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Milou 4

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Message  ptipimous Jeu 23 Avr 2009 - 16:43

16

Philéas a mis du temps à me retrouver (parce que c’était Phil, tu l’avais deviné, allez !)
Dans le dossier, il n’y avait que mon nom. Pas d’adresse, pas de numéro de téléphone. Il a essayé par l’orphelinat qui y était mentionné mais ils n’avaient plus de trace de moi. Et quand bien même ils en auraient eu qu’ils n’auraient rien lâché, cette bande de chiens ! Sa seule chance restait l’hôpital. Alors il rôdait autour du bâtiment comme un loup sans savoir pourquoi ni comment faire. Phil ne m’avait jamais vue et il n’y avait pas de photo de ma tronche dans le dossier. Peut-être qu’on s’est croisé, va savoir !
Pour lui, la période a été coton. Il se sentait très seul, et en même temps, sa vie avait basculée, ses anciens amis ne le comprenaient plus et lui ne voulait plus voir personne. Tu sais, c’est quand tu es seul à la maison, seul dans la rue, tout seul au milieu des Galeries Farfouillettes, un vrai ectoplasme lors d’une spaghetti partie alors que tu connais parfaitement tous les gens présents. Toute sa cervelle était consacrée à me rechercher, enfin, à retrouver ce qui restait de Lou. Il ne pensait qu’à cela. Alors il bossait et dès qu’il le pouvait, il venait voir qui entrait et sortait de l’hôpital. Quand il s’est douté qu’il était repéré, à force de traîner ses guêtres toujours au même endroit, il est passé à l’attaque.
Ce mec a réussi à rentrer dans un bureau, à l’insu de tous, mais il n’a rien pu trouver. Il s’est accroché, a fait de nombreuses investigations et a fini par avoir un plan assez exact des lieux et une liste précise des toubibs, des services et des différentes équipes, avec trombinoscope inséré. Une enquête minutieuse, menée de main de maître puisque jamais personne n’est parvenu à le coincer ni même à le soupçonner. Un as, ce Phil !
À force de fouiner, il a pu resserrer son champ de recherches, de plus en plus fort jusqu’à un unique bureau où sont centralisés la plupart des dossier des patients.
Monsieur Philéas a pénétré par effraction, une nuit, dans le local, est rentré dans l’ordinateur, a trouvé le mot de passe (cette cruche d’infirmière avait mis son propre nom !) et a eu pour sa peine l’adresse de mon aide-soignante.
Mais l’oiseau s’était envolé. Lui n’osait pas poser de questions pour pas se faire squizer, il a donc repris son activité favorite : plancton et sandwich sur le trottoir d’en face. Au bout d’une semaine, force lui était de constater que personne de mon âge ne sortait jamais de l’immeuble.
Désespoir, découragement, grosse colère et... réflexion. Phil est arrivé à la conclusion qu’il manquait de données sur le problème. Il est donc allé à la bibliothèque et s’est rencardé sur les greffes du coeur, le post-op. et tout le toutim. Il en faut du courage, moi je vous le dis parce que, pourtant étant la première intéressée, je n’ai jamais pu aller au bout. Lui, si. Il s’est gavé de bouquins sanguinolents, avec des belles photos de plaies béantes, d’artères coupées, de coeurs tchernobyliens... Et pour faire bonne mesure, tenons nous au courant des dernières nouveautés technologiques : Ah ! Monsieur Schmurtz a sorti une toute nouvelle machine avec toutes les fonctions d’usage : aiguilles intégrées, tuyaux hyper résistants au plastique injaunissable, cadrans méga lisibles, utilisation fastoche et en plus, cette petite merveille se livre en trois couleurs différentes pour aller avec celle des draps du patient ! Il y a l’accompagnant, un mode d’emploi gros comme les deux bottins de téléphone de notre belle capitale et un petit fascicule expliquant comment lire le mode d’emploi, lui-même aussi simple que la configuration d’un PC ! Ah ! Ah ! Eurk ! Eh ben, il ne s’est pas déballonné et a tout appris par coeur. Les risques de rejet, les symptô-mes, les contrôles obligatoirement effectués...
Ah ! Bingo !
Et le voilà revenu... Changement de bureau, changement de registre. Voyons, a-t-elle pris rendez-vous la petite dame ? Eh non ! Pas encore Igmar ! Dieu que l’attente est longue quand on espère de toutes ses forces quelque chose. Je suis bien placée pour en parler.
Bon, j’arrête de te faire languir ; un soir, il a vu mon nom sur ce foutu bouquin et la suite, tu la connais.
Enfin, presque. Parce qu’il y a aussi son angoisse devant la porte de ma chambre, ses jambes qui manquent de le trahir, lui donnant cette entrée fracassante que j’ai en partie raté. Il m’a raconté après qu’il avait failli s’étaler dans la salle de bain, la porte piège était restée ouverte !

