Le plat du jour

[Zou]

Le plat du jour

Les terrasses étaient presque désertes. Les gens avaient évité le soleil d’octobre comme ils se seraient méfiés d’un bonimenteur. Ils n’avaient peut-être pas eu tort. Le froid était piquant et la table bancale.

Elle le trouvait toujours aussi diaboliquement beau. Les années lui avaient apporté l’épaisseur qui lui manquait à vingt cinq ans. Quand il lui avait proposé de partager sa vie. Et qu’elle n’avait rien répondu. Pas parce qu’elle n’était pas partageuse mais parce qu’en amour elle ne connaissait que la division par deux et qu’elle était bien placée pour savoir qu’il n’avait qu’une double vie à offrir en partage et qu’au minimum le dénominateur serait trois Elle s’était alors retournée sur son côté pendant qu’il allumait une cigarette étendu sur les draps défaits. Il n’ avait jamais plus abordé le sujet. Si hier soir au téléphone. Vingt ans plus tard. Il lui avait demandé pourquoi eux deux n’avaient jamais fait que se croiser dans un lit. Elle n’avait pas osé lui répondre que c’était probablement parce que c’était son meilleur profil. De toute façon, il n’attendait pas vraiment une réponse, il n’aimait pas les réponses. Simplement parce qu’elles ne venaient pas de lui. S’il avait été intelligent, il n’aurait plus posé de questions ne prenant plus comme çela aucun risque. Mais il était beau, juste beau.

Le garçon vint prendre la commande et placer quelques sous-bocks en dessous du pied de la table. Elle ramena les siens sous sa chaise. Le soleil s’était évidemment fait la malle et elle regrettait déjà de n’avoir rien répondu lorsqu’il lui avait proposé de s’installer en terrasse. En fait, il désirait sûrement moins profiter de ce qui devait être l’un des derniers beaux jours de l’année que de pouvoir allumer cigarette sur cigarette tout à loisir pendant le repas. Il avait toujours fumé autant qu'une serviette vietnamienne post-prandiale. Il opta aussi vite pour le plat du jour qu’il avait choisi l’extérieur. Deux, elle dit. Et un pichet de rosé, il ajouta. Elle n’avait pas envie d’alcool mais savait que depuis quelques temps, lui et la bouteille étaient très amis. Au moins, le vin ne serait pas gaspillé. Elle se demandait s’il avait toujours la même manie. Toujours, comme s’il prenait un élan, il baissait la tête vers le paquet de cigarettes qu’il tenait à plat sur la table entre ses deux mains, pour la relever d’un seul coup et vous planter dans les yeux deux iris d’un turquoise à faire pâlir tous les lagons du Pacifique plus un. Qu’elle aimait ça, soutenir alors son regard, le retenir, en jouer et le lui rendre flanqué d’un sourire gourmand. Ca commençait d’ailleurs toujours comme ça ….

Le pichet était déjà presque vide lorsque les assiettes arrivèrent. Elle, n’avait pas touché à son verre. Lui caressait voluptueusement le sien. A ce moment, elle aurait bien échangé son tailleur taille 36 contre un déguisement improbable de récipient monopodial en verre Mais pourquoi un tel sacrifice après tout. Il suffirait, comme s’il allait prendre son élan, qu’il baisse la tête….

- Que deviens-tu ? Ca fait un bail, dis donc depuis la dernière fois ! Au moins deux ans, non ? Attends, ne dis rien, laisse moi me souvenir, c’était en 2007. Novembre 2007. J’ai pas raison ? Si, j’en suis sur.

Oui, c’était très exactement le 10 novembre 2007, il l’avait appelée la veille. Le lendemain ils prenaient un pot. Il n’était pas encore interdit de fumer dans les cafés à cette époque là. Quand tu partiras, ferme la porte et laisse la clé dans la boîte aux lettres, tu sais où elle se trouve, elle a pas changé de place. Et on s’appelle, avait-il crié du petit hall en filant le lendemain matin. Comme à chaque fois qu’elle avait capturé son regard ça s’était terminé dans un corps à corps qui la laissait au petit matin poisseuse et écœurée. Sale descente pour un bad trip. Parce qu’il était irrémédiablement creux et sans intérêt. Mais beau. Vénéneusement beau.

