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Soliloque

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la chevre
roudorack
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Message  roudorack Lun 7 Déc 2009 - 20:57

Je suis heureux d’être enseignant. Communiquer mon savoir, mes connaissances à de jeunes esprits avides d’apprendre. Quel plaisir.
Il faut dire que ça n’a pas toujours été le cas. Il y a peu d’années encore les élèves étaient bruyants, inattentifs, récriminateurs, insolents, parfois violents… Avec la réforme Marceau, tout s’est apaisé. L’Etat a enfin mis les moyens nécessaires. Nous avons milité longtemps avant que le ministère ne prenne les mesures nécessaires pour réguler la situation et remettre les choses en ordre. Nous étions devenus des gardiens de prison emprisonnés, nous ne pouvions plus enseigner. Sur la centaine de professeurs que comptait le lycée en 2024, l’année où le projet de loi fut déposé, 13 s’étaient suicidés. C’étaient les 10 % de pertes habituels. Mais nous ne pouvions pas nous habituer.
Tous les matins, je me lève en pensant à cette époque terrible. Enfin, quand je dis « cette époque », il faut nuancer. Trois ans seulement ont passé. Une misère. Un gouffre. La fin de la souffrance fut une délivrance. Faire cours à 35 élèves dont les parents avaient, dès le plus jeune âge, laissé les écrans faire leur éducation ; impossible. Inhumain. Aucune sanction envisageable, aucune possibilité d’attirer l’attention. Comment rivaliser avec des vidéos sans cesse plus formatées, adaptées, décérébrantes ? Certains avaient tenté de réformer le système. Introduire, sous le nez des lobbys, pensait-on, un regard critique sur l’image animée. Belle utopie. En peu d’années, conformément aux souhaits et (on l’apprendrait plus tard) aux prévisions de ces mêmes lobbys, l’écrit avait totalement disparu des cours. Nous nous étions fait retourner par ceux-là même que nous avions la vanité de vouloir changer. Les élèves font le cours, c’est évident. La lutte contre la société du spectacle nous avait conduit à faire du spectacle le seul objet d’étude. Par la faute d’élèves abandonnés par leurs parents, au cerveau conditionné par des outils médiatiques toujours plus simples, plus intuitifs. Lutter par la raison contre l’émotion, lorsque le modèle social dominant et l’humain de base ne vivent que dans et pour l’émotion, c’était non seulement irréaliste mais surtout, finalement, stupide. Nous avons craqué. Après des années de luttes, de tentatives pour rétablir l’ordre en classe, de pédagogies différenciées en retour à l’autoritarisme, vinrent les années de dépressions, de suicides. Nous avons perdu, et la réforme nous a sauvés.
Aujourd’hui, ma vie est bien différente. En prenant mon café et mon croissant, je ne songe plus à ma femme qui m’a quitté parce que je ne parvenais plus à dormir. J’étais sans cesse irascible, porté à la violence verbale, et, je dois bien l’avouer, à la limite de la violence physique. Bien entendu, je transférais. Ce que je souhaitais aux monstres qui me faisaient vivre un enfer, je l’appliquais à ma compagne. Nous n’avions pas d’enfant, j’aurais préféré me faire stériliser !!! Je lui en ai voulu de partir, mais aujourd’hui, devant mon croissant, en jetant un œil aux dernières informations avant de partir prendre le bus (un bon prof regarde toujours les dernières news, on ne sait jamais), je suis heureux qu’elle soit partie. Je ne supporterais pas une autre présence que celle de mon vieux chat.
Le bus. Cet endroit où désormais je peux tranquillement rejoindre mon lycée. Je ne crains plus la montée braillarde et assourdissante des hordes de sauvages avec leur musique débilitante, leurs refus d’obtempérer, leurs incivilités, leurs révoltes d’enfants gâtés pitoyables. L’ordre règne, le calme aussi. Les rues sont devenues des lieux de civilité exquis. Sans peur, les gens sont tout de même plus détendus. On nous donne du « monsieur le professeur », les vendeurs me respectent. Mon pouvoir d’achat y est d’ailleurs pour beaucoup. Auparavant, non seulement un prof était un client désagréable, exaspéré par son métier et son manque de moyens, mais en plus il était un client de basse catégorie : la classe moyenne du bas, suffisamment éduquée pour ne pas trop s’endetter et ainsi ne pas trop consommer ; le désastre commercial et humain : haine-envie de la consommation, incapable de satisfaire ses besoins de classe sociale dominante et incapable d’y renoncer. Je me vois encore discuter âprement avec le marchand de primeurs pour obtenir quelques euros de réductions pour des fruits sans saveur. Avec la réforme, nous avons réussi à tout concilier. D’ailleurs, c’était l’objectif du ministre lorsqu’il avait tenté « la médiation de la dernière chance ». Syndicats, Etat, fédérations de parents, tous étaient à cran, convaincus que le système ne fonctionnait plus mais incapables de trouver une idée applicable pour le rendre vivable. La solution est venue des syndicats lycéens. Evidente, simple, efficace, lucide. Le champ du cygne de nos revendications républicaines est venu de ceux dont nous désespérions. Avec pragmatisme, ils ont proposé de supprimer la quasi-totalité des postes d’enseignant. C’était la seule solution. Elle fut appliquée dans l’enthousiasme. De toute manière, on ne parvenait plus à recruter des enseignants. Même la libéralisation n’avait rien changé. Les hausses de salaire avaient pourtant été conséquentes. Mais personne, malgré la crise, ne voulait exercer un métier si exigeant. Le ministère avait, à un moment donné, envisagé de recruter de force les étudiants de master. Pour passer un doctorat, il aurait fallu passer 3 ans d’enseignement. La grève estudiantine qui suivi fut tellement dure qu’elle dura… Combien ? Deux ans ? Enfin, le ministère céda et commença vraiment à se pencher sur l’origine du problème.
