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Rosine

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Message  ptipimous Ven 16 Oct 2009 - 19:38

Rosine s’assoit sur un banc.
Tous les jours, après son petit crème au café du coin, prise entre la fureur de la circulation et le vacarme strident des trains qui entrent en gare, elle va chercher son pain, qui sent la gare aussi, et elle y rentre dans cet espace immense et noir pour s’asseoir sur le même banc.
Là, elle souffle. Elle regarde les gens qui courent, repère les pickpocket, observe le tableau des arrivées (sur la gauche) et celui des départs (sur la droite), avec les petites lettres qui tournent et virevoltent dans un bruit métallique. Parfois, certaines affichent des mots incompréhensibles pour repartir dans une folle sarabande vers Dunkerque, Brest ou Limoge.
Il y a aussi des hommes d’affaire dont le budget n’est pas assez important pour prendre l’avion, des mères excédées, accompagnées de bambins trépignants, des routards ployant sous des sacs à dos gros comme la terre, des resquilleurs aux poches percées, des zonards aux doigts noirs et tremblants.
Et tous les jours que Dieu fait, Rosine vient s’asseoir là, histoire de se détendre, d’oublier un peu son quotidien. Elle pose son cabas poireaux-baguette, collé à sa jambe droite, les genoux bien serrés, les mains dessus, tout en sachant que cela ne sert à rien, que son vide vital ne se remplira de rien avec cette halte.

