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Moya

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Message  ptipimous Ven 17 Avr 2009 - 20:58

Moya ne se déplaçait jamais sans sa famille. Toute sa famille, et ils étaient nombreux ! Douze en tout.
Le père conduisait le camion, relayé par le frère aîné et quelques fois, la soeur la plus grande. Maman assurait l’intendance, elle-même au volant d’un monstrueux break, bourré à craquer d’objets les plus divers, et des deux plus petits qui faisaient serre livre autour de la grand-mère, généralement là pour calmer les chahuts et éviter que les baffes ne volent trop bas. Enfin, une troisième voiture contenait le restant de la famille : le grand-père, la deuxième soeur, son mari, leur fille et sa copine, laquelle était si assidue qu’elle avait été intégrée naturellement à cette caravane.
Moya voyageait où elle voulait, changeait de place et de véhicule pour voir tout le monde et entretenir l’ambiance. Et bien sûr, on ne pouvait oublier ni l’énorme Dogue Allemand noir, élément parfait de sa race nommé Mars des Pétrelles, mais communément appelé Jojo (on ne savait pourquoi), ni Pimpon, diminutif de Pirandello des Lavoirs du Plessis, Lusitanien Portugais à la robe marron glacé.
L’ensemble habitait dans un lieu-dit, entouré de granges et de champs de toutes sortes. Personne, jamais, ne s’aventurait là, l’endroit ne figurait sur aucune carte. Et quand par erreur, une voiture se hasardait sur le seul chemin y menant, l’embouteillage qu’elle subissait dans le couchant, coincée entre des engins agraires venus d’une autre planète, pressée entre deux fossés débordant de boue était si long, si pénible, si impossible, qu’elle en gardait un souvenir cuisant et jamais ne s’y ré aventurait. De sorte qu’à part les agriculteurs, tous logés à plus de vingt kilomètres et la famille habitant la seule propriété, personne ne venait là.
Comme il n’y avait rien d’autre à y faire, la famille avait aussi des terres à cultiver, avec un bel élevage en plus, mené par une des soeurs qui s’y retrouvait mieux dans les chevaux que dans les patates, les betteraves ou le colza. Le père avait accueilli cette nouveauté avec bonhomie, il y avait assez de terrain pour permettre à des poulains dégingandés de faire le zouave toute la journée. Et puis ça mettait un peu de vie active à ces immenses étendues de terres gravides quasiment en permanence.
Moya était la dernière fille. Deux petits frères étaient arrivés après elle, des jumeaux. C’était la vie au grand air. Peu de cinéma, pas de télé, mais des veillées autour des grand-parents aux histoires toujours prêtes à être relatées, la cheminée et les marrons sur le feu. Tout un clan de gens peu bavards mais rieurs, travailleurs, heureux donc. Car de quoi a-t-on besoin pour vivre ? De nourriture, d’eau, de travail, de famille et d’amour. Ils avaient tout.
Moya aimait les chevaux. Elle savait leur parler. Dès son plus jeune âge, elle courait dans les prés avec eux. Elle, toute petite tache rose dans l’immensité des prairies vertes, chancelante sur ses deux pattes comme les foals sur les quatre leur. Ses cheveux fins frémissaient dans la brise comme leur crinière de laine et tous, le nez en l’air, humaient le temps qui passe, c’était magique de les regarder.
Au début, son père avait eu peur. Mais jamais Moya n’avait été bousculée par les animaux, elle rentrait juste couverte d’une bave verdit par l’herbe et les pissenlits dont les chevaux avaient toujours plein la bouche.
Elle monta dessus un jour. Sa soeur éberluée la trouva à califourchon sur un jeune poulain non dressé, s’accrochant à la crinière et hurlant sa joie, les joues rosies par le vent vif de la galopade. Très vite, on construisit une carrière en sable et l’aînée, ancienne cavalière lui apprit tout ce qu’elle savait. La petite était extraordinaire, douée d’une assiette exceptionnelle, d’une main naturellement fine. Sitôt qu’elle était à cheval, le lien se faisait, l’osmose était instantanée, elle devenait les yeux du cheval, il devenait ses jambes.
Elle monta tous les chevaux disponibles jusqu’à la naissance de Pirandello. C’était lui qu’on attendait comme un Messie. Le deuxième de la paire était arrivé, on pouvait commencer vraiment à travailler.
Durant neuf ans, Moya seule s’occupa de lui. Elle était là de son levé à son couché, le nourrissait, le brossait, le dressait. De jours en jour, de mois en mois, elle en fit son ombre, son bras, son regard. Elle se couchait sur lui, dans la pénombre de son boxe, ils se sentaient l’un l’autre puis, d’un même geste, flairaient l’air ambiant.
Quand la soeur avoua son incompétence en matière de dressage, on acheta un téléviseur et un magnétoscope. Il n’y eut jamais d’antenne sur le toit. L’ensemble était là pour voir les grands cavaliers, les jeux olympiques, les championnats. Toute la famille regardait, disséquait, commentait, notait le geste de telle cavalière allemande, le projeté de tel hanovrien. On regardait la jambe, l’incurvation, le déplacement, revenait sans cesse sur un tournant parfaitement exécuté pour tout voir : le recul du mollet, l’engagement du postérieur. Tous apprenaient.
Des dizaines de livres avaient envahi la ferme. On comparait l’école espagnole avec la science d’un Baucher ou d’un De la Garinière. On scrutait les italiens, les maîtres portugais et bien sûr les allemands et les hollandais qui se gavaient de podiums depuis deux bonnes décennies.
Et tous les jours, Pimpon apprenait, transpirait mais exécutait sans presque rechigner. Quand c’était trop dur, la voix de Moya, sa main légère sur son encolure suffisait à le rassurer. Il semblait hausser les épaules et repartait sous les encouragements de la famille.
