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Les chemins de compostelle

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Sahkti
Roz-gingembre
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Les chemins de compostelle Empty Les chemins de compostelle

Message  Roz-gingembre Mar 7 Avr 2009 - 15:48

Il ne manquait plus que ça ! Martin qui se pointe avec une femme dans ma cuisine, mon chez moi, où tout tourne de travers actuellement. Une femme à son bras, une femme qu’il dévore des yeux et dont il ne s’éloigne pas de plus de quelques centimètres comme si elle allait s’envoler. Une femme de la ville, ça ce voit, même en habit de rando elle fait chic avec la polaire assortie à son pantalon.
Parce qu’ici ce n’est pas folichon ; julien va de plus en plus mal. Il ne dort plus, il ne mange plus, n’a de goût à rien, ne trouve d’apaisement que dans les jeux avec Paulo, le petit dernier de notre fils aîné. Même quand le soir j’essaie de m’approcher – c’est vrai qu’après la journée à la ferme je suis vraiment lasse, mais parfois le soir j’aimerais bien quand même. Eh bien Julien, mon Julien reste allongé sur le lit, les yeux rivés au ciel, enfin que dis-je au plafond de la chambre qui ne ressemble pas vraiment au ciel. Il est là, il ne dit rien, ne se rend même pas compte que je m’allonge à ses cotés, alors forcément je m’endors. Lui non. Je le retrouve dans la même position, yeux grands ouverts quand le matin le réveil sonne pour aller s’occuper des bêtes. Ca fait maintenant 10 mois que ça dure et je trouve que c’est de mal en pis. Il dit qu’il est fatigué et qu’il voudrait que tout cela cesse. Je ne sais pas ce qu’il met dans « cela ». « Cela » c’est la vie, notre vie, celle qu’on a choisie quand on s’est installé ici. C’est pour cet élevage et cette maison d’hôte que j’ai arrêté mes études, c’est par amour pour lui que j’ai accepté de venir me perdre sur ce plateau de l’Aubrac qui il est vrai est si beau, mais pour y vivre, ça pour y vivre, il faut être costaud ! C’est là qu’on a fait nos enfants. Ils ont bien fait de partir, je préfère les savoir à la ville que dans cette région si rigoureuse où tout est si difficile. Mais je ne comprends pas que Julien veuille voir cesser « cela » ! On y a mis tout notre temps, notre jeunesse, notre argent et voilà que maintenant notre santé aussi. Mais enfin, on est pas si malheureux, les gens qui passent nous donnent des nouvelles de dehors, et puis je ne sais plus rien faire d’autre moi !

Alors cette femme qui accompagne Martin, ce n’était pas le moment.

Se lever, travailler, rendre service aux touristes qui font halte ici sur le chemin de Compostelle ; faire plaisir, vivoter des revenus de la ferme et des chambres d’hôte qui me cassent le dos avec tous ces draps à changer chaque jour, à laver, à tendre dehors sur le fil, à ramasser avant de remettre sur les lits. Oui, les draps sont lourds.
A quoi ça sert tout ça si c’est pour déprimer comme Julien ? Moi c’est plutôt un caillot de sang qui me fera sauter la cervelle, je vois bien ça une nuit qu’il faudrait me lever pour aider une vache à vêler, maintenant que Julien ne fait même plus ça. Un caillot et zou, on stoppe les machines, on s’arrête là pour de bon, moi qui ne me suis jamais arrêtée. Même pour le mariage du fils, j’ai reçu les pèlerins.
Se pose- t-elle seulement la question, cette femme, quand elle passe la main dans le dos de Martin et qu’il a l’air si heureux, si amoureux. Il ne me regarde même plus. Faut dire, je suis loqueteuse, les mains crottées par le jardinage et les bêtes, le pantalon usé et les cheveux gris. Il dit qu’elle mène une vie à 120%. Il me fait marrer avec ces 120% ! cette femme là, ne doit même pas se douter de ce que c’est que de remplir une journée de travail à 100% et ce ne sont pas ses mains douces aux ongles faits qui iraient racler l’étable le matin. Qu’est-ce qu’elle connait du boulot ? Des papiers, des crayons et ses idées qu’elle doit vendre chères dans son journal de je ne sais quoi, pour pouvoir s’acheter de si jolies chaussures. Elle est venue me parler, je vois bien qu’elle cherche à lier amitié. Je n’en veux pas de son amitié, pour en faire quoi ? Elle va partir de toute façon.
Avec Martin.
Elle m’a dit son âge, à peine 5 ans de moins que moi qui semble si vieille et si piteuse dans mes chemises pas repassées.
Moi, j’aimais bien quand il venait seul Martin, je pouvais croire qu’il était un peu à moi. Oh, bien sûr, pas pour ce que vous pensez et puis dans mon lit il y a Julien. Mais quand même, dans ma tête, quand mon homme a commencé à regarder le plafond sans voir que je me déshabillais, j’aimais bien penser à lui, savoir qu’un de ces jours il allait revenir… Il se passait parfois trois mois entre deux visites, rarement plus. Quand il était là, je l’installais dans la chambre au-dessus de la mienne, toujours. Pour sentir sa présence là où se perdent les regards de celui qui partage mes draps. Alors en son absence, pour mieux attendre, avant de m’endormir, je pensais qu’un de ces jours il se glisserait dans les draps que j’aurais lavés pour lui, repassés même pour l’occasion. J’aimais tellement quand il arrivait : il venait dans la cuisine, poussait les légumes, demandait à faire chauffer l’eau pour le café. Quelque fois il ne disait rien et puis d’autres fois, il me parlait de son jardin, de ses fruitiers et de ses livres qu’il aimait tant. Elle aussi aime les livres il paraît. Où est-ce que je peux trouver le temps de lire, moi ? Pourtant je me souviens que j’aimais bien lire quand j’étais pensionnaire au lycée. Mais ici on ne lit pas. Et puis j’ai oublié le nom de tous les auteurs que j’aimais. Je me rappelle seulement des «Hauts de Hurlevent »


