Ernestine

[ptipimous]

Ernestine sert des gâteaux dans un salon de thé.
Des Speculos aux Religieuses, des Nègres en Chemise au Babas plus ou moins au rhum, elle est si imprégnée de son activité qu’elle a l’air elle-même d’une Polonaise. Ses petites boucles serrées dans une coiffe en dentelle, ses beaux bras ronds débordants de son tablier froufroutant; on la dirait décorée de crème Chantilly. Avec ça, une bouille toute ronde, luisante de santé et si rose... c’est l’ornement, la fameuse “cerise sur le gâteau”. Ses petits yeux en grains de chocolat, mobiles à l’extrême, sont toujours à l’affût. Il n’est pas question de faire souffrir qui que ce soit, la demande d’un gourmand ça n’attend pas. Sitôt qu’elle en a repéré un, sa bouche sucrée et pulpeuse susurre des trilles d’où l’on capte : “oui, oui, j’arrive !” Et rien que ça, c’est déjà la dégustation du gâteau qui commence.
Elle n’est pas seule à servir, mais c’est toujours vers elle que se tendent les regards, tellement il est évident qu’elle va comprendre de suite l’urgence de la situation.
Malgré un tour de taille qui ferait concurrence à un Paris-Brest pour un petit village de trois cent personnes, elle se faufile habilement entre les tables, un précieux chargement au bout de chaque bras, se balançant doucement dans un équilibre sûr vers leurs destinataires.
Il y a des gens comme ça, posés dans des lieux, on dirait qu’ils y sont nés, on dirait même qu’on a fabriqué l’endroit autour et en fonction d’eux.
Pourtant, Ernestine a un secret. Depuis qu’elle est venue au monde, elle ne rêve que d’une chose : elle voudrait être danseuse. Mais pas n’importe laquelle. Son univers n’est pas dans ces cercles mondains où l’on pratique la danse de salon. Et elle ne fréquente aucune boite de nuit. Non. Ernestine, serveuse en pâtisserie, nantie d’une masse qui terrifierait l’organisateur d’un concours “gagnez votre poids en chocolat”, rêve d’être ballerine. Une vraie de vraie, avec chaussons roses, tutu et maigrelet l’accompagnant pour les portés. Et c’est là où le bât blesse. Enfin c’est une des plaies du bât !
Petite, on lui achetait des collants d’adulte. ses jambes ne remplissaient pas la longueur, mais elle avait besoin de tout le tissus en largeur, ça compensait. Aujourd’hui, c’est toute une épopée pour trouver chaussons et collants à sa taille. Le tutu, sur mesure lui a coûté une fortune, mais elle n’en est pas peu fière. Il est même le principal ornement de sa chambre à coucher, suspendu au plafond, dans l’attente. Elle a même un ersatz de diadème à poser en équilibre sur sa tête ronde. Seulement, danser Coppelia dans sa salle de bain, ça manque de charme.
Notre héroïne a un grand appartement dans lequel elle peut répéter. Elle a aussi des voisins, notamment en dessous. Et un entrechat de trois quintal, ça mettrait à mal le plus motivé des plafonds. On est au moins sûr d’une chose, c’est que le pauvre homme n’a ni moulure, ni plafonnier.

Depuis un mois, la vie du quartier a été mise à rude épreuve, parce qu’Ernestine va passer une audition. Pas un habitant de la rue qui ne connaisse “La Belle au bois dormant”, “Casse Noisette” ou “Gisèle”. Les notes de l’orchestre symphonique réduit à une galette qui tourne sur un électrophone s’envolent par les fenêtres, les conduits de radiateur, les fissures, la plomberie. Les connaisseurs se régalent quoiqu’un peu gênés par les coups sourds qui retentissent régulièrement sur la musique. Pourtant : aucuns travaux à l’horizon. Le voisin d’Ernestine est parti soigner une dépression le deuxième jour du commencement de ses répétitions. Elle n’a donc plus aucune retenue.
Chaque soir avant de s’endormir, après avoir soigneusement pendu son tutu, Ernestine relit l’annonce du journal, une belle annonce qui a coûté cher. Mais c’est le temple de la danse, l’Opéra lui-même qui l’a passée. On le voit d’ailleurs, dessiné. Le texte est dans le bâtiment.
Dans la journée, tandis qu’elle sert les clients, elle fredonne doucement les grands airs qui l’habitent et de temps en temps, elle esquisse même un début de jeté-battu entre les tables, au grand émoi des amateurs de sucreries qui attendent leurs commandes comme on regarde un 747 se poser sur une piste trop courte.

