La mauvaise oreille
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lillith
M-arjolaine
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La mauvaise oreille
Ce devenait de plus en plus dérangeant. J'avais à ce point affiné mon oreille que je n'entendais guère plus que des notes, partout autour de moi. Les ronflements réguliers de mon compagnon étaient des sol dièse, cette porte qui grinçait émettait des si bémol, et je distinguais même des lignes mélodiques dans les diverses intonations de mes interlocuteurs. J'essayais de faire abstraction de ce monde de portées et de clés de sol, mais c'était peine perdue: quant à mon entourage, il s'en mordait les doigts.
Les leçons de conduite surtout étaient un calvaire. Mon moniteur, séduisant en diable, s'arrachait les cheveux sur mon cas. Qu'il m'explique les démarrages en côtes, les changements de voie ou bien les premières glissées, je n'entendais guère que l'alternance de sol et de mi qui sortait d'entre ses lèvres, sans compter le ronronnement en fa du moteur qui tournait. Je m'amusais à oublier d'attacher ma ceinture pour le plaisir d'entendre le « sol la si, sol la si » qui me rappelait un passage de la chauve souris de Strauss, et que je poursuivais en chantonnant, au grand désespoir de mon accompagnateur. Ce n'était pas que j'y mettais de la mauvaise volonté: mais je n'entendais plus que la musique des voix, et non plus ce qu'elles me disaient. De là, je fus rapidement considérée comme une idiote. Mes bulletins scolaires se remplissaient d'appréciations indiquant que je n'écoutais absolument rien de ce que disaient les professeurs: je m'indignais devant l'injustice de ces commentaires. J'étais de celles qui écoutaient le plus soigneusement: ce n'était pas de ma faute si je n'arrivais plus à entendre.
Mon oreille eut pu me prédestiner à une splendide carrière dans le monde de la musique: ce ne fut pas le cas. Paradoxalement avec ma passion des notes, j'avais un sens du rythme épouvantable. Croches, triolets, noires pointées, tout cela n'avait aucun sens pour moi. Taper une pulsation régulière était un exercice humiliant, et je n'étais capable de respecter la longueur des notes d'un morceau qu'à condition de l'avoir écouté suffisamment de fois pour me rappeler de mémoire à quel moment je pouvais passer d'un son à l'autre. J'étais première aux dictées musicales, dernière aux rythmiques. Petit à petit, je me rendais compte ne plus être capable de rien: je n'entendais plus ce que l'on me disait, je connaissais la musique sans pouvoir la jouer sans erreur de rythme, j'étais réduite à n'avoir aucune ouverture sur l'avenir, et plus le temps passait, plus je m'inquiétais. Mon oreille me condamnait à ne rien pouvoir faire: j'étais nulle, tout à fait inutile. Un zéro.
Les leçons de conduite surtout étaient un calvaire. Mon moniteur, séduisant en diable, s'arrachait les cheveux sur mon cas. Qu'il m'explique les démarrages en côtes, les changements de voie ou bien les premières glissées, je n'entendais guère que l'alternance de sol et de mi qui sortait d'entre ses lèvres, sans compter le ronronnement en fa du moteur qui tournait. Je m'amusais à oublier d'attacher ma ceinture pour le plaisir d'entendre le « sol la si, sol la si » qui me rappelait un passage de la chauve souris de Strauss, et que je poursuivais en chantonnant, au grand désespoir de mon accompagnateur. Ce n'était pas que j'y mettais de la mauvaise volonté: mais je n'entendais plus que la musique des voix, et non plus ce qu'elles me disaient. De là, je fus rapidement considérée comme une idiote. Mes bulletins scolaires se remplissaient d'appréciations indiquant que je n'écoutais absolument rien de ce que disaient les professeurs: je m'indignais devant l'injustice de ces commentaires. J'étais de celles qui écoutaient le plus soigneusement: ce n'était pas de ma faute si je n'arrivais plus à entendre.
