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L'expérience inattendue

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Message  Romane Dim 26 Avr 2009 - 18:28

Tandis que je me préparais à relever une sorte de défi en racontant une histoire dont le thème était "le confetti" sans parler de sa forme ni de sa couleur, je me suis retrouvée confrontée à une drôle d'expérience que je vous livre ici en trois volets.

Premier volet : j'ai dans la tête l'histoire, son personnage, et la fin que je souhaite porteuse et ouverte.
C'était sans compter sur l'intempestive réaction du personnage, qui, au virage d'un paragraphe, a décidé l'inverse de ce que j'avais prévu en matière de chute.


* * *

Le confetti

Elle le tenait entre ses doigts, aussi fin que s’il n’existait pas, aussi inconsistant que s’il n’avait jamais été fabriqué par une machine dont elle ignorait tout et dont elle se demandait en ce moment même qui avait eu l’idée étrange de l’inventer, et pour quoi faire, si ce n’est dans un esprit festif à faire pleuvoir une pluie multicolore quelque part sur des têtes inconnues, sur des trottoirs et des ruelles ou des places immenses prêtes à se laisser tapisser d’une neige de papier. Elle aurait voulu remonter le temps et comprendre depuis quand était né le premier, elle qui tenait entre ses doigts le Xième anonyme.

Elle qui le tenait ainsi précautionneusement, comme s’il s’agissait du trésor le plus fou, le plus coûteux, le plus précieux au monde. Elle qui le tenait sans le voir. A peine la sensation bizarre de ne plus sentir d’un doigt à l’autre la fine rugosité presque imperceptible de ses empreintes, sillons de peau qui faisait d’elle qu’elle était unique au monde, comme cet infime petit bout de papier parmi tous les autres, désolidarisé comme elle, orphelin de sa famille entière, détaché un jour du tronc d’un arbre dont personne ne parlerait plus jamais. Avait-on au moins parlé de lui une fois ? Peut-être quand la scie avait entamé sa chair d’écorce et de sève…

Ses yeux ne pouvaient pas le regarder. Il lui fallait toute l’attention, toute la concentration possible et même au-delà, pour le sentir entre ses doigts. Aveugle dans son caisson d’obscurité, elle ne pouvait se fier qu’aux signes que lui indiquaient ses doigts, dans leur toucher sensible et à peine effleurant qu’entrecoupaient une pression quasi sauvage, un peu comme si elle s’agrippait à la vie, la vie retenue dans ce confetti dont elle ignorait tout, sauf qu’il était là, entre son pouce et son index.

L’absence du monde à proximité, l’absence au point de penser qu’elle était l’oubliée de ce monde, celle dont on ne savait plus rien, à laquelle personne ne songeait, l’absence lui rendait plus précieux encore ce minuscule rond de forêt coincé entre deux tranches de peau, au bout de ses doigts. Alors elle le caressait furtivement, par un mouvement circulaire à peine ébauché, la crainte de le perdre accrochée à son souffle court. Ne pas le lâcher, ne pas « ne pas » le sentir glisser ni s’envoler en chute silencieuse vers le noir plus profond de là où l’on ne sait pas assez faire fonctionner la sensibilité des doigts pour ne plus le confondre avec la pierre du sol, trop vaste et trop âpre pour en déceler un minuscule confetti.

