Chant de tirs

[Ba]

Ils se rencontrèrent dans une fête foraine, plus précisément au stand de tir tenu par un dur à cuir.
Elle n'aimait pas les armes, il passait le plus clair de son temps dans des lieux obscurs à viser et liquider tout ce qui bouge.
Autant dire qu'il était occupé et comptait des charrettées de cadavres à s'endormir sans un mouton.
Elle, préférait les promenades romantiques dans les parcs ouverts la nuit, de préférence au moment de la pleine lune très bosselée, crayeuse, et menstruelle.
Syndrome bovarien avait dianostiqué le médecin de famille à deux doigts de la retraite. Les parents affolés avaient contacté S.O.S âmes en détresse.
En vain, nul n'était en mesure de supprimer la pleine lune ou de fermer les parcs encore moins les deux à la fois.
Il fallait se résigner à supporter dans la famille qui avait pignon sur cour, un élément détraqué. Madame mère se consuma rongée par cette évidence : les chiens font des chats mais on ignore avec qui.
Elle s'éteignit un jour ( ? ) ou les cratères lunaires fêtaient leurs millions d'années d'inexistence. Mademoiselle fille prit le deuil deux nuits entières pendant lesquelles quelques uns la virent errer au cimetière marin en déclamant du Bossuet.
On en était là.
Enfin elle.
Pour ma part je n'aurais pas supporté deux minutes de plus un rejeton pareil et l'aurais bien vite fourguée aux petites Soeurs de la Visitation à Lourdes.
C'est dans cet état de coeur qu'elle se rendit, avec ses deux amies de fonds de pension, à la fête des Lampadaires exceptionnellement installée dans cette bourgade à crever les pneus de l'ennui.
Si je devais vous décrire leur état psychologique, je vous dirais noir sur blanc qu'elles étaient heureuses, vierges et pressées de tomber sur un pince charmant mais pas trop près.
Il faisait doux en cette fin de journée, un temps à boucs et bichettes. L'un dans l'autre l'idéal.
Les rues animées par le guignol de service, un soleil déclinant mais encore en état de marche, les poussaient vers l'entrée de la foire. Elles faillirent se perdre mille fois dans la foule des ballons, des enfants et des badauds actifs tout occupés à jouir de cette minute éphémère : se fondre dans le mou.
Mademoiselle fille se retourna plusieurs fois, chercha ses camarades de confidences, les retrouva, les perdit, les égara dans une allée plus fréquentée et se retrouva pour finir cette ellipse, devant Monsieur le tireur.
Coup de foudre ? Pas du tout, il la trouva moche, elle se boucha le nez tant il puait des aisselles.
Alors quoi ? Qu'est-ce ?
Encore une histoire à la Proust pour prouver que l'amour est aveugle ?
Vous n'y êtes pas.
C'est en voyant sa nuque, qu'elle tomba raide.

Tour de cou épais, un peu rouge aux plis, légèrement piqué de points noirs vers le dos, poils roux aux épaules, taurin à souhait.

Une force, un " je ne sais quoi " d'animal la fit chanceler et se rattraper à son bras mouillé de sueur ; le choc inattendu le fit dévier de sa cible et tourner le fusil dans sa direction, il tira dans un juron - " Eh merde ! la conne ! ".

Elle n'entendit jamais le dernier qualificatif, les oreilles bouchées par la déflagration et le filet mignon du sang qui dessinait sur son cou à elle, comme un petit chemin au clair de prune.
Seul un immense chant de silence l'accompagna dans sa chute.

[Invité]

La fin, excellente ! Votre style est fort maîtrisé, amusant. Bon, je ne suis pas cliente de ce primesaut qui pour moi sonne forcé, mais enfin c'est mon problème. Vous savez ce que vous faites et le faites bien, en outre dans ce texte, pour moi, le trait n'est qu'à peine trop appuyé.

