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Errance

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Message  ptipimous Lun 1 Juin 2009 - 20:28

D’un coup, du fond de mon endroit, je les vis passer. Mais pas comme d’habitude. Il y a toujours eu un peu de passage. Là, c’était différent. Des gens allaient. Voilà, c’est le mot. De loin, ils me voyaient et me faisaient des signes. Je répondais. J’ai toujours répondu. Ils étaient énormément. Et le paysage devint comme un vase qui déborde. La poussière du chemin soulevée par leurs pieds en témoignait. Alors, je me suis approché. C’est pas que je sois particulièrement curieux, je l’ai trop été il fut un temps.
À mi-course, j’ai entendu leurs cris. Ils avaient l’air heureux et s’apostrophaient gaîment. Sur le chemin, il en venait de partout, à peu près tout le temps. Mais pas comme un exode. Pas comme quand on fuit un pays qui n’a pas su se garder des concupiscences. C’étaient des miettes de foule. Un groupe, un homme, un couple, toute une grosse populace et de nouveau, une femme toute seule. Je me suis assis sur un caillou et je les ai regardé passer. Tous me disaient un mot ; ici, on se parle. C’est pas comme en bas. Moi, je regardais mes pieds se couvrir de sable et je marmonnais “ouais, ouais... ça va... mais oui, j’arrive.” Il y avait des enfants. Beaucoup. Ils couraient dans la lumière, se cachaient dans les herbes des fossés et se faisaient des niches en criant. Des nonnes et des soldats, des compagnons et des chevaliers. Un ou deux rois que je n’ai pas reconnus. Mais j’ai pas été beaucoup à l’école. Un énorme forgeron s’est arrêté :
- Et bien vieillard, faut-y te porter ?
- Non jeune homme ! Merci bien, mes jambes vont encore.
- Presse-toi, alors !
- Me presser ? Et pourquoi donc ?
- Les trompettes, le vieux, les trompettes. T’as point entendu ? Voilà déjà deux jours...
Le grand rendez-vous. C’était donc maintenant. Ainsi, tout était fini en bas ? Je ne pouvais me l’imaginer. C’est pas que j’en avais du regret. On vous l’enlève en arrivant ici, mais... tout de même. Quelque chose en moi résonnait encore. On s’était tant battu pour un morceau de terre... alors une planète... toute une planète... une si belle planète dans le fond.
Je voyais souvent les autres. Ils agissaient comme s’ils avaient fait un temps. Moi, je ne pouvais pas. Je repensais à la mer, au soleil, aux champs de lavande, et même à l’âne du voisin quand y s’mettait à gueuler dans le soir, ça me faisait chagrin. C’est comme pour la mère que j’avais jamais revue. Pourtant, j’en voyais des tas, ici à se retrouver. J’avais pas su m’y prendre. J’avais pas su où aller. C’est comme si j’avais pas eu tous les renseignements. Mais maintenant, j’étais au moins certain qu’elle devait être par là. Et qu’elle irait au rendez-vous... dévote comme elle était. Alors je me suis mis en route.
J’avais un peu peur pour mes pieds et mon dos, mais finalement, tout allait. J’étais loin de la vallée de Josaphat. J’en avais pour un bout, mais marcher me faisait pas peur. J’avais eu de l’entraînement et puis l’occasion de me reposer aussi. Je pensais à la mère et à son tablier troussé au coin avec le grain des poules dedans et moi qui la regardais de la grange avec ma fourche sous le menton et dans le fond les blés qui pliaient sous le vent...
Et puis j’ai vu Jeanne. Je l’ai reconnu parce qu’il y avait une statue d’elle dans not’ église. Toujours fleurie, et on y demandait des choses et elle, elle a toujours fait ce qu’elle a pu. Elle était très entourée ; sans doute ses compagnons. J’ai pas osé la déranger. Je voulais pas qu’elle croit que je lui demanderais quelque chose aussi.
Je me suis arrêté pour boire un peu. De l’autre côté du ruisseau, deux hommes parlaient beaucoup et riaient aussi. Le petit était chauve. Il était vêtu d’un drôle de drap. Ici, on a gardé nos habits d’avant, sauf qu’ils sont propres, pas déchirés et qu’en plus, ils ont comme pâli par trop de lavages. Il n’y a que des couleurs claires et douces à l’oeil. Son drap devait être orange assez vif pour être doré tendre aujourd’hui. Le petit homme disait des choses d’une voix très douce dans sa langue que tout le monde comprend. C’est la première chose que tu sais en arrivant ici : tous les autres langages. C’est si évident qu’on ne se rend même pas compte qu’on les parle. Simplement on prend la langue qui s’est décidée la première, voilà.
L’autre homme riait beaucoup de ce que disait le petit. Il avait une perruque comme dans les livres d’histoire et il répétait toujours le même prénom : Jacques. Ceux-là non plus, je n’ai pas voulu les déranger. Je suis reparti.
J’ai bientôt été rejoint par un jeune gars tout blond. Son uniforme vert clair m’a fait un peu sursauter. Même si y’a pu offense. Mais tout de même, j’allais lui parler le premier parce que ça ne me disait rien de parler allemand.
- ‘Jour. Tu vas aussi au rendez-vous?
- Oui ! Tout le monde y va, non ?
- Oui, bien sûr.