Le lendemain, je sortais l’après-midi. Mais le matin, j’avais un dernier prélèvement. Le pire. Et qui a duré... Mon Dieu j’avais oublié qu’on pouvait souffrir à ce point. J’étais là dans mon brouillard, j’essayais de rester calme, de ralentir les battements de mon coeur; avec leurs idioties, ils allaient bien réussir à me le casser ! Je cherchais à contrôler la douleur. Je n’arrivais à rien, bien sûr. Même mes larmes coulaient, m’humiliaient sans que je ne puisse rien y faire. À un moment, on m’a laissée tranquille dans cette fosse froide, cet endroit maudit avec les machines et tous ces objets de torture métalliques. Et dans le hublot de la porte, j’ai vu Phil ! Il tapotait doucement au carreau. Je tendais le cou pour l’apercevoir et j’ai eu un hoquet de rire et de larme. Il est entré rapidement, regardait autour de lui comme un voleur, et boulait des yeux avec un doigt sur sa bouche. Je haletais comme après un combat. Il s’est approché de moi, a tendu sa main, s’est ravisé. Il m’a caressé doucement les cheveux, a sorti son mouchoir de sa poche de jean et m’a essuyé doucement les yeux, répandant son odeur d’after-shave sur mon visage. Il n’a rien sorti comme imbécillités du genre “ça va aller, c’est bientôt fini...” et autres conneries du même style. Non, lui a juste dit : “je vous attends en bas.” Il est ressorti en me laissant son parfum sur ma peau, ce qui m’a permis de tenir le coup jusqu’au bout de l’examen.
Quand je me suis retrouvée dans sa voiture, devant chez moi, j’étais gênée, si mal. Il avait été si gentil et il attendait que je lui dise quelque chose. Mais moi, j’avais surtout besoin d’être seule dans ma maison. Il m’a souri, même si ce n’était pas ce qu’il espérait.
- On se reverra ? J’aimerais bien qu’on se connaisse un peu mieux.
J’ai hoché la tête et il m’a laissé sortir avec son petit espoir mince comme un fil.