Quelques remarques :
"charretées (et non "charrettées", bien qu'on écrive "charrette") de cadavres"
"En vain, nul n'était en mesure de supprimer la pleine lune ou de fermer les parcs (manque peut-être une virgule ici, pour la respiration ?) encore moins les deux à la fois."
"Elle s'éteignit un jour ( ? ) où les cratères lunaires"
"quelques-uns la virent errer"
"Pour ma part je n'aurais pas supporté deux minutes de plus un rejeton pareil et l'aurais bien vite fourguée (ça se discute, puisque le rejeton est une fille, mais je pense qu'en l'occurrence il serait plus grammatical d'écrire "fourgué") aux petites Sœurs de la Visitation à Lourdes.
C'est dans cet état de cœur (je le redis ici : le caractère "œ" n'est pas une aimable fantaisie, mais fait partie de la graphie en français au même titre que les accents)"
"pressées de tomber sur un pince (ou "prince" ? Peut-être est-ce volontaire ; j'aime ces menus décalage, du genre "pignon sur cour" au lieu de "pignon sur rue") charmant"

[silene82]

Je pensais que c'était un tireur de coups. Je suis déçu.

[Invité]

Alors là bravo !
J'ai aimé l'ironie légère du récit, cette façon distancée de se moquer gentiment, avec une chute tragique mais atténuée par la même volonté de se tenir en retrait du récit ; et par-dessus tout j'ai apprécié le travail sur le vocabulaire, les détournements d'expression, surtout lorsque cela passe presque inaperçu à la lecture.

J'ai adoré la formulation tendrement caustique de ces deux évidences :

En vain, nul n'était en mesure de supprimer la pleine lune ou de fermer les parcs, encore moins les deux à la fois.

Madame mère se consuma rongée par cette évidence : les chiens font des chats mais on ignore avec qui.

J'en souris encore.

NB : quelques-uns

[Invité]

En vain, nul n'était en mesure de supprimer la pleine lune ou de fermer les parcs, encore moins les deux à la fois.

Madame mère se consuma rongée par cette évidence : les chiens font des chats mais on ignore avec qui.

[Ba]

Ils se rencontrèrent dans une fête foraine, plus précisément au stand de tir tenu par un dur à cuir.
Elle n'aimait pas les armes, il passait le plus clair de son temps dans des lieux obscurs à viser et liquider tout ce qui bouge.
Autant dire qu'il était occupé et comptait des charretées de cadavres à s'endormir sans un mouton.
Elle, préférait les promenades romantiques dans les parcs ouverts la nuit, de préférence au moment de la pleine lune très bosselée, crayeuse, et menstruelle.
Syndrome bovarien avait dianostiqué le médecin de famille à deux doigts de la retraite. Les parents affolés avaient contacté S.O.S âmes en détresse.
En vain, nul n'était en mesure de supprimer la pleine lune ou de fermer les parcs, encore moins les deux à la fois.
Il fallait se résigner à supporter dans la famille qui avait pignon sur cour, un élément détraqué. Madame mère se consuma rongée par cette évidence : les chiens font des chats mais on ignore avec qui.
Elle s'éteignit un jour ( ? ) où les cratères lunaires fêtaient leurs millions d'années d'inexistence.
Mademoiselle fille prit le deuil deux nuits entières pendant lesquelles quelques-uns la virent errer au cimetière marin en déclamant du Bossuet.
On en était là.
Enfin elle.
Pour ma part je n'aurais pas supporté deux minutes de plus un rejeton pareil et l'aurais bien vite fourgué aux petites Soeurs de la Visitation à Lourdes.
C'est dans cet état de coeur qu'elle se rendit, avec ses deux amies de fonds de pension, à la fête des Lampadaires exceptionnellement installée dans cette bourgade à crever les pneus de l'ennui.
Si je devais vous décrire leur état psychologique, je vous dirais noir sur blanc qu'elles étaient heureuses, vierges et pressées de tomber sur un pince charmant mais pas trop près.
Il faisait doux en cette fin de journée, un temps à boucs et bichettes. L'un dans l'autre l'idéal.
Les rues animées par le guignol de service, un soleil déclinant mais encore en état de marche, les poussaient vers l'entrée de la foire. Elles faillirent se perdre mille fois dans la foule des ballons, des enfants et des badauds actifs tout occupés à jouir de cette minute éphémère : se fondre dans le mou.
Mademoiselle fille se retourna plusieurs fois, chercha ses camarades de confidences, les retrouva, les perdit, les égara dans une allée plus fréquentée et se retrouva pour finir cette ellipse, devant Monsieur le tireur.
Coup de foudre ? Pas du tout, il la trouva moche, elle se boucha le nez tant il puait des aisselles.
Alors quoi ? Qu'est-ce ?
Encore une histoire à la Proust pour prouver que l'amour est aveugle ?
Vous n'y êtes pas.
C'est en voyant sa nuque, qu'elle tomba raide.