Depuis lors, comme avant lui et même pendant « eux », elle avait vécu d’autres aventures, connu d’autres amants. Des types bien qui jamais ne lui avaient proposé de diviser leur vie par trois et qui toujours réglaient l’addition au restaurant. Proposaient de lui laisser la clé de leur appartement. Certains avaient même les mains fines et de jolis mugs pour le café du matin. Pourtant, elle n’avait pas souvent rappelé.

Il lui parla de son sacré boulot toujours aussi prenant. De cette putain de crise dont on ne voyait pas le bout, mauvaise pour le business. Biznèsse, il prononçait. Des vacances à la neige que peut être il n’allait pas s’offrir cette année parce que personne ne savait comment ça allait aller mais que quand même il pensait réserver parce qu’on pouvait toujours annuler.

Elle remarqua qu’il avait maintenant quelques cheveux gris. Ca ne lui allait pas mal. Gris et turquoise. C’était doux au visage. Rassurant qu’ils vieillissent de concert. Une ride pour un peu de sel dans les cheveux.

Il repoussa son assiette toujours à moitié pleine et commanda un deuxième pichet de vin au garçon occupé à débarrasser une table un peu plus loin. Elle n’avait pas fini son verre encore. Se renversant sur sa chaise, il plongea la main dans la poche de sa veste.
- Tu fumes toujours ? risqua-t-elle, se maudissant de ce qu’elle espérait.
- Zut, j’ai oublié mon portefeuille, dit-il en reposant la main vide sur la table. Tu disais ? Ah oui ! Si je fume toujours ?

Le garçon s’appellait Dirk, elle l’avait entendu lorsque le patron lui avait crié de rentrer les tables, qu’on annonçait de la pluie. Dirk, s’approcha et presqu’en s’excusant demanda s’il pouvait servir le vin à l’intérieur et peut-être un café pour Mademoiselle, si elle le désirait. Elle trouva qu’il avait des yeux gentils quoiqu’un peu tristes. Puis se dit que l’un n’empêchait pas l’autre et se demanda quelle était l’origine de son prénom. Flamande ?

- Finalement, je n’ai plus le temps de reprendre un verre, répondit-il, éludant sa question. Je dois passer prendre mon fils à la crèche à 15 heures. Je te laisse payer, ma douce, désolé. A charge de revanche. On s’appelle.

Il se leva, contourna la table.
Un fils ? Un enfant ? Lui ? Sait-il même qui est la mère ?
Et il l’embrassa distraitement, laissant échapper d’entre ses lèvres des effluves nicotiniques prometteurs.
Oui, on s’appelle, murmura-t-elle.

[Ba]

" Il avait toujours fumé autant qu'une serviette vietnamienne post-prandiale."
Je n'ai pas saisi le rapport entre la cigarette et la serviette post repas

C'eût été Colette que ce vieux " Chéri " aurait terminé le repas au lit. Mais pourquoi diable la beauté est-elle encore associée au malin et au creux de la cervelle ?

[Invité]

J'ai trouvé le texte sans grand intérêt, proche de la chick-lit (les yeux comme tous les lagons plus un, ou quelque chose comme ça, et le sel dans les cheveux, il faut oser dans le genre cliché). Cela dit, une histoire psychologiquement très crédible.

Quelques erreurs de langue :
« vingt-cinq ans »
« Ça commençait d’ailleurs »
« Ça fait un bail »
« laisse-moi me souvenir »
« j’en suis sûr »
« à cette époque-là »
« peut-être il n’allait pas s’offrir »
« Ça ne lui allait pas mal »
« Dirk, (pourquoi cette virgule entre le sujet et son verbe qui suit immédiatement ?) s’approcha »

[Anne Veillac]

Moi aussi la serviette vietnamienne ainsi que le récipient monopodial m'ont gênés. Ce sont des détails, mais ils m'ont fait sortir de ma lecture que je trouvais très agréable. Parce que j'ai beaucoup aimé le texte à part ces deux choses. J'étais dedans.

