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La fresque

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Roz-gingembre
ptipimous
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Message  ptipimous Dim 5 Avr 2009 - 20:02

Depuis qu’il l’avait là, sous les yeux, ce graffiti, tout lui semblait aller mieux.
C’était arrivé, il ne savait plus trop quand, mais son regard avait percé la fenêtre close et il avait vu. Sur le mur qui bordait le trottoir d’en face, mur hideux sans la moindre pierre apparente, était venu fleurir un graffiti. Pour qu’il se détache mieux, on avait d’abord intégralement recouvert la paroi d’un noir brillant, presque laqué. S’étalait par-dessus de ces caractères hachés, anguleux et modernes sur environ quinze mètres de long. En jaune. Un jaune pétant et joyeux, pas de ces jaunes d’or, un peu pompeux, ni ce jaune qui tire sur le vert et qui le rend acide. Non. Le jaune du soleil, du canari, du pissenlit. CE jaune. LE jaune. Le contraste des couleurs et surtout le code visuel du lettrage, ajouté à la taille du message faisait qu’on passait devant sans le voir.
Un tag, encore un. Et il avait lui aussi été victime de cette profusion de messages et d’images qui fait qu’on les voit sans les décoder.
Mais un jour qu’il buvait son café, un bras sur la table ronde, un œil sur le boulot qui l’appelait, il avait vu la phrase. Dans sa morne journée d’hiver, sombre et pluvieuse, le message était arrivé à lui comme portée par un pigeon voyageur.
Tout d’abord, ce « il faut que ça change » l’avait agressé. Encore un donneur de leçon, un qui savait mieux que tout le monde. Pourtant cette petite phrase avait investi d’abord sa tête et puis sa vie sans pour autant y changer quoi que ce soit. Non ; cette remarque déroulait sa vérité un peu comme un fol espoir.
Au long des jours gris, alors qu’il était planté devant ses feuilles ou son ordinateur, il glissait un œil vers la fenêtre et la sentence était là, joyeuse et dansante. Il avait même déplacé légèrement sa table de travail pour l’avoir dans la visée de son regard comme un post-it immense dans l’espace.
C’était idiot, mais ça lui allégeait sa journée ou même le moment présent. C’était comme une respiration, un café devant la machine. Une pause. Il prenait garde de ne pas en abuser pour ne pas user la sensation ressentie ; c’était trop précieux, à conserver comme un trésor.
Sans pouvoir rien expliquer, il ne ressentait plus de lassitude ni de découragement. Il trouvait. Ses affaires, des idées, des solutions à chaque problème rencontré. Ça marchait même quand il n’en percevait qu’une partie comme « il faut » ou bien « change ». Et il changeait imperceptiblement, de façon de faire ou de direction.
Quand il recevait du monde chez lui, des copains, il leur montrait le graffiti de la fenêtre comme on aurait fait visiter un espace ou montré un meuble précieux, une nouvelle acquisition. Mais la fresque ne leur faisait jamais le même effet qu’à lui. Au mieux, il obtenait un : « ouais… chouette. » Puis une diversion immédiate vers une conversation insipide. C’était à croire qu’ils avaient tous peur que ce soit lui qui l’ait peint et que, trouvant ça laid, ils évitaient d’en parler pour ne pas avoir à le lui dire ou à lui mentir. Impossible de les faire rester devant la fenêtre plus de quelques secondes pour s’en imprégner. Il n’y avait décidément que lui que cela touchait.
Et l’hiver passa.
Au début du printemps, moment toujours délicat, il lui vint une forte baisse de moral et la phrase prit toute sa force et sa valeur. Elle était devenue sa drogue. Pas une journée ne passait sans qu’il y jette un coup d’œil. Le temps changeait, le décor changeait mais pas elle. Elle restait immuable. Du haut de son deuxième étage, son regard en plongée la caressait et il repartait comme un petit robot remonté par une clé. Curieusement, aucun colleur d’affiches, aucun autre tagger n’étaient venus recouvrir ne serait ce que partiellement la fresque. C’était comme un no man’s land. Son écran de télé à lui.
