La petite fille mal fichue

[M-arjolaine]

Je finis l'année sur une petite histoire sans aucune prétention littéraire :-) !


Il était une fois, une petite fille qui avait des coudes à la place des genoux, et des genoux à la place des coudes. Ce n'était pas une situation très aisée: si les êtres humains normalement constitués avaient les coudes en haut et les genoux en bas, c'était bien qu'il y avait une raison! De fait, la petite était incapable de rester bien longtemps d'aplomb: ses jambes tremblaient de supporter un poids qui n'était pourtant pas si lourd sur de si fragiles articulations. En règle générale, elle se contentait de ramper d'un endroit à un autre, ses parents n'ayant pas les moyens de lui payer à la fois de quoi la nourrir, l'habiller, et un fauteuil roulant moderne, comme celui qu'avait le petit Paul quatre rues plus loin, qui s'amusait à lui rouler sur les doigts quand elle ne le voyait pas arriver. Elle finissait par s'y accoutumer: le problème lui paraissait en fait être d'une dimension plus esthétique que pratique: exit les jolies robes qui ne couvraient qu'à peine les épaules, et tout juste les cuisses. Elle cachait ses gros genoux dans des pulls d'hiver, et ne portait que de larges pantalons qui ne pouvaient laisser voir ses petits coudes ridicules que l'on eut pu briser en les serrant un peu trop fort. Par voie de conséquence, la période estivale était pour elle un véritable calvaire: elle restait allongée dans une chambre climatisée, évitant tout mouvement car elle se mettait aussitôt à transpirer des litres et des litres. Elle bénissait celui qui avait décidé de placer les grandes vacances pendant l'été. Au moins, elle pouvait profiter de la classe à peu près normalement, en dépit des difficultés qu'imposait le trajet.

Elle avait l'habitude de partir très tôt de chez elle. Ses parents ne l'emmenaient jamais, non pas qu'ils n'eussent pas de voiture ( le dilemme s'était posé de choisir entre la voiture et le fauteuil roulant, mais bien heureusement, la question fut vite réglée par la démonstration du père qu'une voiture avait quatre roues, un fauteuil deux seulement, et qu'il fallait toujours privilégier ce qui était le plus performant ), mais ils avaient autre chose à faire à sept heures du matin que de conduire leur petite estropiée à l'école, ce qui était tout à fait compréhensible considérant que les enfants handicapés demandent déjà suffisamment de temps à leurs géniteurs pour qu'ils leur laissent au moins leurs douze heures de sommeil, nécessaires à la récupération, évidemment. Elle se retrouvait donc à ramper sur trois petits kilomètres de rien du tout, que la plupart des autres traversaient en même pas cinq minutes. Mais son mode de déplacement étant sans doute un peu trop lent, elle prenait la précaution de quitter la maison au lever du soleil. Ensuite, tout dépendait de la circulation. Lorsqu'il n'y avait pas trop de trafic, elle parvenait à entrer en classe à la même heure que ses petits camarades, lorsqu'il y en avait beaucoup, elle arrivait pour repartir, et se faisait gronder au retour d'avoir manqué toute une journée d'école. Les réprimandes n'étaient jamais trop fortes: ses parents étaient des gens absolument délicieux.

En fin de compte, un jour d'hiver, la petite fille qui avait des coudes à la place des genoux et des genoux à la place des coudes se fit renverser en allant à l'école, non pas par une voiture parce qu'elle y faisait bien attention, mais par le petit Paul, quatre rues plus loin, qui commençait à trouver que de ne lui rouler que sur les doigts devenait une occupation un petit peu trop lassante.
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[Invité]

Une histoire grinçante et prétexte à quelques vérités bien assenées. Et une chute cruelle à souhait. Ce texte porte bien ta patte, M-arjolaine.

[Lucy]

Ouch ! Voilà un texte terrible. Un excellent moment de lecture, pour un texte bien mené.
Bravo !

[Claire d'Orée]

Nouvelle assez effrayante mais bien écrite.
Amicalement
Claire d'Orée

[lamainmorte]

Je relis toujours deux fois tes textes, à la première lecture je suis tellement angoissé par la fin que je parie être tragique, que j'en oublie de me concentrer sur le reste. Je vais finir par t'en vouloir, M-arjolaine, tu me tues.

[espelette]

merci pour ce petit cadeau de fin d'année

[maniak']

J'ai bien aimé. Sauf la fin qui tombe trop brutalement à mon goût et semble rapportée. C'est peut-être volontaire, mais, si c'est le cas, je n'ai pas compris. Tant pis pour moi.

[Invité]

Trop sotte, aussi, cette petite fille mal fichue : depuis le temps que Paul lui roule sur les doigts, elle aurait dû commencer à comprendre ! Voilà ce que c'est d'être amoureuse d'un handicapé !

[Ba]

Voilà des parents qui n'auront plus de problèmes de gants et de chaussettes l'hiver, merci à " Paul quatre rues plus loin" qui mériterait de prendre la direction du pays !

[Zenati]

c'est vraiment bien écrit, bravo!

[Plotine]

Tu as déjà de quoi publier un petit recueil à toi toute seule, non ?
Tu devrais y songer.
C'est parfait, comme d'habitude, et toi qui disais : "je n'ai pas d'inspiration en ce moment..."

[Sahkti]

Hooo je retrouve avec plaisir cette cruauté que tu affectionnes ! Une fois encore, tu réussis à créer une distance dosée à bon escient, présente mais pas trop, pour nous conter une destinée qui fait sourire dans son malheur. J'aime beaucoup ta plume Marjolaine, je crois te l'avoir déjà dit, et ce texte ne fait que renforcer cette impression.
Tu es également dotée d'une imagination plaisante avec chaque fois des trouvailles amusantes et cyniques. Bravo !

[Poussetontraino]

toujours un régal ...

[silene82]

Compte tenu de la qualité habituelle, je trouve celui un peu faible dans la forme, avec des formules un peu relâchées qui me semblent nuire au propos : ce qui est délicieux chez vous, M_arjolaine, c'est cet imperturbable litanie d'atrocités débitées avec un flegme de qualité quasi britannique, dans une langue maîtrisée, élégante, resserrée, élusive. Là, et quoique la fable s'inscrive bien dans la Cour des Miracles dont vous nous régalez régulièrement, je reste un peu sur ma faim.

[loic]

Silène annoncer ce texte plus faible qu'à l'habitude est une excellente publicité, je vais lire cette marjolaine, parce que mieux que ça...

merci à toute les deux

[myocarde]

Je suis impressionnée par ce texte et l'âge de son auteur!!

Bravo!

[Lyra will]

Beaucoup aimé le cynisme, le ton général, les anecdotes...
Quelle qualité de savoir manier et la plume et l'humour noir :0)

[Lyra will]

Ah oui, j'aime le titre aussi!
"mal fichue", ça me rappelle mon enfance et ma grand-mère ça :0)

[Invité]

Surréaliste à souhait! J'ai beaucoup aimé!

C'est très bien mené, et cette fin un peu "sans pied ni tête" est parfaite !

[elea]

Toujours aussi bons ces portraits croqués : drôles, méchants et bien plus profonds qu'il n'y paraît.
J'aime beaucoup te lire.
Ta fin est parfaite, aussi brutale qu'un accident de voiture.

[Invité]

Cet excellent texte m'avait échappé. Un peu du Marcel Aymé, mais plus décapant dans l'absurde. Ecriture très efficace. Un régal.

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