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Lasténie

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Message  Philomène Ven 15 Jan 2010 - 18:10

Il était pourvu d'une tête terriblement grosse qui faisait paraître son corps avortif, malgré l'affreuse cellulite qui le boudinait, et lui donnait une apparence si floue qu'il ne semblait pas définir dans l'espace de véritable forme. Son crâne glabre accusait une légère dissymétrie, comme s'il eut été plat à droite et bombé à gauche, et le plus répugnant était une petite partie, derrière, qui était restée molle, à tel point qu'en appuyant un peu on eut pu le transpercer et atteindre le cerveau. La bouche, sans lèvres, semblait retournée à l'intérieur de la mâchoire édentée, protubérance béante à un nez épaté qui tenait plutôt du museau, et ses yeux, immenses, bleus comme ceux des aveugles, ne semblaient regarder nulle part. Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux, se disait Lasténie en figeant ses pupilles dans ce nébuleux regard. Une telle langueur l'oppressait qu'elle ne sentait plus son corps. Peut-être avait il disparu, avait-il cessé de peser; sa chair s'était tout entière écoulée dans le corps boudiné et difforme qu'elle portait sur son ventre avec le même dégoût que si on lui eut imposé un petit cadavre. Au moins un cadavre ne bougeait-il pas, on aurait pu à la rigueur l'oublier, alors que cela bougeait sans cesse, rappelant son oppressante présence. Elle sombra dans une apathie proche de l'évanouissement. Lorsqu'elle se réveilla, elle n'avait plus rien sur le ventre, et son corps, douloureux, était revenu. La chambre était enveloppée de pénombre, elle pensa à un cauchemar. Mais alors qu'elle se redressait doucement, fourbue et comme lacérée à l'intérieur de ses entrailles, elle aperçut, derrière le lit, une sorte de petit cube dans lequel quelque chose dormait. C'était lui. Tout cela devrait donc continuer, il n'y avait pas de fin possible.
Ses jambes semblaient façonnées dans une matière si molle qu'elles étaient devenues inaptes à la soutenir. En se tenant au lit, elle arriva tout de même à s'avancer vers le cube et regarda de nouveau l'être qui gisait là, tentant laborieusement de survivre malgré son apparence infirme et incomplète. Il lui semblait la chose la plus étrangère, la plus distante d'elle même qu'elle n'ait jamais approchée, et d'une monstruosité qui mettait mal à l'aise. Elle se demanda avec terreur comment cela pouvait être réel.

Une aveuglante lumière la frappa au visage lorsqu'on ouvrit la porte. Elle crut reconnaître cette femme, mais elle n'en était pas sûre, car toutes se ressemblaient, portant le même vêtement dont le symbole anéantissait par son omniprésence la singularité du visage, comme des religieuses obéissant à un ordre obscur et désuet. La dévote força Lasténie à s'allonger de nouveau dans sa couche d'infortune, et, avec les précautions qu'on prendrait à soulever un objet de culte, elle ramassa le monstre qui venait de se réveiller et agitait ce qui lui servait de bras. Elle approcha son visage du sien, sans aucune marque de répugnance (mais certains saints n'hésitaient pas à baiser jadis, paraît-il, sans dégoût, les blessures des lépreux!) et elle articula quelques termes incompréhensibles, et qui semblaient relever plus du borborygme que du langage. L'autre ne répondit pas, et la bigote le posa, comble de cruauté, sur le ventre de Lasténie.

Ce n'est que plus tard qu'elle avait mesuré toute la tristesse de sa situation, en voyant entrer dans cette chambre calfeutrée où elle était recluse un homme qu'elle ne reconnut pas d'abord, tant son air abêti le rendait différent, mais qu'elle vit avec étonnement s'approcher du lit et saisir avec émotion le petit bout de chair lépreux en lui collant un baiser sur le front. Le visage de cet homme lui revint brusquement en mémoire. Il s'agissait de celui avec qui elle avait choisi, il n'y avait pourtant pas si longtemps pourtant, de partager sa vie, et il prenait la larve pour l'enfant qui était censé être le fruit de leur amour, la chair de leur chair, leur descendance unique. A qui pourrait-elle expliquer son dégoût? Une amère solitude l'envahit tout à coup.
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Message  Invité Ven 15 Jan 2010 - 18:15

Ah, j'aime beaucoup cette description de la maternité, à rebrousse-poil des clichés obligés ! Bien vu, pour moi, et une écriture toujours claire, efficace, voire impitoyable.

