Leïlo

[ptipimous]

Tu crois qu’il n’y a que toi qui a des problèmes ? Assieds-toi là et visualise :
Devant toi, une route de campagne. Une vraie, hein ? Pas le p’tit village et son doux clocher, la boulangerie et sa mémère au chien; non, non. LA cambrousse. Du bitume tout droit, des arbres des deux côtés et là, au milieu de pas grand chose : une cabine téléphonique.
Et on ne sait pas d’où ni pourquoi, d’ailleurs on s’en moque, arrive Leïlo.
C’est un type bien Leïlo. Le genre courageux, souriant, travailleur. Dans sa salopette, il a l’air coquin mais son petit chapeau le rend sérieux. C’est ça Leïlo, tout en contraste. Tu le vois qui se pointe de loin, petit point qui grossit à l’horizon de sa démarche légèrement donaldesque. Rassure toi, il a beau s’approcher, il n’occupera jamais tout l’espace, avec ses 80 cm sur talon, il a beau se donner du mal, tu verras toujours le décor.
Leïlo donc, a un coup de fil à passer. Il a un plan avec un cirque qui est en manque de rabougris. Et lui, il est prêt à n’importe quoi. Son truc serait plutôt la magie. La longue cape (quoique tout est relatif) et le prestige du chapeau haut de forme l’ont toujours attiré. Mais pour l’instant, il a plutôt fait autre chose : l’homme canon, le contorsionniste (ça manquait d’envergure, reconnaissons le)... Enfin, il est passé partout où l’on pouvait le tasser, l’enfermer et faire remarquer encore plus sa petitesse. Il est monté sur des chevaux, des ânes, même des singes. On lui a mis un tutu de danseuse, un nez de clown... Lui qui rêvait d’être “le grand Leïlo”, le monde entier s’est évertué à le confiner dans des rôles subalternes, de faire valoir. C’est à croire qu’il n’y a qu’une seule cible aux tartes à la crème de l’univers : lui.
Un brave gars pourtant. Et optimiste avec ça. La preuve : il rentre dans la cabine. Ce cirque est un grand cirque qui a un grand numéro avec des nains. Il lui faut cette place.
Il farfouille dans ses poches, en retire quelques pièces de monnaie, les bonnes, celles qu’il faut pour téléphoner (tu croyais que c’était ça la galère ? Hé hé ! Non !) Nous sommes à la campagne. La cabine est ancienne mais contrairement aux cabines parisiennes, elle n’est pas trop sale, ni trop dégradée. Il n’y a plus de bottin, mais notre nain s’en fout, il a son numéro.
Seulement, seulement, seulement (allez ! Ne dis pas que tu ne m’as pas vu arriver !) l’escabeau n’est pas fourni avec !
Première opération : décrocher. Bon. Pas facile, mais faisable en agitant frénétiquement le fil de métal, le combiné fini par tomber.
Mais le monnayeur est tout en haut.
Première solution : sauter. Il le fait un peu, pour dire mais c’est impossible de sauter assez haut et viser si juste pour que la pièce rentre dans la fente.
Deuxième hypothèse : la tablette à côté du téléphone. Inaccessible aussi. Mais s’il parvenait à monter dessus, il serait tiré d’affaire. Il range ses pièces. Le voilà qui s’accroche, tente de hisser son tronc d’adulte sur ses petits bras d’enfant. Ses petites pattes battent l’air. Il retombe lourdement, le menton sur la tablette, c’est tout ce qu’il réussira à y mettre (peut-être une dent aussi ?)
En jurant, il met un grand coup de pied à la paroi de la cabine (puisqu’il ne peut pas massacrer l’appareil.) Ce qui lui donne une autre idée : s’il s’adosse à la vitre et qu’il met ses pieds sur celle d’en face, il peut peut-être monter en opposition, le long des carreaux. Il essaie une première fois, mais il n’est pas du bon côté, le fil du combiné est trop court, s’il le lâche, il ne pourra pas le récupérer. Bon. Dans l’autre sens. Il grimpe, il glisse, il tombe. Sur les fesses, cette fois, mais tout aussi lourdement. Leïlo grogne en se frottant le derrière et met un autre coup de pied (à la porte, pour ce coup là.) Pourtant, son stratagème a bien failli marcher. Il recommence et change de côté. Tant pis pour le combiné, il se débrouillera mais il lui faut la tablette.
