Brouillons de culture

[Ba]

(…)
Le grand Polyphème fut désigné pour présider les instances du débat national sur l’avenir des graillons non pas ceux de 1642, mais bien ceux de 1808.
La question méritait d’être jetée en pâture pour la bonne raison que tous confondaient (depuis la fin du siècle) et le « flacon et l’ivresse ».
D’aucuns prétendaient que Hermione en était la cause. Les plus messianiques affirmaient que Créon était la conséquence de cette incurie incurable.
"Une vraie débâcle", commentaient les ermites entre eux, alors que les plus communicants ne cessaient de publier des tubes à essais sur la « volonté dévastatrice des sociétés contemporaines et modernes à moudre, sans distinction ,les apanages et les dérives de la sémantique intra-biliaire ».
Jugez de l’état de nos conversations.
Je ne pouvais parler tant la migraine laminait mes cordes vocales, « Ranran », grinçait l’archer, « rara » répondait le corps défendant de ma gorge au supplice. En peu de temps je fus exclu de la discussion. Mais j’assistais, au fond de la salle recouverte d’un délicat velours rouge vénitien, aux échanges linguistiques des spécialistes rompus et suants.
Vint l’instant T.
« Messieurs je vous prierais de bien vouloir saluer l’entrée de Polyphème! »
Un homme admirable s’avança sous un tonnerre de salutations recueillies. Je sentais l’importance du moment et me raclais les pieds de bonheur.
Il était bel et bien comme le photographiaient les aventuriers de Nadar et consort : grand, mince, sans lunettes ni petite vérole, le nez droit et la bouche bien tendue sous de minuscules narines érotiques.
Je bavais.
L’assemblée se leva.
J’en tombais dans mes chaussettes.
« Asseyez-vous », dit une voix cannibale.
Un silence de silex enveloppa la salle crucifiée. J’étais prêt.
- Mesdames et messieurs, bien que les dames ne soient pas souvent présentes dans ce genre de réflexion qui demande de tricoter du neurone, messieurs donc, je m’adresse à vous aujourd’hui parce que l’heure est grave. Je n’irai pas par les quatre chemins cardinaux, ni ne vous noierai dans un verre d’eau au prétexte que je suis un spécialiste du graillon, je vous le dis tout net : il est temps de remettre les globules à l’heure ! L’époque est révolue où nous avions un boulevard devant nous bordé de platanes et de grilles en fer forgé.
Révolue l’époque où les enfants en bas âge et les chiens pouvaient uriner derrière leurs troncs.
Vous avez constaté qu’il n’y a plus de platanes et très peu de chiens. Les enfants sont livrés kit en main et les boulevards recouverts d’auto strates coulissantes.
Il est bien tard pour revenir en arrière et trop tôt pour aller de l’avant.
Alors que faire me direz-vous ? Que faire ?
Il s’essuya le front. Je compris que la question venait de planter une sale dent dans sa matière et qu’il aurait du mal à s’en sortir.
- Que faire en effet, que faire ? La salle scandait les points nerveux.
- Monsieur Pégase, sauf mon respect, vous n’avez pas répondu
- Que faire en effet, que faire ?
- A l’origine était la graille
- Puis le graillement
- Oui, le graillement
- Il n’est pas le seul !
Une voix douceâtre venait de s’élever du premier rang. Une voix terrible habillée du couperet de la déconfiture. Polyphème chancela.
- Ce bonhomme-là ment comme je transpire. Il nous roule dans le sucre des îles. Agite le spectre de la terreur. Nous montre un horizon bouché. Il est temps que cela cesse !
- Oui, que cela cesse, que cela cesse ! Reprit une seule bouche caverneuse.
Le public, dans un élan soulagé se souleva et roula jusqu’à la tribune. Personne ne put en arrêter le flot agité. Je vis des bras et des jambes, des têtes aussi, s’emmêler, s’enfouir, se redresser pour disparaître à nouveau. Une oreille à gauche, un index à droite. Tout n’était que confusion, coups sourds, insultes.
J’entendis le craquement poudré des os couvert par des cris. Un chat n’aurait pas retrouvé ses petits. Ni Polyphème.
La conférence filmée par les télévisions mondiales et interplanétaires fut retransmise jusqu’aux confins des mondes connus.
Ce fut la consternation générale.
Qui, pourrait à l’avenir animer une question aussi cruciale que l’évolution du graillon ?
Outiss.
Nous allions devoir poursuivre notre route vers la grande faille avec ce trou en nous, jamais comblé, jamais assouvi, livrés à nous-mêmes sans l’espoir de tomber avec un bon guide suprême comme ultime point de chute.

[Roz-gingembre]

Ba sur le fil philolo

on se marre, on se marre, on se marre.

Ben je vois ça, tu te marres quand tu veux, Ba!

[Invité]

Je n'ai pas les neurones en état. Je reviendrai.

[conselia]

Prouesse linguistique et culturelle toujours à cent pieds au-dessus de mes capacités sensorielles, mais visiblement admirable. J’espère un jour savoir goûter à sa juste saveur vos textes et leur poésie savante.
Un regret malgré tout : « les aventuriers de Nadar et consort ». Un brin forcé peut-être ?

[bertrand-môgendre]

Lu.
Une explication, ou il faut lire entre les lignes ?
Peut-être est-il question de roti de cheval ailé à la sauce beaujolais nouveau façon Grèce antique.
Pardon. Je suis mauvais interprète.

[Invité]

Quelle soupe savoureuse, ! Une humoristique façon de cuisiner le classique à la mode d'aujourd'hui. J'ai souri au ton du récit, et j'ai carrément ri à ce trait d'humour :

Je sentais l’importance du moment et me raclais les pieds de bonheur.

[Sahkti]

Absurdité, quand tu nous tiens... un domaine dans lequel tu excelles Ba !Une fois de plus, j'ai souri, voire franchement ri devant certains traits caricaturaux et autres attitudes des personnages. Devant tes trouvailles aussi. Un univers qui n'est pas sans me rappeler celui de Flann O'Brien, un de mes auteurs fétiches, déjanté à souhait et délicieusement intelligent. Comme toi.

[Arielle]

Le graillon se dégustant avec les doigts comme un plat de fruits de mer, j'en retire cette pincée à suçoter sans mayonnaise :
Il est bien tard pour revenir en arrière et trop tôt pour aller de l’avant.
Et carpe diem !

[Contenu sponsorisé]