Moya grandit ainsi sur Pirandello, au milieu des champs verts ou jaunes ou noirs selon les saisons. C’était une jeune fille timide et silencieuse. A pied, elle semblait frêle, se déplaçait comme une ombre en une caresse le long des murs. Sa chambre était à son image, sage et rose. Claire et fleurie. Une chambre de jeune fille sentant le chèvrefeuille. Elle aimait les jolies choses et avait récupéré pour décorer son espace, tous les objets de la ferme qui lui parlaient. Un vase en délicate porcelaine auquel il manquait une anse. Une cage dorée un peu cabossée qu’elle remplissait de fleurs régulièrement et un étrange miroir immense, encastré dans un cadre, entre le baroque et le Rococo, à la dorure écaillée. Le plus étrange était le tain totalement noirci qui ne réfléchissait plus rien. Pourtant, souvent, Moya s’asseyait devant, le menton dans sa main et partait dans de longues rêveries, les yeux dans le vague du miroir sans image.
Quand elle n’était pas à cheval, Moya faisait des puzzles, seule dans sa chambre, dès qu’ elle avait besoin de réfléchir. Elle ne les terminait jamais et ils traînaient là, sur la moquette. Pourtant, dès qu’elle s’accroupissait pour reprendre celui en cours, elle constatait que quelqu’un était passé et avait mis quelques pièces en place, qui lui permettait de continuer. Sa mère était venu chasser la poussière et le chat de dessous le lit, avait rajouté ces trois là. Les jumeaux, pendant une course de petites voitures avaient mis celle-ci... L’ensemble de la famille voyait chacun leur tour ce qu’elle n’avait pas vu et d’un coup de pouce, la faisait avancer encore et encore vers la fin, la réussite, l’exploit.
A neuf ans, Pimpon fut prêt à se montrer et la famille partit en concours dans des lieux retirés, soigneusement sélectionnés d’après les épreuves proposées et le peu de partants engagés. Comme un clan de gitans, ils restaient toujours groupés. Leurs tenues volontairement sans recherche et leurs bouches fermées les maintenaient à l’écart.
A chaque fois, c’était immuable, la tribu arrivait, posait son énorme camion étrange aux multiples antennes, et vaquait, chacun avait un rôle précis et savait ce qu’il avait à faire. A l’heure du repas, tous se retrouvaient autour d’une nappe sur l’herbe, massés sous une bâche en cas de pluie. Même la détente de Pimpon se passait à l’abri de tout regard, dans la forêt adjacente ou dans un champs en friche. Jamais personne ne voyait Moya avant qu’elle n’entre sur le terrain. Les conditions étaient invariablement les mêmes : une carrière de soixante mètres sur vingt cernée par douze lettres, dix sur les deux longueurs, et une au centre de chaque largeur. Ces douze repères permettaient aux cavaliers de se retrouver dans l’espace pour exécuter les figures imposées par l’épreuve. Avec pour unique aide, leur mémoire du tracé puisqu’à ce niveau, il est impossible de se faire dicter les reprises.
Et Moya gagnait, partout.
En très peu de temps, le couple devint si célèbre que certains concurrents les traquaient à l’engagement et cherchaient à les voir avant l’épreuve. Mais toujours en vain. Même à la remise des prix, Moya arrivait au dernier moment, encadrée de sa famille. Elle faisait trois pas et montait sur le podium, souriait, remerciait, saluait de la main.
Le plus souvent, elle restait sur Pimpon qui s’avançait tout droit, royal vers les officiels. Il inclinait la tête délicatement pour recevoir son flot, ce qui provoquait le rire du public. Moya repartait avec des brassées de fleurs tandis que son père ramenait coupe, plaque et cadeau. Quand il y avait tour d’honneur, elle tournait à droite et Pimpon caracolait, fier et espiègle tandis que Moya riait en tenant son chapeau.
Ils eurent un coup de téléphone de l’entraîneur national. Il voulait voir Moya pour un stage. Son père a dit non. Ce soir là, la famille mangea en silence, puis on apporta un gâteau avec une bougie, comme pour un anniversaire. Moya souffla et tout le monde fit une prière.
Moya gagna trois autres concours. L’entraîneur rappela. Son père expliqua qu’il y avait trop de travail à la ferme et que si ce monsieur voulait voir sa fille, il devait venir jusqu’à eux. Ca ne se faisait pas mais l’entraîneur accepta, il vint.
Sitôt arrivé, il fut entouré de tous, le père fit visiter la ferme, la fille aînée montra l’élevage et les bêtes. Moya était déjà à cheval sur sa carrière et travaillait le piaffé en parlant à Pimpon.
L’homme fut invité à déjeuner, l’atmosphère familiale était joyeuse et exceptionnellement bruyante. Moya ne parlait pas, les yeux baissés sur son sourire et son charme opérait. Le père expliqua encore que sa fille ne s’entraînait qu’ici, à la ferme. Il ne souhaitait pas se frotter aux autres cavaliers dans des lieux inconnus, ce qui n’était pas gênant pour l’éducation de Pimpon qui réagissait très bien lors des sorties. C’était l’unique condition pour que Moya intègre l’équipe. L’entraîneur parlementa mais le père était têtu, soutenu par la famille qui critiquait l’ambiance guindée du milieu équestre.
Peu après la fin du repas, il alla trouver Moya dans l’écurie. L’atmosphère calme et sombre lui convenait pour aborder cette jeune fille si farouche. Il lui demanda son avis sur sa possible entrée dans l’équipe nationale et sur l’entraînement. Moya lui répondait de sa voix douce, cachée derrière son cheval qui suivait l’échange avec tant d’acuité que l’entraîneur se prenait à croire que c’était l’animal qui lui parlait ! Il lui expliqua qu’il était prêt à l’aider et bien plus qu’elle ne le pensait encore parce qu’il croyait en elle et en Pimpon. Moya le renvoya à son père, c’était avec lui qu’il fallait négocier. Elle ne travaillait pas et dépendait entièrement de sa famille. C’était le clan qu’il fallait persuader. L’entraîneur retourna donc vers la ferme.
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Message  ptipimous Ven 17 Avr 2009 - 21:04

