Abricot

[M-arjolaine]

Chez nous, il eut pu s'agir d'une coutume toute particulière: sitôt que l'été s'annonçait, nous emplissions de nos plus beaux abricots une magnifique coupe de fruits. Pourtant, aucun de nous n'appréciait particulièrement leur saveur, ni même leur parfum. Moi même, je n'en avais plus mangé un seul depuis des temps immémoriaux. Les suaves odeurs qui s'exhalaient de leurs velours orangés avaient su m'exalter, elles ne savaient plus désormais que m'écœurer. Nous ne leur faisions subir aucun traitement, ils étaient cependant d'une taille respectable, gorgés de soleil, fendillés par endroits d'une chair délicate qui menaçait de s'échapper à tout moment. Dans mon enfance, j'avais dévoré plus d'abricots que ne le feront jamais certaines personnes en une vie toute entière. J'avais connu les grouillements insupportables des asticots blanchâtres qui se tortillaient sur les noyaux, les fourmis minuscules qui m'avaient échappé au premier coup d'œil, mais qui sitôt posées sur ma langue tendue, me chatouillaient de leurs pattes grêles, avec acharnement, la pourriture qui s'étalait sur l'épiderme du noble fruit, et les cicatrices qu'y laissaient les branches, fouettées par les vents des débuts estivaux des arbres du verger.

Il en était ainsi: je ne mangeais plus d'abricots, je n'aimais ni leur goût, ni leur parfum. Leur aspect m'apparaissait trop banal pour susciter en moi de réelles émotions. Il n'était que leur dénomination pour justifier leur présence dans la coupelle: abricots. Le mot était superbe, trop parfait pour qu'une utilisation coutumière en soit envisageable. Je méprisais quiconque jetait ce vocable sans y accorder la moindre pensée religieuse: ma foi toute entière était rassemblée en son incroyable beauté. Aux " veux-tu un abricot ? " je lançais des regards noirs, gamine méprisante, refusant toute négligence d'un vocabulaire qui se savait pourtant contenir des termes exceptionnels.

L'abricot devait être le summum de la parole, un mot unique, privilégié, je ne pouvais l'user que pour en vanter les louanges, et détestant son goût et son parfum, il s'agissait là d'un événement bien rare. J'ignorais ou j'eusse pu le placer pour que sa munificence éclate aux yeux de tous, pour que chacun le murmure tour à tour, dans un chuchotis imperceptible et d'une délicatesse innommable. Associé à d'autres termes que je jugeais trop fades, il perdait de sa superbe. Je décidai qu'Abricot serait un mot unique. Abricot. Il ne serait prononcé que seul, et dans un silence de mort. Il n'y aurait qu'ainsi que sa finesse se saurait éclater aux yeux de chacun.



J'hésite quant à ce petit texte. J'ai eu beaucoup de difficultés à écrire ces derniers temps, et j'ai pondu celui là sans savoir s'il méritait quelque éloge que ce soit. Je reste donc en attente de commentaires .

[Invité]

J'ai bien aimé ce texte, il a une suavité particulière, il est à l'image de ce qu'il évoque, rond et doré ; un peu acide, cependant (les images de l'abricot pourrissant, mangé aux insectes).

"il eût (conditionnel passé deuxième forme) pu s'agir"
"les cicatrices qu'y laissaient les branches, fouettées par les vents des débuts estivaux des arbres (je trouve la formule confuse) du verger"

[Peter Pan]

Bonsoir M-arjolaine,

votre texte a déjà le mérite d'être un progressif retour à l'écriture, c'est un bon début.

Il n'y aurait qu'ainsi que sa finesse se saurait éclater aux yeux de chacun.

Je n'ai pas trop apprécié la tournure de cette dernière phrase et quelques mots sont répétés dans ce texte court (donc assez visibles : coupe, coupelle, parfum parfum, abricot abricot abricot... (bien que conscient qu'il s'agisse du sujet principal).

