Interview

[High_Voltage]

Il est heureux, mon cher, qu'il ait été possible
De vous accaparer, du moins pour quelques heures
Car si le public sait que vous êtes la cible
De très nombreux et virulents contradicteurs
Il s'enthousiasma beaucoup dès qu'on fit l'annonce
Qu'à toutes ces critiques vous auriez réponse
Commençons-nous ?

- Sans plus tarder ; je vous l'avoue :
Si ma diatribe suscitait la polémique
Ne m'interrompez pas ; ce bourbier médiatique
Dans lequel s'enlisent vos concurrents et vous
Me comble et me réjouit, et ce depuis des mois
En bien, en mal ; enfin, qu'on parle de moi !

- L'actualité m'impose une question première
Des bataillons entiers d'estivants incrédules
Se plaignent des chaleurs, et que vous laissez faire…

- Le temps n'est pas de moi ; ceci est ridicule
Quant au plan défaillant contre la canicule
J'aimerais l'exposer plus intelligemment

- Faites, je vous en prie, car nous avons le temps.

- Vous m'avez vu hier, au journal de vingt heures
Pénétrer vaillamment, sans reproche et sans peur
L'infâme établissement d'un quartier, l'abîme
Où croupissent gaiment des vieillards anonymes
Et j'ai fait appliquer dans ces bas-fonds du monde
Les lois prescrites par ma cervelle féconde
Ventilateurs éteints, des fontaines purgé
Droit de non-assistance à l'ancêtre en danger
J'espère parvenir, petit calcul de tête
A résoudre en deux mois la question des retraites

- Sublime et audacieux ! Et sur l’éducation ?

- Je distribuerai flatteries et mentions
Sujet sensible, il s’agit de faire attention
S’attirer les faveurs de ces manifestants
Racaille constituée de préadolescents
Gueulards invétérés qui profitent des grèves
Qui viennent perturber leurs cours comme des trêves
Ils hantent les couloirs en fumant des horreurs
Comment pourrais-je en faire de vrais travailleurs
Quand ils viennent bloquer leur lycée au matin ?
Je me contente donc, afin de leur complaire
De les laisser faignants, si ceci les fait taire
Notre école pourra fabriquer des crétins

- Il faut bien en effet satisfaire ces pitres
Nous allons évoquer un tout autre chapitre
On nous a alarmés, en dernière session
Où quelques députés, épars dans l’hémicycle
Causaient et débattaient sur la récession

- Mais moi je n’y puis rien ! Mais il s’agit de cycles !
Le monde est ainsi fait : emprunts spéculatifs
Merdier immobilier, familles sur la paille
Est-ce que je me plains, moi ? Est-ce que je braille ?
Non : lucide et serein, sans faire de manifs
J’ai lancé des actions et des plans de relance
Qui dépasseront à coup sûr nos espérances

- Vous avez bien raison ; évoquons la santé.

- Il vous faudra manger, et ce en un seul jour
Cinq légumes et fruits, quoique ça semble lourd
Le peuple se devrait de se montrer sportif
Et d’user du vélo et du préservatif
Mais en bon patriote et fort de mon accord
L’individu moyen engloutira du vin
Qui noiera l’affreux goût de notre roquefort
Celui dont ne veut plus le moindre Américain
Suite à nos légers différends transatlantiques
Quoique j'aie tenté le passage en contrebande
Concluons à présent en chantant des cantiques
Le monde de demain, ce sera Disneyland
Je vous promets du pain et des jeux à la con
Je vous regarderai du haut de mon balcon
Mais, quoique j’en souffre, pour continuer l’action
Il vous faut procéder à ma réélection

[Invité]

Amusant ! J'aime bien le choix de la forme... Vos dodécasyllabes comportent toujours bien les douze réglementaires, me semble-t-il, cela dit ils sont parfois difficiles à scander, ne "coulent" pas bien. Si l'exercice vous amuse, je ne saurais trop vous encourager à lire ou relire les pièces de Molière en vers (Le Tartuffe, Les femmes savantes par exemple), pour vous mettre dans l'oreille des alexandrins naturels. Racine aussi, c'est pas dégueu, mais correspond moins au genre de votre texte...

Une remarque :
"Où croupissent ga[b]îment (ou "gaiement", mais pas "gaiment")"

[Saint Georges]

Vous avez réussi le pari de présenter un débat politique en vers de 12 syllabes. Mais j'ai l'impression que vous avez perdu autre chose.

