Ma mère Noël

[Arielle]

Sur une idée de Plotine :
C'était l"idée de mon exo-Noël ! Lâchez-vous, racontez vos Noëls comme vous les avez vécus... ou pas !

Dans les coulisses de l'Avent ma mère jouait à coups de bec de ses ciseaux dans des envolées de papier froissé, derrière la porte de sa chambre. Je guettais, quand elle en sortait, une lumière inhabituelle dans son regard.
Chaque jour, rentrant de l'école, bonnet, écharpe, manteau, moufles et bottes que je devais abandonner dans l'entrée me laissaient le loisir d'épier des chuchotements, bruits de placards fermés à clé, dans la cuisine. J'y trouvais, sans jamais les surprendre, ma grand'mère et elle, penchées sur la machine à coudre complice de leurs secrets.
Ces soirs-là, il nous était fermement proscrit, à ma sœur et à moi, de nous relever après l'heure du coucher. Quel que fût le prétexte, cauchemars, malaise ou curiosité se voyaient frappés du même interdit et nous nous endormions tant bien que mal en écoutant notre père fourrager dans sa boîte à outils, une odeur de colle ou de peinture fraîche glissant sous la porte jusqu'à nos lits.

Tous ces mystères avant-coureurs m'étaient encore bien plus délectables que la fête elle-même !
Celle-ci n'aurait jamais pu rivaliser, être aussi aboutie dans sa splendeur que ces rêves que j'avais eu tout le temps d'échafauder sur des indices minuscules et contradictoires. Ma mère s'arrangeait, bien sûr, pour nous donner de fausses pistes, voire nous laisser entendre que « Cette année, il faudra vous contenter d'objets utiles ! »

Je ne sais pas où sont passés, par quels greniers ont transité jusqu'à s'y perdre, ces trousseaux et ces meubles de poupées sortis des mains de mes parents. Je jouais peu à la poupée, ils m'ont sans doute fort peu servi … Mais ce qui m'en est resté, ce que j'ai gardé, impérissable, c'est le climat de complicité joyeuse que ces humbles objets faisaient naître entre les adultes durant plusieurs semaines.
Le goût des préliminaires, de la mise en scène que ma mère déployait avec passion pour chaque fête ou anniversaire, prenait une ampleur magique à cette période de l'année et parfumait délicieusement tous nos hivers.

[Invité]

C'est vrai, les préparatifs plus que la fête elle-même, l'anticipation du bonheur ... et ce petit pincement au cœur quand le cadeau n'était pas à la hauteur...

[Plotine]

Et tu ne t'en es pas servie !
C'est tragique en fait. Comme il y a loin parfois entre les intentions des parents et les souhaits des enfants.
Tu ne nous as pas dit ce que tu attendais en fait, en dehors de l'amour de tes parents.

[Invité]

J'aurai la même remarque que sur le texte de Plotine : un texte bien mignon, bien gentil, mais qui ne décolle de l'anecdotique que pour tomber dans le sirupeux.

[Ba]

Ces " préliminaires " dont nous gardons le goût en souvenir. Le plus intéressant reste bien le mystère.

[Lucy]

Maman se plaint encore de ses poupées aux cheveux collés qu'on ne pouvait pas même coiffer. Sympathique anecdote d'un Noël où tu ne te contentes pas de faire les magasins, mais où les jeux sont fabriqués de manière artisanale. Bien mieux comme ça !

[outretemps]

Mystère, magie! Tout ce qu'on a perdu git là: Enfances riches de tant de pauvretés, étonnées de si peu!...Toutes ces attentes impatiences et préparations à jamais perdues!... Pauvres enfants d'aujourd'hui, pupille de nos yeux morts que rien n'émerveille plus.

[outretemps]

pupilles, bien sûr!

[Louis]

Ces souvenirs illustrent bien le pouvoir de l’imagination qui embellit l’objet désiré, et rend souvent plus heureux que l’objet réel. Rousseau, qui l’avait remarqué, a écrit que « l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux ». Ton texte, Arielle, illustre bien ce bonheur de l’imaginaire. Imaginaire stimulé grâce à l’art de la mise en scène du secret par la mère.
Mais il illustre aussi la joie complice des adultes, qui est aussi le plaisir d’apporter joie et émerveillement chez les enfants.
Mais la plus grande des joies pour l’enfant, c’est de sentir l’amour des parents, c’est de se sentir exister sous leurs yeux attentionnés. L’amour qui leur est porté, ressenti dans la durée des hivers qui leur est consenti où chaque geste des préparatifs est un signe vers leur existence, un signe d’affection, constitue le présent le plus précieux. C’est loin d’être ce pauvre objet de consommation, quelle que soit sa valeur marchande, acheté aujourd’hui dans les « courses » et choisi souvent de telle sorte qu’il permette de laisser les adultes « tranquilles ».
Merci Arielle pour avoir si bien illustré ces vérités humaines.

[Sahkti]

Bon, ça va être à nouveau Noël, je fais remonter... :-)

Un texte qui fleure bon la nostalgie et fait naître des soupirs de contentement, car il fait du bien; raconté avec simplicité, celle qui colore ces moments inoubliables.
Ces objets faits maison ont une vie et des années plus tard, on se rend parfois compte qu'ils étaient plus moches que le souvenir qu'on en avait gardé mais peu importe, l'imagination est au pouvoir dans ces cas-là.
Un récit qui a beaucoup d'âme Arielle, merci pour cela.

Petite chipoterie: la répétition de peu dans Je jouais peu à la poupée, ils m'ont sans doute fort peu servi

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