Lorsque je descends du bus, je suis en face de l’entrée du lycée. Les cinq dernières années, non seulement je prenais le bus, comme tout le monde, trente minutes avant les lycéens, mais je passais par une entrée dérobée. Devant l’établissement s’était établie une faune invraisemblable de racaille en tout genre, de petits dealers et de gros truands. Bière, haschich (bien que toujours officiellement illégal, les cons…) et je ne veux même pas me rappeler le reste… Quelle horreur. Et ensuite, il fallait les gérer. Tu parles, Charles. Le sol de l’entrée était tellement souillé par les crachats qu’on ne savait plus où mettre les pieds. L’air, l’air… quand il était humide, on se demandait si les crachats n’en étaient pas la cause. Quand il n’y avait pas de vent, c’était irrespirable. Enfin, on ne passait jamais par là, c’est clair. Aujourd’hui, avec le soleil de ce début de printemps, l’accueil est superbe : grille impeccable, portillon toujours grand ouvert pour les piétons, concierge gracieux, bitume de qualité, façade à pierre apparente. Tout est propre, clair, net.
En arpentant le couloir qui mène à ma chère salle des profs, je ne peux m’empêcher de pouffer quelque peu irrespectueusement devant l’antique « vie scolaire ». Certes, aujourd’hui c’est une salle comme les autres, moderne, informatisée, efficiente. Mais, dans les derniers temps, nous y avons vécu de grands moments. Le collègue CPE, le dernier à croire encore qu’une autorité était possible, avait fini par se déshabiller entièrement. Vision grotesque et dégradante, au souvenir de laquelle, aujourd’hui encore malgré le temps passé, je ne peux m’empêcher de sourire malgré ma honte. Il faut dire que sans surveillant (il n’y avait plus de vocation d’enseignant, alors, les pions…) leur tâche était devenue impossible. Même l’informatisation, notre merveilleuse informatisation, ne suffisait pas. Rencontrer les élèves, quelle idée !!! C’était absurde. Ils n’écoutaient pas en cours, faisaient du chahut… tout cela était accepté car inévitable. Lorsqu’un élève était renvoyé de cours, c’était en fait par ses camarades. En général, il servait de bouc émissaire aux plus durs, ou il était complètement psychopathe et leur faisait peur. Le CPE recevait donc des candidats au suicide dans les deux cas. Belle mission pédagogique. Non, fatalement, tout cela devait se terminer. Il est même miraculeux que cela se soit achevé par cette réforme.
Dès que je pousse la porte de la salle des profs, je crois encore entendre mes collègues. Ce n’était plus une salle des profs, mais un lieu de psychanalyse collective improvisée. Chacun parlait plus fort que ses voisins de ses élèves les plus terribles de la 1 BMAE, de son divorce et bien sûr de machin qui allait bientôt se suicider tellement ils sont invivables. J’en sortais détruit. Le café coûtait cher, à l’époque. Trois histoires à faire déprimer ou sangloter de joie n’importe quel psychiatre pour un petit noir, il y avait de quoi reculer. Peu à peu, avec l’informatisation des casiers, comme il n’était plus indispensable de s’y rendre, la plupart des collègues se verrouillaient dans leur salle de classe pendant les intercours et les récréations. Comme cela faisait bien longtemps que nous n’allions plus au restaurant scolaire par crainte de traverser la cour, nous amenions nos repas froids et les dégustions isolés. Aujourd’hui, le restaurant a fermé, suite à la réforme, et j’augmentation des salaires me permet un bon restaurant tous les midis. Mon cholestérol a augmenté en proportion de mon bonheur lui aussi !!!! La salle des profs est enfin redevenue conviviale, agréable. On a engagé des jolies demoiselles pour nous préparer. On se laisse bichonner en potassant vaguement nos notes. Ah, le bonheur de mains féminines qui nous coiffent, nous poupougnent, parfois nous massent
Enfin, je peux me diriger vers ma salle de cours, comme les quelques collègues nécessaires à une éducation nationale moderne et efficace. Taux d’absentéisme nul, productivité optimale, salaires très appréciables, considération unanime : nous sommes revenus aux valeurs que la République doit à ses principaux défenseurs. Les couloirs sont calmes et silencieux, comme il se doit dans un lieu dévoué à l’étude. Je me demande encore comment je parvenais à ma salle de cours, parfois. Nous étions parvenus à ne pas en changer dans la journée, les incidents étant trop nombreux. En cours, en cours… il n’y avait rien. Du chahut, de la souffrance. Public, privé, personne ne pouvait plus enseigner.
Enfin, du passé faisons table basse. Respirer un coup avant d’ouvrir la salle de classe. Il est 9 heures moins trois minutes, le matériel est en place, fonctionnel. Trois, deux, un, c’est parti !!!