Elle se disait qu’elle tenait ainsi le symbole du livre, la goutte de l’expression écrite. Combien de lettres pourrait-elle former sur une aussi petite surface ? L’encre serait-elle absorbée ? Le traçage serait-il rugueux ou lisse ? Combien de mots pourrait-on confiner sur la surface réduite d’un confetti, un, rien qu’un, un tout seul, un rescapé des égouts ? Pourrait-on écrire une vie ? Un fragment ? Lequel ? Un mot ? De quel message pourrait-elle l’investir pour qu’il soit à la fois entier et consistant, pour qu’il veuille tout dire dans l’économie du verbe ? Elle prenait conscience de l’exiguïté et de ce fait, de la préciosité de cet infime support fait d’un mauvais papier à fête. Comment pourrait-elle parvenir à lui redonner ses lettres de noblesse, à faire de lui ce qu’elle aurait voulu faire d’elle parmi l’univers ; exister…
Elle avait d’abord tenté de le respirer. Qu’au moins cet étrange cadeau trouvé par hasard sans qu’elle se souvienne comment ni quand puisse lui apporter sans qu’il lui soit besoin de fermer les yeux l’odeur de la forêt, celle de la terre en automne ou n’importe quelle autre saison pourvu que la pluie vienne de cesser et qu’il émane d’elle les senteurs vivifiantes et bouleversantes de la renaissance. Elle aurait aimé déceler la proximité des fougères, des cèpes, même des champignons vénéneux qu’elle imaginait avoir vécu contre le confetti dans sa vie d’avant. Elle avait tenté. En vain. Alors elle s’était dit que son désir l’induisait en erreur et qu’il valait mieux espérer trouver l’odeur du papier. Elle avait rempli ses poumons en rêvant qu’ils trouveraient quelque part des effluves de librairies, peut-être l’indice d’un carnet vierge, n’importe quoi pouvant lui donner l’image du papier à noircir un jour, cette promesse sans peur du vide des mots ou de l’absence prolongée du verbe. En vain. Le confetti refusait de lui renvoyer autre chose que l’odeur de ses propres doigts, c’est-à-dire de la poussière de la pierre et de la fine transpiration qui les envahissait lorsqu’elle réclamait trop la vie et qu’elle persistait à ne pas venir.

Ses pensées s’étaient mises à affluer, à converger vers ce bout de rien qu’elle tenait entre ses doigts sans savoir faire autrement que de le garder ainsi, viscéralement primordial. Les murs autour d’elle n’y pouvaient rien, ils avaient brutalement perdu leur consistance, vaincus par un confetti. Dans sa tête, elle inventait un nouveau monde et ce nouveau monde tournait, tournoyait, virevoltait, s’envolutait et s’enivrait des émanations muettes d’un petit bout de papier innocent dont le hasard faisait qu’il était aujourd’hui prisonnier entre les doigts d’une prisonnière.

Elle s’était dit qu’ils étaient du même bord, tous les deux. Lui et elle, réunis en cet instant. Par l’imbécilité humaine et la loi du plus fort contre la vulnérabilité des plus faibles. Elle s’était dit que rien, à l’origine, ne les prédestinait à faire cachot commun. Un soupir fait de compassion, de tristesse désabusée, d’impuissance, d’incompréhension, de reconnaissance, enfin tout ça à la fois, l’avait submergée. Et puis elle avait écarquillé les yeux dans l’espoir de rencontrer du regard ce petit compagnon inattendu. Et puis elle n’avait rien vu. Et puis elle avait renoncé. Et puis elle avait appris à se laisser apprivoiser par le confetti. Alors elle ne s’était plus sentie seule.

Mentalement, elle l’avait couvert de mots. Une avalanche de mots plus percutants les uns que les autres, ceux qui alternaient avec la plainte douce qui lui montait du cœur parce qu’il y avait si longtemps qu’elle n’avait plus parlé à personne. Il y avait tant de mots qu’ils ne contiendraient jamais là où elle aurait voulu les tracer. Un confetti n’a qu’un recto-verso, il lui aurait fallu des arbres entiers de confettis, branches comprises, pour pouvoir déverser tout ce qu’elle avait à dire. A cette idée, elle avait presque suffoqué de manque d’oxygène, d’espace, elle qui ne voyait plus le ciel depuis si tant de temps. Mourir sous une pluie de confettis, quelle étrange fin, s’était-elle dit en chassant cette image folle de sa tête. Alors qu’un seul pouvait lui permettre de s’accrocher encore un peu, trouver l’envie. Même compressé en larme d’arbre, elle tenait l’arbre entier entre ses doigts. De l’arbre à la forêt, il n’y avait qu’un mot.

