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Les doigts collés

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Message  Lonely Jeu 11 Juin 2009 - 12:54

Les doigts collés



Voila une chose qui remonte à bien longtemps, à tel point que je ne saurais vous dire l’âge que j’avais alors. Enfin… j’avais encore celui de l’oublier, ce qui renvoie aux balbutiements de ma conscience, quand l’éponge qui me servait de ciboulot gobait goulument ses psychoses naïves. Avec le temps, je peux juste constater combien il est étonnant qu’une sollicitude bienveillante puisse transformer un objet de curiosité en lubie de fascination. Notez bien, le mécanisme est aussi étrange qu’implacable : il suffit parfois de quelques mots pour ériger au plus profond de la psyché enfantine un monument de maniaquerie, un dragon de marmot qu’il cherchera dès lors à affronter à la moindre provocation, à la plus petite confrontation, fut-elle mesquine, voire futile.

Ce dragon peut revêtir bien des formes, et le mien prend celle du tuyau chauffé à blanc, du rond de gaz rougeoyant ou de la plaque de cuisson tout juste sortie du four. Quels merveilleux objets de tentation ! Parfois brillants, toujours métalliques, souvent brulants mais tellement attirants. C’est bien simple, il suffit que j’en croise un pour que, invariablement, le stratagème se mette en place, de manière inévitable. Soudain, la tentation surgit du plus profond de mon enfance, depuis cette date fatidique où, selon les dires de ma mère et d’un forain inconnu, je manquai de me coller le doigt sur une crêpière.

C’était un jour pourtant serein, empreint de la joie tranquille de passer un après-midi à la fête foraine de Perpignan. Qui aurait pu se douter que s’y déroulerait un non-évènement qui allait mettre votre serviteur sur la voie d’un vice troublant ? Car ce fut au hasard d’un arrêt à un stand, afin de sustenter le petit ogre que j’étais déjà, que se déroula une scène encore limpide dans ma mémoire. Alors que les adultes détournaient leur attention pour régler l’achat d'une gaufre au chocolat, je constatai devant moi un objet métallique, gris anthracite, d’une rondeur idéale et pile poil à portée de doigt. J’hésitai un instant, scrutai autour de moi, puis, m’armant d’une étrange ambition, j’y tentai un index curieux. Le moment fut bref, un effleurement fugace, d’une rapidité qui fait encore ma fierté. Et pourtant…

En m’apercevant, le forain - dont je comprendrai plus tard la bienveillante sagacité - m’interpella rudement devant ma mère. Outre que cela constitue pour n’importe quel mioche une humiliation (celle de se faire prendre !), il me morigéna sur le champ d’une phrase que je n’oublierai jamais  :


« hola ! Mais c’est très dangereux ce que t’as fait ! Si la plaque avait été chaude, ton doigt serait resté collé dessus ! »


Diable !
Je roulai des yeux devant la révélation, vexé de ne pas avoir trompé mon monde, mais fus marqué par l'image fascinante que le forain venait de m'offrir : celle du doigt collé. Ma mère m’asséna le coup de grâce d’une réplique terrible, afin de clairement signifier la gêne que j’avais engendré. Et nous partîmes prestement, non sans s’excuser auprès du bienveillant monsieur de mon comportement inconscient. Tout cela aurait pu s’arrêter là, et figer dans mon esprit la dangerosité des objets brulants, mais… non, il se passa en fait l’exact contraire.

Depuis ce jour fatidique, il ne passe plus devant mes yeux un seul instrument, objet, truc, chose ou calorifère sans que ne survienne le désir irrépressible d’y apposer mon doigt dessus. Toujours le même : l’index de la main droite. Plus preste, plus leste, plus rapide que tous les autres. Alors j’effectue une attaque éclair, touchant à la vitesse de la lumière ma cible, de façon suffisamment véloce pour que nul risque de soudage n’ait le temps de se produire. Et, croyez-moi, tout y passe ! Du moteur fumant au rond de gaz, du robinet d’eau chaude à la tôle cramoisie sous le soleil d’été, il n’existe nulle part aucun objet qui n’ait résisté à mon index curieux. Et, à chaque fois, me revient ce geste fondateur, ce moment originel où s’est joué l’avenir de mon doigt. Ce jour fatidique où une crêpière foraine m’a attirée comme un papillon sur l’ampoule et où pour la première fois de ma vie, j’ai envisagé mon doigt collé sur un truc chauffé à blanc, la chair fondant comme un vulgaire bout de plastique, dans le frémissement du bout de poulet plongé dans l’huile bouillante.

