La catapulte

[Plotine]

La catapulte

Rémi était puni. Pour la deuxième fois cette semaine, dès 19 heures, il avait dû regagner sa chambre, privé de dîner.
Ce n'est pas tant d'être absent de la table familiale qui l'attristait, son père ne faisant que le houspiller pendant les repas sous n'importe quel prétexte, mais le fait, qu'une fois de plus, la punition était totalement injuste.
Cette fois c'était parce qu'il avait cassé ses lunettes. Plus exactement, le gros Fred, pendant la récréation, s'en était pris à lui, et n'avait rien trouvé de mieux que de lui arracher sa monture et de la piétiner provoquant l'hilarité de ses camarades. Rémi, n'avait rien pu faire. Enfant précoce, puis détecté "surdoué" par un psychologue, il avait dix ans et était en 3ème ! Et un malheur en entraînant un autre, il était chétif.
Tout cela n'aurait pas encore été trop grave si cette histoire n'avait rendu son père furieux. Il n'avait pas manqué de lui rappeler que, deux jours auparavant, il s'était fait voler un blouson tout neuf et lui avait alors tenu un discours d'où il ressortait qu'il n'était qu'un bon à rien (sans doute avait-il oublié son 20 en algèbre) qu'un lâche, qu'un poltron, la honte de sa vie et lui avait intimé l'ordre de disparaître de sa vue. Sa mère n'avait rien dit, comme d'habitude, consciente qu'elle était qu'un seul mot de sa part, en faveur de son fils, n'aurait fait qu'aggraver les choses..
Mais cette fois Rémi en avait assez. Depuis sa plus tendre enfance son père lui cassait les pieds. Il ne comptait plus les brimades, les menaces, les punitions, les soirées au pain sec et même parfois sans pain du tout ! Il n'y avait plus qu'une solution, s'en débarrasser.
Un moment il avait caressé l'espoir que sa mère allait peut-être demander le divorce - beaucoup de mères de ses camarades de classe le faisaient - mais il avait dû déchanter, elle ne semblait pas y songer. Il ne lui restait donc plus qu'à agir lui-même.
Depuis toujours Rémi se passionnait pour toutes sortes de choses. Il avait eu sa période "dinosaures", puis sa période "insectes", interrompue quand son père avait découvert qu'il en faisait l'élevage dans sa chambre, puis avait suivi la période "astronomie" et "châteaux-forts"et, récemment, il s'était pris de passion pour Léonard de Vinci. Non pas pour sa Joconde, mais pour ses schémas qu'il avait découverts avec ravissement, rêvant de les améliorer, de trouver peut-être, un jour, le mouvement perpétuel, et d'obtenir le prix Nobel.
Ce qui le fascinait particulièrement parmi les travaux de ce grand peintre et savant étaient ses dessins relatifs "aux machines pour lancer des pierres" et surtout les "études de catapultes". C'est alors que l'idée germa dans son esprit d'en fabriquer une capable de pulvériser son père.
Ce dernier avait l'habitude de garer sa voiture sous les fenêtres de la chambre de Rémi et il lui serait facile, en dirigeant habilement la catapulte, d'écrabouiller l'engin et son passager de la rambarde de sa fenêtre. Il ne restait plus qu'à la fabriquer.
L'affaire était délicate car il n'était pas question de construire une machine énorme ! Il fallait qu'elle soit à la fois miniature et efficace. Grâce à ses connaissances en astronomie, Rémi savait qu'un modeste météorite, frappant la terre, pouvait provoquer d'énormes dégâts. De même il avait appris qu'une simple bille lancée du haut de la Tour Eiffel pouvait tuer un promeneur ayant le malheur de croiser sa trajectoire. Tout ceci n'était que de la bête physique et il était persuadé que fabriquer une catapulte miniature, certes, mais cependant capable, grâce à de savants calculs, de projeter une bille avec une telle force qu'elle réduirait à l'état de confettis la BMW et son conducteur, n'était qu'un jeu d'enfant.
Il se mit donc séance tenante à l'élaboration d'équations dont la complexité devenait telle qu'elles lui prenaient tout son temps et son énergie.
Son travail scolaire en souffrit et, tout brillant qu'il fut, il se ramassa une ou deux mauvaises notes qui eurent le don d'exaspérer son père encore davantage si bien qu'il fut consigné dans sa chambre de façon permanente. Heureusement, sa mère finit par s'en inquiéter et prit l'habitude de garnir ses placards de denrées diverses. Tout cela n'était finalement pas pour déplaire à Rémi ; il disposait ainsi de plus de temps pour ses travaux scientifiques.
Au bout d'une dizaine de jours, la théorie étant à peu près au point, du moins l'espérait-il, il fallut passer à la pratique, laquelle était on ne peut plus délicate. Rémi dut déployer beaucoup d'ingéniosité pour se procurer bois, ficelles, ressorts et surtout assembler le tout. L'entreprise était compliquée et il connut bien des moments de découragement quand la construction, enfin terminée, s'écroulait lamentablement ou qu'il n'obtenait de son projectile qu'un saut de puce ridicule. Il devait alors reprendre ses calculs et recommencer. A vrai dire dire il passait de phases d'exaltation à des périodes de profond désespoir.
Un après-midi, alors qu'il profitait d'un jour de congé pour procéder une fois de plus à un périlleux assemblage, il entendit qu'on sonnait à la porte. Il n'y aurait guère prêté attention si sa mère n'avait poussé un horrible cri qui le fit se précipiter dans les escaliers juste à temps pour voir un gendarme recueillir dans ses bras sa génitrice évanouie. Ce dernier, le voyant, lui dit alors, la voix brisée : "mon pauvre enfant, ton père a eu un terrible accident de voiture et il est mort". Il ajouta quelques détails dont il ressortait que, par un de ces hasards irrationnels, la BMW et son conducteur s'étaient retrouvés complètement écrabouillés par le chargement d'un convoi exceptionnel qui avait versé dans un virage, lequel chargement était justement composé d'une catapulte grandeur nature destinée à être le clou d'un spectacle médiéval d'une ville voisine.
Rémi en resta muet et comme paralysé ce que le gendarme mit sur le compte d'un chagrin bien compréhensible. Il reprit cependant ses esprits, suffisamment pour réconforter sa mère et appeler sa grand-mère qu'il adorait, au secours, au téléphone.
A partir de ce jour, la vie prit une tournure différente. Grand-mère vint s'installer à la maison et les soirées au pain sec furent remplacées par des dîners succulents qui se terminaient par des tartes Tatin ou des clafoutis aux cerises, selon la saison. Sa mère redevint gaie et il n'était pas rare qu'elle et grand-mère fussent prises de fous rires aux descriptions que leur faisait Rémi du gros Fred, lequel lui fichait d'ailleurs la paix depuis qu'il avait appris la mort de son père, ce qui prouve qu'il était, somme toute, non dénué d'empathie.
C'est ainsi que Rémi comprit alors une chose très importante. Il était absolument inutile de perdre son temps à vouloir se venger de quelqu'un, la vie s'en chargeait très bien elle-même, tôt ou tard.