Lequel choisir.

Avec quelle plume, quelle encre, et puis quelle écriture économique pourrait tenir sur une aussi petite surface, quand on a tant de choses à dire ? Quels symboles compactés pourrait-elle utiliser, quelle formulation condensée pourrait-elle s’insérer et surtout, oui, surtout, qu’est-ce qui rendrait lisible son message ?

Elle avait soudainement pris conscience de la fragilité d’un confetti. On les prend d’ordinaire par poignées, on les jette avec désinvolture dans un gloussement malicieux et ils s’en vont là, au gré de l’air et du frisottement de son courant, et ils s’éparpillent et ils font joli. Ils font joli, voilà bien ce qui l’ennuyait, elle qui voulait surtout faire efficace en laissant une trace, un témoignage, l’ultime. Soudain, lui était apparue l’incongruité de ce que les hommes avaient fait de la vie ; il faut être visible pour exister. Tant qu’on est petit, on n’est que rien. Il faut faire du bruit, il faut parasiter le temps et l’espace, il faut marcher devant, haut et fier. Un confetti n’est qu’un rebut, un moment fugace, un pré-poubelle, un post-oublié. Un pas d’importance. Comme elle.

Prise à la gorge par l’angoisse du vide, elle s’était dit qu’après tout, la tranche du petit bout de papier sans visage pourrait aussi bien servir de guillotine. Que comme on lime avec patience et silencieusement les barreaux d’une prison, on pouvait tout aussi bien se trancher la gorge avec un couperet ridicule, en s’y prenant bien. Il était là, entre ses doigts, si fin, si fin… Oserait-elle ?

Mais c’est qu’elle tenait encore à la vie, autant que lui malgré son inertie. Elle s’était demandée s’il pouvait penser, si, quand on se transforme d’un état à un autre état, on perdait ou pas sa capacité de réfléchir, de ressentir, d’aimer ou de détester, de vouloir ou de refuser. La question de l’âme s’était mise à la tarauder. Est-ce que seuls les humains en étaient pourvus ? Après tout, son compagnon confetti pouvait peut-être traîner son âme quelque part ? Alors elle avait ouvert grand ses yeux, fouillant l’obscurité et cherchant à tout prix la fragile lueur d’une âme minuscule, aussi légère que le corps de papier qu’elle tenait entre ses doigts. Elle avait tenté de percer le noir autour d’elle, en murmurant à peine un peu pour encourager son rêve. Il n’était pas venu.

Le désespoir l’avait envahie, ravageur et sauvage. Elle ne supportait pas l’idée d’une nouvelle solitude. Un papier sans âme est un papier mort, tout confetti soit-il, même destiné à joncher un sol de fête humaine, même à finir au fond d’un caniveau comme un poivrot imbibé d’alcool qui tituberait sur le bord d’un trottoir avant de s’écrouler ivre mort. Elle ne supportait pas l’idée d’une impasse sur une fin pure et dure. Elle ne supportait pas.

Elle tenait entre ses doigts un confetti égaré là par inadvertance, comme elle aurait tenu l’univers entre ses doigts sans savoir qu’en faire.

Méticuleusement, elle s’appliqua à déchirer le petit bout de rien, pour ne plus jamais, jamais, jamais subir une torture supplémentaire.

Puis elle porta ses doigts à ses lèvres et sentit entre elles le chiffon insignifiant.

Quand elle l’avala, elle se sentit grosse de l’enfant qu’elle avait tué jadis.

