Empreinte sans caution

[Ba]

Tu reviendras ?
Il regarde ce visage aimé dans la cuisine, ces yeux fanés, ces mille plis sismiques autour de la bouche.
Il ne répond pas. Le petit muscle bouvreuil se tait.
Manque d'habitude rappelé par la question douce.
Oui, je reviendrai.
Il voudrait la serrer dans ses bras poser cette tête fragile contre sa poitrine étroite. Consoler la vie de tous les épanchements inéluctables.
Bercer l'enfant perdu.
C'est dans les films que les amours se retrouvent à fêter les liens dénoués. Dans les films à l'eau de vaisselle.
Quand l'autre vous attrape par la main.
Pan je t'ai vu !
Elle baisse le regard.
Que sont devenus ces iris sombres ? Deux flaques troubles, gélatine annonciatrice de cécité.
Il imagine l'espace de ses regards du temps où... là-bas sur d'autres rives, quand la force roule ses arrogances. Elle marche, immsense dans la rue, traverse sa beauté, entre dans le champ du possible.
Sa bouche à mordre avale la sève des rencontres, savoure les fruits défendus. Nette et lumineuse.
Elle vit sans demander son reste à la note tremblante.
Elle vit.
Il regarde ses pieds dans l'entrée mal éclairée.Galopin à bêtises. La porte crasseuse va s'ouvrir, il sortira en pinçant l'instant pour lui clouer le bec.
Trop tard.
Manque d'habitude.
Oui, je reviendrai maman.
Bien sûr, quelle question.
Alors, profites-en pour me rapporter une autre marque de saumon. Le dernier n'avait pas de goût.

[Invité]

Je trouve que le texte comporte un excès dommageable de pathos, aggravé par une tendance (selon moi) à de l'afféterie dans le style. Je n'ai donc pas été convaincue, désolée.

[Ba]

Tant pis, je vais le remettre dans ma culotte.
Rires.

[Roz-gingembre]

Je n'ai pas trouvé le sens du titre. Peut-être que quelqu'un pourra m'éclairer ?
Le texte en lui même je le trouve plutôt sarcastique et la chute des sentiments dans le saumon plutôt bien trouvée.
C'est au niveau de la construction que je me suis un peu perdue entre ce qu'il pense et ce qu'elle fait.

[pierrot]

Il regarde ce visage aimé dans la cuisine
Cette première phrase m'a surpris. Ce visage ne serait aimé que dans la cuisine ? Très restrictif. Mais le matin, je dois avoir l'esprit trop critique.
Pour le reste, je suis beaucoup moins négatif que Socque. C'est toujours l'ambiguité de la poésie en prose (j'ai publié un poème dans la rubrique correspondante que l'on s'est empressé de me proposer de rédiger en prose !).
Oui, donc, je me suis laissé prendre même si certaines tournures m'ont un peu rebuté. Mais leur difficulté n'est sans doute que ma médiocrité.
Mais vraiment, il ya une musique dans ce texte que j'aime bien et l'abandonner serait dommage. Personnellement je serai intéressé de le revoir un peu plus tard, une fois remodelé. Bon dimanche

[Ba]

La cuisine c'est le seul endroit où ces deux-là "communiquent " ( empreinte pour le souvenir, sans caution car malgré tout des moments aussi durs que ceux-là nous marquent malgré la distance artificielle des pronoms personnels ).
Bon à travailler avec le saumon fumé.
Bonnes fins de fêtes à tous.

[Ba]

Saumon fumé.

-Tu reviendras ?
Il regarde ce visage aimé dans la cuisine, ces yeux fanés, ces mille plis sismiques autour de la bouche. Elle a pris une voix inconnue.
Il ne répond pas. Le petit muscle bouvreuil se tait.
Manque d'habitude.

Il voudrait la serrer dans ses bras, poser cette tête fragile contre sa poitrine étroite. Consoler cette vie de tous les épanchements inéluctables qui l'ont ainsi asséchée.
Bercer l'enfant perdu dont il ne sait rien.
C'est dans les films que les amours se retrouvent à fêter les liens dénoués. Dans les films à l'eau de vaisselle.
Quand l'autre vous attrape par la main plein champ sur les doigts hésitants.
Musique.

Elle baisse le regard ailleurs comme si elle regrettait la demande.
Silence.

Que sont devenus ces iris sombres ? Deux flaques troubles.
Quand bien même il en scruterait la gélatine que pourrait-il découvrir ?
Il imagine l'espace, la force roule ses arrogances. Elle avance, immense dans la rue, traverse sa beauté, entre dans le champ du possible.
Sa bouche à mordre avale la sève des rencontres, savoure les fruits défendus. Nette et lumineuse.
Elle vit sans demander son reste à la note tremblante.
Elle vit.

