Gommage impair et passe

[Ba]

- Messieurs, j'espère que vous êtes prêts ?
- Oui
- En ce cas, je vous demanderais de bien vouloir prendre la page 4, ligne 15.
- Nous y sommes
- Parfait, auriez-vous l'amabilité de bien vouloir remplacer le nom " feu " par l'expansion adjectivale " ardeur junévile " ( on entend grincer des plumes ). Relisez je vous prie.

( une voix dans un filet soprane ) :" Il s'enlacèrent dans une ardeur juvénile "
- Monsieur puis-je me permettre de vous faire remarquer que le " juvénile " bien qu'attrayant dans la force qu'il évoque ainsi que le spontanéité qu'il dégage, est loin de convenir à deux octogénaires ?

SILENCE DE PLOMB
- Vous avez raison. Remplacez-donc octogénaires par adolescents.
- Mais ne craignez-vous pas que cela soit redondant ?

SILENCE DE MARBRE
- En effet, nous allons supprimer adolescents par " êtres sans âge ".Relisez.
( la même voix dans le mezzo ) : " Les deux êtres sans âge s'enlacèrent dans une ardeur juvénile ".
- Cela vous convient-il ?
- Je ne sais pas trop, j'hésite, voyez-vous, " l'ardeur " m'interpelle dans le sens où...

SILENCE D'EBENE

- Dans le sens où ? ( ton glacé )
- Euh...Je ne sens pas exactement le sens de cette phrase. Pour tout vous dire je ne la comprends pas dans son essence. J'ai du mal avec l'enlacement ardent et juvénile pour deux êtres non répertoriés dans le spatio-temporel. Vous saisissez ?

SILENCE TOUT COURT

- " Spatio " quoi ?
- Temporel. C'est le moment où le personnage suspend le temps de la fiction et le jointe dans celui de la narraton, pour ne plus faire qu'un comme l'oeuf de Platon.
- Je ne vois pas le rapport ( ton glacé en passe de se congeler ) Vous me semblez bien au fait de la sémiologie contextuelle jeune homme. Et que vient piétiner Platon dans ce roman ?
- Je l'ignore monsieur il est arrivé tout seul.
- Demandez-lui de sortir et revenons à notre syntagme. Etes-vous prêts ?

Voix enthousiastes : - OUI

- Bien, prenez la page 280, ligne 20 remplacez " éternel " par " sans limite ". Ce qui donne ?
- Ils s'aimèrent d'une haine sans limite.
- Parfait " Ils s'aimèrent d'une haine sans limite jusqu'à la fin du temps imparti ", parfait, magnifique, incroyable, extraordinaire, étonnant, superbe, rare. Avez-vous remarqué comme je crescendote et décrescendote sans me casser la figure de style ?

Voix enthousiastes : - OUI

- Voilà messieurs, voilà comment un titan construit son oeuvre, voilà comment il fait bon au soleil du génie. Ah, comme j'aime à m'aimer....

Un temps très indéterminé.

La petite voix du début en haussant légèrement le ton :

- Monsieur j'espère que ce n'est pas grave mais je viens, par inadvertance, d'effacer le nom de l'auteur sur la première de couverture. Monsieur vous m'entendez ? Monsieur ? Monsieur ? Monsieur ?

SILENCE DE MORT.

[Invité]

Désolée, mon manque d'humour m'empêche d'apprécier. Je n'aime pas ce genre de sarcasme, en trouve le trait forcé.

[Ba]

Au moins vous avez le mérite de toujours lire ce que chacun et chacune produit ici et ceci est déjà de la belle ouvrage.
Quant à l'humour que voulez-vous nul n'est parfait...

[boc21fr]

Tu as eu un problème perso avec un comité de lecture ?
C'est marrant...
mais on comprend ultra-vraiment-trop-vite où tu nous emmenes...
Et il n'y a du coup aucune surprise...
Alors à mon sens...je trouve que tu n'as pas ASSEZ forcé le trait...
Tant qu'à foncer dans le mur autant mettre les gazs à fond et faire le plus gros prout possible...
Mais voila...moi je suis un primaire qui ne marche qu'à la tarte à la crême (ou aux murs c'est selon).

[Invité]

Je suis partagée, je trouve que l'idée est très bonne, mais je ne suis pas totalement conquise, il m'a manqué quelque chose dans l'articulation de la démonstration je crois, qui fait qu'on reste un peu trop en dehors. Mais j'ai plutôt bien aimé.

[bertrand-môgendre]

De mon côté le silence de mort m'a tellement surpris que j'ai du relire. Il manque quelque chose.
J'aime bien le dialogue, la montée en puissance de cet individu tellement sûr de lui qu'il ne doute pas d'être autrement que le meilleur dans son domaine.

[Arielle]

- " Spatio " quoi ?
- Temporel. C'est le moment où le personnage suspend le temps de la fiction et le jointe dans celui de la narraton, pour ne plus faire qu'un comme l'oeuf de Platon.
- Je ne vois pas le rapport ( ton glacé en passe de se congeler ) Vous me semblez bien au fait de la sémiologie contextuelle jeune homme. Et que vient piétiner Platon dans ce roman ?
- Je l'ignore monsieur il est arrivé tout seul.
- Demandez-lui de sortir et revenons à notre syntagme. Etes-vous prêts ?

Succulent, cet échange ! Pour le reste, et contrairement à Boc, je trouve que tu pousses un peu trop la caricature mais peut-être que mon sens de l'humour ...

[Invité]

Ôn entend grincer toutes les dents des engrenages, ça me fait jubiler !

[Mure]

J'ai bien ri !
Votre texte m'a donné l'impression d'une rythmique théâtrale.
J'imagine très bien les personnages derrière un rideau rouge, annoncés par les trois coups.

Merci merci merci. ;-)

[Romane]

Ah j'adore ! J'adore parce que j'ai pensé à "La leçon" de Ionesco. Le genre de truc qu'on peut relire cent fois, cent fois il emporte sur cent rêves. Et c'est drôle et percutant. Insolent. J'adore !
Je ne peux m'empêcher d'imaginer la scène visuelle que ce texte pourrait générer sur scène.
Merci !

[Ba]

Merci à vous tous; non pas de problème avec un comité de quoi que ce soit.
Oui, le but serait de le jouer.
Non je ne ferai pas mourir l'élève par ce que le professeur a disparu.
En attendant, comme j'aime Ionesco et Beckett et Audiberti je me trouve donc en bonne compagnie.
Bon week-end à la compagnie de la troupe virtuelle !

[Sahkti]

Un exercice amusant qui aurait pu être développé, par simple plaisir, tant il m'a paru fluide et naturel. Avec de temps à autre un clin d'oeil vers la littérature semio-définitionnelle chère à l'Oulipo, sur laquelle je me suis exercée plus d'une fois dans le cadre d'exercices :-)

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