* * *
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Message  Romane Dim 26 Avr 2009 - 18:31

Deuxième volet : Une sourde rage contre le personnage, cette nuit là. Comment se peut-il qu'un truc totalement fictif détourne votre volonté d'auteur, que dis-je : de créateur d'un texte dont il n'est qu'un élément !
Je me suis couchée verte de colère, comme rarement je l'ai été même envers une personne de chair.
Lendemain matin : je me réveille après une nuit agitée (c'est dire la violence de ma réaction, totalement inattendue et stupéfiante) et décide d'avoir raison sur le personnage.

Je décide donc de reprendre le texte et de le finir comme JE l'avais décidé.


* * *

Elle le tenait entre ses doigts, aussi fin que s’il n’existait pas, aussi inconsistant que s’il n’avait jamais été fabriqué par une machine dont elle ignorait tout et dont elle se demandait en ce moment même qui avait eu l’idée étrange de l’inventer, et pour quoi faire, si ce n’est dans un esprit festif à faire pleuvoir une pluie multicolore quelque part sur des têtes inconnues, sur des trottoirs et des ruelles ou des places immenses prêtes à se laisser tapisser d’une neige de papier. Elle aurait voulu remonter le temps et comprendre depuis quand était né le premier, elle qui tenait entre ses doigts le Xième anonyme.

Elle qui le tenait ainsi précautionneusement, comme s’il s’agissait du trésor le plus fou, le plus coûteux, le plus précieux au monde. Elle qui le tenait sans le voir. A peine la sensation bizarre de ne plus sentir d’un doigt à l’autre la fine rugosité presque imperceptible de ses empreintes, sillons de peau qui faisait d’elle qu’elle était unique au monde, comme cet infime petit bout de papier parmi tous les autres, désolidarisé comme elle, orphelin de sa famille entière, détaché un jour du tronc d’un arbre dont personne ne parlerait plus jamais. Avait-on au moins parlé de lui une fois ? Peut-être quand la scie avait entamé sa chair d’écorce et de sève…

Ses yeux ne pouvaient pas le regarder. Il lui fallait toute l’attention, toute la concentration possible et même au-delà, pour le sentir entre ses doigts. Aveugle dans son caisson d’obscurité, elle ne pouvait se fier qu’aux signes que lui indiquaient ses doigts, dans leur toucher sensible et à peine effleurant qu’entrecoupaient une pression quasi sauvage, un peu comme si elle s’agrippait à la vie, la vie retenue dans ce confetti dont elle ignorait tout, sauf qu’il était là, entre son pouce et son index.

L’absence du monde à proximité, l’absence au point de penser qu’elle était l’oubliée de ce monde, celle dont on ne savait plus rien, à laquelle personne ne songeait, l’absence lui rendait plus précieux encore ce minuscule rond de forêt coincé entre deux tranches de peau, au bout de ses doigts. Alors elle le caressait furtivement, par un mouvement circulaire à peine ébauché, la crainte de le perdre accrochée à son souffle court. Ne pas le lâcher, ne pas « ne pas » le sentir glisser ni s’envoler en chute silencieuse vers le noir plus profond de là où l’on ne sait pas assez faire fonctionner la sensibilité des doigts pour ne plus le confondre avec la pierre du sol, trop vaste et trop âpre pour en déceler un minuscule confetti.

