Ce fut une mauvaise année

[Tristan]

Je sais que ce texte sent le déjà-vu, mais c'est plus un exercice de style qu'un véritable "quelque chose"





Ce fut une mauvaise année, à tous les points de vue.
C’était l’époque des grands bouleversements. Des cascades, toute une chaîne de dominos, sans que l’on eût pu savoir d’où, et de qui venait la première impulsion. Et après tout, quelle importance ? Ça se voyait, tout ça. Bien, même. Dans la rue, même. C’était l’essentiel, et le plus dérangeant. Et pourtant.
La ville affichait alors ses rides au grand jour. Les mains tendues, parallèles aux trottoirs, perpendiculaires aux caniveaux. Formez les rangs ! Garde à vous ! Repos ! Elles avaient soudain pris des coups de vieux, ces mains, en plus d’être désormais plus nombreuses. Elles tremblaient, ces mains, sans pouvoir supporter leur vide, ni l’hiver qui n’en finissait pas de se traîner, toujours sur la même voie de tram, aux mêmes heures, continuellement, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Livraison gratuite. On n’accepte plus les chèques. On ne fait pas crédit.
Circulez.
On gelait, même en été. Ça ne devait pas venir du temps. D’ailleurs tous les temps semblaient avoir disparu, figés comme des gros œufs en gelée dans des assiettes. On n’en voulait plus. Dehors.
Des rangées et des rangées de personnes, de presque-riens. On s’était mis à tous parler la même langue, pour la première fois depuis longtemps. Non, juste pour la première fois. Mais personne ne se comprenait pour autant. Normal. Habituel. Après tout, peut-être que rien n’avait changé. Oui, c’était ça. Rien n’avait changé. C’était rassurant. Au moins quelque chose de solide auquel se raccrocher, dans toute cette foire. Grand carrousel. Chevaux de bois qui crèvent de faim.
Une bien mauvaise année.
Il remuait le fond de Guinness de son verre, des archipels de mousse en flottaison, laids, tièdes. Comme des noyés, après la marée, sauf qu’eux refroidissaient au lieu de tiédir.
Il n’avait jamais vu la mer, à part peut-être une fois, tout petit, sur la côte Atlantique. Autant dire qu’il ne l’avait jamais vue. C’était peut-être mieux. Ça empêche de regretter.
Une autre bière, la dernière.
Il y avait tout ça, ces évènements. Ces évènements qui faisaient que. Aujourd’hui. Tout ça. Aujourd’hui. La panade, mais encore en vie, malgré tout. Oui, malgré tout. Une belle expression, ça, jolie, musicale, concise. Fallait faire avec, comme on dit, pas la peine de s’apitoyer, fallait aller de l’avant, et patati et patata. Malgré tout, quoi.
N’empêche qu’il n’était jamais allé voir la mer. S’il avait eu l’occasion, y serait-il allé ? Non, probablement pas. Et puis, de toute façon, elle était dégueulasse, la mer. Et froide, en plus de ça, la mer. Combien ? 600 ? 700 kilomètres pour y aller ? Une trotte. Pas le temps. Pas les moyens. Pas l’envie. Archipels de mousse crémeuse. Rochers. Odeurs de poissons morts et d’essence. Non. Il ne restait que le grand Malgré Tout. On savait où on allait, au moins. C’était pas loin.
La bière descendait, descendait. Une gorgée, puis une autre : Allez, faites place au vide ! Dix minutes : plus d’archipels, plus de rochers, plus de mer, plus de noyés. Rien. Quelques gouttes au fond du verre. Un souvenir faisant gonfler le ventre.
Monnaie jetée sur le comptoir. Glinglingling. Les pièces dansèrent un peu. Lui aussi, un peu, en se levant du tabouret, un peu. C’est drôle à voir, on aurait dit un ballet improvisé, là, juste devant les autres clients : le type propret, le vieux bedonnant, le couple d’amoureux et le petit groupe de jeunes, bruyants. Ciao Gontrand, et le barman : T’es sûr que ça va aller pour rentrer ? et Lui : Ouais, pas de problème, de toute façon je suis juste à côté. À demain. Ouais, qui sait, à demain, peut-être ?
Suivre la ligne droite, pousser la porte à battants – pratique, ça, les portes à battants, on peut s’y laisser tomber pour les ouvrir.
Sortir.
L’air frais était revigorant, mais moins qu’avant, quand on pouvait fumer à l’intérieur. On pouvait sentir le contraste, avant. C’était agréable. Aujourd’hui, on en avait moins, des contrastes, dans tous les domaines. Ça accentuait la gentille monotonie qui nous flinguait, petit à petit (un tueur perché sur le toit d’un immeuble, à une heure de grande influence. Pan ! Pan ! Pan ! Carton en bas, dans la rue. Personne ne se retourne. Raus, schnell !).
Il n’était plus très loin. Encore quelques pas, deux pâtés de maisons, plus qu’un. Une porte, Quarante marches. Une autre porte. Un peu de lumière, pour pouvoir enlever chaussures et veste. Le chat vînt se frotter aux jambes de son maître en ronronnant. Le maître, Lui, entra dans la cuisine, ouvrit le premier placard, en bas à sa droite, en sortit un paquet en carton. Versa dans une gamelle quelques croquettes. C’était meilleur pour sa santé, à Loupiotte. Nom idiot. Ce n’était d’ailleurs pas une femelle. Mais ils l’avaient choisi ensemble, ce nom, ainsi que l’animal. Lui et Elle. C’était le meilleur qu’ils eurent trouvé, de nom. C’était comme ça, et le chat s’en foutait. Comme tous les chats. Bouffer, sortir, dormir, c’était l’essentiel. Un peu d’affection de temps à autre, beaucoup d’indépendance. C’était pour ça qu’ils les aimaient, les chats, parce qu’ils avaient le même genre de vie qu’eux. Un peu d’affection, beaucoup d’indépendance.
La chambre. Le lit. Une petite masse sous la couverture. C’était Elle. Toujours aussi jeune, toujours aussi belle, allongée sur le côté, face à la fenêtre. La lune jouait dans les rideaux et envoyait quelques-uns de ses rayons sur son visage endormi.
Six ans déjà.
Il enleva ses vêtements, souleva un pan de couverture, doucement, imperceptiblement, s’allongea. Ne pas la réveiller. Dure journée le lendemain. Beaucoup de travail.
Elle ronflait un peu, mais il s’endormit quand même.