Certaines fois, un journal abandonné lui donne un avant goût de ce qu’elle entendra au journal de treize heures.
Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a un album photos.
Rosine l’observe du coin de l’oeil sans oser y porter la main. Des photos, c’est comme un portefeuille, c’est privé. Puis, la curiosité étant la plus forte, elle se lance. Elle cale le gros bouquin pesant sur ses genoux et l’ouvre.
Les premières pages affichent des portraits, fort désuets, en noir et blanc enfin plutôt en jaune et marron. Elle voit des coiffures folkloriques, des instruments de travail archaïques, reflet d’une époque où l’on venait poser devant le photographe en habit du dimanche avec son outil ou le symbole de son passe-temps. Toute une galerie de visages figés, un peu fermés, austères et sérieux. Peu à pau, on les retrouve dans des scènes du quotidien ; quelqu’un a dû acheter un appareil photo. La boutique de cordonnerie, mémé au marché, la fête à la tomate... Les visages s’éclairent dans l’action. Finalement, ces figures rébarbatives expriment des sentiments, de la joie, de l’effort, de la nostalgie.
Malgré elle, Rosine leur donne des noms pour se repérer. Ainsi renaissent Gaston, Emile, Yvonne, Agnès... En étudiant leurs visages, elle essaie de recréer les familles : voyons, Yvonne doit être la fille de...
Autour de Rosine, la vie de la gare bat son plein. Les petites lettres des panneaux tourbillonnent, les gamins hurlent, les baffes volent bas et les pickpockets volent haut ! Rosine n’y est plus. La voilà partie en vacances à la campagne. Il y a les champs et les hommes au travail, la vigne aussi, les gosses qui mangent des fruits, le fils qui part à l’armée. Et à bien y regarder, c’est peut-être même la guerre.
Rosine tourne les pages comme celles d’un roman. Emile est enrôlé, Gaston part au génie. L’oncle Anatole y laissera sa peau : plus la moindre photo de lui après.
Il y a des naissances. Des bambins joufflus montrent leurs derrières sur des peaux de bêtes. Rosine rit aux bouilles rondes de surprise par le déclic et l’oiseau qui ne sort pas. Voici donc une nouvelle couvé de Michel, Alice, Eric et Loïc. Des belles-filles qui présentent leur progéniture. Alors voyons, la blonde serait avec Emile et ce bébé la, ça ne peut être qu’à lui : c’est le même sans la moustache !
Et les voilà repartis dans leurs fermes respectives, la saison des foins. Un voyage en Italie apporte de la couleur aux souvenirs enfuis.
L’Italie. C’est le pays de Rosine. Elle y est née. C’est tout ce qu’elle sait. Elle y a vécu, y a été élevée. C’est une vraie ritale, de langue, d’accent et de poil. Elle sait faire les pâtes et roule les R, un vrai bonheur ! Mais c’est tout ce qu’elle sait d’elle. Elle revoit la Toscane, enroulée sur elle comme dans un nid, se fondant dans ses vallées et ses collines avec les “petits pays”, le haut et le bas. L’alto et le basso. L’alto toujours plus ancien, plus préservé, protégé, et plus inaccessible aussi. Le soleil et l’odeur de l’Italie. Elle ne reconnaît pas les lieux sur les photos, mais elle sent sa terre.
Voilà la famille Pacouly en vacances, avec la 4 cv chargée à ras bord. Elle les voit sur les routes écrasées de soleil, elle entend les cigales, les olives à l’ail fondent dans sa bouche. Les congés payés, ça a du bon, mais c’est toujours trop court. Retour à la ferme.
Les enfants grandissent, de photos de classe en photos d’identité. Les voilà qui partent à la ville...
- Dites donc vous ? Vous comptez rester longtemps ici ?
La police de la gare. Rosine ne dit rien. Sans l’album, elle serait déjà levée et partie. Mais qu’en faire ? L’autre ne lui laisse que peu de temps pour réfléchir. De toutes façons, elle ne peut pas le laisser derrière elle car le flic inquisiteur est déjà en train d’examiner le banc comme si elle y avait commis une malfaisance. Rosine prend l’album et rentre chez elle. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle ne jettera pas un coup d’oeil sur l’affiche publicitaire qui vente un voyage aux Antilles ou en Grèce que pourtant elle n’a jamais raté. Elle a sous son bras son voyage personnel.
De retour chez elle, elle pose l’album bien à plat sur le buffet, loin de toute tache potentielle. Elle a raté son jeu de midi. Avec tout ça, elle s’est drôlement mise en retard, la Rosine. Mais en retard pour quoi ?
Après le déjeuner, elle brosse, aspire, récure, reprise, repasse, s’arrasse de bêtises. Toutes les minutes, elle jette un regard à l’album qui décidément ne s’envole pas. Et que va-t-elle en faire ? Elle le rapportera demain.
Et le lendemain, la voilà revenue sur son banc, avec son cabas poireau-baguette et l’album. Chez elle, elle ne l’a pas ouvert. Ce n’était plus pareil. Il n’y a que là, dans cet endroit nauséabond et crasseux que les photos révèlent toute leur beauté, racontent leur histoire. Rosine reprent sa visite de l’endroit où elle s’était arrêté. Le passage à la ville, de province tout d’abord. Puis de page en page, Paris, sa banlieue, son métro, ses boulevards, ses petits appartements mesquins. Rosine ne rêve plus bien. Cette existence habillée de pulls bariolés achetés au marché, elle connait. Elle repart quelques années avant, revient sur les vacances à la ferme, rit de nouveau aux visages barbouillés de mûres, respire encore le procchiutto pendu sous la tonnelle, alors qu’à l’arrière plan, l’apéritif d’un repas de famille illumine déjà les visages. Elle se reconnaît, se retrouve dans ces couleurs, ces odeurs, ces formes, ces maisons aux volets fermés sur la fraîcheur des pièces sombres. La villa lui est presque familière et elle entend les exclamations des hommes qui parlent fort tandis que les femmes s’activent à les servir. Mais quelques pages plus loin, c’est déjà Paris.
Il y a une photo triste d’un immeuble, avec un enfant sale et seul assis parterre. Dessous est écrit une adresse, au crayon noir, presque effacée. Rosine sait qu’elle ira. Après le journal de 13 heures.
Il faut prendre le métro, le bus. Parcourir une ville morne hantée par une jeunesse bousculée, habillée de compromis douteux. Elle marche longtemps encore, vers un terrain vague et un amas de gravats. Une zone déguisée en Hiroshima post-bombe, un champignon de poussière et de fines particules piquantes stagnent encore dans l’air ambiant.
Rosine retourne à la gare le lendemain. Cette fois, elle laissera l’album. A quoi cela sert de courir après des souvenirs qui ne sont même pas les vôtres ? Avec tout ça, son ménage a pris du retard, elle a raté la lessive. Pourtant, pas question de se priver de sa promenade. Elle regardera de nouveau l’affiche du voyagiste, voilà tout.
Et puis tout de même, elle va aller voir la dernière photo. L’ultime, celle qui finit le voyage.
En soupirant, elle passe vite sur des anniversaires, de nouvelles naissances, des modes qui passent, des sourires.
La dernière photo représente une dame assise sur un banc. A la gare.
ptipimous
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Message  Invité Ven 16 Oct 2009 - 20:20