Elle se disait qu’elle tenait ainsi le symbole du livre, la goutte de l’expression écrite. Combien de lettres pourrait-elle former sur une aussi petite surface ? L’encre serait-elle absorbée ? Le traçage serait-il rugueux ou lisse ? Combien de mots pourrait-on confiner sur la surface réduite d’un confetti, un, rien qu’un, un tout seul, un rescapé des égouts ? Pourrait-on écrire une vie ? Un fragment ? Lequel ? Un mot ? De quel message pourrait-elle l’investir pour qu’il soit à la fois entier et consistant, pour qu’il veuille tout dire dans l’économie du verbe ? Elle prenait conscience de l’exiguïté et de ce fait, de la préciosité de cet infime support fait d’un mauvais papier à fête. Comment pourrait-elle parvenir à lui redonner ses lettres de noblesse, à faire de lui ce qu’elle aurait voulu faire d’elle parmi l’univers ; exister…
Elle avait d’abord tenté de le respirer. Qu’au moins cet étrange cadeau trouvé par hasard sans qu’elle se souvienne comment ni quand puisse lui apporter sans qu’il lui soit besoin de fermer les yeux l’odeur de la forêt, celle de la terre en automne ou n’importe quelle autre saison pourvu que la pluie vienne de cesser et qu’il émane d’elle les senteurs vivifiantes et bouleversantes de la renaissance. Elle aurait aimé déceler la proximité des fougères, des cèpes, même des champignons vénéneux qu’elle imaginait avoir vécu contre le confetti dans sa vie d’avant. Elle avait tenté. En vain. Alors elle s’était dit que son désir l’induisait en erreur et qu’il valait mieux espérer trouver l’odeur du papier. Elle avait rempli ses poumons en rêvant qu’ils trouveraient quelque part des effluves de librairies, peut-être l’indice d’un carnet vierge, n’importe quoi pouvant lui donner l’image du papier à noircir un jour, cette promesse sans peur du vide des mots ou de l’absence prolongée du verbe. En vain. Le confetti refusait de lui renvoyer autre chose que l’odeur de ses propres doigts, c’est-à-dire de la poussière de la pierre et de la fine transpiration qui les envahissait lorsqu’elle réclamait trop la vie et qu’elle persistait à ne pas venir.

Ses pensées s’étaient mises à affluer, à converger vers ce bout de rien qu’elle tenait entre ses doigts sans savoir faire autrement que de le garder ainsi, viscéralement primordial. Les murs autour d’elle n’y pouvaient rien, ils avaient brutalement perdu leur consistance, vaincus par un confetti. Dans sa tête, elle inventait un nouveau monde et ce nouveau monde tournait, tournoyait, virevoltait, s’envolutait et s’enivrait des émanations muettes d’un petit bout de papier innocent dont le hasard faisait qu’il était aujourd’hui prisonnier entre les doigts d’une prisonnière.

Elle s’était dit qu’ils étaient du même bord, tous les deux. Lui et elle, réunis en cet instant. Par l’imbécilité humaine et la loi du plus fort contre la vulnérabilité des plus faibles. Elle s’était dit que rien, à l’origine, ne les prédestinait à faire cachot commun. Un soupir fait de compassion, de tristesse désabusée, d’impuissance, d’incompréhension, de reconnaissance, enfin tout ça à la fois, l’avait submergée. Et puis elle avait écarquillé les yeux dans l’espoir de rencontrer du regard ce petit compagnon inattendu. Et puis elle n’avait rien vu. Et puis elle avait renoncé. Et puis elle avait appris à se laisser apprivoiser par le confetti. Alors elle ne s’était plus sentie seule.

Mentalement, elle l’avait couvert de mots. Une avalanche de mots plus percutants les uns que les autres, ceux qui alternaient avec la plainte douce qui lui montait du cœur parce qu’il y avait si longtemps qu’elle n’avait plus parlé à personne. Il y avait tant de mots qu’ils ne contiendraient jamais là où elle aurait voulu les tracer. Un confetti n’a qu’un recto-verso, il lui aurait fallu des arbres entiers de confettis, branches comprises, pour pouvoir déverser tout ce qu’elle avait à dire. A cette idée, elle avait presque suffoqué de manque d’oxygène, d’espace, elle qui ne voyait plus le ciel depuis si tant de temps. Mourir sous une pluie de confettis, quelle étrange fin, s’était-elle dit en chassant cette image folle de sa tête. Alors qu’un seul pouvait lui permettre de s’accrocher encore un peu, trouver l’envie. Même compressé en larme d’arbre, elle tenait l’arbre entier entre ses doigts. De l’arbre à la forêt, il n’y avait qu’un mot.

Lequel choisir.

