla jusqu’à l’explosion du savoir. On parle peu de moi, mais je rendis la science accessible à tous. Je montrai que nous étions égaux, tous à même de comprendre ; mais on m’oublia.

Il y a douze ans, je fondai l'Académie de Rouen avec Le Cornier de Cideville. Ainsi, on peut le dire, le cœur d’un homme revient toujours à ses premières amours. Rouen demeura toujours dans mon âme, berçant mes rêves et saluant ma force.

Il se fait tard, l’écrivain s'en va. Ma bougie crépite depuis peu et sa douce lumière chétive me rappelle qu’il est temps. Le mouvement gronde dehors, je sais que tout va changer. Je pars rejoindre les miens. Pas besoin que je fête mon centenaire, la vie fût une réjouissance de toutes les heures. C’est aujourd’hui que je meurs. Je m’appelle Bernard Le Bouyer de Fontenelle.

Fontenelle ; écrivain, mathématicien et philosophe

Et si le cœur vous en dis, vous pourrez mettre mon portrait dans le cœur du monstre.

[Invité]

Intéressant ! Je n'aime guère les biographies d'ordinaire, mais le ton de celle-ci est agréable. J'ai beaucoup apprécié d'y lire le verbe "clabauder", qui j'affectionne et qui vient donner un petit air archaïque bien plaisant au texte.

Quelques fautes à repérer, dont la plus importante est celle-ci : "Dans ma jeunesse je m'étais pris" (et non "mettais").

[Gobu]

Fontenelle...

Il est surtout célèbre pour avoir vécu quasiment centenaire. Ce qui ne l'a pas empêché d'être ce qu'on appelle un bel esprit. Et aussi un bon vivant.

Une anecdote à son propos. Il avait invité à souper un autre "bel esprit" de son temps (l'Abbé Gudin, si mes souvenirs sont bons) On devait servir (entre autres) des asperges. L'ecclésiastique les préférait à la sauce hiollandaise, alors que notre philosophe ne les appréciait qu'au beurre. Après moult palabres, on coupa la poire en deux. La moitié serait servie en sauce, et l'autre moitié au beurre. Hélas, au cours du repas, le malheureux abbé succomba à une attaque, sans doute due à l'excès de bon vins et de plats riches. A ses domestiques consternés, lui demandant ce qu'il convenait de faire, il fit cette réponse admirable : "Allez dire aux cuisines qu'on les fasse toutes au beurre". On savait vivre de ce temps-là...

Gobu

[Sergei]

Ce fut une lecture agréable. J'ai pris plaisir à découvrir quelques bribes de la vie de Fontenelle. L'écriture est plutôt fluide et on ne décroche pas, ce qui n'est pas chose facile dans la biographie.

[Invité]

Mon commentaire va être un peu rude si je dis que ce que j'ai préféré dans ce texte c'est la prédiction humoristique du tout premier paragraphe et la phrase finale. J'ai aimé l'audace de l'idée à l'origine du texte et me demande ce qui t'en a donné l'idée.
Si de façon générale je fuis les biographies, je dois quand même avouer, en dépit de mes réserves, avoir apprécié ici de me frotter un peu à Fontenelle. Toutefois, la succession - inévitable, sûrement - de passés simples m'a paru conférer une lourdeur à la lecture.

[Lonely]

Je n'ai pas grand chose à redire sur la forme. Le tout est très agréable à lire pour un exercice, il est vrai, loin d'être évident. Et l'emploi du "je" (là où réside sans doute l'effort majeur du texte) est assez impeccable.

De plus, le sujet traite d'un homme dont on entend peu parler, homme qui a pourtant eu une intuition géniale dans son approche de la cosmologie. Je le connaissais pour ses histoires avec l'Eglise (si je ne me trompe pas) à propos de son livre "Entretiens sur la pluralité des mondes".

Diable ! Songeons un instant que l'hypothèse d'une pluralité des mondes renvoyait l'Eglise à l'hérétique inéluctabilité d'une pluralité de... messies !

J'avais trouvé cette idée très étonnante...

[Kali Lorca]

Merci pour vos commentaires ! A le relire, je vois enfin mes fautes !

Pensez-vous que ce texte pourrait entrer dans la catégorie "nouvelle" ?

[Invité]

Etonnante Kali ! J'aime cette ouverture d'esprit qui te pousse à tâter même de l'exercice ingrat de la biographie, et ma foi assez habilement !
Tu aurais intérêt à relire de près tes enchainements, tu passes assez souvent d'un temps à un autre sans justification, par exemple : " Je rejoins mon oncle " il me semble bien qu'il aurait fallu dire : je rejoignis

Je ne suis pas sûre que cela puisse entrer dans la catégorie "nouvelle" qui est souvent très restrictive.

[Kali Lorca]

J'ai aimé l'audace de l'idée à l'origine du texte et me demande ce qui t'en a donné l'idée.

Pour l'histoire : Suite au décès prématuré d'un être proche, que je savais pourtant mourant, je me suis sentie comme un livre sans page. Rien en gros.
La nuit, je me demandais comment quelqu'un d'âgé faisait pour vivre avec tous les deuils ... J'ai alors pensé à un philosophe grec qui avait vécu centenaire et mon but était d'expliquer comment il faisait face aux pertes.
Mais, je n'ai pas retrouvé cet auteur. J'ai alors trouvé Fontenelle, lui aussi quasi centenaire. J'ai lu sa biographie et je me suis laissé prendre au jeu!

Merci à vous tous pour vos commentaires !

[Invité]

J'ai aimé l'audace de l'idée à l'origine du texte et me demande ce qui t'en a donné l'idée.

Pour l'histoire : Suite au décès prématuré d'un être proche, que je savais pourtant mourant, je me suis sentie comme un livre sans page. Rien en gros.
La nuit, je me demandais comment quelqu'un d'âgé faisait pour vivre avec tous les deuils ... J'ai alors pensé à un philosophe grec qui avait vécu centenaire et mon but était d'expliquer comment il faisait face aux pertes.
Mais, je n'ai pas retrouvé cet auteur. J'ai alors trouvé Fontenelle, lui aussi quasi centenaire. J'ai lu sa biographie et je me suis laissé prendre au jeu!

Merci à vous tous pour vos commentaires !

Merci de ta réponse Kali Lorca.

[Sahkti]

Etait-ce un exercice, un travail ou que sais-je? Outre le besoin de franchir le deuil, je veux dire.
Qu'est-ce qui t'a poussée à rédiger une telle biographie, de cette manière ?

Ce n'est pas inintéressant mais ça manque un peu de peps, de digressions, de petites histoires qui font la grande. Tout ceci est très sage, très officiel; j'aurais personnellement préféré une biographie de coulisses qu'un portrait lisse à accrocher.

Ceci dit, tu as réussi à adopter le ton qui convient à ce genre de texte, cela sonne très protocolaire.

[alexi788]

Très original cette biographie. Il faudrait que plus de gens se mettent a en écrire des comme ca.

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