Du désir des meilleures des amies

[M-arjolaine]

Les bases de notre relation étaient tout à fait claires. Je devais accepter vos critiques, comme vous deviez accepter les miennes. Bien que jamais je ne vous en fisse: l'estime que je vous portais était à ce point élevée que je trouvais dans chacun de vos actes telle ou telle splendeur appelant la louange. Il n'en allait hélas pas de même pour vous: vous ne vous gêniez pas pour m'interrompre dès lors que vous jugiez mon discours trop surfait, ni pour me rire au nez lorsque vous me trouviez ridicule. Vous causiez bien des larmes, mais je n'avais de cesse de vous remercier, vous remercier en permanence de ne pas laisser sombrer notre histoire dans la bêtise et dans la mièvrerie.

Nous riions ensemble de la niaiserie alentour, et des mamours obscènes de ces couples qui avaient besoin d'étaler leurs ébats aux yeux de tous pour se persuader qu'ils étaient les plus beaux, les plus admirables d'entre nous. Oh oui, nous en riions, et parce qu'en rire nous empêchait de devenir comme eux, nous nous trouvions fort d'une maturité fraîchement acquise, et qui forçait le respect. Il arrivait parfois que l'on vous reproche votre indélicatesse à mon égard, et c'était à moi que revenait le besoin de vous défendre. Ceux qui vous critiquaient étaient toujours ceux dont nous avions de quoi rire: il était juste qu'ils s'indignent à leur tour. Leur frustration était à ce point amusante qu'elle nous était étrangère: nous plaisantions de tout, ils ne riaient de rien. Le pincement de leurs lèvres suscitait l'élargissement des nôtres. Parce que pour rien au monde, nous n'eussions voulu devenir ce qu'ils étaient, nous nous abstenions de les imiter en quoi que ce fut.

Jamais nos bouches ne s'étaient rencontrées ni nos corps ne s'étaient joints: nous parlions d'amitié quand il était évident que je vous désirais d'une toute autre façon. Partagiez vous mes envies, ou bien vous contentiez vous des rares contacts que nous nous permettions, sans jamais attendre de moi que je vous embrasse ou que je vous dénude ? J'étais animale de par les pulsions qui m'animaient: si ce m'eut été permis, je vous eusse fait l'amour dans le but unique d'en retirer du plaisir et de vous en donner, sans que nous nous encombrions de mots ni de soupirs. J'offrais à présent mon corps à vos regards, et guettais le moment ou vous ne tiendriez plus. D'une manière ou d'une autre j'en étais sûre, nous finirions par nous laisser aller aux plus primaires de nos instincts.

[Invité]

Intrigant... j'aimerais bien savoir comment ça tourne, parce que ça peut tourner de bien des façons, ce genre d'histoire. J'aime la perversité de la relation.

Quelques remarques :
"nous nous trouvions forts d'une maturité fraîchement acquise"
"nous nous abstenions de les imiter en quoi que ce fût"
"Partagiez-vous mes envies, ou bien vous contentiez-vous"
"si ce m'eût été permis"

[Invité]

De la lucidité et une finesse d'analyse pour ce texte moins figue que raisin.
Interpellée quand même par ces mots :

je vous eusse fait l'amour dans le but unique d'en retirer du plaisir et de vous en donner.
what else ? m'interrogé-je cyniquement.

[Invité]

Ah, et puis je trouve l'idée délicieusement surannée qu'on voussoie son meilleur ami. Cela ajoute encore à l'originalité de ton du texte.

[Rebecca]

J'adore cette langue délicieusement bridée qui nous laisse envisager des débordements parfaitements débridés....cette perversité qui affleure à la fois surannée et trés présente.
Maitrise émotionnelle et textuelle sans préjugés de débordements ultérieurs.
Ecriture racée.Classieuse.

[silene82]

J'ai compris, de deux choses l'une, où la délicieuse épistolière est affublée d'une gibbosité dorsale, et de poils sur le mufle, ou son interlocuteur, ou récipiendaire de missives est myope fortement. En effet, ce genre de petite fantaisie

J'offrais à présent mon corps à vos regards, et guettais le moment ou vous ne tiendriez plus.

finit ordinairement, chez les individus normalement sexués, par un culbutage parfaitement inorganisé et pulsionnel, un revolcon dans un envol de jupons troussés.

Votre écriture se resserre, se concentre, et c'est bien plaisant: vous allez atteindre à l'excellence, quelque jour.

[Chako Noir]

Mais il manque un paragraphe! Ah non, c'est pas juste, j'ai lu tout le début, alors je veux voir la fin!
Bon je plaisante. Vrai que c'est original comme relation, ce vouvoiement. Enfin, je dis ça surtout à cause du vouvoiement, de très bons amis qui auraient souhaité unir bouches et corps, c'est pas rare.
En tout cas le texte est bien maîtrisé, même si le style m'aguiche moyennement - mais bon je suppose qu'ici ça relève de l'auto-contrainte, et puis ça donne sa personnalité au texte.
Une belle performance.

[Sahkti]

J'ai eu, en te lisant, l'impression de lire certaines lignes de la correspondance échangée entre Virginia Woolf et Vita Sackville, lors de leurs mouvements d'humeur. Il y avait une élégance dans la colère qui me plaisait beaucoup et que je retrouve ici.

Une relation que l'on aimerait basée sur l'équilibre mais cet équilibre est vacillant, fluctuant et ça n'en rend l'exercice relationnel que plus excitant, plus dangereux aussi.

Bravo Marjolaine !

[Sahkti]

Heu... je lis les commentaires de certains et là, j'ai un doute. J'ai lu ce texte en le percevant comme un échange entre deux femmes. Je me trompe ?

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