Tour de cou épais, un peu rouge aux plis, légèrement piqué de points noirs vers le dos, poils roux aux épaules, taurin à souhait.

Une force, un " je ne sais quoi " d'animal la fit chanceler et se rattraper à son bras mouillé de sueur ; le choc inattendu le fit dévier de sa cible et tourner le fusil dans sa direction, il tira dans un juron - " Et merde ! la conne ! ".

Elle n'entendit jamais le dernier qualificatif, les oreilles bouchées par la déflagration et le filet mignon du sang qui dessinait sur son cou à elle, comme un petit chemin au clair de prune.
Seul un immense chant de silence l'accompagna dans sa chute.


Merci à vous correcteurs à l'oeil de lynx.
Socque, je suis désolée mais je ne sais pas encore rentrer le e dans le o.

[Invité]

Si vous disposez de Word, vous avez le raccourci clavier suivant :
Appuyer sur la touche "Ctrl" en même temps que sur "&", puis sur "o".

Sinon, il vous suffit de copier-coller à partir de n'importe où, Vos Ecrits par exemple. Tenez, une réserve (je pourrais en mettre un seul, ils ne s'usent pas quand on s'en sert) :
œœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœœ

[Ba]

Merci Socque de tout CœuœuœuœuœuœuœuœuœuœuR !

[mentor]

j'ai toujours gardé l'espoir de pouvoir un jour lire (et comprendre) du Ba
j'ai bien fait :-))
beaucoup aimé, le ton, la vivacité, le vocabulaire, les trouvailles (les 2 amies de fonds de pension etc)
excellent, Ba, encore des comme ça !

[Madeline]

Ni Alphonse Allais. Ni Pierre Dac (peut-être un chouia de lui quand même). Du (de la ?) Ba. J'ai beaucoup aimé. Il y a quasiment une invention par phrase. On sent que vous n'aimez rien tant que notre belle langue française (il est interdit de ricaner...).

[boc21fr]

Ah ben voila une bonne écriture bien dense...
C'est bien du Ba !
Ah la vache le boulot...
Sérieusement tu as mis combien d'heures à peu près pour pondre un texte comme celui-là ?
Toutes mes félicitations : le bébé s'exprime bien, la chutte est étonnante, le tout m'a emballé...

[Chako Noir]

Même question que socque: pince ou prince?
Et ne dit-on pas dur à cuir?
C'est embêtant tous ces néologismes, parfois on se demande si c'est exprès ou pas!
N'empêche, malgré la petite dose d'incompréhension (notamment le fait que je n'ai compris qu'à la fin) j'ai bien apprécié tout l'ensemble. Autant dire que c'est pour moi un mystère: comprend peu mais aime bien. Y a des fois où les deux collent pas, y a d'autres où ça colle impec. Les textes de Ba sont autres.

