J’irai pas chez tes morts
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J’irai pas chez tes morts
- C’est pas la peine de me tirer par la main, j’irai pas !
- Si, tu m’accompagneras chez mamie !
- Non !
- Continue, et tu prends une baffe.
- M’en fous, même pas peur.
- Change de ton hein, change de ton ; tu vas voir ton père en rentrant, tu vas voir, tu vas voir…
Elles marchent dans les allées à grands coups de bras et de jambes raides, violents, heurtés. Deux anges de porphyre décapités soupirent :
- Les temps ont bien changé depuis 1368.
- En effet, bien changé. Te souvient-il de ce jeune homme cheveux défaits et poitrine en avant qui venait chanter sur nos tombes ?
- Comment donc qu’il m’en souvient ! Quel beau garçon…Quelle douce voix à mes oreilles encore pures. Orphée se nommait-il ?
- Tu l’as revu depuis ?
- Quelquefois, oui, entre deux averses acides. Au détour d’un mausolée. Souvent près d’une fosse taillée dans l’argile.
- Il semblerait que cette kaolinite soit la mieux adaptée
- Sauf par temps de pluie
- Si tu t’enduis le corps tu conserves ta jeunesse sans un creux dans la figure ni aux coudes.
- Quelle importance à présent ?
- J’aime bien avoir la peau nette et le coude gracieux, moi.
- Toi, toi, regarde ta tête
- Et la tienne donc !
- Coup de foudre.
- Profanation politique et civique
- ?
- Un jour de Libération, en 44 je crois, deux résistants sont entrés et comme je les regardais sans rien dire ils m’ont flingué.
- Cruel
- Non, vin au tonneau à volonté chez le père Ratio.
- Quand je pense que tous croient encore que nous menons une vie passionnante depuis la chute.
- Ce sont des idées reçues par la poste, cela rassure. A cause du petit timbre en haut à droite.
Pendant cet intervalle à-temporel que la narratrice se donne le droit d’ouvrir quand bon lui semble, nos deux héroïnes au bord de la rupture continuent d’arpenter les lieux en giflant les roses en plastique bien négligées, convenons-en. Le gravier sous les semelles de caoutchouc provoque une nuisance auditive fort désagréable à l’œil nu.
- On s’emmerde chez mamie…Elle répète toujours la même chose « de mon temps, de mon temps, de mon temps »
- C’est une vieille dame, comme son nom l’indique
- C’est pas une raison pour empêcher les jeunes de vivre. C’est fini pour elle.
- Pour toi aussi idiote.
- Justement, j’ai bien l’intention d’en profiter tant que ça va pas durer.
La discussion est si vive qu’elles butent dans la tête des anges.
- Nom de dieu, peuvent pas faire attention ?
- Calme-toi Gaby tu vois bien qu’elles passent
- J’espère qu’on n’aura pas à les accueillir ces deux là !
- Elles valent bien les congressistes de la dernière livraison
- Certes.
- Ou les hooligans de l’ultime match d’allumettes
- J’en conviens
- Comme les trois rescapés de l’accident 2556.
- Absolument
- Identiques au bataillon des armées de l’incandescente paix mondiale tombé dans une embuscade.
- A n’en point douter
- D’autant qu’elles sont deux
- Hum…
- Liées par les boulets de l’ADN, donc économie de recherches identitaires, répartition rapide par convois, acheminement en flux tendu, récupération immédiate en compost, gain de service. Emballé.
- De ce point de vue là, je reconnais ton efficacité Mich. Tout de même deux furies le même jour, avoue que notre patience est mise à rude épreuve.
- Ne sommes-nous pas tombés des nidifications pour cela ?
- Toi sans doute, mais en ce qui me concerne ce fut une erreur de classement. J’aurais dû être affecté au service des commandes.
- La belle affaire.
- Comment ça la « belle affaire » ? Te rends-tu compte des avantages du poste ?
- Et alors ? Les expéditions ce n’est pas mal non plus. En attendant récupérons nos âmes et finissons le boulot. Tu as ton filet à papillon sur toi ?
Gaby fouille dans ses poches, regarde autour de lui, soulève un pan d’oxygène, brasse l’air en vain.