La porte va s'ouvrir, il sortira en pinçant l'instant pour lui clouer le bec.
Trop tard.
Manque d'habitude.

-Oui, je reviendrai maman. Samedi si tu veux vers midi ?
-Alors, profites-en pour me rapporter une autre marque de saumon. Le dernier n'avait pas de goût.

[Invité]

La narration me paraît beaucoup plus nette ainsi, et le texte plus fort. Je continue à en regretter le pathos, mais comprends qu'il s'agit d'un choix. En bref, cette version, pour moi, est meilleure, le texte dit plus clairement ce qu'il a à dire.

[Ba]

M'expliqueras-tu Socque ton sens du "pathos " ?

[Anne Veillac]

« C’est dans les films que les amours se retrouvent à fêter les liens dénoués. » Cette phrase m’a vraiment touchée. Elle est tellement vraie ! Je l’ai déjà ressentie.
J’aime beaucoup ce texte sensible.

[Invité]

Euh... Eh bien, j'entends par là les formules employées dans un texte pour faire pleurer Margot, en procédés visibles. Quelques exemples ici :
"Il voudrait la serrer dans ses bras, poser cette tête fragile contre sa poitrine étroite. Consoler cette vie de tous les épanchements inéluctables qui l'ont ainsi asséchée." Là, on voit que la situation est déchirante, la présence des adjectifs ("fragile" pour la fragilité de la vie, "étroite" pour l'impuissance devant cette fragilité) renforce son pathétique. "[Il voudrait] consoler" : la structure de la phrase indique d'emblée que ce n'est pas possible, avec ce choix de l'imparfait irréel du présent (comme "si tu venais, je serais content" : le gars ne viendra pas) ; et l'adjectif "inéluctable" indique bien à quel point on est dans la merde (pardon pour la grossièreté, j'indique les réactions qui me viennent à la lecture).
"Bercer l'enfant perdu dont il ne sait rien." Le passage à la ligne met en valeur la phrase, et là il s'agit de bercer un enfant sans doute mort, en tout cas pas là, et dont l'existence en creux, puisqu'on n'en sait rien, ajoute encore au côté tragique de la chose.
On retrouve le procédé du passage à la ligne tragique avec "Musique." suivi de "Silence.", qui font ressentir le vide désastreux de l'existence, un instant de vie dans l'éternité du vide.

Bon, je ne continue pas, vous voyez l'idée. Pour moi, votre texte est saturé de ces procédés qui, pour ma sensibilité, finissent par faire "trop", d'autant plus que je les perçois comme procédés.
Sinon, vous aurez remarqué que je vous vouvoie, je vous prierai de faire de même. Merci d'avance !

[N.A]

Bonjour,
J'avais commencé à lire la première version et j'ai buté sur le manque de fluidité du style. J'ai donc lu les commentaires qu'on vous a fait, et j'ai découvert la seconde version que vous avez postée. Je l'ai donc lue, et l'ai trouvée bien mieux écrite que la première. Quelques remarques en vrac : déjà, vous me paraissez abuser des adjectifs inutiles. J'entends par là, des adjectifs qui n'ont autre intérêt que d'utiliser de l'encre. ex : visage aimé, yeux fanés, plis sismiques, tête fragile, poitrine étroite, épanchements inéluctables, etc. Normalement, un adjectif est utilisé pour pointer du doigt une caractéristique notable de quelque chose, pour en tirer des conclusions. Dans votre texte, c'est rarement le cas. Dommage. Par contre, et si ce que je viens de dire peut vous faire croire que je n'ai pas aimé votre texte, ce style qui veut que vous glissiez ça et là un mot, une expression, comme pour clore un court développement est un régal. J'adore ce procédé, et toutes les fois où vous l'utilisez, c'est bien fait. Du coup, les "Musique." et "Silence." me font croire que votre texte est comme le script d'une scène de cinéma. La répétition "manque d'habitude" me fait penser qu'un réalisateur s'amuserait bien à filmer l'expression du visage qui y correspond. Du coup, si la forme littéraire de votre texte ne m'a pas emballé, la façon que vous avez de lui associer des images m'a plu. Léger grief, en revanche, sur ce phénomène littéraire de la "chute". Quand une chute pouvait être prévisible, dans le sens où tous les éléments l'annonçant étaient sous nos yeux, mais que nous ne l'avons pas vue, c'est une chute réussie parce qu'elle nous fait dire "suis-je bête !". Quand une chute ne pouvait pas être prévisible, dans le sens où l'auteur nous a interdit de l'anticiper pour forcer le style, et la faire venir de nul part, elle est manquée parce qu'elle nous fait dire "mais, suis-je bête?". Effectivement, l'anecdotique de la situation que vous décrivez ne se prête pas vraiment à l'esthétique de la chute ; préférez-lui l'esthétique de la caméra, décrit ci-dessus dans mon "analyse".
En espérant avoir été clair, car je me perds souvent dans mon propre raisonnement.