Le grand jour arrive. Notre Ernestine a tout préparé la veille. Elle n’en a pas dormi de la nuit. Son tutu, ses chaussons sont enveloppés dans un nuage de papier de soie en un immense paquet comme elle en fait dans la pâtisserie. C’est aujourd’hui qu’elle va vivre son rêve, aujourd’hui, elle est une étoile de l’Opéra.
Le gardien à l’entrée fait barrage. Une foule de demoiselles se presse devant lui. Il sourit à toutes en s’écartant : “l’audition ? Oui, oui, c’est par là.” Mais au moment où Ernestine va passer, il s’interpose :
“Les livraisons, c’est de l’autre côté. Et faites attention de ne pas flanquer ce gâteau par terre... la dernière fois, la fête a fini aux petits beurres !”

[mentor]

pôv' Ernestine ! Je peux la présenter à mon Amédée ? je suis sûr qu'ils se plairaient ! :-))
un chouette texte, très bien écrit, vivant, visuel
tu rends Ernestine très attachante et rapidement
Bon, 300kg, là tu pousses ;-)
une petite faute quand même, je crois : aucuns travaux me semble fautif
oui, texte très sympa

[silene82]

La pauvre!
C'est très agréable à lire, tendre sans mièvrerie, bien torché, quoi. Personnellement j'ai bien aimé.

[Invité]

Les rêves, ça prend de la place et sa pèse un sacré poids, dans une vie...
J'aime ton Ernestine en sucre, j'aime la douceur avec laquelle tu la déshabilles , on a envie de lui faire de l'amour !

[ptipimous]

hello !
Cher mentor tu as raison pour aucun travaux, c'est mon correcteur d'ortho qui m'enduit d'erreurs ! Comme si on avait besoin de ça ! Par contre, un quintal, c'est 50 kilos, donc 3 = 150 kilos ce qui est balaizzze mais possible !

[mentor]

hello !
Cher mentor tu as raison pour aucun travaux, c'est mon correcteur d'ortho qui m'enduit d'erreurs ! Comme si on avait besoin de ça ! Par contre, un quintal, c'est 50 kilos, donc 3 = 150 kilos ce qui est balaizzze mais possible !

hein ??
non, j'ai aussi raison pour le quintal
c'est 100 kg
mais je vais aller vérifier, même si je suis sûr à 100 % (et pas à 50 !)
:-)))

[Invité]

Je crains que ce quintal ne soit un trompeur !

[mentor]

oui, un quintal c'est bien 100kg !
tu m'as fait peur !
je me voyais déjà m'inscrire en 6ème (ou en CM ?) pour rattraper tout ce qui m'a échappé !
bon, comme punition, tu vas devoir passer au moins une heure (60 minutes, ou 3600 secondes...) ici :
http://faqfrc.free.fr/poids.htm
et t'exercer sans interruption
;-)

[Invité]

Ah, que j'aime ton Ernestine et son secret !
Ton texte me fait beaucoup penser aux nouvelles d'Emmanuelle Urien une auteure toulousaine qui ne décrit que des gens qui sont "à côté de la plaque". Je n'ai pas de titre en tête, là, mais elle a un site. Si tu la lis, tu vas l'adorer.
Bravo pour tes qualités d'écriture. On sent ton empathie pour ton personnage, une tendre ironie, c'est parfait. Merci du régal.

[ptipimous]

voici qui confirme ce que je savais déjà par les pôv profs de math qui m'ont supportée : les chiffres, c'est vraiment pas mon rayon ! S'cusez moi, je m'en va rectifier cette affaire sur le texte d'origine !
Et je m'en vais me coucher beaucoup plus érudite que je me suis levée ! l'est pas belle la vie ?

[Invité]

Oui, un texte sympa, à l'écriture alerte... que demande le peuple ?

"Il y a des gens comme ça, posés dans des lieux, on dirait qu’ils y sont nés, on dirait même qu’on a fabriqué l’endroit autour et en fonction d’eux." : fort bien vu !

[Sahkti]

Insistance trop forte à mon goût sur la corpulence d'Ernestine, ça devient lourd. Si au début, la finesse du doigté de la serveuse et sa fraîcheur d'esprit pouvaient compenser cela, ce n'est plus le cas au fil du texte et qui aurait pu être douce moquerie devient laborieux.
La fin m'a parue bâclée par rapport au soin apporté au reste, dommage. Dommage parce qu'il y a une belle douceur qui se dégage de ce personnage, elle me plaît bien Ernestine, dans toute sa maladresse de danseuse.

PS: speculoos, avec deux O

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