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Milou 3

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Message  ptipimous Lun 6 Avr 2009 - 17:40

je sais, j'ai déjà posté cette semaine... Gasp ! Mais c'est parce que je ne posterai pas la semaine prochaine, je ne vais pas être beaucoup là !
12

Et puis il s’est enfin passé quelque chose. Une pique-fesse est rentrée en coup de vent dans ma chambre, suivie d’un tas d’autres. Elles ont pris mes fiches, noté les constantes, se sont affairées comme des abeilles dans une ruche. Je les regardais faire sans comprendre. Pourtant, mon bip était stable, je n’étais pas couchée sur la sonnette d’alarme comme cela m’arrivait quelques fois, non vraiment, je n’avais rien merdé. L’une d’elle m’a sourit en mettant quelque chose dans ma perf. et m’a dit :
- On t’a trouvé un coeur. On va t’opérer ce soir si tout va bien.
- Ça veut dire que je ne vais pas dîner ? J’étais justement en train de me dire que j’avais envie d’un petit gâteau !
- Pas de gâteau, jeune fille, plus rien jusqu’à l’opération.
- Allez maîtresse, rien qu’une demi-ration ! Je coûte trop cher à la société, c’est ça ?
Elle a ri de mes bêtises. Tout le monde riait. Je n’avais jamais vu autant de gens souriants. Le chirurgien est arrivé à son tour, presque déjà concentré :
- Prête, beauté ?
- Justement, je voulais vous en parler; je voudrais ressembler à...
- Je te ferai une cicatrice qui tombera tous les mecs !
- Hum... et les filles aussi ?
Et ils se sont tous envolés comme des pigeons affolés, aussi vite qu’ils étaient apparus.
Me voilà seule avec la résonance de tout ce chambard.
C’était mon tour, enfin.
Et pour cela, quelqu’un était mort.
Qui ça pouvait-il être ? Je suis toute petite et épaisse comme un cintre de profil. Peut-être un enfant. Un pauvre gosse écrasé dans la rue alors qu’il courait après un ballon. Et moi, j’allais vivre avec ce coeur. Le coeur d’un autre, fait d’après d’autres gênes, sorti d’autres chaires. Si la greffe prenait, j’aurais deux existences à porter, celle de mon donneur et la mienne. Je vivrais pour nous deux. Peut-être le saura-t-il, là où il est ? Ce serait comme un frère, un jumeau qui vivrait en moi. Mon souffle habité, je ne serais plus jamais seule.
Mes pensées tourbillonnaient, le produit qu’on m’injectait me gardait calme en apparence. Mais j’avais la trouille. Je n’arrivais pas à savoir de quoi, ni pourquoi. Bon Dieu, j’étais terrorisée.
Plus tard, une infirmière est venue me changer et l’anesthésiste a commencé son boulot. Un super beau mec que je connaissais bien, avec qui je déconnais souvent. J’ai donné le change mais c’était l’angoisse. Il m’a pris la main si gentiment que j’étais prête à lui donner mon corps de rêve ! Je ne savais plus où j’habitais !
- Tu vas pouvoir vivre ta vie, enfin. Tu feras tout ce que tu voudras. Tu gagneras et tu perdras aussi, mais tu auras essayé et tu vivras. Comme tout le monde.
Je l’ai regardé, fière de ne pas pleurer devant lui sans me rendre compte que mes dents claquaient !
- Tu y arriveras, tu verras.
- C’est... C’est qui ?
- C’est qui quoi ?
- Le coeu... coeur...
- Je ne sais pas. De toute façon, je ne pourrais pas te le dire. Ne te préoccupe pas de ça, ce n’est pas ton problème.
- Mais...
- Écoute bien. Tu n’as pas à te poser de questions métaphysiques. On a récupéré un coeur, c’est mécanique. On remplace une pièce de ton corps qui ne fonctionne pas, par une nouvelle. C’est tout. C’est un muscle, rien d’autre. Il n’y a pas d’âme là-dedans. Et là d’où il sort, il ne servait plus à rien et aurait fini par mourir à son tour, si on l’y avait laissé. OK ?
- OK.
- Bon. Repose-toi, reste bien calme et tout ira bien.
- Vous êtes prêt à n’importe quoi pour vous débarrasser de moi !
- Tu as raison ! Encore un ou deux mois et j’aurais dû t’épouser !
- Jamais de la vie jeune homme, vous êtes immature et vous ne gagnez pas assez de sous !
- Vivement que tu aies un coeur solide, que je puisse te donner la fessée que tu mérites !
Il s’est enfui, le bougre ! Juste pour avoir le dernier mot !
Je m’endormais doucement. J’essayais de regarder autour de moi, encore, d’agiter mon esprit. Qui sait si je me réveillerais ? Je voulais avoir une belle image dans ma rétine, la dernière. J’entendais la distribution des plateaux dans le couloir, les odeurs de soupes d’hôpital m’arrivaient. Dur de s’en détacher. Je me tordais le cou pour apercevoir le couché du soleil, oublier les néons qui allaient s’allumer et tout gâcher.
Quand le garçon de salle est venu me chercher, je ne dormais pas encore tout à fait. J’ai rampé sur le carrosse à draps qu’il avait accolé à mon lit et on a pris l’ascenseur.
Dans le bloc, il faisait froid. Je n’avais de nouveau sur le dos que leur petite chemise de papier; d’ailleurs, il faudra un jour que je leur parle de leur ligne de vêtements... qui craint grave !
Comme j’étais toujours environnée de mes bécanes, je leur en ai sorti une dernière, pour la route :
- Eh ! Vous gourez pas, hein ? C’est moi que vous opérez, pas les machines !
Ils se sont retournés, tous fantômes dans leurs chemises jaunes, enveloppés de bonnets, chaussons et masques, je ne voyais que leurs pupilles brillantes, si animées, pleines d’espoir, de tendresse et qui se marraient...
C’est sur cette image, enfin trouvée que j’ai fermé les yeux.