Je n'ai pas trop compris le passage avec l'enfant assis devant l'immeuble, pas compris pourquoi Rosine s'y rend si ce n'est pour rendre l'album, mais j'ai sans doute l'esprit trop terre à terre.
En revanche, j'ai beaucoup aimé la fin, avec la dernière photo qui boucle la boucle.
Beaucoup de sensibilité dans ce texte, un voyage au cours des ans, une nostalgie discrète, un joli travail tout en finesse.

Ci-dessous quelques fautes repérées en cours de lecture :

repère les pickpockets,
Dunkerque, Brest ou Limoges
l y a aussi des hommes d’affaires
Voici donc une nouvelle couvée de Michel, Alice, Eric et Loïc
et ce bébé-là
s’arrasse de bêtises = se harasse ?
Rosine reprend sa visite de l’endroit où elle s’était arrêtée.
Cette existence habillée de pulls bariolés achetés au marché, elle connaît.
avec un enfant sale et seul assis par terre
un avant-goût

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Message  Invité Sam 17 Oct 2009 - 6:14

Une belle histoire, oui, une écriture sensible, mais à la fin, Rosine n'a pas encore rendu l'album, finalement ? On est le lendemain du deuxième jour, et elle comptait y aller le deuxième jour dans l'après-midi, me semble-t-il... ou bien elle n'a trouvé personne ?

J'ai relevé une expression qui, je trouve, détonne dans l'ensemble du texte, car (selon moi) elle appartient au "clichéteux technocratique" :
« oublier un peu son quotidien »

Quelques remarques :
« du coin de l’œil »
« une nouvelle couvée de Michel »
« un coup d’œil sur l’affiche publicitaire »
« se harasse de bêtises »
« Il n’y a que là, dans cet endroit nauséabond et crasseux (je pense qu’il serait intéressant d’introduire une virgule ici, de compléter l’incise) que les photos révèlent toute leur beauté »
« Rosine reprend sa visite »
« elle connaît »
« alors qu’à l’arrière-plan »
« assis par terre » (et non « parterre »)

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Message  Roz-gingembre Sam 17 Oct 2009 - 17:38

Texte intéressant. Presque à la manière d'un scénario. j'aime bien, surtout les deux premiers tiers. Ensuite, en gardant la même idée tu avais matière à faire encore mieux.
Moi, de ce que j'en ai compris - et pour répondre à Socque, Rosine y va, rendre l'album, mais trouve un quartier rasé.
La chute est super. On a envie de la voir encore mieux exploitée.
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Message  Invité Sam 17 Oct 2009 - 17:47

Bon Dieu mais c'est bien sûr ! Merci, Roz-gingembre, je n'avais pas lu avec assez d'attention...

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Message  Rebecca Sam 17 Oct 2009 - 18:21

Texte trés touchant.
Excellente chute.
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Message  ptipimous Lun 19 Oct 2009 - 7:14

bonjour à tous
s'cusez pour les fautes ! Et dire que j'ai relu ! Je me demande bien pourquoi !
bref...
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Message  silene82 Lun 19 Oct 2009 - 7:27

Beaucoup aimé, autant le ton que la sensibilité fine qui transparaît partout. Je sentais venir la chute, parce que le récit s'inscrit dans une typologie bien repérée, mais je le trouve vraiment plaisant, et touchant sans mièvrerie.
Beau travail!
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Message  Sahkti Jeu 29 Oct 2009 - 17:31

Quel joli texte que celui-ci, empreint de douceur et de nostalgie, mettant en scène un personne bien sympathique. Si on sent un peu venir la fin, elle n'enlève rien au charme surranné de l'ensemble. Ces souvenirs photographiés sont devenus visibles, palpables et, quelque part, ça fait chaud au coeur.
Bien aimé ton texte !
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