Et puis le père fit à son tour une proposition : que les autres cavaliers choisis viennent s’entraîner ici. Il y avait largement de quoi loger tout le monde, chevaux compris. L’entraîneur promit d’en parler et s’en alla. On mangea un autre gâteau après avoir soufflé une autre bougie.
Un mois passa et l’entraîneur rappela. C’était d’accord, huit cavaliers et leurs montures arriveraient dans une semaine pour quatre jours de stage. Dans la ferme, ce fut le branle-bas de combat. Pendant que les femmes préparaient la maison pour recevoir tout ce monde, les fils furent à cheval du soir au matin avec Moya. Tous dans la carrière à travailler un cheval selon ses moyens et à son rythme. On faisait du bruit et on n’en faisait plus du tout ou le moins possible. Moya et Pirandello travaillaient et travaillaient encore.
Puis chevaux et cavaliers arrivèrent et ce fut la fête. Toute la famille s’était débarrassée d’un maximum de corvée pour être là, à regarder. A tour de rôle, on en voyait un ou une, accoudé à la lisse, aussi silencieux et discret que possible mais présent. L’entraîneur se surprenait parfois à les chercher et finissait toujours par repérer un frère ou le père, niché dans un coin, muet et attentif. Au début, il avait craint ces parasites puis finalement, comme aucun ne se permettait ne serait-ce qu’un soupir, il avait fini par les intégrer comme un élément du décor et les oublier. Les repas étaient heureux, drôles. Chaque membre de cette étrange famille dévoilait un côté attachant lors d’une joute verbale ou d’une plaisanterie.
Les cavaliers invités passèrent un moment de rêve, les progrès furent étonnants. L’atmosphère si détendue et si laborieuse permit à l’entraîneur de constituer ses équipes sans mal et sans aucun doute tant chacun s’était révélé dans son équitation et sa personnalité, au contact du clan. Même Moya, pourtant chez elle, n’était pas la même. Elle riait aux éclats des plaisanteries de chacun, discutait au botte à botte avec les autres cavaliers tout en décontractant son cheval, son pâle regard caché sous l’ombre de sa casquette. Tous l’adoraient et les deux garçons de l’équipe lui faisaient une cour discrète mais néanmoins intense. Et les chevaux, choyés et logés dans des écrins travaillaient avec un réel plaisir, montraient le meilleur d’eux même. A la fin du stage, on se promit de remettre ça.
Moya fit plusieurs concours, en gagna les trois-quarts, fut classée dans le quart restant. La famille suivait aux quatre coins de la France, à Barcelone, Badenkirchen, Prague et Hickstead. On vit Pimpon au championnat de France galoper à fond de train, une couverture bleu-blanc-rouge flottant sur sa croupe de vainqueur.
Le couple partit pour l’Angleterre et les championnats d’Europe. A cause de la quarantaine instaurée par les britanniques, les chevaux partirent devant. La famille ne pouvait pas s’absenter si longtemps et Moya refusait de laisser seul son cheval. Elle partit donc avec Pirandello et sa soeur. Le reste du clan les rejoindrait plus tard.
Il y eut des soucis à la ferme. Un des jumeaux eut les oreillons immédiatement transmis au deuxième. Puis ce fut le tracteur qui lâcha au milieu d’un labour. Une grève générale des distributeurs d’essence les vit sans gas-oil durant une semaine. Le père devenait fou, le travail s’accumulait par tant d’aléas. Moya était silencieuse. Tous les jours, elle s’entraînait, puis passait quelques heures avec Pimpon avant de se cloîtrer dans sa chambre. Sa soeur jonglait entre fax et téléphone.
Le jour du départ de la famille pour l’Angleterre, les ferry restèrent à quai pour cause de tempête et les avions se remplirent selon le principe des vases communiquant.