« Mes chers élèves, bonjour et merci de vous être connectés. Vous êtes en direct de votre cours de mathématiques de 9 heures du matin avec votre professeur préféré, Ludovic Picot. Je vais vérifier si chacun d’entre vous me reçoit correctement. Nous avons donc 204 connections positives aujourd’hui, ce qui représente un excellent score d’audience, je vous en remercie. Je vous rappelle que le suivi des cours est important pour que vous compreniez chaque étape de la progression. Ouvrez sur vos tablettes PC le fichier N° 321-7-B. Nous allons vérifier, en dix minutes et avant une première page de publicité, que vous avez bien assimilé le fonctionnement du nouveau logiciel que j’ai conçu, je vous le rappelle, pour vous apprendre à… »

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Message  la chevre Lun 7 Déc 2009 - 21:37

C'est bien ecrit mais j'ai compris la fin bien trop tot malheureusement. Le texte est un peu froid je n'ai pas ressenti tout ce qu'il le ronge.

Enfin, du passé faisons table basse.
L'expression c'est pas faire table rase? Ah moins que le personnage n'est pas simplement prof mais aussi vendeur chez IKEA^^.

j’augmentation des salaires
L'augmentation des salaires j'imagine.
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Message  Invité Lun 7 Déc 2009 - 22:23

Je crois qu'on devine avant la fin parce que c'est suffisamment long pour le laisser deviner, et semé d'indices, tout simplement.

ceux-là mêmes (de mémoire, je ne retrouve plus la phrase)
ils ont proposé de supprimer la quasi-totalité des postes d’enseignants.
La grève estudiantine qui suivit

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Message  mentor Lun 7 Déc 2009 - 22:59

Roudo, faudrait quand même un titre à ta "petite nouvelle", question catalogage

bon, Boc t'a pas tout dit, visiblement
ah la la

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Message  Invité Lun 7 Déc 2009 - 23:20

Comme la chevre, j'ai trouvé l'écriture trop distanciée, ce qui, selon moi, nuit à la crédibilité du texte. Et puis l'ensemble m'a paru un peu trop long, peinant à soutenir l'intérêt jusqu'au début.

