Machou Rouge (ou l'art d'avaler)

[Ole Touroque]

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A

Machou a des chaussures neuves qu'elle ne met jamais.
Irriguée par des tournesols depuis l'enfance,
Elle marche en déposant sur chaque feuille la marque de son orteil.
Ailleurs, rien.

Machou a beau être née au milieu d'un grand tout,
Son amour revient systématiquement à sauter la mort
Par-dessus les troncs, mort des fourmis,
Par-dessus les flaques, mort des microbus,
Par-dessus les cendres, mort de sa mère.

Ti lam pilim pampam...
Par-dessus les murs de boue, mort des soldats,
La Machou aime à se déshabiller, mastiquer les racines coulantes,
Se masturber en sentant l'orifice ouvert aux vents.
Calme derrière les baies géantes qui la cachent, elle souffle.

Son magnétophone est la terre humide,
Ecoute-plaisir les jours de pulsions noires.

Et sans jamais manquer à son devoir de fille,
Elle lui rend le sang autrefois donné.


B

Machou boit de grandes gorgées de vin jaune, rose, rouge, blanc, noir,
Avec les lèvres entrouvertes, semi-closes, ballantes, en trou de pine,
Elle est belle, désirable, émotionnelle, provoque l'envie, le rut, l'étreinte.

Contre-allée.
Machou s'est réveillé dans les bras d'un autre,
Malade à l'idée de lui devoir des excuses.
Ses mains ne le caressent que pour le pousser.
Suivez le guide.


C

Nuit pauvre en décibels, et la Machou encore assise au pied du téléscope
Pour regarder les flambantes Théodore
A besoin d'abstrait jusque dans les grandes surfaces,
Elle ressemble aux falaises qui voient le jour passer sans pouvoir bouger.
Un pied dehors, un pied en haut.


D

Au sortir des décoctions floridiennes de ses aubes
La Machounette se façonne un régiment de déserteurs
Pour lui réchauffer le ventre.

Heureuse comme douze,
Machou se lève avec douceur et sourit,
Des chromosomes juteux sur le bout des dents.
.

[Invité]

Formidable ! J'ai vraiment adoré (sauf C). Un portrait angoissant, cruel et pourtant tendre. Une merveille !

[Invité]

Cela notamment, quelle audace et quelle élégance :
"Son magnétophone est la terre humide,
Ecoute-plaisir les jours de pulsions noires.

Et sans jamais manquer à son devoir de fille,
Elle lui rend le sang autrefois donné."

[Invité]

ça faisait bien longtemps que je n'avais pas eu autant de plaisir à te lire. J'aime la bizarrerie de ce portrait à la fois faussement naïf, lucide, provocateur et empreint de tendresse, d'affection.
Ca commence fort ("Irriguée par des tournesols depuis l'enfance,
Elle marche en déposant sur chaque feuille la marque de son orteil.") et ça continue sur le même ton avec cette façon de dire des choses primordiales l'air de pas y toucher ("Par-dessus les cendres, mort de sa mère."). Une fausse ingénue complètement ensorceleuse. Félicitations !

[loic]

ce texte me laisse pantois comme parfois un tableau abstrait, je ne comprend, ou n'ai envie de le comprendre, tant le fond me touche. ici une peinture aux teintes dures et desèspérées

loic

[lol47]

Subtil.
Inventif.
Panoramique sur un plan serré: Nada mâche et remâche.
Génuflexion.

[Sahkti]

J'aime beaucoup la partie A, que je trouve belle et sensible, emplie d'une force de vie aussi, que tu restitues bien à travers ces petits tableaux.

Ses mains ne le caressent que pour le pousser, voilà une phrase qui me plaît.

La partie D me semble aussi très réussie, avec des images visuelles et bien ficelées.

Dans l'ensemble, un rythme agréable et un propos que tu promènes au gré de tes envies, avec subtilité

[mitsouko]

texte rare et magique

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