Avec quelle plume, quelle encre, et puis quelle écriture économique pourrait tenir sur une aussi petite surface, quand on a tant de choses à dire ? Quels symboles compactés pourrait-elle utiliser, quelle formulation condensée pourrait-elle s’insérer et surtout, oui, surtout, qu’est-ce qui rendrait lisible son message ?

Elle avait soudainement pris conscience de la fragilité d’un confetti. On les prend d’ordinaire par poignées, on les jette avec désinvolture dans un gloussement malicieux et ils s’en vont là, au gré de l’air et du frisottement de son courant, et ils s’éparpillent et ils font joli. Ils font joli, voilà bien ce qui l’ennuyait, elle qui voulait surtout faire efficace en laissant une trace, un témoignage, l’ultime. Soudain, lui était apparue l’incongruité de ce que les hommes avaient fait de la vie ; il faut être visible pour exister. Tant qu’on est petit, on n’est que rien. Il faut faire du bruit, il faut parasiter le temps et l’espace, il faut marcher devant, haut et fier. Un confetti n’est qu’un rebut, un moment fugace, un pré-poubelle, un post-oublié. Un pas d’importance. Comme elle.

Prise à la gorge par l’angoisse du vide, elle s’était dit qu’après tout, la tranche du petit bout de papier sans visage pourrait aussi bien servir de guillotine. Que comme on lime avec patience et silencieusement les barreaux d’une prison, on pouvait tout aussi bien se trancher la gorge avec un couperet ridicule, en s’y prenant bien. Il était là, entre ses doigts, si fin, si fin… Oserait-elle ?

Mais c’est qu’elle tenait encore à la vie, autant que lui malgré son inertie. Elle s’était demandée s’il pouvait penser, si, quand on se transforme d’un état à un autre état, on perdait ou pas sa capacité de réfléchir, de ressentir, d’aimer ou de détester, de vouloir ou de refuser. La question de l’âme s’était mise à la tarauder. Est-ce que seuls les humains en étaient pourvus ? Après tout, son compagnon confetti pouvait peut-être traîner son âme quelque part ? Alors elle avait ouvert grand ses yeux, fouillant l’obscurité et cherchant à tout prix la fragile lueur d’une âme minuscule, aussi légère que le corps de papier qu’elle tenait entre ses doigts. Elle avait tenté de percer le noir autour d’elle, en murmurant à peine un peu pour encourager son rêve. Il n’était pas venu.

Le désespoir l’avait envahie, ravageur et sauvage. Elle ne supportait pas l’idée d’une nouvelle solitude. Un papier sans âme est un papier mort, tout confetti soit-il, même destiné à joncher un sol de fête humaine, même à finir au fond d’un caniveau comme un poivrot imbibé d’alcool qui tituberait sur le bord d’un trottoir avant de s’écrouler ivre mort. Elle ne supportait pas l’idée d’une impasse sur une fin pure et dure. Elle ne supportait pas.
Elle tenait entre ses doigts un confetti égaré là par inadvertance, comme elle aurait tenu l’univers entre ses doigts sans savoir qu’en faire. Pourtant, on peut tout inventer, qu’elle se répétait. On peut tout inventer par-dessus ce qui l’a déjà été. On peut percer le bois pour le sculpter comme on a pu le broyer pour en faire des paillettes à musique. On le creuse en ventre de barque, on l’érige en chalet, on le brûle, on le dresse en piquet, on donne mille destins possibles avant d’arriver peut-être oui, seulement peut-être aux liasses de petits astres plats qui finiront par s’envoler, retomber, se désintégrer entre flotte et poussière, griffés par les poils d’un balai, roulés, poussés, dégringolés entre les trous d’une grille aux pas perdus d’un monde aussi perdu que sa marche. On peut aussi bien désorganiser les conventions, bousculer les barrières, inverser les tendances. On peut. Lui, le confetti, docile et muet entre ses doigts d’obscurité, lui aussi pouvait transgresser la volonté de ces autres mains d’avant, celles qui l’avaient choisi et façonné ainsi, dans un geste mécanique à destination commerciale puis finale au fin fond d’un canal à soupe de déchets. Lui aussi, de sa fausse expression passive, pouvait déjouer la grande machine. A deux, ils allaient inventer le miracle, la supercherie en pied de nez.