17

On s’est revus presque tous les soirs. Le week-end, je voulais voir mes potes et je refusais ses rendez-vous. Je ne voulais pas non plus le pré-senter aux autres. Il y aurait eu trop de questions. Phil en était blessé, je le voyais bien mais il mordait dans mon indépendance et je restais méfiante. Souvent, mes réactions l’étonnaient. Comme s’il attendait de moi autre chose. On s’engueulait souvent à ce sujet. Cette façon qu’il avait d’arrêter mon geste en cours et de me dire : “mais... non !” avec son sourcil qui se lève en rectifiant ce que j’étais en train de faire, ça m’exaspérait ! J’avais l’impression d’être un chiot qui faisait sous lui ! J’ai essayé d’en parler calmement avec lui, de reconnaître que ses conseils pouvaient être bons, mais qu’il devait aussi me respecter, considérer mes goûts, même s’il n’approuvait pas. Il obtempérait et il recommençait. C’était plus fort que lui. Philéas avait mis un calque de Lou sur moi et tentait désespérément de me faire rentrer dans les limites. Mais tu me connais depuis le temps : ça ne collait pas. Rien ne collait en fait. Moi, je ne savais rien, et lui ne comprenait pas, auto-endoctriné comme il était.
Quand je rejoignais mon lit, le soir, je passais des heures à me dire : “mais qu’est-ce qu’il me veut, celui-là ?” Il ne demandait rien, juste me voir. Précision importante : je ne lui ai jamais donné aucun espoir, soyons clair ! Et qu’on ne vienne pas me raconter que, souvent, inconsciemment... rien du tout ! Je n’étais pas amoureuse et ne voulais surtout pas l’être. Par contre je voulais bien un ami, un vrai, un qui me comprendrait sans que j’aie besoin de parler. Un qui me ferait rire, qui m’accepterait telle que je suis et avec qui je pourrais faire tout ce que je veux sans que justement il n’y ait la moindre équivoque. Mais obtenir ça de quelqu’un, c’est duraille.
C’était d’autant plus difficile que je me livrais peu et Phil, pas du tout. Je ne savais rien de lui. Ni d’où il venait, ni les gens qu’il fréquentait. Je ne connaissais même pas son taf. Juste de temps en temps, il m’emmenait dans des endroits et m’observait attentivement. Moi je faisais semblant de ne pas m’en rendre compte et je cherchais ce qu’il pouvait bien attendre de moi. Je ne trouvais jamais. Et à chaque fois, il essayait de cacher son désappointement. Un jour, j’ai craqué et j’ai hurlé :
- Qu’est-ce que j’étais sensée faire ou dire, Mister Mind ?
- De quoi tu parles ?
- Tu m’emmènes au Palais des Congrès, on se tape tous les couloirs, tu ouvres des salles vides, tu insistes pour m’offrir un verre de punch au bar, alors que le mec tire la gueule parce qu’il n’en a pas de fait et que moi je suis prête à prendre autre chose. Mais qu’est-ce que tu veux de moi ?
- Mais rien ! Je ne veux rien, juste que tu sois contente...
- Contente ? Je déteste le Palais des Congrès ! C’est moche, cher et enterré. Il n’y a que des touristes friqués. Je ne suis pas une fan de punch non plus, figure-toi. Mais est-ce que tu m’as demandé quelque chose ? Non, bien sûr ! Moi j’aime le lait fraise, à la rigueur la vodka, les fêtes foraines et j’ai envie de voir la mer. Voilà ! Il suffit de demander. Et puis tu me soûles ! Après tout, pourquoi je reste-là, à discuter avec toi encore une fois des mêmes choses. Je sais même pas où tu crèches ! T’es pas seul ? Je risquerais de te faire honte, c’est ça ? Tu crois que je ne vois pas la différence qu’il y a entre nous ? On pourrait s’enrichir mutuellement de nos vies, mais toi, tu veux faire de moi un caniche de salon. Je me sens nulle avec toi et je ne veux pas ça. Je me suis trop battue. Je ne suis peut-être pas très fine ni très éduquée mais c’est tout ce que j’ai à t’offrir. Si ça ne te va pas, va voir ailleurs !
Je l’ai planté là, j’étais folle de rage. Et si triste. Cette fois-ci, je l’avais perdu, mais après tout, j’avais raison. Et je ne lui avais rien demandé.
J’ai fini la soirée chez mon aide-soignante. On s’est bituré, on a déliré, mais je n’ai rien raconté. Je voulais juste oublier.