13

“La voilà ! Eh, salut ma grande, bienvenue parmi nous !”
La lumière me faisait mal aux yeux. Je sentais une caresse sur mon bras. Impossible de bouger. J’avais l’impression qu’on m’avait rouée de coups. Je me suis rendormie un peu. Et puis réveillée tout à fait.
Il y a une atmosphère étrange autour de quelqu’un qui sort d’anesthésie. Tout le monde parle tout doucement, les bruits sont feutrés, on te regarde comme si on pouvait te casser en te respirant dessus. C’est comme si tu étais un carton marqué “haut - bas”, “attention fragile” avec le dessin d’un petit verre à pied.
Et toi, tu clignotes. Tu es là, t’es pas là. Peu à peu tout se remet en place. Tu identifies de plus en plus de sons et d’images. Surtout concernant ton corps. Dans l’ordre, tu as soif, puis tu as mal. Parfois, tu as les crocs.
J’entendais les machines près de moi, mes bras étaient perfusés de partout. Rien n’avait changé. Exceptée cette nouvelle douleur à fleur de peau sur la poitrine. J’étais prête à me miner, mais... J’ai entendu. Ce bruit sourd et régulier, si régulier. La couleur de mes doigts... Cette sensation de chaleur aussi. Finalement, tout avait changé. Et j’ai souris, pis j’ai pleuré.
Malgré tout, je suis restée là longtemps. Je pouvais cibler chaque aiguille, rien qu’en contractant tel ou tel muscle. Je n’avais pas besoin de voir pour localiser chaque perf., chaque couture, chaque point de douleur. Et j’en avais partout.