J’y ai laissé bien des nervures digitales, j’en conviens. Parfois, ma peau devenait plus lisse que la surface d’un œuf suite à la pression stupide, je l’avoue. Et souvent mes nerfs ont le temps de m’envoyer leurs flux électriques pour essayer de raisonner mon cerveau. Mais jamais, Ô grand jamais, cela ne fut ni un frein, ni une alarme suffisante pour me laisser guider par une raison protectrice, car ce sont autant de preuves de ma parfaite connaissance de la thermodynamique tactile.

Et chaque geste réussi, chaque doigt qui ne colle pas, est une victoire personnelle, un bref moment d’euphorie où je savoure a posteriori la supériorité de mon corps sur la crêpière. La preuve par la bêtise que chaque problème a sa solution, la démonstration par l’absurde que mon doigt survit encore à la tentation malsaine d’une plaque brulante.

Alors, certes, j’ai déjà envisagé d’y rester soudé. J’ai souvent imaginé mon doigt fondre comme du beurre sur la surface d’une poêle chaude, rongeant sa matière par une lente pression calculée, jusqu’à disparaitre par élimination graduelle de l'organe, friture bouillonnante de phalanges tout juste stoppée par la butée métacarpienne. Mais, en l’état, mon index droit est toujours là, prompt à se dresser à la moindre provocation, prêt à défier le prochain dragon qui barrera sa route.

Pourquoi ? Je n’en suis pas certain.
Je crois que je cherche à le domestiquer car je le subis depuis toujours, incapable de le dominer suffisamment pour pouvoir observer sereinement une banale plaque électrique. Il y a quelque chose de profondément idiot là dedans, témoin stupide d’une part de moi qui ne veut pas grandir. Peut-être. Ou désir d’aller contre la logique, d’exprimer une caractéristique personnelle faisant de moi un individu unique ? Sans doute…

Mais en attendant de terrasser ce maudit saurien, j’ai peur pour mon doigt. Car il a su inventer d'autres tortures, toutes reposant sur cette lancinante perspective d’une douleur aigüe. Ainsi, je n’ai aucun mal à envisager mon index coincé dans une porte (au niveau des gonds, ou l’effet levier est le plus puissant, pourrait-il être sectionné ?) ou boursouflé par de l’eau en ébullition. C’est ainsi, je n’y peux rien.

Mais ce doigt téméraire m’aura néanmoins confirmé combien nous sommes paradoxaux et prêts à tout pour acquérir ces comportements uniques qui bâtissent notre individualité, fut-ce sur le socle de la bêtise. Car on se définit essentiellement pas notre opposition aux autres… jusqu'à l’absurde.

De même, je suis désormais méfiant quand j’avise de jeunes enfants, et je vous invite via mon témoignage à en tenir compte : leur logique n’est point celle de l’adulte, on ne se rend pas compte que les lois et règles peuvent façonner à leurs yeux des monstres terrifiants, des murs infranchissables et des fantômes tenaces. Par peur de ce qu’il y a de l’autre côté, ils sont parfois prêts à tout pour affronter ces chimères qui échappent à notre adultéité clairvoyante. Seule la transgression leur apportera un peu de réconfort. Grimper sur l’arbre interdit, manger des fourmis ou jouer à touche-pipi… peu importe !

Un enfant cherche ses propres dragons, qu’il devra affronter pour devenir lui-même.
Invariablement.
Inexorablement.

J’en sais quelque chose, j’aurai pu perdre mon doigt à cause de ces conneries.
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Message  Invité Jeu 11 Juin 2009 - 13:29

Un bon texte je trouve, convaincant et drôle à la fois. Peut-être appuyez-vous un peu trop la conclusion à la fin (avant la dernière phrase, très marrante), la rendez-vous un poil trop sentencieuse à mon goût.