Mon oreille eut pu me prédestiner à une splendide carrière dans le monde de la musique: ce ne fut pas le cas. Paradoxalement avec ma passion des notes, j'avais un sens du rythme épouvantable. Croches, triolets, noires pointées, tout cela n'avait aucun sens pour moi. Taper une pulsation régulière était un exercice humiliant, et je n'étais capable de respecter la longueur des notes d'un morceau qu'à condition de l'avoir écouté suffisamment de fois pour me rappeler de mémoire à quel moment je pouvais passer d'un son à l'autre. J'étais première aux dictées musicales, dernière aux rythmiques. Petit à petit, je me rendais compte ne plus être capable de rien: je n'entendais plus ce que l'on me disait, je connaissais la musique sans pouvoir la jouer sans erreur de rythme, j'étais réduite à n'avoir aucune ouverture sur l'avenir, et plus le temps passait, plus je m'inquiétais. Mon oreille me condamnait à ne rien pouvoir faire: j'étais nulle, tout à fait inutile. Un zéro.
Re: La mauvaise oreille
Voilà un début de sonate fort agréable à l'oreille, un petit Satie en forme de " poire ".
Reste que la chute laisse le lecteur au bord du soupir...
Reste que la chute laisse le lecteur au bord du soupir...
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: La mauvaise oreille
Je suis arrivée au bout de ma lecture à regret, j'avais envie d'en savoir un peu plus sur la vie, les amis de cette personne. Une bonne idée de scénario ou à tout le moins de personnage.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: La mauvaise oreille
Ce qu'on appelle l'oreille absolue. A peine caricatural M-arjolaine.
Invité- Invité
Re: La mauvaise oreille
Sympa, oui, mais par pitié, M-arjolaine, laissez tomber ce conditionnel passé deuxième forme qui vous fait tant de mal, ou bien dites-moi carrément que vous n'en avez rien à foutre de mes indications, j'arrêterai de me fatiguer :
« Mon oreille eût pu », ou "aurait pu" (conditionnel passé première forme, très bien aussi pour la demi-saison)
« Mon oreille eût pu », ou "aurait pu" (conditionnel passé première forme, très bien aussi pour la demi-saison)
Invité- Invité
Re: La mauvaise oreille
y a pas pénurie dans la catégorie "accordeurs de pianos" ?
voilà ta voie (ta voix ?)
;-)
joli texte
mais qui demande une suite
tu peux pas nous faire ça
voilà ta voie (ta voix ?)
;-)
joli texte
mais qui demande une suite
tu peux pas nous faire ça
Re: La mauvaise oreille
Un beau petit texte, qui hormis la foudre de socque, m'assassine un peu de ses "je" à en devenir oppressant. Il n'est pas interdit de s'en écarter un peu, histoire de faire respirer le lecteur.
Invité- Invité
Re: La mauvaise oreille
Ce texte, que je trouve écrit dans une langue élégante et agréable, me laisse quelque peu sur ma faim, dans la mesure où je me demande si il appelle une suite ou un fragment en écho. Tel quel, je trouve qu'il ne se suffit pas totalement à lui-même, il ne mène pas assez loin.
Une impression renforcée par une présence importante de JE, une intimité que le lecteur peut craindre de déflorer, une allure narcissique un peu trop présente (je parle de la narratrice). C'est bien écrit mais je reste partagée à cause d'une impression légère mais réelle de tourner en rond et je trouve cela dommage car ton écriture est de belle qualité.
PS: Pour le Ç en début de phase, c'est ALT enfoncé + 128
Une impression renforcée par une présence importante de JE, une intimité que le lecteur peut craindre de déflorer, une allure narcissique un peu trop présente (je parle de la narratrice). C'est bien écrit mais je reste partagée à cause d'une impression légère mais réelle de tourner en rond et je trouve cela dommage car ton écriture est de belle qualité.
PS: Pour le Ç en début de phase, c'est ALT enfoncé + 128
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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