Absorption

[slave1802]

Ce ne fut d'abord que de vagues taches noires sur les murs. Mais ces taches là l'inquiétèrent beaucoup. On ne pouvait les décramponner des parois. Même l'essence et le white spirite restaient sans effet sur elles. Ces taches provenaient de nulle part. Un matin elles étaient là. Cinq taches noires et informes. Regroupées sur un seul des murs blancs de la cuisine.

Depuis huit jours elles lui tenaient tête. L'homme avait de vieux restes de formation scientifique et ces taches insolubles et jaillies de nulle part l'intriguaient profondément. Son esprit logique recherchait une explication physique à cette soudaine apparition. Mais les taches restaient là, immobiles, imperturbables aux nombreux traitements qu'on leur faisait subir. Depuis dix jours elles restaient là. Elles demeuraient fixes sans vie apparente.


Au matin du onzième jour, en entrant dans sa cuisine, l'homme eut une désagréable surprise. La pièce entière était recouverte de taches noires qui glissaient sur les murs et se déplaçaient en tout sens dans un ballet infernal, comme autant d'éclairs noirs sur la blancheur des cloisons.

L'homme, livide, referma la porte de sa cuisine. Il cala une chaise sous la poignée et s'enfuit dans le salon où il s'écroula sur son canapé. Il fut pris de tremblement irrésistible. Une sueur glacée coulait dans son dos. Il avait peur. Vraiment peur. Que se passait-il dans sa cuisine ? Quelles forces mystérieuses s'y déchaînaient ? Comment en plein vingtième et unième siècle, une chose pareille pouvait se produire ? Pourquoi chez lui, dans cette ferme perdue au fin fond de l'Ardèche ? Et puis comment ces taches faisaient pour se déplacer ? De quelle substance étaient-elles faites ? Quelle monstrueuse vie palpitait en elles ?

Pour échapper à son angoisse, il prit ses clés, sortit, monta à bord de sa voiture et démarra en trombe. Il ne revint qu'à la nuit tombée, persuadé au bout d'une journée en plein air d'avoir rêvé.

Il ouvrit quand même lentement la porte de sa cuisine. Sans franchir le seuil, il tendit le bras vers l'interrupteur et alluma.

Plus aucune taches sur les murs. Plus rien. Juste une cuisine aux murs blancs immaculés. Il se dirigea vers l'évier et se fit couler un verre d'eau qu'il but d'un trait. Il quitta la pièce et monta se coucher. Réfugié sous les couvertures de laine, il était de plus en plus persuadé d'avoir rêvé. Il se détendit de plus en plus et se décida à éteindre la lampe. Comme la lumière disparaissait, il lui sembla apercevoir du coin de l'œil un éclair noir. Sa chambre fut plongée dans l'obscurité totale et l'homme commença à s'endormir. Mais bientôt des bruits étranges se glissèrent jusqu'à son oreille. Des frôlements, le son de quelque chose en train de ramper en bas. Le grincement caractéristique de l'escalier de bois. Un raclement sur le parquet du couloir. Le grincement de la porte. Quoi que se soit, c'était en train de pénétrer dans la chambre.

L'homme étendu était maintenant entouré de murmures, de bruissements, de frôlements, de craquements, de grincements. L'homme terrorisé osa quand même rallumer. Le silence retomba aussitôt. Il ne vit rien d'anormal a part l'impression d'avoir vu une tache noire se glisser sous la porte à l'extrême limite de son champ de vision. L'homme restait longtemps immobile, tentant de calmer les battements de son cœur dans sa poitrine. Ses oreilles résonnaient encore de ces bruits étranges. Peu à peu, il se calma. La lumière était là, rassurante, chaude et protectrice. Cette présence artificielle le réconforta. Elle le préservait des choses qui étaient peut être tapies dans l'escalier. Lentement les minutes s'écoulaient sans que rien ne se produise. Juste le silence assourdissant d'une nuit ardéchoise. L'homme s'engourdissait de nouveau. Ses paupières se faisaient de plus en plus lourdes. Le sommeil l'entraînait vers la nuit.

Provenant du couloir les bruits choisirent cet instant pour recommencer. Embusquées derrière la porte, les choses trépignaient sur place. Le bruit enfla, la porte trembla. Soudain une ombre furtive se glissa sous la porte et disparut sous le lit. Ce ne fut qu'un éclair noir sur le plancher. Il fut rapidement suivi par d'autres. Un véritable orage sur le sol de la chambre. Soudain une ombre se glissa de sous le lit et s'immobilisa sur un mur. Une tache noire le narguait. Une autre suivit, puis dix, puis cent. La lumière baissait graduellement. Les murs, les fenêtres, les meubles, le plafond, le parterre. Tout disparaissait peu à peu comme englouti par les taches noires.

L'homme restait cloué dans son lit. Il voulait hurler mais aucun son ne s'échappa de sa bouche grande ouverte. Il voulait se lever pour s'enfuir loin de ce cauchemar mais ses membres refusaient de lui obéir. Il gisait sur sa couche, totalement paralysé.

La chambre n'était plus que noirceur. Seul subsistait le lit dans cet océan d'obscurité. Le temps suspendit son vol et l'espace de quelques minutes plus rien ne bougea, plus aucun son, plus rien. Puis une tache noire se forma lentement sur le couvre lit, bientôt imitée par des centaines d'autres. Elles se touchèrent, s'amalgamèrent. Elles se regroupèrent jusqu'à former une entité unique qui enflait et grossissait. L'ectoplasme noir ainsi crée se dressa au-dessus de l'homme tétanisé. Il resta ainsi surplombant sa victime quelques secondes puis s'abattit sur l'homme en un accouplement hybride et sauvage. Peu à peu la substance même du corps de l'homme sembla se diluer dans la masse sombre.

