Nid de nattes Express

[Invité]

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Nid de nattes Express.

Les trains passent en ville. Peut-être que cela ne vous semble pas original : ça ne l'est pas, ils passent en ville. En pleine ville. Le long du rail : plein de maisons acostées, voire accoudées à la voie ferrée. Les trains sifflent, pas trois fois, plein de fois, tchouuu, tchouuuuu, alors, les gens s'écartent. Ceux qui pissaient sur la rocaille, ceux qui égorgeaient un poulet, un garnement qui collectait les tessons de verre. Tchouuuuuu, la locomotive est électrique, une sacrée gueule de locomotive. Je me demande comment une locomotive avec une pareille tronche peut rouler aussi lentement : on l'imagine à plus de 200, faisant se lever les petites culottes qui sèchent au balcon. Mais non, en ville, elle roule doucement, pour ne pas écraser un papy, pour laisser au papillon le temps d'un envol : sa vie qu'il perdra la nuit tombée dans un lampadaire. Tchouuuu. Les trains viennent toujours du Sud, les wagons sentent la poussière et le riz dehors et la ferme et le riz dedans, c'est la campagne entière qui traverse la ville, ses pavés, ses maisons d'architectes en ruines qui font place peu à peu aux buildings de renom. La locomotive tire son lot de voyageurs : un paysan crotté qui s'est fait beau pour l'occasion, une niakoué sous un chapeau rose à dentelle : malgré ses petits tétons et malgré ses petits petons, on lui offrirait tout, et n'importe quoi, une place de ciné, un hanneton : empaillé, une boucle d'oreille et un bisou long, sur le front. Des couchettes qui sentent le moisi, s'élèvent des sacs en fibre tissée : du bordel de campagne à emmener en ville, de la laine de chèvre , de la poudre de perlimpinpin. De l'extérieur, la vitesse est devenue si pauvre que l'on peut toucher les wagons qui déambulent, mais alors calmes de chez calmes.Le conducteur du train est fier comme un policier : il a une casquette, il est le responsable de combien de tchouuuu tchouuu se dispersent dans l'air lourd de cette fin d'été. Il n'est pas dit que l'hiver en mérite plus ou moins. Le long des voies se trouvent les flics de passages à niveau. Ils sifflent , gesticulent, abaissent les bras et les barrières : autorisent quelques gens extra-pressés à slalomer avec leurs risques et périls avant le passage du convoi. On raconte que peu d'accidents se produisent, les trains n'apportent que très rarement la mort avec eux : plutôt la vie, noyée sous des tchouuu tchouuu, saluée par ces petites culottes qui regardent passer les passagers. Malgré ce que l'on en dit, la ville manque de vert. Il existe des paliatifs.

Si tu vas pêcher du côté des étangs de Dai Kim avec quelques amis : alors, l'incroyable se produit. les voies se divisent et les trains se multiplient : nous sommes déjà à la campagne. Les tchouuuu tchouuuuuu se reproduisent comme s'ils arrivaient de toutes parts, de nulle part et de partout : ils ponctuent le temps, le sommeil des carpes et la pousse du riz. Près du rail, les fermiers ont planté des herbes d'eau pour profiter des tranchées d'écoulement : à chaque passage, ce sont cresson, lotus, asperges et herbes pas folles du tout qui s'ébranlent comme une ondée. Il faut le voir pour le croire : les légumes saluent les chevaux de fer : ils s'inclinent à penser qu'il seront mangés bientôt. Aux étangs, la bière a fleuri ! On n'est plus trop sûr de discerner les bouchons indicateurs de touches, l'horizon s'est fait bien vaste, alors pour être plus affûté, on tue un poulet que l'on potofeulise sur le champ. Ses plumes sont gardées pour les oreillers, les plus grandes, celles de queue, sont conservées avec soin pour débourrer les foyer des pipes. Le poulet mijote, les carpes se foutent de la gueule du monde, l'horizon, encore lui, se bouche et débouche, il pleut des tchouuu tchouu dans tous les sens : proches, lointains, discrets, mouvants. Après le repas tout le monde prend la locomotive de la sieste à la queue leu-leu, il n' y a plus rien à tirer de qui que ce soit. Seuls les trains cahin-cahattent dans leurs coins vers d'autres. C'est à ce moment-là que les plus grosses carpes se nourrissent et se barrent en douce avec la nourriture qui était destinée à les piéger. Gavé de rayons on se fait surprendre par le soleil qui disparait comme un voleur. Les tropiques sont ainsi.