Dès que j’ai commencé à râler et à m’ennuyer, on m’a remonté dans ma chambre. Les infirmières s’étaient cotisées pour me payer la télé ! Elles préféraient se fendre de quelques tunes plutôt que de m’entendre à longueur de temps ! Surtout qu’au niveau des visites, hormis le personnel médical, c’était pas la queue. Je me goinfrais tous les feuille-tons débiles, de toutes les chaînes. C’est incroyable la télé pendant la journée ! Tu me diras, le soir...
C’est à croire que ceux qui sont chez eux aux heures ouvrables sont soit pré-pubères, soit séniles, soit idiots ! Mais bon, cela m’occupait quand même un peu. On allait me chercher des livres ou c’est la bibliothécaire de l’hosto qui passait.
Ma pote l’aide soignante venait un peu jouer aux cartes. Quand j’ai tenté de tricher, elle m’a tapé la main (fort, la vache !)
- C’est fini cette musique-là, mademoiselle. Les règles du jeu ont changées ! Et je rigolais en me frottant la peau.
Je l’adorais, elle était ma seule amie. Pour peu, j’aurais tourné lesbienne. Mais elle m’aimait, c’était nouveau pour moi.

Un après-midi, un oeil sur la télé, je tombe sur un caca vidéo : comédiens fades, histoire nulle. Je m’accrochais parce que je m’ennuyais ferme. J’étais d’humeur bizarre, je ne savais pas bien pourquoi. Tu remarqueras que souvent, ton humeur précède ce qui va t’arriver; après ça on niera la télépathie et la clairvoyance chez les hommes. Bref, il y a eu cette réplique qui a fusé, et m’a sortie de ma torpeur : “et maintenant ? J’ai pas d’argent, pas de boulot, je suis à la rue... Qu’est ce que je vais faire ?”
D’un seul coup, tout m’a sauté à la gueule. J’allais bientôt quitter l’hôpital et pour aller où ? Pour faire quoi ? Je savais faire que dalle, je connaissais nib et j’avais nulle part où aller !
Une traczir ma vieille ! Tu ne peux même pas te l’imaginer ! À te flanquer la cliche. J’étais bouleversée, honteuse d’avoir des pensées aussi noires alors que j’avais mobilisé tant d’efforts. Un comble ! J’avais passé quinze ans de ma vie à avoir peur de mourir et maintenant, j’avais peur de vivre !
Quand l’infirmière du thermomètre est venue, elle s’est affolée devant ma tête ! J’étais aussi blanche qu’avant, je respirais mal. À la question “ça ne va pas ?”, j’ai balbutié, hoqueté, bégayé. Elle a tout vérifié et tout était normal. Bien sûr que tout était normal, c’était moi, mais comment lui dire ? Elle s’est assise sur mon lit.
- Si tu me disais ce qui ne va pas ? Tu as mal quelque part ?
Tout ce que j’ai pu lui dire, d’une voix si stupide que j’en aurais honte toute ma vie, c’est :
- J’ai peur, qu’est-ce que je vais devenir !
J’étais en train de couiner sur moi-même, ce qui ne m’était jamais arrivé avant, même dans les pires galères, c’était pathétique. Non, juste là, alors que tout allait bien. Elle m’a tapoté la main et cinq minutes après, le psy de l’hôpital est arrivé.
