Une lettre à Érik Satie

[nine]

Monsieur,

Je vous réponds enfin, après bien des années, et soyez bien certain, ce jour, que je nourris pour vous l’amour le plus profond.

J’imagine soudain, lisant vos injonctions, cadeaux mystérieux laissés sur mon piano, comme une invitation lentement amenée, comme une altérité à vos altérations, celles que vous posez, graciles hirondelles noires et dépliées sur des fils électriques, en divines gnostiques dans ce matin blafard où brille une poussière, suaire d’étincelles sur l’ivoire.

« Très luisant »

Après quelques mesures que je pose en murmure, votre plume a glissé ce bel impératif qui exhume un soleil inclinant ses rayons coupants comme un canif, et j’entends quelques trilles tombant dans le silence à l’infini, ainsi qu’une bille d’agate, en votre absence, rebondit et s’échoit, laissant des pattes d’oie sur un sol blanc de givre.

« Questionnez »

Je pose le hasard de mes doigts malhabiles sur les notes fragiles qui prennent leur envol vers un astre de cuivre, et, sitôt dans le ciel, c’est à peine, désastre, si l’aile se déploie qu’elle touche le sol. Ce que vous m’imposez, monsieur, est hors de ma portée. Une nouvelle fois je vise, tentant l’impossible. J’atteins presque la cible, mais l’interrogation peine et s’immobilise sur un point malheureux. Pérenne est la question. Mon soupir s’éternise.

« Du bout de la pensée »

Une ligne de vous aux déliés identiques, aux cursives magiques, m’invite à votre rive, m’assigne à faire se taire tout le superflu. J’effleure alors le nu comme on trace une esquisse. J’efface les prémisses de peur que la musique envahisse l’instant, où, comme à la dérive, votre esquif mélodique a noyé tout allant symphonique relatif à m’éloigner de vous. Je ne peux vous aimer, monsieur, ainsi que me le dites, qu’en touchant mon clavier, et si peu : d’un jeu léger d’esprit bien vite reposé.

« Postulez en vous-même »

M’enjoignez-vous alors. C’est de l’or, que ces mots venus de votre siècle ! Et cet ordre de vous, ce paradoxe doux, m’incite à me jouer de votre partition ; à vous désobéir, puis m’enhardir encor pour mieux vous définir dans la proximité des nues où vous êtes reclus, où j’accroche, défaites, mes croches en désordre à vos pas. Et lors qu’à l’abandon, je m’approche…

« Pas à pas »

…Vous me prenez la main et la guidez enfin, des aigus vers le grave d’une octave imprévue…

« Sur la langue »

Monsieur, je vous connais si peu, mais vous souris déjà entrant dans cette chambre où vous m’avez permise ; afin que je vous dise « Je te veux » pour une valse lente et violente où, voyez, je me cambre, dolente entre vos bras, sous les toits de Paris.

Lorsque le jour s’achève, pour toujours dévouée à votre cour,

Votre élève.






Nadine Bordel



NB : les italiques entre guillemets sont les indications de jeu qu’a écrites Erik Satie sur la partition de sa première gnossienne, excepté « Je te veux », qui est le titre même d’une valse de sa composition.

[Invité]

Je me suis un peu ennuyé. Un texte très féminin. J'ai relu 5 fois :

Monsieur, je vous connais si peu, mais vous souris déjà entrant dans cette chambre où vous m’avez permise

. La psychologie féminine me fait toujours sourire. :-) Il y a là matière à une nouvelle de 10.000 signes.

[nine]

Je me suis souvent questionnée à propos des motivations condescendantes d'un machisme hypocrite et bienveillant.
passez votre chemin, monsieur !

[Ba]

Comme j'aime le compositeur et son regard ironique sur le monde, déjà, je ne puis que lire avec intérêt tout ce qui se rapporte à ses morceaux distanciés.
Comme par ailleurs mon piano conserve toutes ses notes dans son coffre, j'aime à croire que les notes croquées sont asexuées.
Donc,je me fiche complètement de savoir si celui,celle, les deux, qui lui parle est avec ou sans.

[Invité]

Je ne suis pas arrivée au bout du texte qui m'a profondément ennuyée par son côté léché, pré(ten)cieux et nombriliste. nine, je me permets de vous faire remarquer qu'on n'est pas censé réagir agressivement aux commentaires, les trouvât-on insupportables. A mon avis, le "passez votre chemin" est de trop.
Pardon pour le jeu de mots ci-dessus assorti d'une faute d'orthographe dans le mot, je n'ai pas résisté.

[Invité]

D'abord, je l'avoue, je ne connais E. Satie que de nom, ce qui ne va pas faciliter le commentaire. Toutefois, sur l'écriture, eh bien oui, j'ai trouvé ça outrageusement féminin, comme ces décors fleuris, ces dentelles qu'on trouve dans certains intérieurs - franchement, c'est ce à quoi j'ai pensé. Je n'aime pas les froufrous, mais je peux accepter qu'ils améliorent l'ordinaire. Tout ça pour dire que j'ai trouvé un charme au texte, un je ne sais quoi d'indéfinissable ; que si ce style n'est pas ma tasse de thé, je reconnais cependant que le texte a fait l'objet d'un vrai travail ; maintenant, il est vrai le froufrou est par nature fragile, éphémère...

[PinK1OOO]

déjà lue sous d'autres cieux, déjà appréciée.

cette lettre est magnifique

[Sahkti]

Au départ, j'ai trouvé que le ton employé dans la lettre, ce "Vous" si vénéré donnait de la grandeur non seulement à l'idée mais aussi à son traitement. Puis je m'aperçois qu'en fait, cette lettre est avant tout narcissique et son auteur (je ne parle pas de nine ici, mais de l'auteur dans le texte, je préfère préciser) écrit à quelqu'un avant tout pour s'écrire à soi-même. Nombriliste et prétentieux au possible et voilà que ça commence à m'agacer, que Satie ne soit que le prétexte d'une auto-admiration.

Ceci dit, il y a de ci de là quelques jolies variations musicales bien en phase avec le style de Satie mais rien à faire, je préfère les notes de l'original, plus épurées, désolée.

[Contenu sponsorisé]