Plus tard il se retrouva tache noire parmi les taches noires, se déplaçant la nuit venue, mu par un mystérieux instinct. La noirceur l'avait absorbé.

[Invité]

Un cauchemar sympa (enfin, si j'ose dire), mais la chute est vraiment téléphonée ; on sait presque d'emblée, pour peu qu'on ait lu du fantastique, et avec ce titre, que le gars va se faire manger par les taches. Du coup, le ton dramatique de la fin ne sert pas à grand-chose à mon avis... Quelque chose de plus léger, voire sardoniqe, serait bienvenu selon moi.

[mentor]

une sacrée imagination en tout cas ! bravo
et même si c'est une ambiance morbide et sombre, ça m'a bien accroché

[Romane]

Autant j'ai aimé le texte, autant je n'ai pas aimé la chute. Un peu comme si elle avait été jetée à la hâte pour conclure, ou quelque chose comme ça. Dommage, parce que tout le reste est noir à souhait, si je puis dire.

[Sahkti]

La chute est attendue, beaucoup trop, et je me demande si cette impression n'est pas renforcée par l'intensité dramatique, forcée, que tu déploies du début à la fin, allant crescendo, avec le risque que cela comporte d'ensuite décevoir.

A part cela (qui n'est certes pas rien), j'ai bien aimé cette idée, déjà vue mais toujours plaisante. Je pense que tu pourrais améliorer ton texte en utilisant ce ton dramatique croissant pour autre chose qu'amener la chute; par exemple pour permettre au lecteur d'entrer dans la peau du personnage ou mieux, des taches, d'un mur, d'une porte. Bref, employer une vision moins téléphonée et plus surprenante. Cela rendrait peut-être, aussi, inutile le besoin de trouver une chute à tout prix.

[Invité]

J'aime vraiment lire cette écriture, très équilibrée. Son rythme est plaisant.
Un de ceux que l'on peut lire sans fatiguer. Je vous encourage à écrire un roman.

[Invité]

Un remake de Gremlins ?
J'ai bien aimé la tension croissante de ce texte, même si on se doute bien que les taches ont disparu pour mieux revenir. Une écriture simple, limpide, sans effets de manche. Oui.

[boc21fr]

Bon alors première erreur, la pire :
Le choix du narrateur extérieur...
Si tu veux faire flipper, réecrit tout comme si tu écrivais le journal intime du personnage, à la première personne...
Là oui, ce sera encore plus "classique" et "convenu", mais cela sera bien plus flippant !

seconde erreur, au début, "décramponner" une tache...ça ne va pas non ?!

quand à la suite...une fois réecrite à la première personne...
Je crois que ce sera vraiment bon !

[boc21fr]

Je n'ai pas modifié grand chose, mais d'un coup je trouve cela plus flippant




"Je n’ai d’abord vu que quelques vagues taches noirâtres sur mes murs. Mais ces taches là, inexplicablement, m’inquiétèrent beaucoup. Savon, essence, white spirit restaient sans effet : impossible de les effacer, détacher, arracher ou même bruler.
Elles semblaient ne provenir de nulle part : Un matin, je les ai trouvées là, regroupées sur un seul des murs blancs de la cuisine, cinq taches noires et informes.

Huit jours maintenant qu’elles me tiennent tête. Ces taches insolubles et indissolvables, jaillies du néant me sont une énigme intrigante, un défi lancé à mes vieux restes de formation scientifique.
Il peut, il doit y avoir une explication physique à leur présence qui puisse satisfaire la logique.

Dix jours qu’elles sont là, immobiles, imperturbables, fixes et sans vie : aucun des traitements que je leur ai fait subir n’a eu le moindre effet.

Onzième jour. En entrant dans ma cuisine, désagréable surprise, la pièce… la pièce entière était recouverte de taches noires qui glissaient sur les murs et se déplaçaient en tout sens dans un ballet infernal, comme autant d'éclairs noirs sur la blancheur des cloisons.
La peur me fit refermer la porte de la cuisine, caler une chaise sous la poignée, m’enfuir dans le salon avant de m’écrouler sur le canapé. Mon corps était parcouru de tremblements incontrôlables et je sentais une sueur glacée couler dans mon dos. Peur, j’avais peur. Vraiment peur. Pourquoi ? Comment ? Dans ma cuisine ? Que se passait-il dans ma cuisine ? Quelles forces mystérieuses ? Comment, en plein vingtième et unième siècle, une chose pareille pouvait-elle se produire ? Pourquoi chez moi, dans cette ferme perdue au fin fond de l'Ardèche ? Et puis comment ces taches faisaient-elles pour se déplacer ? De quelle substance étaient-elles faites ? Quelle monstrueuse vie palpitait en elles ?

Lorsque c’en fut trop pour mon esprit, je pris les clefs, suis sorti, pris ma voiture et démarré en trombe. Oublier, partir, fuir. Je suis revenu pourtant, tard, la nuit tombée, persuadé que tout ceci n’était qu’un rêve, un fantasme, une hallucination peut-être…

Je n’ai pourtant ouvert la porte de ma cuisine que lentement, prudemment. Sans oser en franchir le seuil, j’ai tendu le bras vers l’interrupteur et j’ai allumé…"

Ben oui j'ai pas tout mofifié non plus !

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