Mauvais rêve

[milo]

Elles venaient toujours avec le soir, comme l’humidité sur les vieux murs
Gonflant la peau de sueurs et la nuit de murmures.
C’était des images d’enfants remplis de bleus, des posters de souffrances, des bébés hurlants dans des baignoires vides
…et cet homme... Toujours le même, qui frappait avec la constance des machines.
La pénombre était une punition, une catastrophe permanente, le sourire quotidien de mon ennemi.
Peu à peu le désir de vengeance m’a pourri de l’os à l’extrémité des ongles
Et je passais mes journées à contempler le vide, à nourrir de violence ma propre cornée
Un endroit sale
Où les secondes, en souvenir de la nuit, s’amusaient à figer de colossales statues de haine.


C’est sur un banc que Marie m’a trouvée.
J’étais saoul, je grognais et j’avais encore la gueule pleine de morsures fraîches.
Mon visage disait l’histoire de tout un peuple de chiens.
Elle, elle habillait ses gestes de la grâce des danseuses
Tendant vers moi un peu plus que de la peau.
C’était effrayant.
Jamais une femme n’avait eu l’idée de me serrer fort entre ses bras.
J’avais peur, j’avais peur de la salir.
Alors j’ai fuit
Laissant contre son pull un peu de ma mauvaise vie

Et l’équivalent d’un grand verre de sang.

[Invité]

C'est fort. Une réussite à mon avis. Le passage du premier paragraphe au deuxième m'a déroutée, mais le tout fait bien sens.

Une remarque :
"Alors j’ai fui", et non "fuit"

[Invité]

Milo, encore un texte qu'on reçoit en pleine face, toutes ces bosses dans les creux de ton écriture...
Et ces mots choisis avec une impressionnante précision.
Je ne sais pas si la dernière phrase est "utile", je la trouve trop voyante ; ce qui précède est suffisamment - mais sobrement - parlant.

[Invité]

C'est magnifique, comme à chaque fois !

[boc21fr]

Même commentaire que mes consoeurs...
Un texte d'une force immense et une dernière phrase qui me semble par trop banale et attendue, qui au lieu de déconcerter et choquer comme elle le devrait renvoie le lecteur en territoire connu et risque de lui faire penser "ah encore..."
C'est triste mais je l'ai ressenti comme cela

[Invité]

J’étais saoul, je grognais et j’avais encore la gueule pleine de morsures fraîches.
Mon visage disait l’histoire de tout un peuple de chiens.

C'est grand.

[Rebecca]

Ca me mord au ventre , ça m' arrache la gueule, ça me bouffe le coeur !
Littérature non muselée avec molosses et mots féroces !

[silene82]

Un plébiscite, décidément! Auquel je ne peux que souscrire. Pour une esthétique de la souffrance: c'en est même inquiétant quand les remarquables qualités formelles rendent la douleur belle en tant qu'objet d'écriture.

[CROISIC]

J'aime !

[Invité]

Un plébiscite, décidément! Auquel je ne peux que souscrire. Pour une esthétique de la souffrance: c'en est même inquiétant quand les remarquables qualités formelles rendent la douleur belle en tant qu'objet d'écriture.

Tu vises juste, Silène !

[bertrand-môgendre]

J’avais peur, j’avais peur de la salir
Proposition :
J’avais peur, peur de la salir

[mitsouko]

quel style

et cette ampleur qui enfle, cette force

[Sahkti]

Superbe Milo, comme souvent avec toi.
J'ai particulièrement apprécié l'amertume, douce et cruelle, qui se dégage de ces paroles, cette résignation mi-imposée mi-volontaire qui transparaît du récit.
J'apprécie également que tu ne joues pas trop la carte du misérabilisme; quelques suffisent pour dire beaucoup, tu n'en fais pas trop.

[Sahkti]

quelques suffisent pour dire beaucoup, tu n'en fais pas trop.

lire quelques mots

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