Le fond du débat est fade en raison de cette contrainte. A côté de cela, vos vers perdent en élégance formelle du fait du contenu.

Je vous relirai avec plaisir.

Saint Georges

[Invité]

J'aime assez l'aspect dérisoire de la chose même si je me dis qu'on aurait pu faire plus fort côté expression, il n'y a ici rien de novateur ou de surprenant. Ceci dit, j'apprécie et applaudis le travail sur la forme poétique pour une lecture plaisante et fluide.

[Ento]

Ah! Enfin quelque chose de "fun" xD!

Vous avez raison; l'alexandrin sonne bien trop précieux de nos jours pour qu'on ne l'utilise que sur fond de tragédies et de thèmes barbants!

Bon, ce texte est loin d'être parfait c'est sûr, j'en veux pour preuve un rythme un peu (très!) bancal par moment (du fait de l'abandon de la césure contraignante après les 6 premières syllabes! — où après n'importe quel nombre de syllabes, du temps qu'il y a régularité et que le lecteur puisse s'adapter à un rythme une bonne fois pour toute du début à la fin du poème! —). Ici, par exemple:

Est-ce que je me plains, moi ? Est-ce que je braille ?

Le 7/5 n'est pas très chouette...^^

Il y a aussi quelques (un seul?) rare(s) non-alexandrin(s):

En bien, en mal ; enfin, qu'on parle de moi !

11 syllabes, il me semble.

...Et des tournures pas très heureuses.

M'enfin, je dois dire qu'il y a quand même quelques perles qui valent le détour!

- Le temps n'est pas de moi ; ceci est ridicule
Quant au plan défaillant contre la canicule
J'aimerais l'exposer plus intelligemment

J'espère parvenir, petit calcul de tête
A résoudre en deux mois la question des retraites

- Sublime et audacieux !

M'ont fait rire tout seul devant mon écran^^!

Sans oublier la dernière strophe qui est un festival/

Bon, je dois aussi reconnaître que c'est parfois la cause de propos assez bizarres (qui ont été conditionnés par la rime, sûrement, mais qui ont leur effet!)

Il vous faudra manger, et ce en un seul jour
Cinq légumes et fruits, quoique ça semble lourd

Personnellement, les 5 fruits et légumes par jour ne m'impressionnent pas, mais bon peut-être que d'autres rechignent...^^


Bref, j'ai aimé ce texte, avec des défauts, certes, ce qui n'enlève rien au comique de l'affaire. Merci pour ce bon moment;

Au plaisir de vous relire!

[Madeline]

Les discours en vers sont innombrables. Le théâtre des XVIIème et XVIIIème siècles notamment en sont farçis. Sauf chez de très grands auteurs toujours lus et/ou joués, ils n'ont de véritables rapports avec la poésie telle que depuis le romantisme nous l'entendons que l'emploi du vers mesuré et de la rime - encore la poésie a-t-elle pris ses distances avec ces conventions dès le début du XXème siècle et produit des textes de valeur sous des formes très diverses comme , pour n'en citer que deux, "La Berline arrêtée dans la Nuit" de Milosz ou "Pleine Marge" d'André Breton... Pour en revenir au texte que je commente, il est maladroit. Quand on a des modèles, il faut au moins les égaler, ce qui est à cent lieues d'être le cas. Néanmoins, qu'il me soit permis de conseiller à l'auteur de persister car, "avant d'être capitaine, il faut être matelot" comme disait (en anglais) Long John Silver.

[Sahkti]

L'exercice est en effet plaisant, à condition d'être bon client pour ce type de raillerie, ce qui n'est pas toujours mon cas, mais ceci est subjectif et n'a rien à voir avec l'écriture.

Je ne m'exprimerai pas sur la technicité des vers et le comptage des syllabes, trop de spécialistes ici font cela mieux que moi! J'ai trouvé la lecture de ce texte plaisante à l'oreille, musicale à souhait. Toutefois, je me demande si la forme n'a pas bridé le fond, si le contenu ne s'est pas retrouvé prisonnier d'un rythme qui l'a enfermé dans quelque chose. Cela expliquerait peut-être, à mes yeux, pourquoi je trouve que cette moquerie reste bien gentille et ne présente guère d'allure caustique.

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