- C’est obligé ?
- Je ne sais pas. C’est comme ça.
- Toi, tu viens de la guerre ?
- Oui, la première.
- Je vois.
- Ah ?
- Oui, les bandes !
- Ah ! Les bandes molletières, bien sûr !
On a marché un peu en silence.
- Moi, c’est la deuxième.
- Ah !
- Terrible aussi.
- Sans doute... mais c’est fini.
- Oui, fini !
- J’ai vu Jeanne tout à l’heure. Tu la connais, toi ?
- Non. C’est une femme de chez toi ?
- En quelque sorte.
- Moi, j’ai vu Ludwig deux, le roi de la Bavière. Je l’ai dépassé hier.
- Des rois, j’en ai vu aussi. Mais y’en a pas tant que ça.
- Non, ils sont en dessous !
Et il s’est mis à rire si franchement que j’ai ri aussi. Pis on a plus parlé. On a juste avancé et je recommençais à penser à la vie d’avant. Ça serait pas mal que Josaphat ressemble un peu au sud de la France. Y’aurait peut-être un moulin...
Le gamin ne disait plus rien. Il se retournait de temps en temps. Je suis sûr qu’il essayait de reconnaître les gens qu’on croisait. On a vu un pharaon en grande tenue, enfin... sans les bandelettes.
- C’est peut-être Ramsès ! que j’ai dit pour faire mon malin.
- Non. Ramsès est très grand... Lui est trop petit. C’en est un autre.
- Et bien lequel ? que j’ai fait un peu agacé.
- Ca, je ne sais pas... Je ne me suis pas beaucoup intéressé à l’Egypte. Et puis, mes études ont été interrompues par la guerre.
Et c’est vrai qu’il était jeune, si jeune.
- Tu cherches quelqu’un ?
Il n’a pas répondu tout de suite. Il y a eu un passage important d’enfants entourant une femme noire. Elle leur chantait des chansons et les gosses tapaient des mains en cadence. Le dernier avait une étoile sur son manteau. Mon compagnon s’est arrêté pour les regarder. Puis il murmura :
- Lui, là c’est le fils du tsar, le gamin hémophile.
- Un tsar, c’est russe, ça ?
- Oui. La famille qui a été exécutée en 1918, j’avais appris ça à l’école.
- Et pourquoi il a une étoile ?
- Mais non, c’est le petit là, celui qui est tout blanc.
- Et celui à l’étoile ?
- C’est un juif.
- Ah ?
- J’espère que je ne vais pas le croiser.
- Qui ça ? Le petit ?
- Mais non... Hitler !
- Qui c’est ?
- Mon chef. C’est parce que... tu comprends, j’ai failli ! Je suis mort !
- Mais tout le monde est mort puisque les trompettes ont retenti...
Regarde... là !
Il y avait deux hommes en grande discussion. Un petit barbu habillé très simplement et un autre grand maigre en costume. Ils avaient l’air d’étudier une carte qu’ils avaient tracée sur le sol. On s’est approché pour voir si nous pouvions les aider.
- Vous avez entendu les trompettes aussi ?
- Oui, bien sûr !
- Alors, la vallée de Josaphat, c’est par-là...
- Oui, nous savons, vieillard. Mais il faut récupérer les bêtes.
- Les bêtes ?
- Oui... les animaux. Ils sont parqués un peu à l’ouest, dans une autre vallée. Monsieur Noé et moi, nous devons aller les chercher.
- Noé ! L’arche ?
- Oui, Monsieur, mais cette fois-ci, pas besoin d’arche. Nous les ramènerons à pied !
- Excusez-moi, mais je ne vous ai pas reconnu...
- Oh, c’est normal, je ne suis pas connu. Je suis un simple directeur d’une S.P.A de province.
- Bon, nous allons continuer... bonne route. Regardez, il y a un berger, là, il vous aidera sans doute !
Le petit rigolait sous cape en s’éloignant.
- Pourquoi ris -tu ?
- Ce n’est pas un berger...
- Bah ! Il a une grande perche...
- C’est un apôtre ! Sûrement. Je l’ai déjà vu, il renseignait des gens perdus.
- On rencontre vraiment tout le monde ici !
- Oui ! Tous les bons, les justes et les pardonnés ou en voie de l’être. C’est plutôt rassurant pour nous, non ?
- Et lui ,là ?
- C’est un Indien ! Regardez toutes ces plumes ! Quel être fier.
On a continué à marcher en silence. Puis j’ai dit :
- Et toi ? Tu ne cherches personne ?
- Mes parents étaient des gens justes. Ils devraient être là. Ma soeur aussi, peut-être... quand j’ai quitté la maison, elle était si petite...
- Et tu n’avais pas de fiancée ?
- ... Si. Elle a cessé de m’écrire un peu avant que je ne tombe sur cette mine. Peut-être est-elle là. Mais elle ne voudra sans doute pas me voir. Après tout ce temps...
En fait, on allait et on ne savait rien. On ne savait pas ce qui allait se passer. On était tous là, si nombreux. Et si seuls aussi, comme des grains séparés de leur épi. Et d’un coup, je me suis demandé si c’était la peine de chercher la mère. Sa vie avait continué sans moi. Après tout, peut-être qu’elle ne me reconnaîtrait même pas. On était là, tous à marcher dans la même direction, poussés par quoi ? Je ne le savais pas. En fait, les animaux, c’était nous, un immense troupeau d’humains à qui il ne restait que des bribes de savoir et de mémoires. Alors je me suis arrêté et je me suis accroupi pour caresser le sable sous mes doigts. Le gamin s’est accroupi près de moi, en silence. Il a regardé mes mains, mes yeux. Il a dit :
- Oui... c’est comme ça.
Et nous sommes repartis.
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Message  mentor Lun 1 Juin 2009 - 20:41