Mes remarques :
« comme s'il eût été plat à droite »
« on eût pu le transpercer »
« Peut-être avait-il disparu »
« le même dégoût que si on lui eût imposé »
« la plus distante d'elle-même qu'elle n'ait (le « n’ » explétif me paraît inutile ici, et même embrouillant à cause de la présence du « jamais » juste derrière) jamais approchée »

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Message  Celeron02 Ven 15 Jan 2010 - 18:16

Sur les idées, je ne suis pas tellement séduit - mais le concept littéraire (des influences du côté de Kafka ?) me semble intéressant. Bravo !
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Message  outretemps Ven 15 Jan 2010 - 18:36

Cette lecture me ravie. C'est très bien écrit et ça colle parfaitement avec ce que j'ai moi même ressenti lors de ma naissance. Bien qu'étant moi-même le monstre, le dégoût était pareil. Et l'histoire ne fait que commencer. C'est rare de voir à ce point les choses comme elle sont. En général, affligent, on se pâme devant le chef d'oeuvre, la merveille! Joli contre pieds!
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Message  Claire d'Orée Ven 15 Jan 2010 - 21:43

Le sujet, "donner naissance à un monstre" est bien traité même si on aimerait y voir une vague lueur d'espoir.
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Message  ubikmagic Ven 15 Jan 2010 - 22:06

Bravo ! Quelle immonde élégance !

On pense à Rosemary's Baby, évidemment. Mais traité sur un mode science-fictif plutôt que fantastique, à cause des références à un ordre étrange, une communauté organisée, qui font pencher l'histoire vers une mutation attendue, souhaitée, planifiée. Une sorte de Lebensborn inversé. On se dit que cette femme ne doit pas être la seule, qu'il doit y en avoir beaucoup d'autres... Combien au juste ? Enfin, c'est l'impression que ça donne, en première lecture.

Comme souvent, le style est pesé : sobre, efficace comme un couperet, sans excès mais avec des effets tout de même percutants. Juste là où il faut.

Le résultat est plus que convaincant. Décidément, il y a ici de bien beaux et sombres joyaux.

Au plaisir d'en lire encore beaucoup de cette veine,

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Message  boc21fr Sam 16 Jan 2010 - 2:27

Oui c'est trash, c'est sympa, et oui j'ai bien aimé mais ce n'est pas SI original que ça (les clichés ont déjà bien vécu).
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Message  Invité Sam 16 Jan 2010 - 8:53

Au début, il y a un petit moment de flottement entre "il" et "elle", on ne sait pas bien si le narrateur ( narratrice en l'occurence) parle de lui ou de quelqu'un d'autre, ce qui accroît le malaise diffus.

Oui, terriblement efficace cette description !
Je pense que les sage-femmes, qui jadis saucissonnaient les bébés dans des langes très serrés, devaient obscurément pallier, ce faisant, leur côté inachevé et humaniser par l'habillement ces petites larves ...
Quel texte anti bisounours !

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Message  Invité Sam 16 Jan 2010 - 12:17

Bien vu. Parfaitement vu même. Un texte qui fait froid dans le dos, non pas tant par ce qu'il décrit mais par la façon implacable dont il le décrit. J'aime vraiment beaucoup ce contre-pied.

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Message  demi-lune Sam 16 Jan 2010 - 21:46

J'ai beaucoup aimé ce regard d'"après" qui ne reconnaît plus dans la "chose" soudain apparue, l'incarnation de son bel amour. C'est glacial, très extérieur à la scène et aux autres personnages présents, ce qui en renforce le côté recul et dégoût. Et c'est très bien écrit !
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Message  Celeron02 Sam 16 Jan 2010 - 22:21

oh, il y a une répétition de "pourtant", vers la fin... ^^

ce qui me touche, m'attendrit, c'est les scrupules que le personnage principal a, à la pensée de son homme... mais c'est aussi triste, de penser qu'elle ne puisse pas tout dire à celui qu'elle est censée aimer si fort, au point de consentir à cette épreuve incroyable de l'enfantement, que pourtant des milliards de femme ont subie et subiront sans doute encore longtemps...