J’essayais de refouler mes larmes en lui expliquant. Mais je n’y arrivais pas, et lui souriait. J’ai cru qu’il se foutait de ma gueule et cela m’a mise en rogne. Je me sentais seule, et de surcroît, minable. C’était plus que je pouvais en supporter; et lui, pauv’mec n’a rien vu venir. J’ai arraché la moitié des perfs, renversé la table de nuit en hurlant. J’ai failli mettre une lucarne avec la télécommande dans la télé ! Mais je l’ai raté. J’étais décidée à tout casser, on me mettrait en prison et mon problème serait réglé.
Bien sûr, du monde est arrivé et j’ai vite été maîtrisée, re-perfusée et recouchée avec menace de m’attacher si je continuais mes conneries. Le psy a viré tous les gens et m’a tendu un verre d’eau.
- On se calme. Bois un coup.
- J’ai pas...
- Je vais t’expliquer. Nous attendions tous que tu te réveilles avec impatience. Parce que ta réaction est la plus saine, la meilleure qui soit. Pour nous, c’est le signal de la réussite complète.
- Hein ?
- Laisse-moi finir, tu veux bien ? Enfin... réfléchis. Quand on a traversé tout ce que tu as passé, comment pourrait-on ne pas avoir peur de l’avenir ? Tu n’as vécu qu’au jour le jour. Brusquement, tu as un avenir, tu peux faire des projets à long terme. Si tu étais restée comme ces jours-ci, sereine et sans aucune autre préoccupation que de regarder la télé, cela m’aurait beaucoup inquiété. Je n’aurais pas été sûr que tu sois consciente de la situation. Pas sûr que tu sois capable de vivre autrement que ce que tu as fait jusqu’à présent. Pas certain que tu aies accepté la greffe, accepté moralement. Mais cette peur que tu as, c’est le vertige de voir que tout t’es offert. Alors, quoi prendre ? Par où commencer ?
Et moi, j’inondais mon lit, une vraie fontaine. Et lui qui tirait des mouchoirs en papier de ma table de nuit toutes les quatre secondes, c’était grotesque !
Il m’a sourit et m’a prise dans ses bras.
- Tu es prête à t’envoler. Les services sociaux vont t’aider. Tu vas trouver un boulot et un chez toi. Un vrai. Et tu vas devoir apprendre à tenir une maison, et un budget. Tu te feras des amis et tu feras des fêtes dans ta maison à toi. Vise petit au début, cale toi sur un quotidien et quand tout sera stable, tu pourras réfléchir à ce que tu veux faire; peut-être entreprendre des études, chercher un boulot qui te plaît...
Je l’écoutais parler et peu à peu, mon angoisse s’éteignait. J’allais y arriver, il avait raison. Et je n’étais pas seule. J’avais ma pote, les infirmiers, les toubibs. Je viendrai les voir. J’allais apprendre, sortir, et j’irai voir la mer. Après tout, je n’étais pas plus conne qu’une autre.
Je pouvais vivre, je devais vivre.
- Je reviendrai te voir, et quand tu seras sortie, tu pourras me téléphoner et venir aussi. Quand tu veux, je serais toujours là pour toi. D’accord ?
J’ai hoché la tête. Je devais être ébouriffée avec des yeux de grenouille et une tronche écarlate. Inmariable ! Et pourtant il m’a embrassée.
Sur la joue, bien sûr.
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Message  ptipimous Lun 6 Avr 2009 - 17:47