Cette fois, il y est. Il a envie de sauter de joie, mais Leïlo n’a pas deux ans. Il en a même trente. Et trente ans à vivre dans un monde qui n’est pas à ta taille, non seulement ça force le respect, mais ça apprend à ne pas crier “ouais !” alors qu’il y a encore un chapelet de “non” digne d’une neuvaine à peine entamée par une bénédictine fatiguée !
Il faut récupérer le combiné.
Le voilà qui se couche sur l’appareil, le monnayeur lui refait l’estomac au passage. Et re-reptation, et re ses petites jambes qui s’agitent, essayant de trouver un point d’appui. De plus, l’appareil n’est pas large. Et l’ami Leïlo, s’il n’est pas grand, par contre, côté largeur... tu jugeras de l’équilibre instable de cette petite chose gesticulante. Il s’accroche, bat l’air du bas, plaque le haut, tend ses petite doigts et agrippe le fil. Y’a plus qu’à remonter. D’une seule main, l’autre lui sert de crampon. C’est entre ses doigts (j’te dis qu’il est magicien !) qu’il repêche et ramène le combiné noir. Retour sur la tablette, le monnayeur a eu cette fois une partie délicate de son anatomie. Notre acrobate va donc opérer une pause. (Il ne latte rien, il ne peut momentanément pas !)
Sur le panneau devant la cabine est écrit : “décrochez, mettez la somme requise, composez votre numéro”. Seulement, voilà une demi heure bon poids que Leïlo a tenté l’ascension du mont Télécom. Et il n’a plus de tonalité. “Bip, bip” lui fait d’un plastique narquois la poignée de valise qui pue. Il faut donc raccrocher et décrocher de nouveau. Tu me suis ?
Cette fois notre pitre (car c’en est vraiment un, non ?) décide de le tenter par la face est, lisse. Plus dur mais les aspérités de la face nord lui ont déjà coûté cher. Telle la mouche moyenne, il s’aplatit contre la cabine, se jette dans le vide et plaque une main salvatrice sur la paroi en face. De sa main libre, majestueux, il raccroche et décroche... Et reste là, en travers, faisant presque exactement la largeur de la cabine, bras tendus.
Il est nul, il a perdu et ça le fout en rogne. D’un coup d’abdo, il lâche la vitre et s’accroche au dessus de la cabine. Il renonce au combiné, il n’a pas le choix. Suspendu par un bras, il fouille dans sa poche et met les pièces dans la fente. Un gros mot, il se laisse choir et se retrouve en bas. Il faut faire le numéro. C’est en haut. Y’en a marre. Le cadran est à quelques centimètres de ses doigts. Il se déshabille intégralement, met en tas, en boule, tout ce qu’il a sauf son galure. Et à poil, juché sur ses fringues, il fait son numéro de téléphone en filant un grand coup de pompe devant lui. Mais il ne les a plus, ses pompes. Il y laisse deux orteils !
Haletant, au bord du marasme, il déballe son identité, le pourquoi de son appel, son CV et tutti quanti. Quand il s’arrête, hors d’haleine, le sang bouillonnant dans ses oreilles, et très inquiet car venant de l’horizon, un autre point s’approche alors qu’il est toujours en équilibre instable sur sa jolie salopette et sa chaussure gauche, dans une tenue qui ne peut lui rapporter que des ennuis, il parvient à comprendre : “passez toujours nous voir, mais vous êtes trop grand. La personne que nous cherchons ne doit pas toiser plus de 70 cm.”
Alors ? T’as toujours des problèmes ?