Tandis qu’elle réfléchissait, ses doigts avaient interrompu leur mouvement circulaire. Elle fit silence dans sa tête. Un instant volé.

De son corps ramassé en recroquevillement spontané, elle se souvint de l’écharde coincée entre le pouce et l’index de son autre main. Elle ne savait plus depuis quand. Elle tenait ainsi le pic et le lisse, les deux extrêmes en paradoxe ordinaire. Elle dans le noir avec sa lumière en dedans, blanche, rouge comme un arc-en-ciel démonté. Le confetti rescapé du massacre en même temps que promis à la négligence à perpétuité. L’écharde issue d’un autre arbre, d’une autre forêt, d’une autre machine, désolidarisé de son bloc de misère. Ils étaient trois, désormais.

A l’aveuglette, elle s’appliqua au traçage d’un cœur, sans déborder des frontières de papier. Un cœur minuscule, un cœur comme un cœur fait de tripes et de prières, un cœur comme il en bat n’importe où l’on veut les voir fleurir, même sur la pierre, même dans l’eau, même dans l’air, même sur un confetti. Avec un point en son centre.

L’amour et l’infini, réunis là, malgré. Et surtout.

* * *
Romane
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Message  Romane Dim 26 Avr 2009 - 18:35

Troisième volet : Tout de même, je ne suis pas satisfaite et cette histoire me tarabuste. J'ai l'impression d'avoir été moins sincère dans la deuxième version, alors qu'il s'agissait de ma première idée. J'ai besoin de tripes, que voulez-vous. J'ai l'impression que mon personnage a gagné, puisque "ce qui est écrit est définitif, la deuxième version n'est qu'une autre histoire"

Pour ne pas perdre la face, parce que j'ai ma fierté, je ponds alors un texte n'ayant rien à voir avec le confetti et en évitant soigneusement CE personnage tout en délivrant un message à TOUS les personnages par l'intermédiaire d'un autre personnage principal : le bic.

* * *

L'in-direction


Deux tiges de ferraille longues comme jusque là-bas et au-delà
Deux rails
Et le bic suspendu au-dessus
A ne savoir s’il doit y poser un corps à broyer ou un train à rouler ses valises

Ou peut-être les deux
En accord parfait entre mort et voyage
Le défi d’un relief ramassé sur le point d’avant-scène

Il y aurait un homme sans un billet en poche
Traînant ses malles de misère dans un regard halluciné
Au passage clandestin du grand saut
Et une femme aux ongles peints dans le wagon numéro treize
Cerclée d’un Corail aux portières soudées
Par la brutale confrontation de la vie à venir et de la vie à partir
Point d’impact
Ratage d’un rendez-vous sur deux

Match nul à rejouer

Deux tiges de ferraille longues comme jusque là-bas et au-delà
Deux rails
Et le bic in-directionnel concis dans son indécision
Marque un temps sans mouvement
Un temps de grève au bord de l’Océan
Un temps de réflexion

Lui ne s’allongera pas en traverse de chair
Huit heures trente quatre, Elle sera ponctuelle dans sa robe d’acier
Ecrasera son visage sur la poitrine d’un homme là-bas
Au bout des rails
Tandis qu’au point de mort annoncée à tort le futur suicidé attendra le prochain TGV
Fair Play

* * *

Eh bien vous me croirez ou non, il me reste un sentiment de défaite. Malgré toutes mes tentatives, le premier texte, choix du personnage, demeure ce qu'il est...
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Message  Invité Dim 26 Avr 2009 - 18:57

Je trouve justement ce premier texte très réussi, je préfère de beaucoup sa fin à celle du deuxième. Quant au poème, il ne me plaît pas, je crois que j'en rejette simplement le sujet parce que, en soi, le texte est bien écrit ; mais le fond m'en paraît bateau.