Le concours arriva. Moya déroulait deux épreuves sur deux jours. Il y avait en jeu non seulement le titre de champion d’Europe mais en plus la sélection pour les jeux Olympiques.
Durant la détente, la jeune fille fut d’une incroyable maladresse, tournait brusquement, interrompait constamment le mouvement commencé. Sa soeur faisait de son mieux pour l’encourager tandis que l’entraîneur ne reconnaissait pas la cavalière. Ses mots pour la calmer, la rassurer sur le retard de ses parents s’envolaient au vent. Plus le temps passait, plus Moya s’énervait. Sa soeur l’arrêtait, lui parlait longuement. La cavalière reprenait sa détente chaotique, sursautant au moindre bruit.
-Mais qu’est-ce qu’elle a ? demandait l’entraîneur à la soeur adossée à la barrière.
-Nous n’avons pas de nouvelle de notre famille depuis deux jours et les dernières étaient mauvaises. Je crois que nous allons être forfait, fut la réponse.
-Forfait ? Mais pourquoi ? Moya et le cheval vont bien, enfin... on est au championnat d’Europe, s’exclamait l’entraîneur stupéfait.
La soeur, butée comme son père, rétorquait que ce n’était pas si grave, que des concours, il y en aurait d’autres. Cette guerre murmurée et sifflante entre des dents serrées d’angoisse et de colère dura quelques minutes. Puis d’un coup, la soeur sursauta :
-Moya ! Les voilà !
L’entraîneur suivit du regard celui de la jeune fille et vit le clan avancer en une boule compacte par une allée de l’immense terrain ornementé. Puis, comme si on avait jeté un pétard au milieu du groupe, ils s’éparpillèrent tout autour du carré tandis qu’on annonçait le couple.
Elle fut vice championne d’Europe, ce qu’on n’avait pas vu pour la France depuis des années. Son entraîneur la regarda recevoir sa médaille d’argent en souriant sur des mâchoires crispées. Il avait eu peur, la petite était moins solide qu’il n’y paraissait.
Il la sélectionna pourtant pour les Jeux et à la ferme, on fit un gâteau.