Alors qu’il descendait l’escalier, il croisa son voisin du dessous. Un des rares qui répondait à son sourire. Devant les boîtes aux lettres, ils s’étaient arrêtés tous les deux et ce fut plus fort que lui. Il fallait qu’il lui demande. Il rit à une plaisanterie qu’il n’avait pas écoutée et embraya sans en avoir l’air.
- Vous avez vu la fresque de votre fenêtre ?
- Quelle fresque ?
Il ouvrit la porte et lui montra l’autre rive.
- Ah ! Ça ? Les gosses… Mais on en a fait aussi, hein, de conneries ?.. Chacun son tour…
Le voisin était déjà parti.
Il renonça alors à en discuter avec qui que ce soit. Elle n’était là que pour lui, c’était à présent très clair.
Il traversa alors une succession de moments arides. Sa mère décéda. Puis la fille qu’il convoitait en épousa un autre. Il se disputa avec son meilleur ami, n’obtint pas l’avancement espéré, s’en fâcha et fut remercié sous un prétexte fallacieux.
De plus en plus, jour après jour, il avait besoin du message, à tel point qu’il hésitait à s’en éloigner. Les catastrophes qui lui tombaient dessus provoquaient un peu plus de dépendance. Le moral au plus bas, il ne faisait que dormir et regarder le tag de manière obsessionnelle. Il se levait de plus en plus tard, ne se lavait plus ni ne se rasait. Il tournait en rond, en mangeant un saucisson comme un quignon de pain et se précipitait de temps en temps sur la fenêtre, se cognant au carreau comme un papillon fou attiré par la lumière. Un jour, surprenant un clochard en train de pisser dessus, il lui avait jeté à la tête la canette qu’il était pourtant en train de boire en l’insultant copieusement.
Un midi, alors qu’il se levait, il décida de se reprendre en main. Tout d’abord, il déjeunerait correctement puis il se laverait et s’habillerait soigneusement. Chaque instant où il retardait l’échéance de lui jeter un coup d’œil lui demandait un effort tel qu’il transpirait. Quand il fut propre, rasé de près et habillé de pied en cap, il alla chercher un bol de café à la cuisine et timidement, s’assit à la table ronde. Son regard se porta alors droit devant, à travers la fenêtre entrouverte.
Il crut à un effet d’optique. Le reflet du verre d’un battant sur l’autre. Mais non. Le mur était bien là. Il se leva d’un bond, repoussa le ventail. Le mur était noir. Intégralement. Pourtant, à bien y regarder, à l’emplacement de la peinture jaune, le noir semblait bouger. Par de micros ondulations, la phrase noircie était mouvante. C’était indéfinissable. Elle était à la fois terne et laquée, elle semblait prendre de l’épaisseur et l’on pouvait alors de nouveau lire une partie d’un mot, pour bien vite retomber à un à plat qui la faisait de nouveau se confondre avec le fond. Tandis qu’une autre partie de la sentence se mettait à faire relief.
Il crut à une hallucination. Il se crut fou, puis se raisonna pour douter de nouveau. Il se penchait toujours et encore pour tenter de comprendre, de la voir, qu’on la lui rende.
Dans la rue, un attroupement s’était formé. Le SAMU avait eu grand mal à arriver. À genoux sur le trottoir, deux infirmiers se concentraient pour faire les bons gestes, essayer de garder en vie l’enveloppe d’os brisés dont ils avaient la charge. Régulièrement, l’un d’entre eux crachait et moulinait des mains devant son visage en pestant.
- Saloperie de moucherons. Mais qu’est-ce qu’ils ont après moi ?
- C’est ta blouse. Ils sont attirés par les couleurs claires, comme le blanc ou le rose pâle. Le pire, c’est le jaune. Le jaune, ça les rend dingues. Ça doit être leur code pour se nourrir ou se reproduire. De toute façon, c’est soit la bouffe, soit la baise !
- Mais comment ça se fait qu’il y en ait autant ici ? Oh ! Merde, on le perd…
Ils chargèrent son corps dans l’ambulance et démarrèrent en trombe toute sirène hurlante. Ils désengorgèrent par la même la rue embouteillée par leur véhicule. La circulation repris et du bout de la rue arriva tout doucement un camion bâché de jaune. Le mur ondula, un nuage sombre s’éleva et le tag réapparut, luisant dans le soleil.
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Message  Invité Dim 5 Avr 2009 - 20:18