La nuit n'est pas la même chanson, les tchoouuu tchouuu se font plus rares : on n'aurait interdit la nuit presque, que l'astrede feu en aurait été content. Sans compter les égyptiens, rares sont les peuples qui détestent la nuit à ce point comme les gens d'ici. On ne compte pas à saute-mouton, on joue à saute-nuit. La locomotive, elle, a perdu son sourire pour une moustache sombre qui frise à la vue d'un pouilleux endormi dans sa pisse. Le convoi est au pas. Des néons multicolores bordent son chemin, beaucoup sont roses, quelques-uns clignotent . Le long des voies la nuit se lovent des louves lavasses, des laves pas encore éteintes, des couleuvres aux couleurs du siècle : la poussière s'est soudainement levée des chantiers. Et les lampes carbide des ouvriers, et les langues carnages des oubliés, et les lampes des lampions, et les lampes des lampistes et les lampes des lamproies qui vont se faire frire avec un oeuf avant de nager dans les cheveux d'anges trempés. Des camions croisent, cruise, un tonnerre. La locomotive tire de son mieux mais ne peut pas lutter : la nuit ne l'aime pas. Dans un hurlement de fonte elle s'incline de peu à gauche pour tourner. Tourner autour de la ville. Tourner autour du pot jusqu'à la grande gare de Dong da. Le long des voies la nuit, s'allongent des seringues, mais aussi des bonnes femmes enturbannées jusqu'au nez : elle collectent les millions de cannettes de coquin-cola balancées par le hublot des wagons. La nuit bat son plein : morte vivante, un groupe de bénies-ouies-ouies oeuvrent au repositionnement des ballasts, y a beaucoup d'Hommes autour : contremaîtres, maquereaux, taxi-drivers dormant à tombeau ouvert. Des marchandes de soja pourri véhiculent sur leurs vélos pourris ce qu'elles ont à vendre pour la nuit. Sur le sillage : une vingtaine de jeunes filles se sont postées pour aguicher le chaland de brouillard. Un flic jaune merdasse surveille le tout mais jusqu'à minuit seulement, la plupart des belles n'ont pas 20 ans et il faut les protéger de la police. Les lampes au sodium jaunissent la ville, un peu orangée, on ne compte pas trop les ampères par ici , ça marche : ok, ça marche pas, pas ok, ça marche un peu : ça marche. Les trains n'apportent que très peu de voyageurs la nuit : la ville n'aime pas sa nuit non plus et l'utilise pour les tâches de fonds de tiroirs : dix tonnes entières de houille noire se déversent dans des bennes qui n'attendaient que ça pour se rendre utiles.

Derrière la gare s'étendent de gris paysages, des maisons aux bétons teintés : de mousse, on lit sur les dents cassées plus que sur le journal les misères du lieu. La locomotive éteint ses moteurs alors, allume ses veilleuses et décroche ses wagons. Elle se fait toute petite jusqu'au prochain soleil, dans un coin. Un mec la remarque et lui parle doucement avant de partir en voyage tout seul en palpophène 12. La loco loco larmoie son huile sur le pingouin, elle maudit les assassins de nuit : les pharmaciens; ça fera demain encore, un client de moins à emmener se faire promener du côté où il était né. Un jour n'aura plus de michelines faute de passager vivant, le monde aura crevé les pneus de ses trains lui-même.
La loco se raccroche au matin suivant : des nuits d'amour un peu en retard. Elle ne fait pas trop son bordel à l'aube pour ne pas déranger les époux qui s'étreignent à toute berzingue et en silence pour ne pas réveiller les enfants qui dorment sur leur lit. Faut pas déranger les futurs flics, les bébés machinistes, les chérubins-taxis, les chauffeurs des oreilles quand ils grandissent en silence. Ils sont comme-ça les trains ici.
Entre autres.

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un texte écrit pour rebbeca à l'origine, et visé par l'amie Easter. merci aux deux.

[Invité]

Un bon texte je trouve, surtout les deux premiers paragraphes. Ensuite, j'ai un peu une impression de remplissage. En tout cas, l'ensemble est très expressif et m'emporte ailleurs !

J'aime beaucoup, notamment :
"C'est à ce moment-là que les plus grosses carpes se nourrissent et se barrent en douce avec la nourriture qui était destinée à les piéger. Gavé de rayons on se fait surprendre par le soleil qui disparaît comme un voleur. Les tropiques sont ainsi."

Quelques remarques :
"Il existe des palliatifs."
"débourrer les foyers des pipes"
"on aurait (et non "n'aurait", je pense ; je ne vois pas pourquoi il y aurait une négation ici) interdit la nuit presque"
"Sans compter les Égyptiens"
"Le long des voies la nuit se lovent des louves lavasses, des laves" : ici, pour moi, l'effort d'allitération est trop visible
"Et les lampes carbide des ouvriers, et les langues carnages des oubliés, et les lampes des lampions, et les lampes des lampistes et les lampes des lamproies" : remarque similaire, je trouve l'effet de style un poil forcé
"qui vont se faire frire avec un œuf"
"un groupe de bénies-ouies-ouies œuvrent au repositionnement des ballasts"

[Sahkti]

C'est toujours impressionnant ces images de trains qui passent effectivement en pleine ville, avec des gens installés pour vivre sur les voies et qui s'en écartent au dernier moment avant de mieux y revenir, une fois le train passé. Il y a quelque chose de fascinant là-dedans, tout en étant profondément dérangeant.
J'ai trouvé que tu restituais assez bien cette ambiance particulière, colorée et chaleureuse, même dans ce qu'elle peut avoir de misérable. Des petits détails comme la casquette du chef de train ou le chapeau rose à dentelles ajoutent une petite touche bienvenue de réalisme.

