Le Créateur

[M-arjolaine]

Le père tuait l'enfant. Souvent, c'était par accident ; il n'était pas l'assassin même, quelqu'un d'autre se chargeait de commettre le crime. Mais il regardait la lente agonie de la chair de sa chair, et ne tentait jamais de la sauver. Elle volait le gâteau empoisonné, et lorsqu'elle l'enfournait entre ses lèvres molles, il détournait le regard, et fuyait pour ne pas assister au funèbre spectacle. Il se bouchait les oreilles pour ne pas l'entendre appeler, pour ne pas l'entendre implorer. Le père tuait l'enfant. Souriant, il offrait des bonbons et des chocolats à sa progéniture, qui les dévorait avec avidité. Puis, lorsque la petite chose était saisie de convulsions, qu'elle se mettait à vomir, à genoux devant lui, d'énormes scarabées, il prenait conscience de s'être trompé de sachet, et s'enfuyait à toutes jambes. A moins qu'il ne lui ait enfilé soigneusement des brassards colorés avant de la jeter dans la mer, brassards qu'il avait au préalable percés, mais cela, bien sûr, il l'avait oublié. Loin de lui l'idée de plonger dans les flots tumultueux, il préférait rentrer chez lui et prétexter un terrible accident. Ou encore, il venait voir son rejeton à l'hôpital, lui caressait la tête, et accrochait de son pied le fil qui le reliait au tube d'oxygène en allant se chercher un café. Se posait alors l'horrible dilemme: le môme ou le café ? La boisson finissait toujours par l'emporter. C'était le genre de questionnement pour lequel il ne fallait pas hésiter.

Quand il ne le tuait pas, il le torturait. Nu dans une piscine, le gamin se retrouvait face à des dizaines de sosies de la figure paternelle. Le véritable auteur de ses jours était aussi présent: il devait le retrouver. Aucune erreur ne lui était pardonnée. La tension était à son comble: il finissait toujours par s'écrouler en sanglots. Quel monstre fallait il être pour ne pas être capable de reconnaître son propre père ? Il en venait à se haïr jusqu'à des points de non-retour. Ce n'était pas la pire des épreuves: dans sa fantaisie coutumière, le père donnait à son fils le choix de le tuer lui, ou bien de se tuer lui même. En fin de compte, c'était toujours le même qui gagnait. L'enfant se suicidait, mais son géniteur restait possesseur de l'arme du crime.

Le père tuait l'enfant. Et je me réveillais de mes cauchemars l'âme agitée, refusant d'admettre que, pour avoir de si sombres secrets dans l'inconscient de mes nuits, mon papa devait être un homme monstrueux.

[demi-lune]

Fort bien écrit, j'ai bien aimé (mais, bon sang, assez terrible !)

[Invité]

Tu as l'esprit machiavélique M-arjolaine mais le texte ne m'a pas convaincue, trop concentré, trop ramassé. Il me semble que tu as voulu trop en dire en quelques lignes.

[mentor]

onanisme terrifiant
j'aime bien
;-)

[Plotine]

C'est d'abord sacrément bien écrit (enfin, à mon avis).
Pour le reste, j'ai pensé que le créateur en question n'était pas seulement ton père mais notre père à tous mais je me suis peut-être trompée ?

[silene82]

Une aisance qui se confirme dans votre écriture, et des concepts intéressants qui éclosent. Je trouve comme un autre commentateur que la forme, si ramassée et élusive, aurait sans doute supporté d'être un peu plus diluée.
Quoi qu'il en soit, c'est un plaisir de lecture.

[wald]

Pas grand chose à dire si ce n'est que j'aime beaucoup.

[Sahkti]

Terrible et cruel, rudemment bien écrit... j'ai aimé me plonger dans cette horrible vie qui semble inéluctable.
J'apprécie que tu n'en dises pas trop, que tu laisses l'imagination faire son bonhomme de chemin en imaginant le pire et qui sait, le meilleur caché dans ces lignes bien sombres.

[conselia]

« Et je me réveillais de mes cauchemars l'âme agitée, refusant d'admettre que, pour avoir de si sombres secrets dans l'inconscient de mes nuits, mon papa devait être un homme monstrueux. »

Ou pas. Qui ne les a pas rêvés pire qu’ils ne peuvent raisonnablement être, ces tyrans par destination. Je ne permettrais pas de supposer ce qu’est réellement votre propre père, mais le lecteur que je suis, séduit par la forme très agréable du récit, aurait voulu garder le doute sur le fondement de ce rejet.

[Invité]

Ton talent s'affine et s'affirme M-arjolaine. Tu devrais t'essayer à des textes plus longs, sinon tu auras du mal à changer, on finit par être prisonnier d'un format, et il me semble que tous tes textes font sensiblement le même nombre de signes.

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