Mich soupire, lève ses yeux vides vers le ciel borgne. La fosse se referme sans déranger le silence.
Chacun ramasse sa tête pendant que le lecteur entend au loin le son caractéristique du coup de frein planté dans le bitume.
Note particulière à l’adresse de Socque : je sais, ces personnages n’ont pas trouvé le sens de la queue mais notez que pour la tête c’est fait. Ne leur en veuillez pas ils sont loin d’avoir évolué aussi vite que nous. *-)
- Si, tu m’accompagneras chez mamie !
- Non !
- Continue, et tu prends une baffe.
- M’en fous, même pas peur.
- Change de ton hein, change de ton ; tu vas voir ton père en rentrant, tu vas voir, tu vas voir…
Elles marchent dans les allées à grands coups de bras et de jambes raides, violents, heurtés. Deux anges de porphyre décapités soupirent :
- Les temps ont bien changé depuis 1368.
- En effet, bien changé. Te souvient-il de ce jeune homme cheveux défaits et poitrine en avant qui venait chanter sur nos tombes ?
- Comment donc qu’il m’en souvient ! Quel beau garçon…Quelle douce voix à mes oreilles encore pures. Orphée se nommait-il ?
- Tu l’as revu depuis ?
- Quelquefois, oui, entre deux averses acides. Au détour d’un mausolée. Souvent près d’une fosse taillée dans l’argile.
- Il semblerait que cette kaolinite soit la mieux adaptée
- Sauf par temps de pluie
- Si tu t’enduis le corps tu conserves ta jeunesse sans un creux dans la figure ni aux coudes.
- Quelle importance à présent ?
- J’aime bien avoir la peau nette et le coude gracieux, moi.
- Toi, toi, regarde ta tête
- Et la tienne donc !
- Coup de foudre.
- Profanation politique et civique
- ?
- Un jour de Libération, en 44 je crois, deux résistants sont entrés et comme je les regardais sans rien dire ils m’ont flingué.
- Cruel
- Non, vin au tonneau à volonté chez le père Ratio.
- Quand je pense que tous croient encore que nous menons une vie passionnante depuis la chute.
- Ce sont des idées reçues par la poste, cela rassure. A cause du petit timbre en haut à droite.
Pendant cet intervalle à-temporel que la narratrice se donne le droit d’ouvrir quand bon lui semble, nos deux héroïnes au bord de la rupture continuent d’arpenter les lieux en giflant les roses en plastique bien négligées, convenons-en. Le gravier sous les semelles de caoutchouc provoque une nuisance auditive fort désagréable à l’œil nu.
- On s’emmerde chez mamie…Elle répète toujours la même chose « de mon temps, de mon temps, de mon temps »
- C’est une vieille dame, comme son nom l’indique
- C’est pas une raison pour empêcher les jeunes de vivre. C’est fini pour elle.
- Pour toi aussi idiote.
- Justement, j’ai bien l’intention d’en profiter tant que ça va pas durer.
La discussion est si vive qu’elles butent dans la tête des anges.
- Nom de dieu, peuvent pas faire attention ?
- Calme-toi Gaby tu vois bien qu’elles passent
- J’espère qu’on n’aura pas à les accueillir ces deux là !
- Elles valent bien les congressistes de la dernière livraison
- Certes.
- Ou les hooligans de l’ultime match d’allumettes
- J’en conviens
- Comme les trois rescapés de l’accident 2556.
- Absolument
- Identiques au bataillon des armées de l’incandescente paix mondiale tombé dans une embuscade.
- A n’en point douter
- D’autant qu’elles sont deux
- Hum…
- Liées par les boulets de l’ADN, donc économie de recherches identitaires, répartition rapide par convois, acheminement en flux tendu, récupération immédiate en compost, gain de service. Emballé.
- De ce point de vue là, je reconnais ton efficacité Mich. Tout de même deux furies le même jour, avoue que notre patience est mise à rude épreuve.
- Ne sommes-nous pas tombés des nidifications pour cela ?
- Toi sans doute, mais en ce qui me concerne ce fut une erreur de classement. J’aurais dû être affecté au service des commandes.
- La belle affaire.
- Comment ça la « belle affaire » ? Te rends-tu compte des avantages du poste ?