18

Une semaine passe, j’avais retrouvé du boulot dans un magasin de fringues pour gonzesses un peu branchées. Il y avait avec moi deux autres vendeuses, des pros, elles, avec qui je suis vite devenue copine. Ma patronne n’avait pas eu un démarrage facile, c’est pour cela qu’elle donnait souvent leur chance aux vilains canetons qui se présentaient chez elle. On avait sympathisé, mais hiérarchie oblige, le copinage s’arrêtait là. Bonne ambiance, bonne paye (enfin suffisante pour moi), des horaires cool, l’idéal quoi.
Un midi, j’arrive pour déjeuner avec mes deux collègues, j’avais eu ma matinée de libre. Pas plutôt rentrée par derrière qu’elles me sautent sur le poil :
- Eh ! Calmez-vous et prenez un ticket !
- Y’a un mec craquant, là, dehors...
- Avec un bouquet de fleurs...
- (les deux ensemble) Depuis hier !!!
- J’ai rien vu.
- Évidemment, il est devant, sur le trottoir d’en face.
- Et qu’est-ce qu’il attend ?
- On ne sait pas. Il nous regarde, mais il ne fait rien !
Non mais tu les aurais vues ! En pleine parade d’amour ! Bon, je me pique au jeu :
- Je veux voir ça !
Phil.
Tout seul, et avec son p’tit bouquet, l’avait l’air d’un... (air connu !) Une heure de gloire comme celle-là, les filles, on n’en a qu’une dans sa vie, et encore, si on a de la chance ! Et je n’en ai même pas profité tellement j’étais... à la fois agacée et émue. Rien n’était simple et discret avec lui. Mes potes en sont restées comme deux ronds de flan !
- C’est rien, c’est un pote. Un emmerdeur !
- Un emmerdeur !! (les deux encore !) Mais il a l’air d’un dieu grec !
- Et ben c’est un dieu grec emmerdeur !
- Tu ne peux pas le laisser là !
- Mais si ! Tu vas voir... Et je commence à décrocher des cintres. Mais les voilà qui me harcèlent, pire qu’un clébard qu’a flairé une pisse.
- Ça fait deux jours qu’il est là !
- C’est qu’il n’a pas gaffé mes jours de congé; maintenant, il sait !
- Milou ! Tu es une copine, et tu as des devoirs en tant que telle. On rêve toutes d’un mec comme celui-là. Au nom de toutes les filles qui attendent le prince charmant, tu dois te dévouer et y aller !
- Vous me cassez les pieds avec vos hormones en ébullition ! Il est ni prince, ni charmant. C’est un casse-pieds, beau peut-être...
- Peut-être !!!!
- Bon. Sûrement; mais il est invivable, croyez-moi !
Mais elles me poussent vers la porte vitrée et dès qu’on est à vue, elles me lâchent en continuant à m’encourager à avancer de leurs doigts fé-briles comme si je faisais mon premier vol du haut de mon baobab.
Je m’approche de Phil en sentant fondre toute idée d’agressivité à chaque pas, tant il était pitoyable. Je regarde le morceau de sandwich qui dépasse de sa poche :
- Tu m’en offres un bout ?
- Je t’emmène...
- Nulle part ! Je t’accorde juste un sandwich dans le petit parc à côté.
- D’accord.
Tandis qu’on marchait vers le square, je sentais le regard de mes copines me griller les omoplates ! On a déjeuné en silence. Moi, j’avais envie de parler, mais je ne sentais que des reproches me venir à la bouche et je n’avais pas envie. C’est moi que ça allait miner. Il s’est enfin décidé.
- Je voudrais... j’aimerais juste être ton ami.
- ...
- S’il te plaît !
- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi moi ? Je ne suis visiblement pas de ton air. On n’a rien en commun. Pourquoi tu t’accroches comme ça ?
- Parce que... je ne sais pas ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi !
- Moi non plus ! Mais je ne le regrette pas beaucoup...
- C’est méchant ce que tu dis.
- Je suis méchante.
- Non, ce n’est pas vrai. Tu es douce, forte et fragile à la fois...
Je le regardais comme s’il s’était changé en la bonne soeur dans la Mélodie du Bonheur !
- Je dois deviner le titre de la série ? L’année du tournage ?
- Mais non ! Tu as raison, je suis stupide. Je n’ai plus aucune chance pour que tu acceptes de sortir avec moi ce soir...
- Sortir ? Il a balbutié en rougissant :
- En ami, bien sûr. Je sais que c’est après-demain Noël, tu as peut-être quelque chose de prévu ? Des courses à faire ?
- Je n’avais rien. Mon aide-soignante était de garde, et les autres... y’avait pas d’autres !
- Bon d’accord. Mais pas de Palais des Congrès, hein ?
- Oui, oui ! Promis !
Il était si heureux que j’ai eu honte de moi.
Le soir, il s’est pointé à la boutique et il m’a emmené à la mer. En camion ! Qu’est-ce que j’ai ri ! Et lui, il était mort de honte.
- Je savais que je ne devais pas le faire. C’est nul !
- Non, c’est génial !
- Je fais comme tu m’as dit ! Je te fais plaisir, mais j’ai une livraison à faire. Tu vois... c’est mon boulot.
- Et c’est ton camion ?
- Oui, entre autres. J’en ai plusieurs.
- Fantastique !
- Tu es vraiment... spéciale, tu sais ?
J’étais comme une gosse au manège. Le camion était énorme. On a roulé, roulé, la nuit est tombée et on s’est arrêté dans un routier. Phil disait bonjour à beaucoup de monde. Des gens simples et souriants qui essuyaient leur couteau dans la miche de pain et qui riaient en buvant du gros qui tache. Je me sentais revivre. Il y avait un vieux juke-box et un flipper, on s’est ruiné dans les deux ! Les patrons ont offert une tournée de champagne, tout le monde s’est souhaité “joyeux Noël”, de bonnes livraisons, une route sûre, enfin que des choses auxquelles on ne penserait pas ailleurs. Et on est reparti. La cabine était constellée de petites loupiotes, de cadrans éclairés, je détaillais tout, il y avait la radio en sourdine, l’odeur de la nuit. Je me suis endormie.
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Message  Invité Jeu 23 Avr 2009 - 16:56

C'est toujours intéressant et enlevé mais à mon avis, dans le chapitre 16, la description de la manière dont s'y est pris Phil pour retrouver la trace de la narratrice traîne en longueur. Elle n'est pas très convaincante de toute manière (le gars qui traîne dans l'hôpital, qui restreint peu à peu ses recherches, qui finalement entre par effraction, aucun détail n'est vraiment donné), se révèle pour moi vague et ennuyeuse, brise le rythme du récit.