[Ba]

Bien, comme le ton est donné nous resterons dans le voussoiement d'usage et non d'usure.
J'aimerais expliquer les" adjectifs " omniprésents mais au final ne le ferai pas dans la mesure où rien ne se justifie, sauf au tribunal.
Les " enfants morts " dans ma récurrente thématique sont juste les enfances des personnages et non le fruit d'entrailles que la plupart du temps ils n'ont pas.
Je me réserve les analyses sémiologiques pour mes cours dans l'intérêt des élèves à bachottage.
Bises aux lecteurs affinés et non moins fins.
Pour le reste, que le monde sensible nous soit aussi éloigné que l'intelligible pour notre plus grand bien.

[Invité]

Moi, j'ai énormément aimé. Je n'ai vu nul pathos excessif, seulement le tragique ordinaire et banal de l'existence des gens sensibles.
Je ne peux pas dire que j'ai préféré le premier ou le second, je les ai également aimés. Je suis réceptive à cette scansion, au dit et au non dit, aux sentiments ambigus évoqués...

[Ba]

Un coucou aux lapins; espèce protégée depuis peu comme le panneau l'indique.
Oui aux non-dits troubles et terribles qui nous consument au quotidien sans espèce.

[Invité]

J'ai trouvé le texte réussi et même préféré la première version à la deuxième. C'est un sujet très sensible et il m'a semblé que l'écriture se gardait bien de faire dans le pathos, aidée en cela par la chute qui si elle porte à sourire n'en est pas moins complètement réaliste. J'ai envie de dire : c'est exactement "ça", "ça" sent le vécu.

[Lucy]

Beaucoup aimé.
J'ai triché et suis allée lire les commentaires avant la seconde version du texte. Je dirais avoir préféré le premier. Toutefois, j'ai pu lire le second à la lumière des explications trouvées dans les commentaires et, pour le coup, peut-être est-ce pour cela que je l'ai moins "kiffé". C'est le "prestige" ( pour qui n'aurait pas vu le film, c'est pas dramatique ) qui en a pris un coup. En gros, on voudrait tout savoir du pourquoi et du comment et, quand on sait, on se dit que ce n'était pas nécessaire.
Je revendique mon droit d'imbécile heureuse : ne pas tout savoir ne nuit pas à la lecture, enfin, pour bibi en tout cas. ^^

[Invité]

J'approuve, Lucy, j'adhère , je persiste et je signerais bien si j'en avais le talent !
Les lapins de Pâques ont oublié leur culotte dans mon cellier. Je les soupçonne de turpitudes.

[Lucy]

Le mien, de lapinou, a oublié sa tête dans mon estomac : pauvre petit ! ^^
Puis, je pense que t'es en droit de signer.

[pierrot]

Euh... Eh bien, j'entends par là les formules employées dans un texte pour faire pleurer Margot, en procédés visibles.

J'ai déjà remarqué que Socque n'aime pas du tout le pathos !:-)
Oui le pathos est souvent dans un abus d'adjectifs qui souligne par trop la volonté du narrateur...un peu comme certaines musiques de films quand le violon commence en sourdine avant de se transformer en orchestre !
Je me souviens avoir dû dans un travail d'atelier supprimer tous les adjectifs qualificatifs non essentiels d'un texte tout en essayant de garder les intentions du texte. Très difficile mais techniquement très intéressant.

[Ba]

Ben ça se déchaîne dans la ferme ! Enfin des animaux sans ferme.
Exemple de pas tos :
Elle allait déchirant ses mains aux barbelés de nos aventures sans jamais réussir à trouver une paire de gants.
Son coeur ventricules battant le vide sonnait le toscin :
Ô vide de l'espace, sauras-tu combler cette étoile morne, et rendre à la cuisine sa délicate teinte sans tâche ?
Jamais répondit l'interpellé, tu peux crever !
Ce qu'elle fit sans grâce.
En tout et pour tout un adjectif, et pourtant je pleure à gros bouillons.
Petit sourire en prose après Pâques.

[Sahkti]

Ba la poète... ça se respire à chaque ligne, ces mots dont tu te joues et que tu fais chanter. Au risque parfois d'alourdir un peu le texte en le chargeant d'images et d'émotions. Si ça passe bien en poésie, c'est parfois délicat à maîtriser en prose et il me semble qu'ici, tu franchis parfois la ligne (mais légèrement).

Je préfère la disposition de la seconde version qui crée d'habiles coupures, parallèles aux silences qui envahissent ces deux-là (et permet aussi d'alléger cette sensation de lourdeur ressentie à la lecture de la première version).

J'aime aussi l'image de la cuisine et de la marque de saumon.

Bref, j'ai aimé :-)

[Contenu sponsorisé]