L'arriérée

[M-arjolaine]

C'était le genre de choses que l'on attendait avec impatience. C'était dans la norme: qui ne passait pas à l'acte était attendu de par ses pairs. Ils avaient au départ, pour la charmante personne qui leur tenait compagnie, les plus tendres égards, l'abreuvant de mille caresses et autres câjoleries. On l'attendait tout de même: et l'irritation de la voir si tardive à s'atteler à la tâche croissait dans les regards alentours. Ce qui s'appelait autrefois inquiétude se muait en condescendance: toute la considération que l'on avait pour la petite chose disparaissait petit à petit. Et voilà qu'on la pressait. Passé un certain temps, elle devenait anormale.

J'étais en retard: et je lisais le mépris dans les yeux de ceux qui étaient au courant. Tout était perdu désormais: que je m'y mette dès maintenant, ou que je ne le fasse pas ne changerait plus rien. L'on se souviendrait de mon autisme, de la lenteur suspecte que j'avais mise à exécuter ce que l'on attendait de moi, et l'on en plaisanterait, sans méchanceté bien sûr, parce que ce n'était pas de ma faute. La plaisanterie garderait malgré tout son caractère injurieux: la perspective d'une vie de railleries ne m'enthousiasmait guère.

De toutes façons, mes considérations n'étaient d'aucune importance: j'étais forcée de m'y mettre. S'installait en moi, plus qu'un désir, un besoin impérieux de m'exécuter, une douleur irrésistible de ne pas l'avoir fait, et je craignais une souffrance qui me ménerait, bien pis qu'à la condescendance d'un entourage méprisant, à une mort certaine et lancinante. J'entrouvris les lèvres: mes gencives rosâtres et gluantes se découvrirent à la vue des moqueurs, et firent l'objet d'une agitation soudaine qui m'angoissa plus encore. Les sourires s'élargissaient: j'allais enfin m'y mettre, j'allais enfin le pousser, ce premier son de vie, leur assurer à tous que j'étais bien présente, et douée d'une voix. Je vidai mes poumons d'un bruit désagréable: l'on recommenca aussitôt à m'aimer. Mais l'on n'oublia pas: cela faisait à présent vingt ans qu'à chaque repas de famille, l'on rappelait à tout va mon premier cri, et les lueurs cruelles dans les yeux des crétins me faisaient regretter de ne pas être morte.

[Invité]

Un argument intéressant, desservi par une écriture pas assez soigneuse à mon avis : l'abondance des conjugaisons de être à l'imparfait me paraît caractéristique.

Remarques :
« C'était le genre de choses que l'on attendait avec impatience. C'était dans la norme »
« et autres cajoleries »
« J'étais en retard: et je lisais le mépris dans les yeux de ceux qui étaient au courant. Tout était perdu désormais »
« mes considérations n'étaient d'aucune importance: j'étais forcée de m'y mettre »
« une souffrance qui me mènerait »

[bertrand-môgendre]

Pourquoi tant de : (deux points) plus ou moins bien utilisés ?

espace : espace

[Invité]

Je me demande pourquoi j'ai cette haine pour les " de par" ?
Mais ça me hérisse le poil.
Pas grand chose à ajouter aux précédents commentaires. Ce texte moins incisif et soigné que les précédents, mériterait un peu plus d'élaboration.

[Plotine]

J'ai compris ! Ici on n'aime ni les idiots, ni les arriérées !
Je le trouve parfait ce texte. C'est vrai que certains faits de la petite enfance vous collent à la peau tout votre vie : "il n'a marché qu'à 18 mois" !
Donc excellente idée, très bien exprimée - à mon humble avis - et remarquablement écrite, comme d'habitude.

[Ba]

Je la mettrais bien dans un jardin, à l'ombre d'un arbre sans paroles de trop " cette arriérée ".

[M-arjolaine]

Peut-être une version améliorée ?

C'était le genre de choses que l'on attendait avec impatience. Il y avait une norme: qui ne passait pas à l'acte était attendu de par ses pairs. Ils avaient au départ, pour la charmante personne qui leur tenait compagnie, les plus tendres égards, l'abreuvant de mille caresses et autres cajoleries. Coquette, elle n'avait pourtant de cesse de se faire attendre: et l'irritation de la voir si tardive à s'atteler à la tâche croissait dans les regards alentours. Ce qui s'appelait autrefois inquiétude se muait en condescendance: toute la considération que l'on avait pour la petite chose disparaissait peu à peu. Et voilà qu'on la pressait. Passé un certain temps, elle devenait anormale. Une arriérée.
J'étais en retard: et je lisais le mépris dans les yeux de tous ceux qui savaient. J'avais tout perdu: que je m'y mette dès maintenant, ou que je ne le fasse pas ne changerait plus rien. L'on se souviendrait de mon autisme, de la lenteur suspecte que j'avais mise à exécuter ce que l'on attendait de moi, et l'on en plaisanterait, sans méchanceté bien sûr, parce que ce n'était pas de ma faute. La plaisanterie garderait malgré tout son caractère injurieux: la perspective d'une vie de railleries ne m'enthousiasmait guère.
De toutes façons, mes considérations n'avaient plus la moindre importance: j'étais forcée de m'y mettre. S'installait en moi, plus qu'un désir, un besoin impérieux de m'exécuter, une douleur irrésistible de ne pas l'avoir fait, et je craignais une souffrance qui me mènerait, bien pis qu'à la condescendance d'un entourage méprisant, à une mort certaine et lancinante. J'entrouvris les lèvres: mes gencives rosâtres et gluantes se découvrirent à la vue des moqueurs, et firent l'objet d'une agitation soudaine qui m'angoissa plus encore. Les sourires s'élargissaient: j'allais enfin m'y mettre, j'allais enfin le pousser, ce premier son de vie, leur assurer à tous que j'étais bien présente, et douée d'une voix. Je vidai mes poumons d'un bruit désagréable: l'on recommenca aussitôt à m'aimer. Mais l'on n'oublia pas: cela faisait à présent vingt ans qu'à chaque repas de famille, l'on rappelait à tout va mon premier cri, et les lueurs cruelles dans les yeux des crétins me faisaient regretter de ne pas être morte.

[Sahkti]

attendu de par ses pairs
attendu par ses pairs, plutôt, non ?

Il me semble que par moments, ça traîne un peu en longueur, que ça s'étire sans trop savoir où aller, même si la chute est assez explicite. Dommage parce que l'écriture est une fois de plus soignée. Je pense que la volonté d'entretenir une certaine ambiguité n'est pas totalement maîtrisée et que ça explique, en partie, les hésitations que je perçois.

[Invité]

Je n'ai pas lu la première version donc je ne compare pa,s mais j'ai trouvé que ce texte manquait de relief. Il me semble qu'il aurait fallu provoquer les émotions du lecteur, susciter son empathie ou son rejet, alors qu'ici je ne lis qu'une description somme toute assez clinique.

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