El Nino

[ptipimous]

Elle se tenait droite. Le plus droit qu’elle pouvait. Bravement, elle relevait le menton, ses cheveux de flamme scintillaient autour d’elle; elle ne tremblait pas. Dans les boxes à côté d’elle, elle devinait, car elle n’aurait pour rien au monde tourné la tête, le grand prêtre de l’Éclair et du Tonnerre, raide et prétentieux, nimbé de son électricité, si imbu de son pouvoir et de sa personne qu’il n’avait lui même jamais posé le regard sur elle. Près de lui, la toute vieille Pluie, ratatinée comme un temps chagrin, répandue dans la flaque de ses doutes. De l’autre côté régnait leur Maître à tous, auréolé de ses rayons ardents qu’il avait momentanément éteints pour ne pas les griller tous les uns après les autres. Lune s’occupait de créer une éclipse ce qui permettait le déroulement de ce procès si important que tous les seconds couteaux s’étaient déplacés : L’ancêtre Ouragan avec sa fille Tornade et son petit fils Cyclone. Melle Tempête était venue comme à son habitude, vêtue à la dernière mode de feuilles d’automne d’au moins cent espèces différentes. Elle devisait aimablement avec le nouveau nominé, objet du litige, enfant orphelin, appelé El Nino.
Parmi le public, on apercevait Bise et Brise, toujours à se détester sans pouvoir se passer l’une de l’autre, Neige était venue avec Givre en chien de traîneau. Grêle boudait dans un coin, Brouillard n’avait pas voulu l’accompagner.
Melle Chaleur avala sa salive et s’apprêta à s’expliquer. Elle ressassait dans sa tête tous les arguments préparés pour expliquer ce désastre et cette apparition, cet enfant adopté non réclamé. Son problème restait sa conclusion que jamais elle n’oserait formuler.
Éclair attaqua :
- Je l’avait bien dit de ne pas donner tant de responsabilité à une personne aussi jeune.
Maître Soleil gronda, la base de sa couronne rougeoya et chacun ferma les yeux :
- Je donne des responsabilités à qui je veux ! Voyons jeune fille, pouvez vous nous dire ce qui s’est passé ?
- Et bien voilà Votre Soleil; vous m’aviez chargé d’intervenir sur les courants marins à des dates précises que j’ai ici sous les yeux...
Le vieille Pluie suinta :
- Les avez-vous bien notées au moins ?
La jeune Chaleur se redressa encore :
- Bien sûr ! Je suis très attentive à mon travail. Le problème, c’est que vous, justement, ne deviez pas tomber autant à ce moment-là...
- Jeune demoiselle, si je suis comme vous dites tombée, c’est que mon collègue Éclair ici présent m’y a incité
- Comment ? Comment ? On ne peut plus tousser tranquille alors ? Je ne peux plus agiter les bras sans remplir un formulaire en trois exemplaires ?
- Allons, du calme. Restez tranquillement en basse tension, s’il vous plaît !
A ce moment, une girouette arriva, si petite au milieu d’une si prestigieuse assemblée, elle bombait fort son torse de fer forgé, brandissant haut ses quatre points cardinaux. Un brouhaha s’en suivit qui fit rugir Maître Soleil. Les bancs virèrent au rouge, on entendit quelques cris de douleur.
- Un peu de silence ! Girouette ! Qu’avez vous à dire ?
- Nous avons ramené les vents du sud-est. Ca n’a pas été tout seul et certains sont très agités.
- Faites les entrer dans le calme.
La porte s’ouvrit avec fracas. Une énorme panique souleva toute la salle. Les chapeaux s’envolèrent, les prévenus s’accrochaient à la balustrade, quelques poids plume voltigeaient dans les airs et les chiens nordique de Neige hurlèrent à la mort ! Le juge Soleil tapa vigoureusement de son maillet, ses éruptions de contrariété mêlées au vents donnèrent des coups de soleil à toute l’assemblée.
- Je veux vous entendre tout de suite. Mais le premier qui souffle, je le grille !
- C’est pas nous, pas nous, pas nous !
- Un seul à la fois !
- Nous, on a fait comme on nous a dit, on a changé notre force ainsi que la direction, mais modestement...
- Tu parles ! crie Neige, moi j’ai été repoussée aux confins des pôles et j’ai bien failli m’y perdre.
- Suffit ! Mademoiselle Chaleur ?
- Ils ont commencé à souffler doucement, c’est vrai et nous discutions ensemble, on a fait un bon bout de chemin puisqu’ils m’ont ramenée du sud de l’Afrique. C’est... après que tout a dégénéré; c’est la faute un peu de Pacifique. Vous le connaissez votre seigneurie, hâbleur... enfin, il est tout de même le plus grand Océan de la planète. Mais bon. Pas de chance, il a commencé son cirque un jour où quelques vents étaient un peu chauffés. Il y a eu dispute...
Éclair se pencha mielleux
- Chauffés ? Par qui ? Mademoiselle Chaleur ?
- Mais... je vous en prie... je ne mange pas de ce pain là !
- La suite !
- Oui, bien Votre Soleil... euh... ah oui ! Dispute, et Pacifique a gonflé comme une baleine. J’ai bien essayé de leur dire de se calmer, mais c’était trop tard. Alors... je vous ai... enfin... j’ai... envoyé un message.
- A qui ?
- Mais... à vous.
- A moi ?
- Oui Votre Soleil. Je vous ai envoyé un courrier d’urgence, un petit souffle brûlant qui pourrait s’approcher de vous. Il s’est porté volontaire parce qu’il s’ennuyait sur son volcan. Peut-être ne l’avez vous pas reçu ?
- Euh... sans doute... Rappelez moi ce qu’il y avait dans ce message ?
- Je vous demandais de ... moins darder vos rayons... oh ! juste un jour ou deux le temps de calmer les esprits.
La salle remua estomaquée de temps d’impudence.
- Mais ma petite demoiselle, vous croyez que ça se fait comme ça, vous ? Vous savez le temps que ça prend de rassembler les Stratus et les Nimbus ? Coureurs et vagabonds comme ils sont !
- Enfin votre Seigneurie, tout le monde s’incline devant vous. Vous êtes... notre Dieu, LE Dieu. C’est pour ça que... El Nino, l’enfant Jésus, c’est votre enfant, Votre Soleil...
- Et allez donc, encore une bouche à nourrir ! S’écrie dame Mercure.
- Vous étiez là ma Mie, dit Soleil brusquement penaud.
- Je te l’avais bien dit de t’occuper de lire ton courrier au lieu de jouer aux courses des planètes avec les satellites de Jupiter ! Dépêchez-vous de régler cette affaire, Lune s’impatiente et la température tombe dangereusement.
Le soleil rougit, darda quelques rayons, toussota un peu gêné. Mademoiselle Chaleur redressa le nez, toute étonnée de ne pas avoir été brûlée sur le champs.
- Melle Chaleur, vous êtes fort effrontée, mais très courageuse. Votre honnêteté fait honneur à cette assemblée. Et comme je ne suis plus à un enfant prêt, je prends celui-ci aussi. Mais par toutes les tempêtes du désert, qu’on lui trouve une nounou et un précepteur ; je ne vais pas passer mon temps à réparer les dégâts de ce petit voyou. Et puis je vais lui donner un soeur... froide ! El Nina ! Ca lui apprendra à vivre ! Les enfants uniques, ça ne crée que des soucis !
Mesdames, Messieurs, la séance est close, que chacun retourne à son poste.