Il me semble qu'il aurait fallu sauter une ligne ici pour indiquer clairement le passage à autre chose :

Il crut à une hallucination. Il se crut fou, puis se raisonna pour douter de nouveau. Il se penchait toujours et encore pour tenter de comprendre, de la voir, qu’on la lui rende.

Dans la rue, un attroupement s’était formé. Le SAMU avait eu grand mal à arriver.


Peut-être que cela aiderait à comprendre la fin, parce que je ne sais pas ce qu'en penseront les autres commentateurs, mais personnellement j'ai eu du mal à saisir ce qui s'était vraiment passé dans le dernier paragraphe. Quelque chose m'échappe..
Dommage, j'étais assez prise par cette histoire de tag addictif...

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Message  Roz-gingembre Dim 5 Avr 2009 - 20:19

Je trouve l'idée géniale.
L'addiction au message est bien rendue même si peut-être un peu exagérée avec toutes les misères du monde qui lui arrivent en même temps.
J'ai trouvé quelques maladresses dans la construction, par exemple on ne sait pas trop si il est au boulot ou chez lui (en fait il bosse chez lui, c'est ça?)
"Le message est arrivé à lui" pas forcément très heureux...

Autre conseil que je me permettrais de te donner : donne un peu plus d'ampleur à ta fin, je veux dire dans la proportion de ce qui est écrit, parce que vraiment, c'est drôlement bien trouvé.
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Message  Invité Dim 5 Avr 2009 - 20:33

Roz-gingembre a écrit:Je trouve l'idée géniale.
L'addiction au message est bien rendue même si peut-être un peu exagérée avec toutes les misères du monde qui lui arrivent en même temps.
J'ai trouvé quelques maladresses dans la construction, par exemple on ne sait pas trop si il est au boulot ou chez lui (en fait il bosse chez lui, c'est ça?)
"Le message est arrivé à lui" pas forcément très heureux...

Autre conseil que je me permettrais de te donner : donne un peu plus d'ampleur à ta fin, je veux dire dans la proportion de ce qui est écrit, parce que vraiment, c'est drôlement bien trouvé.
Tu m'expliques Roz STP, ça m'embête d'être trop idiote pour comprendre la fin !!

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Message  mentor Dim 5 Avr 2009 - 20:44

superbe texte !
je croyais lire une nouvelle de Marcel Aymé que j'adore !
bravo
et moi je crois bien avoir tout compris sans peine, ça me semble très clair mais je ne vais pas tout dire ici et laisser lire d'autres lecteurs, on pourra en discuter après
mais non, Easter, ça ira, va, un peu de repos peut-être ? :-)))

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Message  Invité Dim 5 Avr 2009 - 21:31

Jre croyais que le coup du jaune , c'était seulement pour les aleurodes, qui sont des moucherons blancs !
Histoire prenante, insolite, j'ai bien aimé, même si effectivement les personnes peu au courant des traitements insecticides écolos peuvent avoir des interrogations...