[Plotine]

Je n'ai toujours pas trouvé comment faire des paragraphes, désolée.

[boc21fr]

Excellent Plotine : Amusant, sadique, crédible dans sa simplicité...
Il promet ce petit monstre !
Personnellement, j'aurais accentué le caractère froid et pragmatique de la haine du gamin surdoué, en sorte de faire passer au lecteur qu'un petit rachitique introverti à lunettes peut s'avérer potentiellement encore plus dangereux qu'un gros balaise abruti adepte de darwinisme social.

[Invité]

Ah, voilà un bon petit texte où l'on sent bien que l'inventivité de l'enfant est à la mesure de sa frustration.
J'ai trouvé que tu avais bien cerné et fait passer la nature des rapports entre les trois membres de cette famille à l'aide d'indications concises et bien placées ( par exemple : "Heureusement, sa mère finit par s'en inquiéter et prit l'habitude de garnir ses placards de denrées diverses.").
Bien aimé aussi le ton faussement ingénu de la conclusion.

Par ailleurs, je trouve que tu as apporté beaucoup de soin à l'écriture, l'ensemble est vraiment très bon.
Ci-dessous, je me permets d'indiquer une ou deux bricoles :

"A vrai dire dire il passait de phases d'exaltation à des périodes de profond désespoir. "

Rémi en resta muet et comme paralysé [virgule] ce que le gendarme mit sur le compte d'un chagrin bien compréhensible.

Il reprit cependant ses esprits, suffisamment pour réconforter sa mère et appeler sa grand-mère qu'il adorait, au secours, au téléphone.

cette dernière phrase est maladroite à cause des deux compléments juxtaposés. Je me demandais si tu ne pourrais pas dire un truc du genre "Il reprit cependant ses esprits, suffisamment pour réconforter sa mère et téléphoner à sa grand-mère qu'il adorait, pour l'appeler au secours"

[silene82]

C'est une très bonne petite nouvelle, bien écrite, soignée, pleine de détails plaisants, et intéressante à lire.
J'espère sincèrement qu'elle aura l'accueil qu'elle mérite au concours.

[Invité]

Ha, c'est la nouvelle du concours sur la vengeance ?

[CROISIC]

Le p'tit Rémi aurait du dire à son papa : tu me casses les couilles. ça m'aurait fait plaisir.