La prochaine fois n'hésitez pas, il n'y qu'en forgeant que l'on devient forgeron ;-)

[Invité]

Un texte qui aurait de quoi faire dégoûter quiconque de manger ce bon et beau fruit. Alors je ne sais pas si c'est à cause de ça (j'adore, ou plutôt j'adorais les abricots), plutôt réussi, mais l'écriture ampoulée, les tournures précieusesplus que le choix du vocabulaire, m'agacent. Je comprends bien que ce soit ta "griffe", une façon d'écrire qui t'est propre, mais j'aspire à plus de simplicité.

[M-arjolaine]

Je pense que cette image que vous avez du texte correspond parfaitement à celle que je voulais donner ! J'en suis donc satisfaite !
Je ne déteste pas les abricots. Simplement j'essayais de faire ressortir les côtés les plus sombres qu'on peut y trouver ( asticots, fourmis, pourriture... ) alors qu'il s'agit en fait d'un fruit qui n'a rien de réellement irréprochable. Si ce sont ces aspects que j'ai voulu faire ressortir, c'est parce qu'en ce qui me concerne, le goût de l'abricot est toujours camouflé par mes angoisses: et s'il y avait un ver dedans ? Et si j'avais croqué dans un insecte ? Et si tout à coup je me rendais compte que ce fruit est pourri ? Immédiatement, toute la saveur disparait, il ne reste que l'inquiétude à l'idée d'avoir croqué un indésirable. C'est cette angoisse que j'exprimais très indirectement dans ce texte . Et le côté sombre que vous y avez relevé me conforte dans mon idée d'être parvenue à mes fins :).
Easter(Island), je comprends que mon écriture si alambiquée puisse déplaire, et à vous notamment. Je ne sais trop comment y remédier car au fond, ce sont ces tournures longuettes et difficiles à cerner tout à fait qui me plaisent :). Alors j'écris de la sorte, n'en déplaise à votre statut de lecteur, aux critiques par ailleurs tout à fait constructives :).

[Invité]

Moi c'est les cerises qui me font cet effet, provoquent les craintes que tu mentionnes !!

[Invité]

PS : M-arjolaine, je me suis souvenue de revenir dire que si je te tutoie d'emblée, tu es invitée à faire de même, à moins que cela ne te gêne.

[M-arjolaine]

Oui, j'ai du mal à tutoyer les gens plus vieux que moi, et au vu de mon âge, ils sont extrêmement nombreux !
Je persisterai donc probablement à vous vouvoyer ! C'est plus naturel pour moi !

[M-arjolaine]

Le retour progressif à l'écriture se fait doucement mais sûrement

Je suis la perfection. Je suis les larges hanches et les stries régulières, la grâce même faite objet, et la voix mélodieuse. Je suis ce que vous désireriez être, ce que vous ne serez jamais: il en est ainsi, et le sera toujours. Du père qui me façonna avec tendresse, j'ai gardé en mémoire les mille preuves d'amour que je me saurai vous offrir. Votre affection à mon égard sera seule à inciter mes plus ardues douceurs. Je rejetterai toute brutalité, mais il vous serait inutile de m'offusquer de par vos paroles sirupeuses: si vos doigts ne savent que m'effleurer, je ne saurai vous satisfaire. J'attends de vous de la force, et même de la violence: n'hésitez pas à vous montrer vigoureux dans vos étreintes, ni même à écraser mes membres délicats sous vos phalanges tendues. Je ne saurai vous exposer mes limites, c'est à vous et vous seul de les déterminer. Vos écarts vous seront pardonnés, tant que vous vous montrerez incapables de les éviter. Mais je suis un professeur intransigeant: j'exige de vous qu'un geste suffisamment maîtrisé ne retombe jamais dans cette maladresse qui vous est coutumière. Je saurai vous aimer si vous savez me désirer à la manière d'un amant, si vous parvenez à comprendre mes qualités, tout autant que les rares défauts qui me composent. La perfection demeure dans son impossibilité même d'être: à tous ceux qui se plaignent de son absence, il n'apparaît pas une seconde l'idée que leur déception si elle se révélait à leurs yeux serait incommensurable. L'insatisfaction est le lot commun de l'être humain: cela justifie sa trop fréquente impossibilité de découvrir la mienne.