14

Et je suis sortie de là.
Au début, j’ai un peu ramé. Je me suis vite aperçu que je n’avais jamais cherché à rien avoir dans ma vie. Jamais. Et quand on veut quelque chose ici-bas, de matériel j’entends, c’est incroyable ce que c’est chiadé pour l’obtenir ! La paperasse qu’il faut ! Et justifier de ci, et fournir ça... Et toi, tu cours à droite, à gauche. C’est comme si tu avais mis le pied sur le plateau d’un jeu de fou, dans lequel tu es un pion que l’on déplace au gré d’une mystérieuse fantaisie.
J’allais souvent à l’hôpital pour voir mes toubibs et mes piqueuses. Je n’avais qu’eux et j’en avais tellement besoin. Mais l’ambiance, c’était plus pareil. Je n’étais plus malade. Bien sûr, ils me parlaient, mais on était tout le temps dérangés et je voyais bien que je détonnais dans le cadre. Je n’y avais plus ma place. Alors j’ai renoncé à les embêter. Mais cet abandon a été si dur.
J’ai erré de petits boulots en boulots petits, et je me suis vite plu à ne jamais faire la même chose. J’ai aussi essayé de m’inscrire quelque part pour étudier. Mais devant la porte de la fac, je n’ai pas osé rentrer. L’endroit grouillait, c’était sombre, grand. Des étudiants allaient et sortaient sans presque s’adresser la parole. Je n’avais pas envie de ça. J’avais rêvé de cette vie d’étudiante, je ne voulais pas que l’on brise mon rêve. Il valait mieux que la réalité.
Je me suis trouvé une piaule. Là, ce n’est pas pour moi que l’affaire a été difficile, parce que je ne me rendais pas compte encore ! Mais mon aide-soignante en a pris un coup au moral. Elle s’était habituée, à mes facéties et à mon babillage. Elle allait se retrouver seule, elle aussi. Mais je devais partir, il fallait que je boive ce bouillon jusqu’au bout du bol, je le savais.
Ma pote a été chic et m’a donné tout ce qu’elle pouvait, jusqu’au lit d’appoint dans lequel je dormais.
J’ai créé mon univers d’une multitude de babioles glanées ça et là que je disposais comme un oiseau les douceurs de son nid. De mon vasistas, que j’atteignais en grimpant sur mon lit, je voyais les toits de Paris et l’Opéra, mon voisin. J’aurais voulu monter plus haut encore, pour dominer cette ville dont je connaissais parfaitement les bas-fonds.
Cela m’a donné envie de retrouver Philo. Le soir, après le boulot, je me promenais le long des quais. Parfois, je le croisais et plusieurs fois, j’ai essayé de lui parler. Mais il ne semblait pas me reconnaître. Il était souvent plein bourré et se prenait pour Lamartine ! Bon; moi je voulais bien jouer. J’ai lu Lamartine, mais il n’y avait pas de place pour moi là-dedans. Et dans la Seine, je ne voyais pas de lac. C’était triste. J’ai voulu l’emmener chez moi, mais il n’a pas voulu me suivre. Le jour où j’ai décidé que c’était la dernière fois que je le voyais, il m’a tendu un vieux bouquin tout corné, comme s’il avait deviné. Je l’ai pris sans l’ouvrir, sans regarder ce que c’était. Je suis sûre que c’est ce que cette vieille cloche voulait. On s’est reconnecté pour quelques secondes, ses yeux jaunes dans les miens, avec leur lueur de folie balayant son regard comme une traîné d’ondes sur une télé mal réglée. Philo a grogné et m’a tourné le dos. J’ai fermé les yeux, il était parti.
Alors je suis allée au Mac où j’ai fait des hamburgers pour ne pas penser. Les couleurs criardes du resto étaient au poil pour me plonger dans un autre monde, branché mais si bidon.
Quand je suis rentrée chez moi, je me suis brûlé la couenne sous une longue douche, je me suis recroquevillée dans mon vieux fauteuil de récup., et j’ai ouvert le livre.

Ma vie s’installait petit à petit. Des collègues de taf étaient devenus des copains. On dînait de pizzas chez les uns, chez les autres. J’évitais de leur raconter trop de choses, et eux faisaient de même. À part les étudiants qui bossaient là pour tenir le coup financièrement, les autres avaient des passés pas forcément faciles à évoquer. On respectait tous nos silences.
Mais ce que j’aimais le plus, c’était me balader seule la nuit, à Paris. Je n’arrivais pas à couper le cordon de mes errances. Simplement, je ne barbotais plus et j’avais un toit sur la tête. Je rencontrais des bobines, bobines de la nuit, tronches de marrons qui m’offraient des cornets contre une petite bavarde, tronches de ballons, de jouets mécaniques, suivant les saisons, elles changeaient de marchandise. Mes potes les Madames, au pied des boîtes sombres d’où s’évadaient des bribes de musique sourdes et des relents d’alcool écoeurants. En montant sur Montmartre, les dames se changeaient en fausses dames. Mais c’était tout aussi sympa, surtout quand elles s’engueulaient en brésilien; moi, ça me faisait voyager. Leur langage qui chante m’expédie direct sur le Corcovado. Souvent, elles me roucoulaient des sambas qui se finissaient en bossa et qui les faisaient pleurer. J’ai rarement rencontré des gens aussi riches et si pauvres à la fois. Et on se voit, on se parle, on rit, on chante ensemble, des fois on boit un coup, mais on repart seuls, tous, chacun de son côté. Ce sont des liens furtifs, des petits moments, pour bien conserver ce qui est bon et pas le gâcher par des attaches obligatoires. C’est dur quand même.

