Un petit couple bien sympathique

[Plotine]

C'est une histoire bien banale que je vais vous conter là mais je brûle de vous en faire le récit.
Voilà, nous étions une bande d'amis, dans ce village, des couples à peu près du même âge, venus de régions différentes et d'horizons divers et qui s'étaient retrouvés là, par hasard, avec le même désir de fuir la ville. Nous nous entendions très bien. Nous avions même formé une association dont l'une des activités avait été d'organiser une "fête du cheval" ; l'un des garçons du groupe étant un passionné de race équine et en particulier du cheval de labour. Cette fête avait eu un gros succès et l'année suivante, nous avions décidé de récidiver.
Parmi ces couples il y en avait un dont le mari était un phénomène. Appelons-le "Rémi". Il travaillait à la SNCF. Il avait une grande gueule et il était le révolutionnaire de la bande. Il connaissait tout de la vie de Trotsky et de la IIème, IIIème et même IVème Internationale. C'est dire qu'il était passionné. Quand il partait dans ses discours, il était intarissable. Il me faisait rire parce qu'en fait, il ressemblait beaucoup, tant au physique qu'au caractère, à un personnage dont Dostoïevsky fait la description dans "Les Possédés" lequel est employé des chemins de fer, également !

Il avait une épouse, plus jeune que lui d'une dizaine d'années, qui avait l'habitude, comme beaucoup de jeunes femmes, d'inviter sa mère de temps en temps. Or, comme cela arrive souvent, Rémi n'aimait pas sa belle-mère. Elle l'agaçait fortement et il sentait qu'elle ne le portait pas dans son coeur. En plus, il était humilié parce qu'ils avaient dû, à plusieurs reprises, lui demander de l'argent pour régler des dettes. Si l'épouse de Rémi, que nous appelerons Solène, avait été un peu psychologue, fine et intelligente - ce qui n'était pas du tout le cas - elle se serait abstenue d'inviter sa mère, au moins aussi souvent et surtout, pour d'aussi longues périodes. Mais justement, sa mère leur ayant rendu service et habitant à l'autre bout du pays, Solène se faisait un devoir de la recevoir et ce, pour des séjours qui paraissaient interminables à Rémi. Donc, bien entendu, la jeune femme avait demandé à sa mère de venir passer une semaine ou deux à l'occasion de cette fête du cheval.

La fête commenca sous les meilleurs auspices. Il faisait beau et il y avait du monde. Nous nous étions partagé les tâches et Rémi s'était porté volontaire pour la buvette. Ce n'était pas vraiment un hasard, Rémi avait un penchant pour la boisson. Il n'en était pas au dernier degré de l'alcoolisme, loin de là, mais disons que nous l'avions déjà vu fin saoul à plusieurs reprises. C'était d'ailleurs dans ces occasions qu'il nous prédisait l'imminence d'une révolution prolétarienne qui nous donnait la chair de poule.
Cependant, cette fois, nous n'étions pas inquiets, notre association ne disposant pas de licence pour vendre des boissons alcoolisées, il n'y avait que des jus de fruits à la buvette. C'était sans compter sur la débrouillardise de Rémi. Nous avons eu la surprise de constater qu'il avait en fait stocké des "cubis" de vin rouge sous l'étal et qu'il en proposait aux gens qui lui paraissaient sympathiques, non sans trinquer avec eux par la même occasion et, plus le temps passait, plus il trouvait de gens sympathiques. Bref, je ne vous tiendrai pas en haleine plus longtemps, vous avez deviné, à la fin de la journée il était ivre ! Rond comme une queue de pelle comme on dit chez nous !
La fête touchant à sa fin et Rémi le fond, deux amis compatissants l'aidèrent à rentrer chez lui. C'était à deux pas. Mais là, par un funeste destin, devant le seuil de la maison, il tomba sur son épouse et sa mère qui revenaient de promenade. Et, comble de malchance, Solène, un peu vexée, en présence de sa mère, de voir son mari éméché , lui fit une réflexion désagréable sur son comportement ! C'était la gaffe à ne pas faire, d'autant plus - et il faut que je vous en parle pour que vous compreniez mieux la suite du récit - il y avait un différend entre eux depuis quelques mois.
Rien de bien grave, sinon que ladite Solène était partie aux sports d'hiver, sans lui, mais avec une collègue de bureau. La chose avait déjà été difficile à accepter mais il aimait jouer à l'homme moderne et il avait apparemment bien pris la chose. Sauf que, quelque temps après le retour de son épouse, il présenta des troubles qui l'obligèrent à consulter. Après l'avoir examiné, le médecin lui demanda s'il avait trompé sa femme. Il répondit que "non" et c'était vrai. "Eh bien alors, lui dit le médecin, c'est elle qui vous a trompé, car vous avez une MST" ! Je ne sais pas ce que vous pensez de ce docteur mais je trouve qu'il a quand même été un peu brutal. Il semble me souvenir d'un temps ou un bon médecin de famille aurait trouvé une sombre histoire de toilettes malpropres ou je ne sais quoi afin de préserver la paix des familles, mais tout fout le camp. Rémi le prit mal. En fait, Madame l'avait trompé, aux sports d'hiver, avec un godelureau quelconque rencontré sur les pistes et lui avait rapporté des chlamydias en souvenir !
Comment diable sait-elle tout cela vous demandez-vous ? Surtout ne croyez pas que j'écoute aux portes mais il se trouve que j'étais très amie avec Rémi et qu'il aimait venir me raconter ses petits problèmes.
Je passerai sur la scène de ménage qui a dû suivre cette pénible découverte, je n'en ai pas eu d'écho mais quelque chose s'était brisé dans ce couple. Disons que la confiance n'y était plus et que c'était l'hôtel des culs tournés (autre expression campagnarde).