Il ne fallait pas l’amener ici Martin, tu aurais dû la garder pour chez toi avec son rire et ses habits neufs. Comment vais-je faire maintenant pour trouver la force de me lever avant le soleil d’été avec Julien qui ne m’aide plus ? Comment encore affronterai-je l’hiver sur cet ingrat plateau d’Aubrac battu par les vents et si souvent couvert par le blanc de la neige et des gelées ? Je vais faire comment moi, Martin, maintenant que tu as cassé mon rêve ?
-« Vous habitez un si beau pays, dit-elle.
-Bécasse, va ! »
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Message  Invité Mar 7 Avr 2009 - 19:56

Si je voulais faire dans le religieux je dirais que chacun porte sa croix, sur les chemins de Compostelle ou ailleurs.
Pour faire séculier, je me contenterais de dire que le monologue de cette femme déçue par la vie me semble sonner vrai, et donc touchant.

NB : "quelquefois", en un mot. Tssssss

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Message  Invité Mer 8 Avr 2009 - 21:30

Excellent ! J'ai trouvé le texte très émouvant, crédible.

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Message  Invité Jeu 9 Avr 2009 - 9:23

Un bel itinéraire ordinaire, Roz-gingembre !
L'Aubrac fait rêver plus d'une bécasse ( dont moi !)

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Message  Invité Ven 10 Avr 2009 - 8:08

J'ai de la tendresse pour cette femme. Tu as si bien su traduire son ressenti... La tristesse de sa désillusion...
J'aime cette écriture : "Quand mon homme a commencé à regarder le plafond sans voir que je me déshabillais" et puis "Pour sentir sa présence là où s'arrêtent les regards de celui qui partage mes draps". Merci.

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Message  Sahkti Mar 28 Avr 2009 - 8:17

Un texte plaisant dans lequel je décèle pourtant (avis perso bien sûr) une légère impression de maladresse, comme si les pensées qui se bousculent dans la tête de la narratrice avaient eu du mal à s'échapper et à se poser. Cela expliquerait cette alternance entre un ton sage et puis un sentiment confus (pas trop hein, juste un peu) qui animent le récit.

Du coup, l'ironie et le désespoir que tu as glissés dans ce texte, avec la sobriété qui leur sied, ne sont pas vraiment mis en valeur, c'est dommage parce qu'il y a du bon dans tout ça.
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Message  silene82 Dim 30 Aoû 2009 - 18:41

C'est un beau texte triste en demi-teinte, avec des odeurs vraies des jours recommencés, du poids du ciel, de la solitude à deux. Merci Roz.
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Message  Ba Lun 31 Aoû 2009 - 10:09

Faudrait leur encoyer Jo à ces randonneurs de compote stèle !
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Message  Ba Lun 31 Aoû 2009 - 10:10

Aussi " envoyer " !
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Message  Plotine Lun 31 Aoû 2009 - 15:16

C'est un récit très dur. J'aime beaucoup. La narratrice aurait pu être encore plus amère, ça ne m'aurait pas dérangée.
C'est un drame des illusions perdues et voilà que la dernière, celle qui donnait encore un peu de douceur dans cette vie, disparaît aussi !
C'est profond. Ça donne envie de pleurer.
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Message  Plotine Lun 31 Aoû 2009 - 15:17

Et j'aime beaucoup.
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Message  Gév Lun 31 Aoû 2009 - 16:56

Généralement je trouve ce texte fort, il nous fait rapidement rentrer dans la vie et les émotions des personnages, un tableau complet en quelques coup de pinceau bien ajustés, et le tout servi à partir d’une situation ponctuelle. Beau travail, vraiment !
Le texte est rapide et emporté, mais ne se perd jamais dans le superflu. Les émotions sont livrées brutes, j’aime ça.
Le décor est rapidement planté avec une petit historique des personnage habillement introduit, et j’aime beaucoup le retour au présent : « Alors cette femme qui accompagne Martin, ce n’était pas le moment. » J’ai toujours apprécié les « mouvements de caméras » dans l’écriture, travelling sur l’histoire, puis focus sur ici et maintenant.

Beaucoup de phrases m’ont touché, j’en note une : « Pour sentir sa présence là où se perdent les regards de celui qui partage mes draps. ».

Petite remarque : « sur ce plateau de l’Aubrac qui il est vrai est si beau », avec mon filtre de lecture je trébuche sur le manque de virgules.
Gév
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