(j'aime à relire ce texte, qui m'en apprend, me questionne)
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Message  Philomène Dim 31 Jan 2010 - 18:16

Ce néant vaste et noir.

Tout lui semblait bizarre depuis qu'elle était forcée d'habiter avec l'enfant. Pendant qu'il dormait, Lasténie tournait dans l'appartement désert et regardait Paris par les fenêtres. C'était devenu si étrange! On eût dit que pendant son absence la ville avait imperceptiblement changé, se hâlant d'une fadeur si subtile qu'elle était la seule à pouvoir la goûter. Les humains dans la rue continuaient de passer. Elle colla son front à la vitre close, espérant de trouver dans la contemplation de la foule le remède qu'y décrit Edgard Allan Poe, car après tout, elle aussi était une sorte de convalescente, mais elle n'y trouva rien, que le roulis et le léger vertige que provoque le passage. Une chose dont elle était sûre, c'était d'avoir vu ce qu'elle ne devait jamais voir: la laideur de l'enfant, toute l'horreur que dégageait ce petit corps putride, scarce half made up, qui, par un stratagème qu'elle ne s'expliquait pas, semblait être resté caché aux autres humains de son entourage. Elle avait l'intuition qu'elle devrait pour le reste de ses jours cacher cette impression, de peur qu'on ne la soupçonnât de quelque démence. Il fallait donner à voir à ces gens, avec qui elle ne se sentait plus aucun rapport d'aucune sorte, ce qu'ils voulaient voir, et sa vie était condamnée à n'être plus qu'un tissu de mensonges. L'application qu'elle mettait à cacher son dégoût pour ce petit humain qui n'avait aucune aptitude à survivre tout seul, l'occupait tout entière. Il fallait méticuleusement fabriquer ce masque qu'il convenait de porter, devenir ce paraître total, ce faciès vide, ce corps qui ne reflète plus l'âme. Sa tâche de simulation lui parut étrangement simple, soit que ce déguisement, finalement, lui fût naturel, soit que les gens, qui ne voyaient plus que l'enfant, se fussent tout à fait désintéressés d'elle. Elle-même ne se sentait plus avoir de consistance. Son corps, engourdi, prenait une forme étrange, ou une absence de forme, comme s'il se mettait à ressembler de plus en plus au corps flasque de l'enfant. Le père ne s'y trompait pas, qui ne la touchait plus, et semblait concentrer toute son affection sur sa progéniture, sans doute parce qu'il misait, se disait Lasténie, sur sa forme future, alors qu'elle, la forme de son corps était perdue à jamais.
Une nuit cependant, alors qu'elle s'était levée pour nourrir l'avorton vivant qui hantait sa chambre, elle fut prise d'un étrange désir de sortir, comme d'une action secrète et interdite, n'intéressant qu'elle seule. Dehors, un plaisir incommensurable la saisit avec le froid de Novembre. Jamais auparavant, elle qui avait été si studieuse dans sa jeunesse, elle n'avait goûté le plaisir des promenades sans but, la nuit, dans la ville quasi-déserte. Elle s'adonna avec délices à cette expérience excitante, marchant avec aisance, grisée du claquement sur les trottoirs des hauts talons de ses chaussures, goûtant l'air froid sur la peu fine de son visage. La légère appréhension qu'associait au périple l'imagination de tout ce qui peut se tapir dans la pénombre d'une ville, relayée par les histoires d'agressions et de meurtres dont se divertissent les amateurs d'actualités, justifiant leurs lectures par un utopique besoin d'information, nuançait d'un serrement de gorge jouissif la gamme des plaisirs qu'éprouvait Lasténie.
Elle ne put bientôt plus se passer de ces sorties nocturnes. Le père, qui s'en était rendu compte, l'avait interrogée, mais elle n'avait su expliquer à cet homme pénétré de l'idée que toute envie doit servir un but ou être immédiatement relayée dans les partie les plus obscure de l'oubli, l'intérêt qu'elle prenait à ces échappées salutaires. Cela lui était, somme toute, indifférent: il était amoureux de l'enfant, dans lequel il croyait voir une continuité de lui-même. Elle ne comptait plus pour personne. Et pourtant chaque jour recommençait, et elle devait à plusieurs reprises se prêter au rituel répugnant de l'allaitement. Elle découvrait un sein gonflé de ce lait un peu aqueux dont se nourrissent les enfants des hommes, devait le donner à sucer à cette bouche répugnante, et le temps lui semblait si long, tandis qu'elle souffrait en silence sous l'assaut des sussions répétées, maîtrisant l'envie d'arracher et de jeter au loin la créature qui pompait l'intérieur de son être!