[mentor]

drôle d'ambiguité, là, voulue ? cette "petite masse" et ce "six ans déjà", six ans la gamine, ou 6 ans qu'il vit avec une femme ?
tout est là ?
oui, tout est là, et dans ce cas, difficile de commenter ;-)
ça change un peu, Tristan, de te lire en prose
tu devrais recommencer plus souvent

[Tristan]

drôle d'ambiguité, là, voulue ? cette "petite masse" et ce "six ans déjà", six ans la gamine

Avec tes ambiguité, on va bien trouver quelqu'un sur le net pour me faire un procès :-))
Non, le "6 ans", c'était "6 ans de vie commune". Je me suis mal exprimé, mais la suite que j'avais imaginé aurait levé l'ambiguité

[mentor]

drôle d'ambiguité, là, voulue ? cette "petite masse" et ce "six ans déjà", six ans la gamine

Avec tes ambiguité, on va bien trouver quelqu'un sur le net pour me faire un procès :-))
Non, le "6 ans", c'était "6 ans de vie commune". Je me suis mal exprimé, mais la suite que j'avais imaginé aurait levé l'ambiguité

zut, ben ça doit être mon job qui me travaille ;-) désolé
je croyais à un truc voulu et en plus je ne pensais pas à une suite, à cause de ça !
je voyais ce texte comme un tout
je m'en veux un peu, j'espère que personne ne lira mes commentaires avant de lire ton texte !
si tu veux je m'auto-efface :-))

[Invité]

Bien d'accord avec Mentor, Tristan, on aimerait te lire en prose plus souvent !
Je suis assez emballée par le style !

[Tristan]

je m'en veux un peu, j'espère que personne ne lira mes commentaires avant de lire ton texte !
si tu veux je m'auto-efface :-))

Ben non, y'a pas de soucis, Mentor. C'est un des défauts du texte, tu as bien fait de le souligner

[lol47]

Bien aimé le ton, le style, l'histoire.
Bref, que du bon, rien à ajouter pour ta défense.

[Invité]

Tristan, c'est la première fois que je te lis en prose je crois, et je suis plutôt emballée.
J'aime cette façon dont on suit le fil des pensées du narrateur sans s'appesantir, j'aime son ton désabusé. J'aime l'ambiance mélancolique et qu'on ne saisit pas pleinement ...