[Invité]

Là aussi je pense que le récit aurait pu bénéficier d'une écriture qui fasse plus appel au suggéré mais dans l'ensemble j'ai apprécié cette lecture teintée de mélancolie amère.

[Invité]

Une fluidité sans faille qui laisse deviner une continuation probable.
En l'état (de nouvelle) j'éprouve le même rejet que Socque, même si l'harmonie est là.

[mentor]

beaucoup aimé
ça m'a rappelé Sagan, et sur mon clavier, c'est un compliment
une suite, Zou ?

[Kilis]

Une écriture fluide et agréable. Et j’ai bien aimé l’idée et la situation. La fin aussi pas trop appuyée, c’est bien.
Oui, on peut y trouver un aspect chick-lit, mais j’ai envie de dire : et alors ? Il y a des auteurs très plaisants et charmants dans ce genre. Moi, perso je n’ai pas de mépris pour un genre ou un autre du moment que je prenne un vrai plaisir de lecture.
Vrai que les clichés sont un peu trop apparents, je les aurais préférés plus tamisés. J’ai trouvé aussi que les deux mots déjà cités par d’autres commentateurs, tombaient un peu comme des cheveux dans la soupe et nuisaient à la fluidité du récit.
Mais dans l’ensemble, le texte m’a plu et j’en reprendrai bien un verre. Santé Zou !

[boc21fr]

J'ai eu quelques problèmes avec les phrases courtes (surtout au début), mais me suis plu dans l'ensemble à lire cette petite nouvelle.
Je n'ai pas éprouvé de sentiment particulier de rejet, bien au contraire et me demande juste pourquoi cette 'excellente phrase de fin que tu as bien fait d'oser (je me demande si il sait qui est la mère) ne clos pas l'histoire !

[CROISIC]

Allons-nous recroiser ce beau spécimen de mâle aux iris turquoises ?
Joli texte, bien construit.

[demi-lune]

comme beaucoup, j'ai été gênée par les mots "savants" (post-prandial, monopodial) et les clichés. Je crois que j'aurais préféré comprendre qui était ce personnage masculin plutôt qu'on me l'explique ("s'il avait été intelligent" ou encore : "Parce qu’il était irrémédiablement creux et sans intérêt. ")
Une dernière chose (désolée !) : les deux phrases :
"Le froid était piquant et la table bancale."
"Le garçon vint prendre la commande et placer quelques sous-bocks en dessous du pied de la table. Elle ramena les siens sous sa chaise."
utilisent le même genre de figures de style, mais parce qu'elles frappent le lecteur par l'association "sur" un même verbe ou un même nom de deux propos très différents, je crois qu'il faut se limiter à un seul usage (à choisir, j'aime bien le deuxième) car le lecteur est inévitablement renvoyé (enfin, moi en l'occurrence !) à la précédente apparition de ce jeu de style, donc distrait de sa lecture...

[Sahkti]

Quelques petits remarques

Il opta aussi vite pour le plat du jour qu’il avait choisi l’extérieur
à l'extérieur je suppose ?

serviette vietnamienne post-prandiale
peu heureux, comme si ça devait être placé là telle une contrainte

dans les yeux deux iris d’un turquoise à faire pâlir tous les lagons du Pacifique plus un
un peu lourd à mes yeux

Sale descente pour un bad trip
la formule me paraît facile

des effluves nicotiniques prometteurs
pourquoi prometteurs ?

Si j'aime la douce-amertume dans les textes de manière générale, je trouve qu'elle est ici dépeinte sur un ton un peu forcé, même beaucoup par moments. Tout ne paraît pas naturel. Cette façon de faire pourrait créer une atmosphère particulière, éthérée, mais non, ça ne me semble pas fonctionner.
Il y a pourtant une idée de départ simple et efficace qui s'annonçait prometteuse mais quelque chose ne passe pas à mes yeux, une écriture contenue, le besoin de trop vouloir faire ressentir les choses, je ne sais pas, mais voilà, moyennement convaincue, désolée.

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