[Peter Pan]

Bonsoir ptipimous,

je ne vais pas vous mentir, je n'ai lu que la première phrase de votre texte ; je vous lirais sûrement entièrement demain mais m'est avis que l'introduction est lourde en "que" :

Tu crois quil n'y a quetoiqui a...

La fatigue me gagne, c'est pour cela que je ne persévère pas plus loin, je souhaite vous lire dans de bonnes conditions...

[Invité]

J'ai bien aimé, l'idée est bonne, le ton tendre dans la cruauté de ce qui est raconté, cela dit je ne comprends pas un truc : quand le nain est monté sur la petite planchette, et qu'il a le combiné en main, il doit bien sûr raccrocher et redécrocher, puisque cela fait trop longtemps qu'il a décroché la première fois, mais pourquoi cela pose-t-il problème ? Sur sa tablette, il est à bonne hauteur, non ? Est-ce une question d'exiguïté du support ?

Une faute de frappe :
"tend ses petits doigts"

[silene82]

Mignon comme tout, j'ai bien aimé. Mais bon, s'il est trop grand, il peut peut-être se faire raccourcir, non? Nain et cul-de-jatte, ça serait plus vendeur, non?

[Invité]

Une chute qui fait mal !
J'aime beaucoup cette façon tendre de croquer le portrait de Leïlo, on ne peut s'empêcher de compatir à ses mésaventures. Le ton du texte m'a semblé très juste.

[Peter Pan]

Bonjour ptipimous,

aujourd'hui j'ai lu le reste et, comme l'abbé, j'ai souvent souri.
En vous lisant on (enfin je) arrive facilement à s'imaginer la scène.
J'ai pensé à Gaspard le nain qui voulait bien qu'on le lance... ce même côté absurde et pittoresque.

C’est un type bien Leïlo. Le genre courageux, souriant, travailleur. Dans sa salopette, il a l’air coquin mais son petit chapeau le rend sérieux

Le nom du petit homme et le reste m'ont évoqué la chanson des sept nains rentrant du travail : Leïlo Leïlo, on rentre du boulot...

Rassure toi

Ce n'est qu'un minuscule détail mais vous avez dû oublier le trait d'union.

[ptipimous]

Hello !
Pour répondre à socque (je suis SÛRE ! d'avoir la bonne ortho !) au moment où il raccroche et décroche, il n'est pas sur la tablette mais a les pieds contre une paroi et l'autre main contre la paroi d'en face, il fait la largeur, bras tendu de la cabine, ce qui fait que pour faire son numéro, il doit lâcher le combiné !

Et pour info et pour Peter Pan (c'est un comble) les nains de Blanche Neige ne chantent pas Leïlo, Leïlo mais Hey Ho Hey Ho !

[Invité]

Je vois un peu mieux, mais c'est cela qui met le doute, je trouve :
"C’est entre ses doigts (j’te dis qu’il est magicien !) qu’il repêche et ramène le combiné noir. Retour sur la tablette, le monnayeur a eu cette fois une partie délicate de son anatomie. Notre acrobate va donc opérer une pause. (Il ne latte rien, il ne peut momentanément pas !)
Sur le panneau devant la cabine est écrit : “décrochez, mettez la somme requise, composez votre numéro”. Seulement, voilà une demi heure bon poids que Leïlo a tenté l’ascension du mont Télécom."

[Sahkti]

Tout ceci est très visuel et ça apporte beaucoup au texte, notamment l'atténuation du début que j'ai trouvé par moments laborieux. Evidemment, je comprends qu'il faille faire durer ces explications et descriptions, ça rend la chute plus cruelle, mais la limite du "trop" n'est pas vraiment loin.
Ceci dit, le personnage est attachant dans sa maladresse et on ne peut s'empêcher de ressentir de l'empathie face à ces centimètres qui sont soit insuffisants soit en trop... la vie peut-être terrible!
C'est bien mené en tout cas.

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