[Krystelle]

Une écriture soignée, pas déplaisante. L'histoire tient, elle se lit sans heurt. Mais je trouve que le fond comme la forme manquent de mordant, et peut-être de singularité.
Ce que je veux dire, c'est que cette histoire et sa morale finale me semblent peut-être un peu "passe-partout". Ce gamin brimé prêt à se venger et ce père féroce, j'ai l'impression de les avoir déjà souvent croisés dans mes lectures et pour accrocher vraiment, il aurait peut-être fallu que je trouve dans la plume comme un petit goût d'inédit...

[mini joe]

Bravo ! Felicitation Monsieur Plotine ! C'est le petit Remi Sans Famille a la fin !! (lol) Mais sans Vitalis quand même !!
Mais bon quand meme c'est quand meme pas très bien de vouloir écraser son papa parce qu'il faut quand meme se rappeler que c'est lui qui nous a élevé quand on était bébé et ca c'est quelque-chose qui faut pas oublier alors même si il nous puni de temps en temps avec une petite trempe c'est normal et il faut pas chercher à l'ecraser avec une pierre pour autant. La je m'adresse quand meme à tous les papas de vosecrits.com qui ont des enfants et je leur dis que le conclusion de la nouvelle de Monsieur Plotine c'est qu'il faut bien elever ses enfants !
En plus Remi est content avec sa mamie après ca mais la il faut pas pousser mémé dans les orties, c'est quand meme un peu exagéré !!
En tous cas, c'est très bien ! Tu es sur le bon chemin pour devenir un bon écrivain toi aussi.

Cordialement,
écrasé sous une pierre par son fils, joe est devenu... MINI JOE

< Au début c'était drôle, Mini Joe. Maintenant cela s'alourdit passablement.
Pourriez-vous tenter de rédiger des critiques intéressantes et constructives svp ?
Merci de votre compréhension.
La Modération >
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[lillith]

Cette courte histoire sur l'horreur de l'enfance est vraiment très réussie. Elle fait preuve d'une capacité d'empathie assez étonnante. On oublie souvent à quel point l'enfance est un monde terrible et incompris... à quel point l'existence peut prendre un tour carcéral et violent lorsque l'on est à la merci absolue d'autres êtres qui sont considérés comme vos parents pour des raisons génétiques...

Un seule remarque, la morale sur la vengeance est peut-être de trop, cela se comprend sans avoir besoin d'être écrit...

[lemon a]

Sympa la trame. La dernière est phrase du texte est en trop, à mon avis.

Les transitions me paraissent parfois un peu rêches, abruptes, mal négociées. Trop de verbe être au début, avec la succession des "avait..machinchouette" , le rendu n'est pas terrible.

L'écriture simple et au service de l'histoire. Quelques bon moment. L'ensemble hésite cependant entre la caricature et le réalisme. Il aurai fallu trancher je pense.

[mentor]

texte apprécié, pour l'histoire, la langue, la morale
le petit Nicolas... pardon, le petit Rémi est rendu sympathique, ma foi et on le suivrait bien dans d'autres aventures, non ?
;-)

[Roz-gingembre]

Petit texte fort sympathique et bien amené. Le fait que tu aies insisté sur la conclusion alors qu'elle était implicite montre bien le plaisir pris par Remi dans cette vengeance.

[bertrand-môgendre]

Easter trouve des broutilles, moi des détails.

Rémi, n'avait rien pu faire. pas de virgule ici,
Depuis sa plus tendre enfance, son père lui cassait les pieds. là oui,
De même, il avait appris ici aussi.

il avait dix ans et était en 3ème 3e ;
A vrai dire dire il passait de phases d'exaltation À ;
A partir de ce jour, À ;
Ce qui le fascinait particulièrement parmi les travaux de ce grand peintre et savant étaient ses dessins relatifs était, je crois bien.

L'écriture est classique.
Le texte facile à lire met en avant le thème proposé.
Bel exercice. Une réussite.
Tu nous tiendras au courant pour les résultats.

[Sahkti]

Quel dommage Plotine que tu dises si souvent que tu n'écris que des trucs pas terribles, c'est absolument faux !

J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ton histoire et à côtoyer cet enfant qui a plus d'un bon/mauvais tour dans son sac. Même la morale de fin a sa place et ne dérange en rien, car l'aspect "bon sentiment" a été gommé au profit d'un constat plus grinçant.

J'ai trouvé que ton écriture était fluide; que tu parsemais ton récit des détails nécessaires sans déséquilibrer la structure, il n'y a pas de longueurs et tout cela me semble bien maîtrisé.
La famille tient la route, chacun joue un rôle qui semble immuble et pourtant.

Merci pour ce petit moment sympathique, Plotine.

[Ba]

Comme je fréquente ce type d'enfant élevé au vinaigre dans un pot d'orties, j'ai suivi le fil de la " vengeance " avec plaisir.
De l'art de remettre la machinerie médiévale en route.
Tant mieux.
Bonne route à cette nouvelle.

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