- Et alors ? Les expéditions ce n’est pas mal non plus. En attendant récupérons nos âmes et finissons le boulot. Tu as ton filet à papillon sur toi ?
Gaby fouille dans ses poches, regarde autour de lui, soulève un pan d’oxygène, brasse l’air en vain.
Mich soupire, lève ses yeux vides vers le ciel borgne. La fosse se referme sans déranger le silence.
Chacun ramasse sa tête pendant que le lecteur entend au loin le son caractéristique du coup de frein planté dans le bitume.
Note particulière à l’adresse de Socque : je sais, ces personnages n’ont pas trouvé le sens de la queue mais notez que pour la tête c’est fait. Ne leur en veuillez pas ils sont loin d’avoir évolué aussi vite que nous. *-)
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: J’irai pas chez tes morts
J'aime beaucoup le style, certains passages sont brillants. Je me suis par contre un peu perdu dans l'histoire, sans qu'il en soit forcément de votre faute. J'ai cru comprendre au début que la mère et la fille étaient dans un cimetière (les allées), cela m'a conduit à penser qu'elles étaient déjà mortes, ce qui m'a été confirmé par les répliques: "C’est fini pour elle- Pour toi aussi idiote.- Justement, j’ai bien l’intention d’en profiter tant que ça va pas durer." Je me suis dit qu'elles étaient mortes mais n'étaient pas encore passées de l'autre côté. Mais cette lecture ne colle pas avec l'accident final...
wald- Nombre de messages : 84
Age : 46
Date d'inscription : 06/03/2009
Re: J’irai pas chez tes morts
Que nenni, ce me semble. Elles sont bien vivantes et perturbent le calme des lieux dont les deux anges sont les gardiens, pas plus pressés que ça d’avoir à "traiter" les deux impétrantes.Je me suis dit qu'elles étaient mortes mais n'étaient pas encore passées de l'autre côté. Mais cette lecture ne colle pas avec l'accident final...
Le côté bureaucratique du traitement est particulièrement bien vu et ce style...
Comme d’ab, j’en reste bouche Ba !
Re: J’irai pas chez tes morts
Ben, Ba, bien beau et bon.
D'anthologie, sans dec...
D'anthologie, sans dec...
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 66
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: J’irai pas chez tes morts
...soulève un pan d'oxygène..."
Quel régal. Et pas que cette expression là bien entendu.
Quel régal. Et pas que cette expression là bien entendu.
Re: J’irai pas chez tes morts
Je n'aurais pas été contre l'étoffement des personnages de la mère et de la fille, juste pour le plaisir d'un peu plus, Ba.
Savoureux dialogues angéliques.
Savoureux dialogues angéliques.
Invité- Invité
Re: J’irai pas chez tes morts
Bravo.
Ce texte me transporte et pas qu'âme moitié.
Je suis égarée dans les limbes car si les anges passent, qui trépasse ?
Qui tombe?
J'vais accepter que tout ne soit pas sous contrôle.J'suis sure que leur service après-vie est au point. Enfin, se reposer, gésir.
Ce texte me transporte et pas qu'âme moitié.
Je suis égarée dans les limbes car si les anges passent, qui trépasse ?
Qui tombe?
J'vais accepter que tout ne soit pas sous contrôle.J'suis sure que leur service après-vie est au point. Enfin, se reposer, gésir.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: J’irai pas chez tes morts
ho, difficile à commenter celui-ci !
Ba, toujours aussi particulière, ton écriture, je veux dire, ton propos, les thèmes abordés, le style, le fond, la forme, tout quoi
tu es inclassable
et c'est bien
Ba, toujours aussi particulière, ton écriture, je veux dire, ton propos, les thèmes abordés, le style, le fond, la forme, tout quoi
tu es inclassable
et c'est bien
génial
génial ! Mais j'ai pas tout compris en fait...
mini joe- Nombre de messages : 109
Age : 35
Localisation : 52eme étage. Tour de Djakarta.
Date d'inscription : 01/11/2009
Re: J’irai pas chez tes morts
Me suis régalée avec ce texte bien drôle et morbide à souhait! On se laisse bien entrainer et les zones d'ombres font partie de la balade d'halloween...