[Ba]

Chako, c'est tout fait exprès : le pince et le dur à cuir.
Boc : pas plus d'un quart d'heure de travail, en fait le texte sort clef en mains dans sa presque totalité, comme s'il se construisait tout seul dans la boîte à coudre.
Madeline : honorée de jouer dans la cour d'Allais et de Dac même s'ils ne jouent pas avec moi.
Mentor : merci tout simplement.

[Madeline]

Dans mon texte "Portrait de KK", je maintiens l'orthographe "dotées". Veuillez vérifiez vos "connaissances" sur l'accord du participe passé avec l'auxiliaire "avoir" et rectifier à la suite de mon texte...ainsi il "remontera" comme je fais à l'instant même "remonter" le vôtre, ne trouvant pas mieux à faire pour être certaine de vous contacter - car comme chacun ici c'est avant tout sur les éventuels compliments avec lesquels les lecteurs sont susceptibles d'accueillir vos textes que vous concentrez votre attention.

[mentor]

comme chacun ici c'est avant tout sur les éventuels compliments avec lesquels les lecteurs sont susceptibles d'accueillir vos textes que vous concentrez votre attention.

ça va pas recommencer non ?
bon, ce que j'en dis

[boc21fr]

Boc : pas plus d'un quart d'heure de travail, en fait le texte sort clef en mains dans sa presque totalité, comme s'il se construisait tout seul dans la boîte à coudre.

Nom de Dieu, 1/4 d'heure !

[Madeline]

Mentor,
Je ne comprends pas votre observation. Voulez-vous me priver de ma lucidité ? Quand j'écris que nous sommes tous d'abord attentifs à ce que les autres écrivent à propos de nos propres textes, je ne m'exclus pas de ce "tous". C'est une généralité, j'en conviens, mais qui peut se flatter d'y échapper? Pas moi.

[Ba]

Eh les gars et les filles sans compter les mutants de tout horizon ne vous servez pas des textes pour jouer à panpan cucul !
Nous savons tous que nous aimons à être reconnus à cause de nos parents qui nous ont abandonnés au chenil.
Là-dessus nous passerons le reste de nos jours à hurler à la lune pour que ces géniteurs de hasard deviennent notre destin.
Amen et paix à nos âmes en attendant que la grande plume nous emporte à la décharge.

[Sahkti]

Très bien joué pour la fin, directe, sans effets superficiels, bravo !
Beaucoup de finesse dans ce texte, dans son ironie gentiment moqueuse et pourtant cruelle à souhait. Un genre bien maîtrisé, ce qui n'est pas si simple car il est aisé de forcer le trait; il n'en est rien ici. Tu te joues de la langue, ta plume excelle du début à la fin. Encore bravo !
(et merci, parce que tout de même, ça fait du bien de lire de bons textes)

[bertrand-môgendre]

Elle n'aimait pas les armes, il passait le plus clair de son temps...

Histoire de détacher deux êtres distincts avant qu'ils ne soit d'actualité, pourquoi ne pas les séparer à l'aide d'un point : Elle n'aimait pas les armes. Lui passait le plus clair de son temps...

Mademoiselle fille se retourna plusieurs fois, chercha ses camarades de confidences, les retrouva, les perdit, les égara dans une allée plus fréquentée et se retrouva pour finir cette ellipse, devant Monsieur le tireur.

Dans cette série les deux retrouva me semblent trop proches l'un de l'autre pour suggérer la perte de vue, ou alors, ou alors pas assez nombreux ce qui permettrait d'intercaler un autre retrouva entre perdit et égara.

Concernant la crédibilité de l'accident, un plomb est bien inoffensif pour créer tel accident même en tir rapproché.
Bon, tout de même, je vais vérifier la chose sur une cible vivante. Dès que j'ai trouvé un volontaire, je t'infirme ou non cette remarque.

En attendant, ce genre de tableau brossé à l'huile pétillante est bien agréable à l'oeil.

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