Salt Lake City vit arriver la famille, maman dans sa robe à fleurs sous son joli chapeau de paille, le père et sa casquette (celle du dimanche) dans son pantalon en velours avec bretelles et une chemisette fleurie. Il n’y avait que les plus jeunes, un peu plus au goût du jour pour sauver les apparences. Les commentateurs sportifs s’en donnaient à coeur joie, moqueurs et heureux à la fois de voir le terroir français s’afficher ainsi au milieu des ricains et de leurs stetson.
Moya passa les sélections tôt dans la matinée, dans un stade quasiment vide. Les chevaux de dressage n’ameutent pas beaucoup de public quand le soleil est à peine levé et que les enjeux ne sont pas encore réels. Et la télévision préfère retransmettre les finales d’athlétisme, plus médiatiques et surtout plus tard dans la journée.
Le Grand Prix par équipe déplaça une chaîne câblée, spécialisée. Les Français prirent la troisième place et la médaille de bronze. Moya était dans les 25 cavaliers autorisés à dérouler le Grand Prix individuel. Son tour fut commenté avec délice par des français chauvins et ricaneurs. On s’interrogeait sur le petit appareil qu’elle avait dans l’oreille, ce qui laissait à supposer qu’elle était malentendante. Un sacré avantage pour rester concentrée à condition qu’elle l’arrête, disaient les journalistes. Les caméras s’égaraient sur des gros plans de la mère ou d’un des jumeaux grimaçant. Leurs expressions si tendues déformaient leurs traits et de voir cette famille si unie, si impliquée dans la victoire de leur fille faisait une histoire dans l’histoire des Jeux. Bientôt, tout le clan fit la une des journaux, comme une page de détente, d’anecdotes parmi les exploits et les déceptions des sportifs. Cette famille française à la tenue bariolée et au comportement si franchouillard, c’était les “Duratons” que les américains découvraient avec étonnement dans leur quotidien. Le père dit un jour que le saucisson lui manquait. Dès le lendemain, il en eut un plein carton, envoyé par le collectif des charcutiers de l’état. On les dessinait, les moquait mais les admirait et les soutenait. Jamais la France n’eut autant de supporter. Moya entra sur le carré sans presque aucune appréhension avec un Pirandello souverainement calme. L’entraîneur, les bras croisés du haut d’un petit balcon les regarda évoluer. Tant de grâce, de précision, d’aisance, il en avait les larmes aux yeux. En souriant au moment où elle sortait, il vit les membres de la famille éparpillés comme d’habitude se regrouper comme une colonie de fourmis et se rejoindre au paddock de détente pour entourer Moya de leur chaleur. L’entraîneur en descendant les marches en bois secouait la tête, attendri par ce clan aux habitudes étranges. Il en avait vu d’autre, des superstitieux aux gris-gris hétéroclites, des maniaques du toujours le même geste au même endroit... Mais là, que ça touche douze personnes, autant que les douze lettres entourant le terrain... Et c’est là qu’il comprit.
Stupéfait et immobile en pleine chaleur, il s’ébroua comme pour chasser cette idée si... démente puis il courut au paddock. Du terrain de détente, le père le vit arriver et se pressa à son tour dans sa direction. Le paysan prit le bras de l’entraîneur et le regarda droit dans les yeux :
- Pas maintenant, s’il vous plaît...
À ce moment, on annonça la moyenne de la jeune fille qui prenait la tête du classement provisoire.
- Vous voyez ? Pas maintenant...
À la fin de la journée, Moya était quatrième du concours individuel. Elle n’était même pas déçue d’avoir raté la médaille de bronze.
Le lendemain, elle déroulait, ainsi que les onze autres meilleurs cavaliers du monde une reprise en musique. Ce fut l’unique fois où toute la famille, l’entraîneur et les autres cavaliers de l’équipe de France se retrouvèrent réunis sur le promontoire. Moya et Pirandello furent parfaits et gagnèrent l’épreuve. Dans les rédactions, c’était la joie, l’euphorie : la France avait battu la grande Allemagne, la Hollande et l’Angleterre. Moya fut entourée, embrassée, portée en triomphe. Pimpon ajouta une couverture aux couleurs des Jeux Olympique à sa collection déjà fournie. L’entraîneur courrait aux quatre coins du terrain tandis qu’on installait le podium. Il y eut conciliabule bref mais très intense entre toute la famille et les autres cavaliers. Puis Moya, très concentrée, reçut sa médaille d’or et leva la tête au moment où son drapeau s’élevait dans le ciel accompagné de l’hymne national.
Son père vint la chercher pour en descendre tant l’émotion la clouait au sol. C’est ce que dirent les commentateurs.
Plus tard, quand le scandale éclata, la presse fit sa une de cette étrange aventure durant des semaines, le temps que le comité Olympique décide ou non d’enlever son titre et sa médaille à Moya. Finalement, comme cette victoire avait eu lieu lors de la reprise en musique et que par conséquent, la jeune fille n’avait pas eu besoin de l’aide de sa famille, on l’autorisa à la garder.
Quelques grincheux tentèrent de dire que si elle avait été déclassée du Grand Prix individuel, elle n’aurait pu dérouler la reprise libre en musique et par conséquent ne devait pas la gagner. Mais le comité Olympique, ému par tant d’effort n’eut pas le coeur de retirer le trophée à ce couple extraordinaire.
Moya et Pirandello se retirèrent de la compétition, n’ayant plus rien à gagner. On peut les voir encore, dans la campagne, cheveux et crinière dansant dans le vent, le nez en l’air pour humer la rosée du matin.
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Message  mentor Ven 17 Avr 2009 - 21:07