Re: J’irai pas chez tes morts
mini joe a écrit:génial ! Mais j'ai pas tout compris en fait...
Moi non plus à vrai dire ! J'attendais que quelqu'un le dise franchement. Merci.
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 81
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: J’irai pas chez tes morts
mais doit-t-on toujours comprendre un texte dans ces moindres détails pour en apprécier la substantifique moelle? Personnellement, je ne crois pas. J'ai apprécié ici la manière dont les mots s'enchainent, le naturels des dialogues, l'ambiance bien plus qu'une histoire...
Ce texte laisse un point d'interrogation flottant au dessus des têtes de ces lecteurs mais au moins il ne les endors pas et ne les fait pas fuir non plus...
Ce texte laisse un point d'interrogation flottant au dessus des têtes de ces lecteurs mais au moins il ne les endors pas et ne les fait pas fuir non plus...
Re: J’irai pas chez tes morts
Oh Gaby, Gaby, j'peux pas dormir, j'fais qu'des conneries.
Eddy Michel.
C'est très bon.
Eddy Michel.
C'est très bon.
Invité- Invité
Re: J’irai pas chez tes morts
Alain Bashung n'est pas mort ; il s'est juste déguisé en Eddie Mitchel.
Me voilà soulagé !
Me voilà soulagé !
Re: J’irai pas chez tes morts
Et il en profite pour chanter "Comme un lego" en se faisant passer pour Gérard Manset. Il est malin Bashung.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 66
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: J’irai pas chez tes morts
Pour le style, c'est parfait! Quant au reste, on peut pas dire que tu forces le lecteur. Il y trouve ce qu'il veut, parfaitement. ca lui permet de s'imaginer son après demain à la guise et sur carte. Une question, cependant. pourquoi 1368? 47ou 48 eut été, m'est avis, bien mieux, la grande peste! Quelle occase de ratée!!! -:). C'est bien là le seul faux pli qu'on puisse trouver au linceuil ! Bravo!
outretemps- Nombre de messages : 615
Age : 77
Date d'inscription : 19/01/2008
Re: J’irai pas chez tes morts
Ha ha ce début avec la promesse de la baffe et de parler au père.... mince, je connais ça :-)
Encore un bon texte Ba, teinté d'humour et d'absurdité mais aussi d'une sympathique (et intéressante) réflexion sur ce regard posé par d'autres sur les pauvres âmes errantes que nous sommes et qui les rejoindront bientôt un jour.
J'avoue avoir apprécié la densité de l'ensemble, cette nécessité de bien cadrer les lieux et les personnages dans ma tête pour arriver à tout suivre; cela apporte pas mal de force au récit.
Encore un bon texte Ba, teinté d'humour et d'absurdité mais aussi d'une sympathique (et intéressante) réflexion sur ce regard posé par d'autres sur les pauvres âmes errantes que nous sommes et qui les rejoindront bientôt un jour.
J'avoue avoir apprécié la densité de l'ensemble, cette nécessité de bien cadrer les lieux et les personnages dans ma tête pour arriver à tout suivre; cela apporte pas mal de force au récit.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: J’irai pas chez tes morts
J'adore.
Tout le texte et ça en particulier:
C'est vraiment regrettable que les commentaires des auteurs ne suivent pas ceux des lecteurs.
Comme Outretemps, j'aurais bien aimé savoir pourquoi 1368 mais la réponse doit être perdue dans les limbes des Réponses aux commentaires.
Tout le texte et ça en particulier:
Le gravier sous les semelles de caoutchouc provoque une nuisance auditive fort désagréable à l’œil nu.
C'est vraiment regrettable que les commentaires des auteurs ne suivent pas ceux des lecteurs.
Comme Outretemps, j'aurais bien aimé savoir pourquoi 1368 mais la réponse doit être perdue dans les limbes des Réponses aux commentaires.
Re: J’irai pas chez tes morts
Coup de foudre pour ce texte pris au hasard (trop de retard, vos plumes sont trop fertiles, s'il vous plaît n'arrêtez pas).
Percutant, insolite, on se prend au passage des images en pleine poire, oui, vraiment un bon rythme, je suis fan !
Percutant, insolite, on se prend au passage des images en pleine poire, oui, vraiment un bon rythme, je suis fan !
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