J'ai également aimé l'ambiance nocturne, cette nuit qui envoûte et effraie à la fois. Non seulement, tu l'exprimes bien mais t'offres de surcroit le luxe de croiser les mots et jouer avec les sons, agrémentant ton texte de délicates touches poétiques.

Avec le sentiment que tout est sorti d'un trait, naturellement, pensé tel quel, beau mais sans chichis, donc encore meilleur.

[silene82]

Moi j'ai beaucoup aimé, la superposition de détails vrais, précis, que tout résidant d'un quelque temps peut relever, et des interprétations, des bribes de rêves, des culottes qui sèchent au vent du train poussif. Tu m'as plus donné à voir ton coin que des heures de reportage. Merci.

[Rebecca]

Panda

J'ai imprimé ton texte parce que je voulais l'annoter trés sérieusement et puis te détailler ce qui n'allait pas et ce que je trouvais trés beau.
C'est sorti sur trois pages , j'ai pris mon fluo , j'ai relu....puis je l'ai reposé.
Y'a rien kimevapa.
Et j'ai souligné trop de phrases de passages trop de fonds et de formes qui me plaisent....Autant recopier tout!! Quel intérêt ?
Bon alors koi?
Je vais mettre une histoire de train sur textes courts et je te le dédie à toi.
Evidemment ça sera moins intéressant beaucoup moins palpitant et pas du tout extravagant y'aura pas de niakoué sous son chapeau rose ni du bordel de campagne à emmener en ville pas de cresson lotus ou asperges les tchouuuu tchouuuu n'y pleuvront pas et les culottes s'y feront rares dans mon train qui cahin-cahatte pas mais p'tet que ma loco perdra
pas son sourire et que sur ses dents tu pourras lire merci.

[Invité]

Quelques ajouts qui ne gâchent rien à ce texte flatteur de notre imaginaire. Tu nous fais voyager dans ton quotidien, sans effets de manche, juste avec la poésie qui est tienne à chaque détour de tchou tchou.
Ça se passe comme ça chez toi. J'espère que BM te lira, ça devrait lui plaire.
(et je me félicite de notre insistance !! )

[mentor]

que c'est chouette, ça, Panda, une description réaliste, si visuelle de cette vie particulière dans cette région avec le train en fil rouge, c'est magnifique d'humanité, de poésie, sans laisser toutefois oublier que tout cela est bien dur par rapport à nos petites vies bien douillettes pour la plupart

[Invité]

Je reviens juste consigner quelque chose dont j'ai pris conscience dans la nuit à propos de ce texte ; je veux parler, au-delà des images, de la petite musique, discrète mais bien présente, celle qui rend si bien le rythme du train au fil de son parcours.

[silene82]

En fait, j'ai fait l'esthète un peu distant parce que je suis carrément emballé par ton texte et ton regard; tu me files des complexes, je ne vais plus rien écrire sur mes voyages, par ta faute.
J'espère que t'as d'autres flashs de ce genre: je crois qu'on est pas mal à être preneurs.

[Rebecca]

Tes rêves la nuit font tchouuuuu tchouuuuuuu Easter(Island) ?
Les trains fantômes de VE sillonnent tes lignes oniriques ?
Omnibus psychédéliques ?
Transes si bériennes transes atlantiques et pacifiques ?
Sur des rails arythmiques des rallyes en musique ?

[Invité]

J'ai des rêves éveillés, souvent !
Souvent aussi je déraille, de nuit comme de jour d'ailleurs :-)

[bertrand-môgendre]

Pour les réveillés

Ses plumes sont gardées pour les oreillers, les plus grandes, celles de queue, sont conservées avec soin pour débourrer les foyer(s) des pipes

Utilisent-ils les grandes, celles du bout des ailes pour balayer les nattes ? D'où l'expression : balayer devant sa porte ne demande pas beaucoup de pennes.

Vivant. Le mot est lâché.
Rouleur de mécanique ! Va ! Je te hais !
Ce n'est pas normal qu'un administrateur laisse passer ce genre de texte.
N'y a-t-il pas ici, de contrôleur ? C'est une incitation à l'évasion, une débauche d'images fécondes.
Mais que fait la censure ? Bonté divine.
Si le laxisme envahit mon écran, j'irais de ce pas vérifier les faits.
Aussi haut que tu sois, Pandaworks cramponne-toi, ton marchepied risque bien de crouler sous mon poids. (deux ans seront nécessaires pour programmer tel déplacement).

[Ba]

Original ce regard qui ne déraille pas dans son univers.

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