Comme un reptile endormi et froid

[mitsouko]

C’était une ville banale, traversée de part en part par une ligne de fuite qui se jetait dans la mer par inadvertance ou par quelque lassitude coupable. Dès le panneau annonçant l’entrée de la ville, je savais que mon ennui se plairait ici.
Le seul motel encore ouvert, avait déjà renoncé à proposer des repas chauds aux voyageurs tardifs. Une bière tiède et un sandwich mou accompagnèrent ma première soirée.

La télévision de ma chambre diffusait des images neigeuses et je n’étais pas assez désespéré ou croyant pour me plonger dans la bible multilingue gisante dans le tiroir de ma table de chevet. En tripotant les boutons de la radio, je finis par tomber sur la rediffusion d’un concert de Chet Baker, peu de temps avant son envolée dans le ciel d’Amsterdam.

Accoudé à la fenêtre, je regardais les phares des camions trouer la nuit d’un faisceau de lumière qui balayait subrepticement la façade de mon immeuble. Je suivais du regard leurs feux rouges comme des lucioles fragiles, jusqu’à ce qu’ils soient engloutis par le noir épais. A travers la cloison mal insonorisée, on entendait les gémissements feutrés d’un couple faisant l’amour, et puis ce fut le silence des corps, quand le désir s’éteint doucement.

La nuit serait sans doute longue à traverser, mais la voix de Chet et mon tabac blond seraient des alliés sûrs pour espérer les pâleurs de l’aube. Je me promettais cependant de m’assoupir quelques instants, afin de retrouver cette sérénité et cette vigilance aigüe dont j’aurai besoin dans quelques heures.

Là bas sur le couvre lit, un fusil à lunette reposait dans son étui, comme un reptile endormi et froid.

[Invité]

Une idée intéressante pour un instantané, mais je trouve en l'occurrence le style un peu chargé (trop d'adjectifs parfois), et par endroits clichéteux, ce qui se voit dans un texte aussi court, où chaque phrase ressort :
"des repas chauds aux voyageurs tardifs. Une bière tiède et un sandwich mou"
"images neigeuses"
"trouer la nuit"
"faisceau de lumière"
"noir épais"
"La nuit serait sans doute longue à traverser"
"les pâleurs de l’aube" (un peu précieux)

Remarques de langue :
"Le seul motel encore ouvert, (pourquoi cette virgule entre le sujet et son verbe, sans incise intercalée ?) avait déjà renoncé"
"la bible multilingue gisant (et non "gisante") dans le tiroir"
"cette vigilance aiguë dont j’aurais (la concordance des temps impose ici le conditionnel, futur évoqué dans un récit au passé) besoin"
"Là-bas sur le couvre-lit"

[Chako Noir]

La nuit serait sans doute longue à traverser, mais la voix de Chet et mon tabac blond seraient des alliés sûrs pour espérer les pâleurs de l’aube. Je me promettais cependant de m’assoupir quelques instants, afin de retrouver cette sérénité et cette vigilance aigüe dont j’aurai besoin dans quelques heures.

A part que Chet devient pour moi Roger Hodgson et le tabac du café, c'est pour moi un texte à valeur de présent..
Un instantané de carnet de route, bref récit d'image spontanée, d'occupation de ces heures dont on ne sait pas quoi faire. Plutôt réussi, bien que partage l'avis de socque quant au trop plein d'adjectifs.

[Invité]

Sans remettre en question la qualité de l'écriture, parce que c'est vraiment très bien écrit, poétique, au bord de l'affectation parfois sans que cela me dérange au-delà du simple fait de l'avoir noté - bref, c'est chouette mais j'ai néanmoins eu le sentiment d'avoir maintes fois lu ce genre de récit, intro à un roman noir comme j'aime parfois en lire, intro dont on se prend à souhaiter la suite, Mitsouko :-)

[Invité]

Je trouve bons : cette concision, en quelques mots le décor bien planté, le personnage pas vraiment décrit mais bien suggéré, et la chute.
"quand le désir (ou le plaisir, non ?) s'éteint doucement"...
Ahrrrrh, la froideur de l'arme à feu ! ! !

[Roz-gingembre]

Je n'aime pas particulièrement l'idée, mais je trouve cela vraiment bien écrit.

[Rebecca]

Trés visuel. Comme un début de scénario. Avec déjà la bande-son.

[Sahkti]

Beaucoup aimé cette ambiance à la fois froide et chaleureuse, très riche de sensations. Est-ce un extrait d'un ensemble plus long ?
Il y a de belles images, composant une atmosphère étrange, feutrée, très réussie.

[mentor]

on dirait un texte d'auteur américain de thriller, et traduit, bien traduit
;-)
j'ai appécié
et dommage qu'il n'y ait pas de suite, c'est un excellent début

[wald]

J'ai beaucoup aimé, la première phrase du troisième paragraphe est peut être un peu lourde, mais c'est sans doute mon gout pour la simplicité qui me fait dire ça.

[conselia]

Parfois, je m’interroge : sans le fusil à lunette, c’est un moment de vague à l’âme. Avec, ça devient le début d’un polar. Donc, pas de fusil, pas d’histoire.
Où bien si, quand même, avec le traitement adéquat.

Parfois, je me réponds : Mitsouko, donnes nous aujourd’hui la suite qu’impose l’arme, que nous soyons fixés, nom de d’là !

[Invité]

J'aime bien le ton, le reste, Socque à fait le boulot. La suite bientôt ?

[demi-lune]

J'aime : un côté roman noir et des phrases qui savent nous installer dans la durée, l'attente placide de quelque chose....

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