bon, dis, tu vas pas nous faire le coup d'Hugues Aufray et de son Strewball !! ;-)

belle histoire dont j'attends la suite avec curiosité
belle écriture

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Message  Invité Sam 18 Avr 2009 - 6:37

Jolie histoire, bien écrite, mais la raison du "scandale" me paraît peu claire... à moins qu'il y ait une suite.

Grand bravo pour "il y avait assez de terrain pour permettre à des poulains dégingandés de faire le zouave toute la journée" !

Une remarque : "L’entraîneur courait aux quatre coins du terrain" (et non "courrait", un seul "r" à l'imparfait opur ce verbe).

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Message  Invité Sam 18 Avr 2009 - 6:38

"pour", pardon.

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Message  ptipimous Sam 18 Avr 2009 - 9:11

Ah ce verbe courir ! Mon préféré !
Merci pour vos yeux de lynx.

En ce qui concerne le mystère, vous n'avez pas compris ?
c'est un exercice d'atelier sur la nouvelle. Un secret est dévoilé par de petites indications, tout le long du texte.

Que faire ? Relisez-le attentivement pour un dernier tour de piste, je vous mets la soluce plus bas !












Moya est aveugle.
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Message  Invité Sam 18 Avr 2009 - 10:18

D'accord, l'indice le plus parlant, je suppose, est l'oreiilette de Moya... mais dans ce cas, comment se fait-il que les micros des membres de la famille restent invisibles ? D'autre part, une aveugle qui fait des puzzles, là je trouve que vous égarez un peu trop le lecteur. Cela dit, je suis très mauvaise pour percer à jour ce genre de cachotteries. D'autres seront sans doute plus persoicaces, quant à moi, même après relecture, je serais incapable de comprendre avec les seules indications du texte.

En tout cas, le style de l'histoire suffit à la soutenir !