Je vous signale ci-dessous les quelques erreurs de langue que j'ai relevées.
"Voilà une chose"
"quand l’éponge qui me servait de ciboulot gobait goulûment ses psychoses naïves." (très bonne formulation, soit dit en passant)
"à la plus petite confrontation, fût-elle mesquine"
"souvent brûlants"
"En m’apercevant, le forain - dont je comprendrais (je pense que, pour la concordance des temps, le conditionnel s'impose ici) plus tard la bienveillante sagacité"
"Et nous partîmes prestement, non sans nous excuser auprès du bienveillant monsieur"
"objets brûlants"
"il n’existe nulle part aucun objet qui ait (et non "n'ait", car, avec une nouvelle négation, vous écrivez le contraire de ce que vous voulez écrire, à savoir que partout se trouve au moins un objet ayant résisté à votre index) résisté à mon index curieux."
"une plaque brûlante"
"jusqu’à disparaître"
"là-dedans"
"une douleur aig"
"au niveau des gonds, où (dans le sens de : "à l'endroit où") l’effet levier est le plus puissant"
"fût-ce sur le socle de la bêtise"
"Car on se définit essentiellement par notre opposition aux autres"
"j’aurais pu perdre mon doigt"

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Message  boc21fr Jeu 11 Juin 2009 - 14:40

"quand la main s'est brulée, la leçon sur la flamme va droit au coeur"
Et quand l'index en est sorti indemne, visiblement, le péril exerce sur nous un attrait dangereux, morbide et durable...

Le texte illustre de manière interessante et claire ce désir de "revenez-y", d'adhésion, de recul, amplifié par la présence d'un danger...absurde de prime abord, qui ne peut trouver de sens que lorsqu'un autre organe que l'index de la main est concerné...

Il va de soit que l'auteur de ce commentaire souhaite attirer toute l'attention des lecteurs sur les dangers d'une éventuelle relation contre-nature avec une crépière, voire même une gaufrière en dépit de ses incontestables charmes (je sais... chaudes...elles le sont...mais quand-même)

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Message  Invité Jeu 11 Juin 2009 - 15:41

Une bonne lecture avec des idées qui s'articulent bien dans un langage formel ( en dépit de quelques incorrections, relevées) sans être châtié ; un texte qui ne se prend pas au sérieux et évite donc d'être trop moralisateur. C'est bien.

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Message  Lonely Ven 12 Juin 2009 - 10:16

Merci à tous de vos commentaires, à vrai dire je ne savais pas trop comment traiter ce souvenir et tout ce qu'il a provoqué par la suite (car, oui, c'est rigoureusement autobiographique... sic). Boc, je n'avais jamais envisagé cela sous un angle freudien... :-)


Et merci spécialement à Socque qui aura pris la peine de me corriger, révélant ainsi à ma plume fragile sa relation conflictuelle avec les accents circonflexes et autres trémas ;-)

J'y serai très attentif désormais.

Encore merci
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Message  Sahkti Lun 29 Juin 2009 - 17:48

Hé hé, j'ai aimé et pas seulement parce que j'ai encore assez vif en mémoire le souvenir d'une paume collée contre un poêle très chaud, dans une masure de campagne. Sans la sagacité de ma grand-mère, hum... et cela n'a pas développé chez moi l'envie d'y revenir, contrairement au personnage du texte :-)

J'ai aimé cette manière dévoquer des émotions simples et fortes à la fois, en les détaillant de manière presque théâtrale. Le contenu et l'emballage se marient bien, dans un texte plaisant à lire.
J'ai une légère réserve sur la fin, trop insistante mais sinon, rien à redire, ça m'a plu.
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Message  Lonely Lun 29 Juin 2009 - 20:48

Merci de votre commentaire Shakti.

Ce texte étant le seul qui me soit personnel, j'y attache une attention singulière :-)... même si je suis heureux que votre paume ne soit point restée soudée sur ce poêle campagnard (j'enseigne la thermodynamique tactile, au cas ou....).


Ce n'est pas la première fois qu'on me reproche une finition moralisatrice et je comprends ce genre d'élan disgracieux, je saurai en tenir compte.

Avançons, avançons ! :-)
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