Sinon, le reste tient bien la route pour moi...

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Message  ptipimous Jeu 23 Avr 2009 - 16:58

19

Quand j’ai ouvert les yeux, il y avait l’océan devant moi. À perte de vue. Et ce bruit, ce tonnerre à chaque vague, comme les jours d’orage, on l’entend venir, ça grogne de plus en plus fort, ça vous enveloppe... mais avec la mer, ça s’éteint en douceur et ça recommence, si régulièrement... Ça m’a fait penser à mon coeur.
Je suis sortie de la cabine, j’ai marché dans le sable, j’ai écarté les bras et je suis tombée ! J’ai cru que j’allais mourir. C’était si grand, si fort. Le bruit et le silence, le sable et le vent, tout les éléments rentraient si fort en moi... Le soleil du matin caressait le sable, faisait des petits creux d’ombre. Quand je tournais la tête de quelques centimètres, c’est tout le paysage qui changeait, comme un trompe l’oeil. Tout était si propre, on aurait dit qu’un cataclysme avait tout rincé, le ciel était d’ambre chaud, limpide. J’étais Noé quand il a émergé de son arche. J’avais lâché les mouettes qui marchaient autour de moi en se dandinant de façon assez grotesque et j’ai ri aux petits nuages si hauts, comme des avions qui passent. Je voulais vivre là, rester là à ne rien faire, juste à regarder et à me laisser remplir, je voulais rentrer dans le paysage, en faire partie définitivement. Comme le rocher noyé deux fois par jour, le petit crabe qui ne fait qu’effleurer le sable de ses petites pattes actives ou ce bout de digue à moitié effondrée.
Philéas est arrivé avec du café et des croissants. (Quel magicien celui-là quand il s’y met !) On s’est assis dans le sable et on a déjeuné. Il a juste dit :
“Alors, qu’est-ce que tu en penses ?” Comme si je devais approuver le papier peint qu’il venait de poser dans la chambre !
- Je ne peux pas penser ! Je suis trop petite ! Je veux juste... être là, toujours !
- Si tu veux, je te laisse là, je vais livrer la cargaison et je reviens te chercher.
- Non. Je veux venir avec toi. C’est nous les Léon dans leur gros camion, tu te souviens ?
- D’accord !
Il m’a souri et j’ai ressenti un petit saut dans mon estomac. Mais c’est le croissant, on le sait ! Avec le café, ça donne des aigreurs !
Pendant qu’on déchargeait, j’ai appelé la boutique. Phil m’avait conseillé de ne pas dire la vérité. Mais j’avais confiance en ma patronne. Elle allait capter. Et bien non. J’ai eu un savon comme un savon, avec tous les mots blessants qui vont avec, du genre “moi qui te faisais confiance...” Elle n’a rien voulu savoir. J’étais virée et elle m’a raccroché au nez. Devant ma tête, Phil m’a entouré les épaules de son bras.
- Tu avais raison. J’aurais dû mentir, mais je trouve moche de jouer sur mes problèmes de santé.
- Tout est de ma faute, j’ai agi comme un égoïste. Je n’ai pensé qu’à moi. J’irai la voir et je lui expliquerai tout.
J’agitais la tête comme une enfant punie :
- C’est la plus belle journée de toute ma vie, tu sais ? Et elle ne t’écoutera pas.
- Je la ficellerai sur une chaise pour ne pas qu’elle bouge ! Je la ferai revenir sur sa décision, ne t’en fais pas !
- Je m’en ne fais pas. C’est juste que... non rien !
On est rentré tout de suite et on l’a cueillie juste avant la fermeture. J’étais requinquée par la mer, cette petite excursion m’avait changé les idées. Alors je l’ai attaquée frontal. J’ai tout déballé, l’océan, la surprise, et moi qui voulais vraiment jouer la carte de la franchise. C’était si facile de pipeauter, de dire que je n’étais pas bien. Mais je la considérais comme une amie, je ne voulais pas tricher. Bien sûr j’étais en faute, mais j’étais certaine qu’elle aurait compris.
Elle m’a écouté les bras croisés dans son fauteuil, vraiment furieuse. À la fin j’étais hors d’haleine et je n’avais pas réussi. Elle n’avait pas moufté. Je m’apprêtais à sortir, l’épaule basse, quand elle m’a rappelée.
C’était son tour et qu’est-ce que j’ai pris ! J’ai eu un cours entier sur le fonctionnement d’un magasin, les charges, les déclarations, les impôts, le stock et que sais-je encore. Ouf ! En fait, elle voulait me faire comprendre mes responsabilités à moi quand elle prenait les siennes. J’avais honte. Elle avait raison sur toute la ligne. Quand elle s’est arrêtée, j’ai soupiré :
- J’ai compris. Je ne le ferai plus. Excusez-moi de vous avoir déçue... au revoir.
Je n’osais même pas lui tendre la main. J’avais envie de pleurer et je me retenais de toutes mes forces.
- Je t’attends après-demain, à l’heure. Et tu as intérêt à faire profil bas pendant quelque temps. Tu as une sacrée chance que ce soit Noël !
Je n’ai rien pu dire. J’ai bredouillé, Phil m’a pris la main et on est parti.
- Je te ramène. Tu t’es magnifiquement débrouillée !
Il était sincère, il y avait une vraie admiration dans ses yeux. Ça m’a fait un bien... Décidément, cette journée était parfaite !