Mais fermons là la parenthèse. Alors donc, avant même que Solène ait fini d'exprimer sa désapprobation à son mari, elle se fit traiter de "putain" par ce dernier ! Le tout devant sa mère, les amis qui le soutenaient et quelques badauds qui passaient par là. De mémoire de villageois jamais pareille scène ne s'était déroulée dans cette paisible bourgade. L'affaire fit vite le tour et, je l'avoue, quand on me l'a racontée, j'ai bien ri mais je suis cruelle ! Sa mère se mit alors paraît-il à gémir et à prononcer des phrases du genre : "Ma pauvre enfant, si tu m'avais écoutée, jamais tu n'aurais épousé etc...". Tant et si bien que la tension montant, Rémi finit par flanquer une paire de claques à son épouse. Laquelle paire de claques était quand même bien méritée, il faut le dire.

Eh bien, le croirez-vous, ils ont finalement divorcé.

Et puis, un autre couple s'est séparé aussi - l'amateur de cheval et son épouse, pour des raisons assez cocasses également que je vous narrerai peut-être un jour.

Tout ce beau monde vendit ses biens - divorce oblige - et quitta le village.

Alors il n'y a plus eu de "Fête du Cheval" et tout le monde l'a bien regretté, surtout moi, les distractions étant rares à la campagne.

[Invité]

Cette phrase : "Eh bien, le croirez-vous, ils ont finalement divorcé." est fort cocasse, je trouve. L'ensemble du texte aussi, avec cette distance ironique, mais j'en trouve tout de même l'écriture un peu guindée, d'une manière générale.

[Invité]

Une tranche goûteuse de la vie à la campagne.
Bien aimé le ton et les interventions ponctuelles de la narratrice.

[Ba]

Scène de la vie d'un cheval dans le harnais.

[silene82]

Bof, sans plus, je pense que le matériau est là pour écrire une saynète agréable, mais qu'il faut un peu le mettre en scène, l'enjoliver ou le romancer si besoin est. La relation brute des faits, on s'en contrefout: on ne connaît ni le Rémi, ni sa femme, par conséquent on ne peut rire que de la situation elle-même, qui me semble d'une extrême banalité.
Avec la belle-doche radoteuse, l'Internationaliste déclamatoire, madame faisant des extras hors piste, plus le décor, il y a matière pour un truc désopilant; à tel point que tu pourrais proposer le thème tel quel comme exo, avec les personnages comme contraintes, tels que tu les poses.
J'ai l'impression que soit tu te brides, pour des raisons indéterminées, soit tu bâcles (très vraisemblable) Je veux dire que la teneur de ta plume est très inégale, oscillant entre le plat limite gonflant -comme là à mon goût- et le bon (les 4 stères de bois par exemple). Je trouve ça dommage: quand tu commentes, tu es piquante, voire irritante, je trouve dommage que ce côté incisif ne transparaisse pas plus dans tes textes.

[Sahkti]

Une distance dans la narration qui sied bien au récit, sans lui retirer ses pointes d'humour ou ses soubresauts d'intrêt. Cela est bien ficelé avec une manière amusante de voir les choses, bien racontée.
Toutefois, je pense que l'exercice pourrait être poussé plus loin, que la psychologie des uns et des autres pourrait être davantage explorée, torturée, malmenée... bref, sortir un peu des sentiers battus, certes agréablement balisés pour le promeneur lambda mais sans doute un peu simple pour les randonneurs.

[Adekwatt]

C'est une histoire bien banale que je vais vous conter là

C'est bien peux dire ...

[Rebecca]

L'histoire est bien banale mais je trouve le ton hilarant. Justement parce que un peu pète-sec. Qui ne cherche pas spécialement l'effet.
Humour pince sans rire. Les personnages sont désopilants. Justement parce que la narratrice tout en les observant finement prend ses distances avec eux. On sent bien que ce qui l'intéresse au plus haut point, c'est la fête du cheval. Elle est dépitée de ce qui arrive de ce point de vue, et c'est ce qui rend cette histoire drôle.

[Égide]

[…] venus de régions différentes et d'horizons divers et qui s'étaient retrouvés là, par hasard, avec le même désir de fuir la ville.
[…]
Il connaissait tout de la vie de Trotsky et de la IIème, IIIème et même IVème Internationale.

Ton récit me plaît beaucoup car il ne s'attarde pas à des descriptions bucoliques et etc., en plus des qualités que les autres lecteurs ont soulignés. Une suggestion. Est-ce que : « et qui s'étaient retrouvés là avec le même désir de fuir la ville » ne serait pas plus pertinent ?

Une erreur de typographie courante qui m'agace prodigieusement (j'exagère), la façon de noter les siècles. Il faut simplement un e : IVᵉ Internationale.

[bertrand-môgendre]

Mais fermons là la parenthèse. Alors donc... N'est-ce pas là une occasion idéale d'utiliser Or donc ?
Ton racontage (dans le meilleur sens du mot) garde une certaine distance, non pas auprès du lecteur avec lequel tu tentes de l'intéresser au récit, mais plutôt vis à vis des personnages qui paraissaient pourtant assez proches, voire intimes, avec l'écrivant.

[Plotine]

Je profite que mon texte soit remonté - selon la formule consacrée - pour vous remercier tous trois de vos remarques très pertinentes dont je vais tenir compte.

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