Deux remarques :
"la poussière de la pierre et de la fine transpiration qui les envahissait lorsqu’elle réclamait trop la vie et qu’elle persistait à ne pas venir" : j'ai compris ce que vous vouliez dire, mais j'ai dû relire ; je crois que, à première vue, on a tendance à penser que les deux "elle" de la fin se rapportent au même sujet.
"elle qui ne voyait plus le ciel depuis si tant de temps" : le "si tant", peut-être volontaire, choque dans ce texte à la langue soutenue.

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Message  Romane Dim 26 Avr 2009 - 19:19

socque a écrit:"la poussière de la pierre et de la fine transpiration qui les envahissait lorsqu’elle réclamait trop la vie et qu’elle persistait à ne pas venir" : j'ai compris ce que vous vouliez dire, mais j'ai dû relire ; je crois que, à première vue, on a tendance à penser que les deux "elle" de la fin se rapportent au même sujet.
Effectivement, à le relire je vois la même chose !

Pour le "si tant" : aucun des trois textes n'a été travaillé, il s'agit d'un premier jet. Donc aussi d'accord, vrai que ça peut être dissonant.

Et pour votre remarque sur la prose poétique de la fin, aucune surprise, j'ai cru comprendre que nous naviguons toutes les deux sur deux sensibilités différentes, mais ce n'est pas important.

Merci en tout cas !
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Message  Sahkti Mar 26 Mai 2009 - 14:32

Le texte poétique ne me parle pas du tout, il manque cruellement d'âme et de vie à mes yeux, il s'écoule sans aspérités. Je passe, donc !

J'ai personnellement préféré la première version que j'ai trouvée charnue, même si trop bavarde à mon goût et très nombriliste. Je n'ai pas eu le sentiment que c'était le confetti qui prenait trop de place mais bien l'intention de la narratrice d'exister à travers lui et ça, à la longue, ça finit par paraître très prétentieux.
Il se dégage pourtant quelque chose d'intéressant de cette histoire, une volonté d'être à tout prix qui sert de fil conducteur. Dommage tout de même quelques accents frénétiques qui apportent somme toute assez peu.
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Message  Invité Mar 26 Mai 2009 - 19:25

Idem ici, une préférence pour les mots chargés de la fin, avec quand même une espèce de stupeur, voire d'effroi à la lecture d'un texte au contenu que je qualifiais à part moi, en le lisant de "bavard" ( ça, c'est une question de goût : je préfère en principe le dépouillé) mais surtout d'un nombrilisme outrancier. Je précise que c'est au texte que s'adressent ces propos, pas à son auteure.
En tout cas, une expérience intéressante, j'aime cette idée de confronter des versions différentes d'un texte, quelle que soit la motivation à l'origine de la réécriture.

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Message  bertrand-môgendre Jeu 28 Mai 2009 - 9:45

Toute cette écriture sur un petit confetti ?
Houlala ! Que le monde est minutieux.
Tu écris comme tu parles, en répétant les accroches de mots pour tenir le lecteur en haleine, de peur qu'il ne se sauve avant la fin.
Car c'est bien de la dernière phrase dont il est question, ce moment important où la chute de la voix ouvre l'esprit à une question de fond (dans sa première version).
L'ensemble est solide, maîtrisé même si au départ je n'aurais pas imaginé autant de littérature sur un petit bout de papier.
Bel exercice.
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Message  Romane Jeu 28 Mai 2009 - 11:44

Merci bertrand d'avoir attiré mon attention sur ton com. Je ne l'aurais pas vu. Trop overdosée en ce moment. J-trop peu...

Merci à vous tous, d'ailleurs. A quand je pourrai.
Romane
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