20

Du côté de Phil, ce n’était pas toujours du billard non plus. Non seulement, il devait faire face à une situation top délire, qu’il avait lui- même provoquée et qui lui échappait complètement mais en plus, il devait continuer à sauver les meubles pour les autres. Il ne voulait vivre que dans son trip et le souvenir qu’il avait de Lou. Mais il y avait moi au milieu, qui trônais comme un gros parasite ignorant. Si les circonstances n’avaient pas été si tragiques, l’affaire aurait été carrément hilarante. Le pauvre Philéas n’avançait dans ses chimères que par quiproquos tout en continuant à mener sa vie de chef d’entreprise et de futur-ex-gendre, avec repas familial, où la conversation roulait bon train sur... rien ! Puisqu’il ne racontait rien ! On voit l’ambiance ! Et la cerise sur le gâteau : Anaïs qui n’avait pas lâché prise, elle. Tu penses, elle y croyait à sa chance. Et vas-y le bigorneau, que je passe au boulot, que je t’invite à déjeuner ou à dîner.
Et lui se débattait dans du n’importe quoi. Anaïs, c’était un terrain connu, plus dans son milieu. Comme ils se connaissaient depuis longtemps, il n’était plus nécessaire de dire certaines choses. La belle aurait pu être un bon dérivatif et une vraie récré pour Phil si elle n’avait pas été si collante, exigeante, bourgeoise et sûre de son fait. Avec plus de patience et de légèreté, elle l’aurait eu.
Comme Phil lui était redevable, qu’il voulait la ménager et qu’en plus, il ne souhaitait pas qu’elle fourre son nez trop profondément dans ses affaires, il la voyait quand il pouvait. Dire que c’était un sacrifice serait charrié. Phil aimait bien son ex belle-soeur, elle lui rappelait Lou, (plus que moi, ça c’est sûr !) et il avait des conversation avec elle qu’il ne pouvait pas avoir avec moi. Enfin, pas encore. Bref, il y allait toujours à reculons et pourtant, à chaque fois, il passait un bon moment. Et elle, femelle comme elle est, elle marquait des points, à chaque visite. Le rentre-dedans qu’elle a dû lui faire, j’ose même pas y penser !
Mais les mecs, quand ils ne veulent pas voir... tu peux y aller !
Phil avait fait un peu de rangement dans son appart’ et il ne chougnait presque plus. Mais parfois en cherchant quelque chose, il tombait sur un objet qui lui rappelait des trucs, ou sur un tissu soyeux d’où s’échappait encore le parfum à images. Cela fonctionnait comme un coup de pied mis en plein dans le petit édifice fragile qu’il bâtissait tous les jours. Après tout, même si le plus gros n’était qu’un leurre, cela lui permettait de survivre, ce n’était pas si mal. Alors il fléchissait mais comme le roseau, il remontait la tête et repartait.
Anaïs venait le chercher dès qu’elle pouvait et si possible, elle tentait l’incruste dans l’appart. Elle pensait que son physique allait bien avec le décor. Et comme elle avait raison ! De temps en temps, Philéas se faisait avoir, d’autant plus facilement qu’il ne demandait que ça. Il s’arrêtait sur la silhouette immobile devant la fenêtre, le palpitant battant et les mains tremblantes. Anaïs est tout sauf idiote. Elle avait ferré le poisson, sa ligne était tendue à bloc et au moindre faux coup de poignet, elle casserait. Quelque part, elle aussi jouait le leurre.