Depuis le concert de Nemanja Radulovic, je peine à écrire sur autre chose que le violon :). Alors voici un texte très court qui contribue à cette démarche de remise en route vers la rédaction ! Avant que la remarque ne me soit faite, je tiens à préciser que j'ai conscience des répétitions du verbe "savoir" sous diverses formes . J'y remédierai dès que je saurai comment m'y prendre !

[silene82]

Le retour progressif à l'écriture se fait doucement mais sûrement

Je suis la perfection. Je suis les larges hanches et les stries régulières, l[/i]

Ah bon, c'est un violoncelle, avec ces larges hanches?Les stries? Vous parlez des ouies? Ou des ondes de l'érable des éclisses?
Votre texte n'est pas déplaisant, je n'y trouve pas mon compte parce que je suis un ancien artisan attaché à la terminologie minutieuse, et qu'un peu plus à la fois de précision lexicale et d'envolée lyrique, voire mystique ne m'aurait pas gêné. Mais, ma foi, ce n'est pas déplaisant.

[Invité]

Je préparais mon commentaire ce matin quand j'ai perdu internet. voici donc, pour ce qu'il vaut.

Ah oui, ça revient, on retrouve ce mélange de préciosité, d'abondance, de ton écriture, et les accents légèrement hardis, teintés de cynisme pour parler d'amour. Au final, ce texte ne me déplaît pas.

Dans le détail :

j'ai gardé en mémoire les mille preuves d'amour que je me ? saurai vous offrir.
tant que vous vous montrerez incapables de les éviter : un singulier plutôt ?

cela justifie sa trop fréquente impossibilité de découvrir la mienne. : à

[azertyui]

sujet difficile mais fort bien emballé...comme un sac d'abricots...évocation de parfums surranés, images sépia d'un temps où vous n'étiez pas encore née... J'ai parfois eut le plaisir de m'imaginer, en vous lisant, dans un court texte de Colette qui, mieux qu'aucune autre, savait décrire une image. C'est tout un art lorsqu'on assemble des mots de réussir à faitre ressentir aux lecteurs le velouté d'une couleur, la profondeur d'une saveur.
Je n'ai rien à vous apporter que mes remerciements

[Invité]

J'ai beaucoup aimé ce texte, je trouve que l'insistance du thème permet, justement, de s'en débarrasser, et de le substituer à l'envie.

[Sahkti]

Abricot... c'est vrai que c'est un joli mot, tu as raison. Tu lui donnes des lettres de noblesse, rondes et savoureuses, tout en contrebalançant cette image gourmande par des aspects plus pratiques de fourmis et d'asticots (betch mais réalité bien présente, je ne mange jamais de fruit sans l'avoir disséqué au préalable, des fois que...et je ne mange plus jamais de cerises pour cette raison précise).
J'ai aimé cette évocation, ample et généreuse, mais je suis restée quelque peu sur ma faim dans les dernières lignes; sans pouvoir dire quoi avec exactitude, j'ai ressenti le manque de quelque chose de percutant, sorte de point final mis à cette relation haine-amour entre un palais exigeant et un fruit.

[Loupbleu]

L'idée de ce texte est intéressante et le tout à des façons un peu proustiennes.

Pour le style :
Il y a beaucoup d'adjectifs (presque pour tous les substantifs) et ça fait un peu trop. Parfois le mot pur a plus de valeur (comme l'abricot)

Tu arrives pas mal à mener des phrases longues, mais il y a encore quelques soucis (c'est la difficulté des phrases longues), des impropriétés, mots et tournures un peu approximatifs, et dans quelques cas des erreurs sur les temps.
Je t'invite à travailler ces détails de langue (c'est pas facile !).

Au-delà, j'ai apprécié ta façon de mêler les temps de narration (retour à l'enfance, des passés continus, du présent), tout ça s'enchaîne plutôt bien.

J'ai bien aimé l'esprit du texte et la façon d'aborder l'écriture.

[Contenu sponsorisé]