Bienvenue sur Vos Écrits, à vous lire bientôt !

Quelques remarques :
« Le chant du cygne »
« la quasi-totalité des postes d’enseignant. C’était la seule solution. Elle fut appliquée dans l’enthousiasme. De toute manière, on ne parvenait plus à recruter des enseignants » (la répétition se voit, je trouve)
« La grève estudiantine qui suivit »
« Ah, le bonheur de mains féminines qui nous coiffent, nous poupougnent, parfois nous massent » : le signe de ponctuation manque à la fin de la phrase
« Nous avons donc 204 connexions positives »

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Message  Invité Mar 8 Déc 2009 - 9:34

Oui, on comprend assez vite ( encore que je me sois demandé si la solution trouvée n'était pas l'interdiction de faire des études mais ça aurait entrainé d'autre effets...)
Le texte est trop long et un peu redondant et il comporte quelques jolis lapsus , dont celui-ci qui n'a été relevé par personne : lieu dévoué à l’étude. Dévolu, non ? ou voué?

Sur le fond, il est que évident que la certitude de posséder le vocabulaire nécessaire à l'accession à la présidence ( quel élève ignore le sens de " casse-toi pauv' con" ?) n'incite pas à une grande considération pour les études !
On a trop présenté l'étude comme moyen d'accéder à une promotion sociale , et rarement comme une fin en soi. Dès lors que l'imposture de la promotion est éventée...
Là où j'en verux au système éducatif, c'est lorsque je vois la soif de savoir qu'ont les petits " et pourquoi, et comment..."
Gâcher ça, c'est vraiment avoir complètement raté l'objectif !

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Message  Invité Mar 8 Déc 2009 - 9:35

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Message  boc21fr Mar 8 Déc 2009 - 14:54

Oui, effectivement, ce texte n'est pas une critique du système scolaire mais définitivement une petite poussée d'anticipation marrante sur un avenir dont on se demande si l'auteur l'appelle de ses vœux ou si il l'horrifie.
Roudo tu situes la "grande catastrophe", le point de rupture de l'éducation nationale en 2024, par pudeur, mais tu sais bien que le moment où les profs se trouvent démunis et vaincus par une horde barbare est déjà arrivé dans certains établissements.
Sous le masque de l'anticipation, il est aisé (surtout pour moi qui te connais bien) de voir se dessiner un témoignage sincère. sur une réalité des rapports profs/élèves qui peut pousser les premiers à de folles espérances.
La fin n'étonne effectivement personne puisque tu es allé à un avenir qui semble crédible et attendu.
Voila qui est effrayant...

Coline a raison bien sur : l'éducation et la culture sont des fins en soi, et les suborner à la promotion sociale a été non pas une erreur mais l'annonce même de l'échec d'un projet de civilisation dont je pleure encore la chute...
Cela a été bien plus qu'une erreur, une lamentable gaffe : inféoder le savoir et la culture à l'ambition, l'orgueil et la vanité ne pouvait mener nulle part...
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Message  Ba Mar 8 Déc 2009 - 19:07

Vivement le cours informatique !
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Message  Sahkti Dim 18 Avr 2010 - 16:26

J'aime la froideur de l'histoire, le ton clinique qui est employé pour narrer le tout. Sur la forme, je trouve ça très plaisant.
Sur le fond, je trouve que l'intérêt s'essouffle un peu et je ne sais pas si c'est à cause de trop nombreux détails ou bien parce qu'on devine peu à peu ce qui pourrait arriver, gâchant un peu l'arrivée de la fin. Je pencherais plutôt, en ce qui me concerne, pour la première solution. Si ces précisions sont utiles pour planter le décor et créer une atmosphère prenante, ils finissent à un moment donné à devenir trop plats, presque désincarnées et ça ne suffit plus à réellement capter mon attention. Heureusement, le ton narratif employé compense pas mal cela et me permet de garder le fil.
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