Voilà, voilà, voilà ! De fil en aiguille, en sachant que TOUS les mecs sans aucune exception sont comme tous les poissons de l’univers : ils peuvent ignorer une mouche, deux cuillères, mais la troisième, la quatrième voir la trentième, c’est la bonne. Il suffit d’être persévérant. Et souvent, les bonnes femmes le sont. En tout cas, Anaïs l’est, vous pouvez me croire ! Quand elle a une idée derrière la tête, celle-là... elle l’a partout ailleurs aussi !
Bon. Je ne dis pas qu’elle avait tous les torts, hein ? Les galipettes, faut être deux au minimum. Une soirée qui traîne, un film rigolo, un bon dîner, l’ambiance qui s’installe, la détente qui montre son nez... Anaïs est belle, sophistiquée et parfumée. Phil est fatigué et seul, très seul depuis presque six mois.
Elle a dû se demander longtemps : “voyons, chez lui ? Il ne pourra jamais, à moins qu’on évite la chambre à coucher et le pageot. Le problème, c’est que Lou est partout dans l’appartement. Est-ce qu’il arrivera à la zapper ? Et chez moi ? Plus dur, parce que là, pas de Lou donc peu de possibilité qu’il me confonde avec elle...” C’est Cornélien, quel dilemme ! Comme elle a dû souffrir ! La connaissant, je suis sûre qu’elle avait déjà tissé un semblant de toile, le soir fatidique.
Et il a plongé, l’homme !
Le lendemain, il s’est réveillé avant elle, et il s’est sauvé comme un voleur en lui laissant un petit mot du genre “qui s’excuse !” Anaïs n’a pas vraiment compris. Pour elle, l’affaire était dans le sac. Y’avait plus qu’à. Elle a donc continué à le harceler, genre guerre à la rose !
Mais pour Phil, le réveil a été douloureux. Non seulement, il avait mal aux cheveux... mais ce n’était pas le pire. Le pire, c’était le mal à l’âme, le mépris qu’il avait pour lui-même. Il se faisait gerber. Avant de se jeter sous le métro, il a réfléchi. Bon, il avait craqué. Et maintenant ? Continuer à chercher Lou, ou céder à la facilité et voir Anaïs ? Et dis-moi grand crétin, tu l’aimes Anaïs ? Est-ce qu’au moins, tu aurais la plus petite ébauche d’un battement de coeur pour elle ? Bien sûr que non ! Lou, Anaïs - Anaïs, Lou. Cela devenait un enfer ! Le bonhomme était coulé avec toutes ces bonnes femmes. D’autant qu’il y en avait une troisième. Il n’en était pas encore vraiment conscient, mais il y avait un point. Tu sais que toute chose commence par un point ? Un point dans l’espace, dans quelque chose. Une fleur, c’est une graine : un point. Une ligne, c’est un point qui s’étire. Un enfant, c’est une cellule, un point. Et une émotion, c’est un tout petit point dans le coeur ou dans le bide, qui grandit à l’infini. Et le point en question, c’était moi, pauvre innocente !
Donc, il n’arrivait pas à se décider. Alors comme tous les mecs, il a fui. Il bossait, il me voyait et il voyait Anaïs. C’est encore elle qui était le plus difficile à gérer. Il ne voulait pas la blesser, mais quand elle tapait l’incruste avec sa brosse à dents, il avait une envie, genre celle du chocolat de la pub : énorme !, de la jeter par la fenêtre. La future belle-soeur mangeait à cette époque, son pain blanc.