pfiou !
un coup de chapeau pour ce texte superbe
un peu dérangeant
mais très sympathique
quelle imagination, ça me laisse rêveur
si j'ai capté, ça va être le fameux "jugement dernier" ?
un peu angoissant quand même
en tout cas : bravo !

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Message  Invité Lun 1 Juin 2009 - 20:53

Je serai moins enthousiaste. Le ton est alerte, vif, mais je trouve que l'ensemble fait un peu "galerie de portraits", le schéma me paraît un peu répétitif. A la fin, cela commençait à vraiment me lasser.

Mais l'idée est bonne, et mérite certes d'être développée/renouvelée par la suite !

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Message  Invité Mar 2 Juin 2009 - 7:27

Que de monde ! :-)
J'aurais aimé que ce défilé très varié amène peut-être une autre dimension, débouche sur une réflexion plus poussée sur le sujet... (?) Ce qui aurait rallongé le texte d'autant, c'est sûr, et n'était sans doute pas l'objet de l'exercice...
En tout cas, c'est bien écrit, que ça se lit tout seul, et j'ai bien aimé découvrir les différents personnages au fur et à mesure du texte.

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Message  boc21fr Sam 6 Juin 2009 - 13:43

ça alors !
Mon avis sur ce texte est le même que les trois avis précédent réunis...
Il me laisse une impression de Becket...
Dans le genre "allons rejoindre Godot"
Dérangeant...
C'est là qu'il faut creuser...
Une étrangeté dérangeante...
Un au-delà aussi vague et vide de sens que la vie, un paradis improbable où les trompettes sonnent creux et dans le vide...
Des personnages rencontrés comme au bord d'une route...tous démythifiés, n'ayant pas grand chose à dire ou à faire d'interessant...
Manque plus qu'à faire surgir un Rhinoceros là dedans...
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Message  Invité Sam 6 Juin 2009 - 17:06

ptipimous, j'ai beaucoup aimé. Surtout le début, empreint de douce nostalgie teintée de légère amertume. Très bien vu. Intéressant.
A partir de la rencontre avec le jeune soldat, alors qu'on a bien compris où tu nous a amenés (sujet original) j'aime un peu moins. J'aurais préféré rencontrer des anonymes, décrits de façon savoureuse, plutôt que systématiquement des gens très connus. La fin, pour moi, manque d'originalité. Merci pour ce plaisir à te lire.

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Message  Sahkti Lun 29 Juin 2009 - 15:25

J'aime la manière avec laquelle tu décris la scène du passage de la foule, vue de l'extérieur et en même temps vécue de l'intérieur, c'est intéressant, même si à mes yeux, cela pourrait être retravaillé pour être meilleur encore.

Léger bémol sur not'église, qui voudrait introduire un langage oral, mais ça ne colle pas tout à fait avec la langue utilisée jusqu'alors; ça apporte peu, voire rien.

Réserve également sur les dialogues, qui m'ont paru parfois creux, parfois longs, en rupture avec le style du début, plus abouti.

Plusieurs facettes, donc, dans ce texte, pas toutes de qualité égale mais prometteuses, j'ai aimé te lire.
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