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Message  ptipimous Dim 5 Avr 2009 - 22:26

et bien je vous remercie infiniment beaucoup !
Chère Easter, en le relisant avant de le poster, je me suis posé la question : est ce que je mets un peu d'air ou pas ? Et puis un coup de flemme...
Mais c'est faisable. Relis ! Tu vas comprendre, c'est en fait très simple !
Roz, merci des conseils, la loi des séries pour l'avalanche de craderies qui lui arrivent. J'ai connu ça aussi ! En effet, il bosse chez lui.
La fin est très rapide et plate parce que j'ai voulu accentuer la grandiloquence de sa dérive et la vie au dehors, si simple, si cartésienne.
Quant à Coline, j'ai un magnifique tee shirt jaune et dès que je le mets, je me promène avec des nuées de moucherons qui voyagent sur mes épaules ! Ils sont noirs et je les adore ! Je pense que c'est le croisement de ce gag vestimentaire et d'un mur colossal, confié à une école ? ou un atelier de tagger que je longe régulièrement qui a fait naître cette histoire.
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Message  Hellian Dim 5 Avr 2009 - 23:47

ah ouais ! Il me faut te dire qu'en lisant ton texte, j'ai fortement pensé à Buzatti. J'espère que cette référence ne te fâchera pas ... Il y a à un moment une densité tragique qui s'apparente à cette dimension obsessionnelle que l'on retrouve dans certaines de ses nouvelles. Comprends-moi bien, je ne dis pas que c'est à la manière de, je dis qu'il y a pour le lecteur que je suis une impression de même force.

Moi, cela ne me dérange nullement ce léger flou sur son environnement professionnel ou familial. Au contraire cela agit un peu comme les différents plans d'une photographie où la mise au point se fait sur un premier plan avec peu de profondeur de champ, le fond restant difficilementdiscernable. Quant à l'accumulation d'évènements tragiques, même constat, c'est cela qui donne de la profondeur au récit, comme une soudaine accélération du temps qui génère l'impression d'un fatalité addictive.

Vraiment, un beau texte !

Juste une petite, mais toute petite remarque : je crois qu'on ne peut parler d'un "pretexte fallacieux". c'est un pléonasme, tout prétexte étant fallacieux par nature.
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Message  Andie Lun 6 Avr 2009 - 0:30

Tout d'abord, j'ai été attiré par le clignotant orange qui indiquait un nouveau message. '' La fresque '' . Pourquoi pas?, me suis-je dis.
J'ai lentement commencé à lire et je dois avouer qu'à la fin du premier paragraphe, j'étais complètement prise dans la lecture.

La manière de dire que, même si c'est simple et anodin, une phrase peut complètement vous chambouler, c'est bien. Ce cas était assez poussé, oui, mais bien illustrateur.


Par contre, la fin était un peu flou. C'a aurait été bien de reprendre par le point de vu de passants, voisins ou autres comment c'est arrivé. Ensuite, le point de vu des infirmiers.


Sinon, c'était un super texte. Bravo.
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Message  Invité Mer 8 Avr 2009 - 20:52

Oui, l'idée et la chute sont excellentes !
J'aurai une seule remarque sur cette phrase :
"Tout d’abord, il déjeunerait correctement puis il se laverait et s’habillerait soigneusement."
Deux adverbes en "ment", cela me paraît trop pour ces quelques mots.

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Message  ptipimous Mer 8 Avr 2009 - 22:18

bien m'dam' vais mettre "avec soin" alors !
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Message  Sahkti Mar 5 Mai 2009 - 11:55

L'idée de départ est super intéressante et j'aime vraiment cette manière lancinante d'utiliser ce tag pour servir de fil conducteur mais, à l'instar de ce que j'aime moins dans Milou, il me semble que tu tournes pas mal autour d'une même idée, en l'étirant un peu trop à mon goût. Je crois que le texte y gagnerait en force si tu allégeais certaines parties pour revenir à l'essentiel. Parce qu'il y a pas mal de bons éléments dans tout ceci et ce texte présente énormément de qualités.
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