15

C’est quand je me suis retrouvée entre deux boulots que j’ai décidé de faire la fameuse visite de contrôle que l’hôpital me réclamait depuis un moment. J’en avais déjà eu quelques-unes, mais celle-là allait prendre deux ou trois jours, selon les premiers résultats et je serais de nouveau hospitalisée. Comme il était encore question de perf. et de piqûres, je n’étais pas pressée, tu imagines bien !
J’arrive au centre hospitalier et là, révolution ! Une partie assez importante du personnel était en grève. Ce qui m’a énervée, c’est qu’ils m’ont admise tout de même alors qu’ils savaient que ce serait la galère. Non seulement mon histoire a traîné en longueur, mais en plus, je ne connaissais pratiquement plus personne. Il n’y avait que des stagiaires et des apprentis toubibs. Je n’ai habituellement rien contre eux, sauf que pour l’heure, ils étaient un poil livrés à eux-mêmes et avaient une pression gratinée, justifiée ou non. L’ambiance était comaque et moi, je n’avais pas envie. Je voulais retrouver mes amis, les regards des jours difficiles, les infirmières qui viennent s’asseoir sur mon lit et bavarder un peu. J’aurais voulu leur raconter comment je me débrouillais et voir leur approbation, leur admiration dans leurs yeux.
Au lieu de cela, j’avais des gamins pressés, mal aimables et pas toujours adroits en plus, des pique-culs bougonnes qui ne s’intéressaient pas à moi, je n’étais même pas malade ! Moi qui rêvais d’être la “hérote” du jour, j’étais de nouveau un numéro. C’était un cauchemar.
Et quand c’est comme ça, tu as beau faire un effort, rien ne va; de fil en aiguille, tu perds le moral et c’est de pire en pire : la bouffe était dégeu., impossible d’obtenir un bouquin ou la télé, ma voisine de chambre était une geignarde à moitié mourante (dans sa tête), qui couinait dès que j’allais pisser ! Et pour finir, j’avais appris que mon aide-soignante faisait la gueule parce qu’elle estimait que je ne lui donnais pas assez de nouvelles de moi. Et je n’avais aucun moyen de la joindre. J’avais les boules...
Le matin du deuxième jour, les femmes de ménage sont venues faire la chambre. Elles ont collé de la Javel partout et comme je râlais, elles ont ouvert la fenêtre en grand avant de se barrer. Dehors, il faisait moins dix et moi, coincée entre mes appareils de mesure, je ne pouvais pas me lever. Je me suis enterrée dans mon lit, mal réveillée, mal déjeuné avec des envies de cannibalisme, primaire mais soulageant. J’ai entendu la porte s’ouvrir et sans même regarder, je démarre :
- C’est pas trop tôt ! Voilà deux heures que je me les gèle ici et tout le monde s’en fout ! Fermez cette bon Dieu de fenêtre et caltez !
Un farfouillis me parvient, on touchait la fiche au pied de mon lit. Je sors la tête des draps et je le vois.
- Vous êtes qui, vous ? Sûrement pas un toubib, vous n’avez pas de blouse.
- C’est vrai. Je suis un visiteur, mais je me suis trompé de chambre.
- Bah tiens ! Et vous avez besoin de mater mon carton pour en être
sûr ? En plus, les visites c’est l’après-midi, espèce de maniaque !