[Sahkti]

Déclinaison météorologie tout en couleurs et en poésie.
J'ai moins aimé à partir de Melle Chaleur, vous êtes fort effrontée, mais très courageuse (tard dans le texte, donc ça va) parce que ça m'a paru plus faible que le reste et trop moralisateur à mon goût.

L'idée est bonne, j'ai souri quelques fois mais je crois que plus grinçant m'aurait davantage séduite et tu en as le potentiel. Les discussions qui se croisent, les entités qui parlent toutes en même temps, tout cela est plutôt bien rendu mais ça reste tout de même gentillet. Ceci dit, ton but n'était peut-être pas d'être caustique et ce n'est ici que mon envie perso que je transcris :-)

[Invité]

Un chouette texte, une ambiane très réussie, Ptipimous, il me manque toutefois un brin de philosophie pour soustendre le tout : déranger tant d'éléments d'importance le mériterait.
Et la Nina

[silene82]

Je me suis régalé, malgré les bémols que mentionnent coline et sahkti. C'est original, fort bien mené, d'une écriture inventive. Pour moi, une réussite! Encore.

[Invité]

Je suis d'accord avec Sahkti, l'ensemble m'a paru bien sage, un peu cucul, un peu confus aussi. Mais, d'une manière générale, je suis mauvais public pour ce genre de transposition... Toujours mon manque d'humour.

[Contenu sponsorisé]