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Message  ptipimous Sam 18 Avr 2009 - 11:21

C'est très réjouissant d'écrire ce genre de texte, semer des petits cailloux, un vrai jeu de piste. Je vous les mets en lumière :
elle devenait les yeux du cheval, il devenait ses jambes.
elle en fit son ombre, son bras, son regard.
omme une ombre en une caresse le long des murs.
Un vase en délicate porcelaine auquel il manquait une anse. Une cage dorée un peu cabossée qu’elle remplissait de fleurs régulièrement et un étrange miroir immense, encastré dans un cadre, entre le baroque et le Rococo, à la dorure écaillée. Le plus étrange était le tain totalement noirci qui ne réfléchissait plus rien.
(elle n'aime que des objets imparfaits, comme elle.

L’ensemble de la famille voyait chacun leur tour ce qu’elle n’avait pas vu et d’un coup de pouce, la faisait avancer encore et encore vers la fin, la réussite, l’exploit.
camion étrange aux multiples antennes,
Elle faisait trois pas et montait sur le podium
On s’interrogeait sur le petit appareil qu’elle avait dans l’oreille
entre autres, il y en a plein d'autres. Sans compter le stratagème de la famille afin qu'elle puisse dérouler ses reprises avec un maximum de précision.

Personnellement je suis chanteuse et j'ai un micro qui, dans le cas de comédie musicale, se fixe dans les cheveux, il est totalement invisible.
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Message  Invité Sam 18 Avr 2009 - 11:33

Mais justement, ceci : "elle devenait les yeux du cheval, il devenait ses jambes.", n'a-t-il pas tendance à vraiment égarer le lecteur ? Du coup, on a l'impression que la gamine est paralytique et non aveugle, ce qui, bien sûr, n'est pas le cas, on le sait. Et pour les puzzles, je trouve que vous poussez le bouchon un peu loin... Mais, je le répète, je manque de perspicacité pour ce genre de jeu de piste. Pour les micros, OK.

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Message  ptipimous Sam 18 Avr 2009 - 14:05

Allons chère Socque, vous avez une écriture infiniment plus subtile que cette analyse.
Je viens de voir le film de Frears "chéri". Toute l'écriture du film est sur le même principe, des petites touches légères et fines sur le poids que représente la différence d'âge des acteurs et sur le manque, la solitude. Rien n'est dit, mais tout est là. on percute sur ce qu'on voit quelques images après, ce qui fait qu'il y a en permanence deux lectures qui se superposent durant la projection. On sort de là en se sentant "plein". C'est le pied.
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Message  Invité Sam 18 Avr 2009 - 17:08

Je n'ai pas l'excuse d'une écriture subtile mais je dois dire que j'ai eu du mal à comprendre le fin mot de l'histoire. Les indices disséminés sont peut-être perdus dans la masse d'autres infos qu'on doit prendre en compte pour bien suivre le texte ; d'ailleurs la foision de détails du début m'a frappée, bien avant que de réaliser qu'il y avait un stratagème à repérer.

Note : le lever et le coucher

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Message  mentor Sam 18 Avr 2009 - 17:32

bof bof, du coup !
et en plus je suis frustré d'une suite qui n'existe pas

mais bon, je conserve mon premier commentaire
sauf que je n'ai plus rien à attendre
;-)

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Message  Sahkti Jeu 21 Mai 2009 - 10:00

L'histoire se tient, elle est intéressante, même si par moments, j'aimerais qu'il y ait davantage de ruptures, de digressions qui créerait des respirations. Non pas que ce soit trop dense, mais tout se suit, tout est lié, comme un seul bloc.

Le personnage de Moya tient la route, elle prend de la place, mais de manière bien proportionnée et tout ce qui s'articule autour d'elle vient compléter l'image qu'on se fait d'elle.

A alléger, peut-être, un peu (notamment dans les détails fournis), sinon, ça se lit agréablement.
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Message  Sahkti Jeu 21 Mai 2009 - 10:02

Ha ben j'avais rien capté en fait :-(
Moya aveugle?
Pourquoi pas au regard des indices donnés, en effet, mais ça n'est tout de même pas si clair que cela. Ceci dit, la non-compréhension de cet état de fait n'empêche pas de profiter du texte tel qu'il est.
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