Et je lui balance le restant du plateau du p’tit déj. à la figure. J’étais furieuse contre la terre entière. Il a assez bien évité l’orage, il faut le dire, et il est allé fermer la fenêtre.
- Vous venez chourer ? Vous allez être déçu...
- Non. Mais on peut parler si vous voulez...
- Je ne veux pas parler ! Je veux qu’on me foute la paix et de toute façon, vous allez vous faire choper, les cerbères vont vous virer.
- Bon. Mais je peux revenir peut-être.
- Pourquoi ?
- Pourquoi pas ?
J’en suis resté... coite ! Et il est parti avec son sourire accroché comme sur une affiche pour le dentifrice.
L’après-midi même, il était là. Avec une petite fleur à la main. J’ai fait la renfrognée, mais ça m’a touché.
- Qu’est-ce que vous foutez-là ? Vous êtes curé ?
- Non.
- C’est une passion chez vous d’aller visiter les hôpitaux ?
- Non plus. Je vous l’ai dit, je rends visite à quelqu’un.
- Comme vous avez pu le constater, c’est pas moi !
- Oui, mais mon pote est sorti, en fait. Ça y est ? L’enquête est terminée ?
- Eh ! Mais il fait de l’esprit le petit ! Écoutez-moi, cher Monsieur, vous êtes plutôt pas mal, vous m’avez l’air en pleine forme, en clair, vous perdez votre temps ici. On ne se connaît pas.
- Et ?
- Et rien !
J’étais ulcérée ! Je ne pouvais même plus déprimer tranquille !
- Enfin, regardez autour de vous ! Tout est moche, y compris moi ! Sortez !
- Non !
- Non ?
- Non ! Je ne trouve pas que tout soit moche.
- Hop ! Stop ! Ne tombons pas dans le mélo tout de suite, je ne suis pas en état !
- Vous avez l’air en forme...
- Je ne suis pas malade, j’ai le blues, là, vous êtes content ?
- Pourquoi ce blues ?
- Pour rien, un caprice. J’ai aucune raison, c’est vrai ! Je porte naturellement douze aiguilles dans les bras et je fais des dons du sang, à en avoir un diplôme décerné par le Livre des Records, par une abnégation qui porte au rang de lubie infantile ce goût qu’avait Jésus de se suspendre à une croix !
Ce mec a fait la grimace ! Tu le crois ça ? Je sentais la colère monter en moi. D’habitude, je blousais tout le monde. Mais pas lui. Lui, il l’a vue venir.
- Vous allez sortir bientôt. D’accord, le personnel est nul et vous vous sentez seule. Mais vous ne l’êtes plus. Plus maintenant. Je reviendrai demain, c’est promis.
- Mais je ne veux pas !
- Mais si vous voulez ! Vous ne le savez pas, c’est tout !
Il était près de la porte et il est sorti juste avant de prendre sur la figure, un haricot abandonné sur ma table de nuit.
- Vous voyez ? Si vous aviez voulu, vous m’auriez eu !
- Mais je le voulais ! Donnez moi ce haricot ! Vous allez voir !
- On a assez joué et je dois faire une course, mais je vais revenir, c’est juré !
- Prenez votre temps, je ne suis pas pressée !
Il est parti et je suis restée là, abrutie. Quand l’infirmière s’est pointée pour m’enquiquiner, j’ai même pas râlé. J’étais groggy. Je ne connais-sais même pas son nom. Quel culot il avait ! Quand il reviendrait, je lui dirais son fait !
Il est revenu ! Le soir même :
- C’est quoi ?
- Ma télé. Et voilà le programme et la télécommande. Bonne soirée !
Et il est reparti ! Et son fait, je l’ai remisé dans ma culotte !
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Message  Roz-gingembre Lun 6 Avr 2009 - 19:14