Note : le chat vint (sans ^)

[Tristan]

Merci beaucoup. Je vais corriger. Peut-être continuer. Qui sait, ça deviendra peut-être dans un future lointain un roman. On verra

[Invité]

Merci beaucoup. Je vais corriger. Peut-être continuer. Qui sait, ça deviendra peut-être dans un future lointain un roman. On verra

Oui. Il y a matière à.

[pierrot]

Des images amusantes. Par e'xemple l'idée de l'air moins revigorant depuis que l'on ne fume plus dans les bars. Un style assez bref, volontairement un peu brouillon à l'image sans doute du bar.
Voir la mer dans la mousse de la bière est certainement une grande originalité qui m'a amusé (attention à breveter pour la pub guiness par exemple !)
Mais il manque une chute plus interessante. J'aime être surpris et là, la conclusion me donne l'envie de faire pareil: me recoucher.
Je n'aime pas du tout la première phrase qui me semble ...disons pataude.
Pas à la hauteur du reste. Mais une simple opinion d'un dimanche matin tout gris lol

[Invité]

J'ai aimé l'histoire, la fin, même si ce n'est pas une "vraie" chute... Une nouvelle intéressante, bien écrite, peut se passer de chute. On oublie trop souvent que nos plus grands nouvellistes (à commencer par Maupassant) ont aussi écrit des nouvelles sans chutes.
Mais, pour moi, où le bât blesse, c'est sur l'écriture hachurée. Trop de mini-phrases de 2 mots, sans verbe, sans adjectif, sans rien en fait que des mots lancés sur le lecteur comme une volée de petit plomb. Je sais bien que c'est la nouvelle mode, et aussi une solution de facilité. Cela évite de se creuser la tête à construire des phrases qui soient "des phrases". Moi, je trouve ce procédé lassant. Ne m'en veuillez pas, ce n'est que mon propre goût.

[Tristan]

J'ai aimé l'histoire, la fin, même si ce n'est pas une "vraie" chute... Une nouvelle intéressante, bien écrite, peut se passer de chute. On oublie trop souvent que nos plus grands nouvellistes (à commencer par Maupassant) ont aussi écrit des nouvelles sans chutes.
Mais, pour moi, où le bât blesse, c'est sur l'écriture hachurée. Trop de mini-phrases de 2 mots, sans verbe, sans adjectif, sans rien en fait que des mots lancés sur le lecteur comme une volée de petit plomb. Je sais bien que c'est la nouvelle mode, et aussi une solution de facilité. Cela évite de se creuser la tête à construire des phrases qui soient "des phrases". Moi, je trouve ce procédé lassant. Ne m'en veuillez pas, ce n'est que mon propre goût.

je pars du principe qu'une phrase ne traduit rien, ou presque, de ce qui est. Là, plus que la signification, j'ai cherché le mouvement, le rythme, le balancement, pour essayer de faire sentir plutôt que de faire comprendre. Je sais, ça ne passe pas avec tout le monde. les goûts et les couleurs...

[Roz-gingembre]

Intéressant de te lire en prose.
Un peu gênée aussi par la quantité de virgules. Je comprends bien ta recherche mais tu pouvais quand même faire un peu d'économie au niveau de la ponctuation, le rythme recherché serait resté.
Sinon tu rends compte d'une ambiance plutôt que d'une histoire et ça c'est réussi.
A te relire!

[moolek]

pas facile d'être un enfant de bukowski

[Invité]

Le texte est plaisant, mais, comme d'ailleurs vous le dites en exergue, ne me semble pas apporter grand-chose ; une enième histoire de gars qui en a marre, pourquoi pas, sauf que la distance narrative m'a empêchée de vraiment ressentir de l'empathie avec lui et que, ni dans le style ni dans les idées exprimées, je n'ai trouvé du relief, quelque chose qui m'emporte dans un univers...

[Sahkti]

Que dire, si ce n'est que je suis pleinement entrée dans ce texte. Difficile de le commenter d'ailleurs tant il me parle. Que d'amertume et de désillusion et en même temps, beaucoup d'élégance et puis une extériorisation qui se fait en sobriété, malgré le narcissisme qui la teinte.
Si à cela j'ajoute le parallèle entre la mousse de la Guinness et la mer, il n'en faut pas plus pour me séduire.
Un registre qui te sied très bien Tristan, bravo.

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