C'est pas ma faute

[Lehnerd]

La dernière ampoule vient de lâcher. Seul, veille mon écran encore vivant. Près de moi un vieux rockeur crachonne sa peine au travers du transistor. Je vais dans le salon Mangas, elle y sera peut-être. Jeune, belle, qui la nuit rêve encore. Elle y sera sûrement, celle qui m’enveloppera de sa fraîcheur, me nettoiera de mes bières, ma graisse et mes ans. Le clavier me déforme, gribouille la fenêtre, y forme un être drôle, intéressant, attirant.

C’est pas ma faute,
Et quand le jour je vis rampant, j’attends le soir où je captive leur désespoir.
C’est pas ma faute, je l’ai compris il y a bien longtemps.
Pourquoi lutter?
C’est pas ma faute.

Sa photo me regarde, un sourire charmeur, un maquillage sombre, une petite des années 90 alors que je faisais 68. On se parle toutes les nuits, à chaque fois un peu plus tard. Elle me décrit sa ville, son collège, sa chambre. Je sauvegarde le moindre mot, les relis parfois au boulot.

C’est pas ma faute,
Quand son image me brule les sens, elle me rend fort.
Bien plus que tout ce qui est juste.
C’est pas ma faute, si elle appuie où je souris.
C’est pas ma faute.

Par caméra interposées je lui montre mon coin de mur le plus parfait. Gris, quelques affiches, celle de Bleach plait souvent. Puis sur une petite table un cadre photo où l’image démo d’une femme et d’un enfant me fait office de famille.
A son tour. Je pénètre doucement dans son espace où son vernis noir côtoie sa peluche anti-stress barbapapas. Elle m’ouvre sa garde-robe, me demande quelques conseils. Je prends quelques captures d’écran, les caresses parfois dans le métro.

C’est pas ma faute,
Si elle m’offre plus que ce que j’ose lui soutirer.
Dans sa lueur raisonne l’espoir d’un instant meilleur,
C’est pas ma faute à moi.

La voilà qui pleure, un garçon quelconque s’est lassé de ses formes, pas assez femme, de sa vertu, pas assez souple. Elle voudrait me voir. Je passerai la prendre à la sortie des cours, comme toujours. Et comme toujours personne ne remarquera cette crasse au col de ma chemise. Elle criera peut-être, lorsque je m’essuierai sur elle de tous mes échecs. Puis le silence.

C’est pas ma faute.

[Invité]

Pa strop compris. Je trouve que l'histoire oscille entre réalisme et onirisme ; pour ma part, je n'ai pas trop su sur quel pied danser, et le texte ne m'a pas suffisamment entraînée pour que je m'en fiche. Je n'ai donc pas été convaincue...

[Invité]

"Pas trop", pardon.

[Invité]

Un texte sombre qui évoque avec beaucoup de justesse comment la virtualité peut pour quelques-uns se substituer à la réalité, comment elle peut masquer voire combler l'absence de "vraie" vie.
J'aime la façon dont on attend la toute fin du texte pour comprendre que le narrateur n'est pas qu'un pathétique voyeur. L'économie de mots du dernier paragraphe est efficace à créer une atmosphère menaçante dont on devine l'inéluctable issue - du moins c'est ainsi que je le comprends. C'est réussi.

[Lehnerd]

socque>> je pensais être relativement clair. J'aurais pu être plus directe, pas osé, pas envie.

Easter>>c'est ainsi que je le vois également. Merci.

[Roz-gingembre]

Je trouve que ce texte est bien mené.
Se dégage un malaise dans cette répétition de "c'est pas ma faute", ce déni complet de la moindre culpabilité. Tu rends cela parfaitement d'autant plus que tu ne cherches pas à minimiser "la faute" justement

[Invité]

Subtil et noir; j'ai beaucoup aimé la progression et l'économie de moyens.
Une belle réussite ! Seul point de détail qui m'interroge : le verbe
" crachonner " ???

[Lehnerd]

Se dégage un malaise dans cette répétition de "c'est pas ma faute"

J'avais peur de trop en mettre justement, contente de voir que ça ne saoule pas trop.

" crachonner " ???

A mi-chemin entre cracher et mâchonner. Ici, le vieux chanteur rebelle ne crache plus ces mots, il les crachonne avant peut-être de les mâchonner lorsque vraiment il n'aura plus de force.

[Lonely]

Easter à répondu à ma place... :-)

Je rajouterai simplement ceci : ce n'est qu'à la seconde lecture que j'ai vraiment trouvé le texte juste, voire sobre. Les renvois à la culture manga évoquent le phénomène Otaku et frôlent parfois la pathologie Hikikomori. Sauf qu'en se sortant de chez lui, votre personnage semble entretenir une lueur d'espoir à s'en extraire, lucide quant à sa propre situation. D'où la désespérance du texte.

Sinon, le "c'est pas ma faute" semble effectivement dédouaner le personnage de sa responsabilité (mais avec une connotation "méthode Coué" que martèle ce mantra lancinant), victime qu'il est d'une société qui par certains côté le dépasse de toute façon.

Et puis, oublierait-on la responsabilité de la jeune fille ? Que cherche-t-elle, elle ? Si elle agit de son propre chef, elle n'est qu'une autre victime, sauf qu'elle ne possède pas la lucidité de son alter ego virtuel. Et ce n'est que dans cette faille que réside la "faute" du monsieur à mon sens.


Et puis, je crois qu'on rejoint la fameuse sentence de Mac Lhuan : Medium is message. Ces deux personnes ne se cherchent pas vraiment, tout comme les aficionados de Facebook n'ont jamais eu et n'auront jamais 150 copains. Non, ce qui compte c'est la relation à un moment donné, vite galvaudée par le retour à la réalité, quand l'autre ne ressemble pas à ce qu'on avait mis dans son profil.


Bref, je m'éloigne, désolé. Pour conclure je dirai que je trouve le récit juste dans sa dénonciation, tout en subtilité. Et cette histoire, j'ai l'impression que nous sommes de plus en plus nombreux à pouvoir nous y reconnaitre. Medium is message ;-)

[Sahkti]

Ce n'est pas ma faute revient un peu trop souvent à mon goût.

A part cela, je trouve que tu décris bien cet univers virtuel des chats et autres forums nocturnes qui ont peuplé les nuits de tant de gens. Il y a un soupçon de misère humaine dans tout cela et ça passe habilement sous ta plume, sans être moralisateur. Chacun de nous (ou presque) a une part de lui dans ceci.

C'est également un texte fort et poétique, j'ai aimé te lire.

[Charles]

pas mal. au départ, j'avais un à priori négatif, je n'aime pas trop les textes "modernes" où l'on cause de forum, clavier, informatique, monde virtuel ... et puis, au final, ça marche plutôt bien. Peut être oter le "c'est pas de ma faute à moi"

j'ai compris la fin comme Easter. ça m'a semblé assez explicite.

[Loreena Ruin]

J'ai trouvé ça pas mal. La référence à la chanson pourrie Lolita en fond, ça rend bien, j'ai juste rien calé au premier paragraphe. Tout le reste je l'ai trouvé bien senti, bien glauque.

[Lehnerd]

La référence à la chanson pourrie Lolita en fond, ça rend bien

Amusée de ta remarque...j'ai en effet écrit ce texte avec la chanson en boucle en voulant y "extraire le mal" muahahahahah

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