Ptipimous, approche toi un peu que je te dise deux trois choses :
C'est pas parce qu'on a du talent qu'il ne faut pas bosser! (j'aurais presque pu l'écrire en majuscules ça...)
Quand on a le bol d'avoir des idées comme ça on est prié de les travailler sérieux.
Je m'explique : 12- Ca commence bien, très bien même. Le style est fluide, le caractère pétasse sympathique s'installe superbement et puis voilà que milieu du 13 les choses se gâtent. Les phrases ne sont plus du tout élaborées le vocabulaire familier s'impose alors qu'il était totalement intégré avant, on passe complètement dans le domaine de l'oralité, bref, constat évident de désinvolture. 14 - 15, on a de tout, du bon et du moins bon.

Voilà ma petite opinion. Ceci dit, il est plus facile de commenter que d'écrire, j'en suis bien consciente. Mais saperlipopette, te rends tu compte de la matière que tu peux exploiter là!
Sinon je te dois un aveu, j'aime assez bien les pétasses sympathiques!
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Message  Invité Lun 6 Avr 2009 - 20:14

Je n'analyse dans le détail mais suis assez d'accord avec Roz-Gingembre, dans le sens où j'ai eu un peu le sentiment d'une écriture un poil bâclée... Je ne parle pas que des fautes d'orthographe (dans le 13 je crois bien) alors que je ne me souviens pas en avoir repéré précédemment. J'ai eu à plusieurs reprises l'impression d'une longue narration linéaire, une suite d'actions, du genre : j'ai fait ci, j'ai dit ça et patati et patata...
Bien sûr, ça reste plus que potable, bien plus, mais comme tu nous as habitués à du "first class" on n'a pas envie de changer nos habitudes.

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Message  ptipimous Mar 7 Avr 2009 - 17:10

Bon. je note.
Je note tout cela bien que j'aie beau lire et relire, je trouve pas où le bât blesse. il faut dire que je l'ai déjà tellement malaxé ce texte... Si vous en avez envie, je vous posterai la suite.
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Message  Invité Mar 7 Avr 2009 - 19:59

'videmment qu'on a envie de lire la suite !

Pour ce qui précède, dans mon souvenir c'est surtout le 13 qui pèche, qui a besoin d'attention.

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Message  Roz-gingembre Mar 7 Avr 2009 - 20:13

Moi aussi la suite m'intéresse parce qu'il est évident que tu as de bonnes idées et que tu construits bien tes histoires.
Si tu dis que tu as déjà bossé longtemps sur ce texte, je peux te conseiller de laisser poser un peu et de le relire dans quelque temps, je pense que tu verras le glissement de style du 13.
Dans tous les cas il faut continuer à écrire!
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Message  Invité Mer 8 Avr 2009 - 21:40

Je n'ai pas de réserves... L'histoire est intéressante et je n'ai pas particulièrement remarqué de changement de registre. Pour moi, tout se tient bien.
Si, quand même un petit bémol : il faut qu'il se passe bientôt quelque chose, parce que, selon moi, on s'étale un peu sur l'installation de la narratrice dans sa nouvelle vie.

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Message  Sahkti Mar 5 Mai 2009 - 10:51

Si l'écriture est vive et travaillée, je trouve tout de meme que cette histoire de coeur traîne en longueur. De plus, tout cela sonne un peu artificiel par moments, comme si ces échanges devaient d'abord ressembler à un exercice de style plutôt qu'à un vrai cri de soulagement ou de peur lancé par quelqu'un qui va se faire sérieusement charcuter.
Le narcissime général qui caractérise aussi cette narration finit par me lasser un peu.

Ceci dit, l'histoire reste intéressante mais me paraît par moments trop étirée.
Au final, me voilà moins séduite par cette partie, désolée, même si je lui reconnais beaucoup de qualités.
Sahkti
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