Pendant ce temps, nous, c’était pas la fête ! Soit Philéas était si tendu qu’on gardait une concentration de tous les diables pour ne pas s’engueuler, soit il était complètement déprimé et j’avais beaucoup de mal à lui maintenir la tête hors de l’eau. Ce n’était pas bourrelé de remords qu’il était. Plutôt gondolé grand style ! Il faisait ce qu’il pouvait pour parvenir à gérer sa double vie, mais sans grand succès. Il était maladroit et moi, peu patiente ! Cela donnait un cocktail assez explosif !
Un après-midi, alors qu’on traversait le jardin des Tuileries, on passe devant un loueur de biclous. Le voilà qui commence à sauter partout :
- Oh ! Super, viens, on va louer des vélos et on va faire la course !
J’étais très, très peu enthousiaste ! Et il continue :
- Allez... Allez !
- Ça va pas être drôle.
- Mais si ! Je t’assure ! Tiens, je te laisse dix mètres d’avance.
- Tu peux bien m’en laisser cent. Je ne sais pas en faire.
Son air idiot et stupéfait m’a mise au comble de la gonflerie ! Et il en rajoute en haussant les épaules :
- Non ! Je ne te crois pas ! Tu dis ça pour te défiler ! Ce n’est pas pos-sible, TOUT LE MONDE sait faire du vélo !
Tu vois bien la scène ? Et tu me connais maintenant ! Je n’ai pas crié, je ne pouvais pas tellement j’étais énervée !
- Qui t’a appris à faire du vélo ? Vas-y, dis-le moi...
- Mon père.
- J’ai pas de père. OK ? Et pendant qu’on y est, évitons-nous un autre futur épisode pénible : je ne sais pas nager non plus. Je ne suis pas allée à l’école suffisamment longtemps pour fréquenter une piscine. J’ai dû y aller deux fois, et avant que tu m’y emmènes, j’avais jamais vu la mer.
- Excuse-moi...
Je montais le ton de phrase en phrase, j’essayais de me contenir, mais c’était comme une immense nausée : tu ouvres la bouche et tout sort, tu ne peux rien contrôler, même pas la direction où ça part; ma colère allait passer à travers moi comme le monstre d’Alien. Une rage si puissante, si ancienne, contre ma solitude, l’absence de ma famille, cette bataille continuelle pour juste survivre. Et le pauvre ouvrait des yeux ronds. Il avait ouvert LA porte qu’il ne fallait pas, et maintenant, il fallait laisser passer l’orage.
- Je veux bien excuser tes maladresses mais pas ta bêtise ! Moi je ne sais pas faire grand chose, mais toi ? Tu sais ce que c’est une thrombose ? Un collapsus ? Adams Stokes ou Bouveret ? La différence entre une artériosclérose et une athérosclérose ?
- Non, me dit-il penaud, la tête dans les épaules.
- Voilà, parce que ça, c’est ma vie. On ne peut pas à la fois être sur un vélo et se faire enlever le coeur. Y’a des fois où faut dormir !
Il a ri et j’ai cru que j’allais le gifler.
- C’est une idée ou tu te fous de ma gueule en plus ?
Il a loué un vélo. Un seul. Il m’a collée dessus et vas-y que je te pousse en hurlant, hors d’haleine à force de courir : “pédale, mais PEDALE !”. Et bing ! Et plaf ! Il a fallu que je reste assise par terre après ma quarantième gamelle, je me frottais le coude en grinçant des dents, pour qu’il lâche prise. Il était vautré dans la boue lui-même, à quelques mètres de moi, après une retentissante pelle gagnée en me poussant ! La scène était assez... grave ! Le mec m’a rejointe, s’est accroupi près de moi et m’a caressée la joue, y a enlevée une feuille collée.
- C’était presque ça ! La prochaine fois, tu pédaleras comme une championne. Bon... on va à la piscine ?
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Message  Invité Jeu 23 Avr 2009 - 17:31

Pour moi, la scène avec la patronne parasite le récit...

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Message  Invité Jeu 23 Avr 2009 - 20:14

Demain ou pendant le ouiquande...

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Message  Invité Ven 24 Avr 2009 - 14:20

J'aime bien la façon dont évolue la relation avec Phil et j'ai particulièrement goûté la scène du vélo ; moins - beaucoup moins celle avec la boss de la boutique ; j'ai envie de dire : on s'en tape ! A moins que ce ne soit utile pour la suite ?

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Message  ptipimous Ven 24 Avr 2009 - 17:28

La scène avec la patronne n'a d'autre importance que de donner des éléments sur les relations que développe Milou et surtout, cela fait partie des éléments qui la construisent aux yeux de Phil.
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Message  ptipimous Ven 24 Avr 2009 - 17:29

On y voit aussi qu'elle est encore maladroite dans une société qu'elle n'a pas l'habitude de fréquenter de cette manière là. Mais elle a le désir d'apprendre et c'est ça qui touche finalement sa patronne.
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Message  Invité Ven 24 Avr 2009 - 19:04

Ok. Message reçu. Merci boss :-)

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Message  Sahkti Lun 25 Mai 2009 - 15:44

Mieux vaut tard que jamais pour lire et commenter les suites :-)

Un récit qui a pris du corps, qui prend le temps (parfois un peu trop) de poser éléments du décor et personnages. Attention toutefois à ne pas trop t'égarer dans les détails et les digressions, car tu déforces certaines parties du récit et ça sonne par moments bavard, très.
Sinon, que dire... que je vais lire le n° 5 :-)
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