Chaque nuit l'appel devenait plus pressant, il fallait partir. Elle s'habillait sans bruit, et, vêtue d'un ample manteau noir, elle sortait dans l'air opaque. Sa peau blanche pâlissait aux contacts des rayons réfractés du soleil sur la lune, et la laideur de sa vie insensée se dissipait, avec le souvenir de l'enfant repoussoir qui hurlait dans la chambre, ignoble créature surgie de sa chair, non sens incarné dans le monde sensible, projeté par erreur parmi ses semblables, qui montrait ce que la vie contenait de répugnance. Aussi Lasténie continuait-elle de marcher, jusqu'à l'épuisement, dans les rues de Paris. Certaines nuits, elle marchait près d'un canal qui semblait sorti des entrailles de la terre, et que le froid avait recouvert de plaques de glaces si délicates et fragiles qu'elles tremblaient sous le vent, et reflétaient de petites étincelles de lumière. Des phares éclairaient parfois, comme un soleil perdu dans l'ombre, ce paysage lugubre. Et la courbe des ponts s'élançait vers le ciel. D'autres fois, Lasténie longeait des façades aux ouvertures vitrées et grillagées, enfermant des humains de synthèse, immobiles, femmes-masques dans des poses langoureuses ou rigides, aux jambes effilées et au regard creux. Il lui arrivait de s'arrêter pour contempler longuement l'une de ces figures inertes qui la fascinaient, et elle ne se souvenait qu'à peine avoir un jour prêté attention aux vêtements exposés sans voir, sous ces vaines apparences, la réalité saisissante de ces mannequins de plastique. Elle arrivait parfois devant de hauts immeubles dont la matière reflétait la nuit, et dont le sommet était avalé par le ciel tourmenté.
Et de la contemplation de ses paysages familiers rendus si fantasmatiques par l'atmosphère obscure qui les enveloppait naissaient d'étranges souvenirs. Sans qu'elle sût dire pourquoi, la figure d'un homme aux cheveux noirs et aux yeux qui se plissaient en souriant s'imposait à ses rêves éveillés dans la ville endormie. Elle voyait ce sourire, ses mains si fines, faméliques peut-être, et son ombre élancée, tout juste à peine boiteuse, qui lui inspirait une admiration infinie. Elle aurait voulu se lover dans cette ombre, qui l'aurait protégée des affres de l'extérieur, des attaques répétées de cette vie avide du malheur des hommes. Ses cheveux semblaient d'une matière luisante, imperméable, ils brillaient sous le soleil de la cour du collège où Lasténie épiait son passage.
Elle se souvenait aussi de son propre corps, qui n'était pas pubère, de son sexe d'enfant, imberbe, lisse, comme ceux des mannequins dévêtus dans les vitrines. Et un jour les lèvres avaient commencé à se flétrir légèrement, entamant une bizarre et inquiétante métamorphose.
Elle pensait que cet homme avait été le seul à comprendre d'elle ce que les autres n'avaient pas compris. Il avait vu la répugnance de sa féminité naissante. Il aurait sans doute compris la monstruosité de l'enfant. Elle se sentait l'éperdu besoin de cet homme, et à cette pensée, son corps frissonnait tout entier comme si l'âpre froid se faisait tout à coup plus mordant.
Même lorsqu'il faisait chaud, elle avait toujours eu froid sur le praticable de la salle de sport de son collège, quand elle s'y allongeait, dévêtue, et attendait d'être happée par l'ombre de cet homme qui se penchait sur elle, avec une admiration dont elle était si fière d'être la cause, et qui à elle seule aurait suffi à justifier qu'elle supportât toute la douleur qui allait suivre. Etre prise encore une fois par ce froid! L'air de Paris était encore trop chaud pour s'approcher de cette sensation glaciale qu'elle cherchait au fond de sa mémoire. Et cette douleur, cette douleur diffuse qui l'écartelait tout entière et lui arrachait des larmes malgré l'application qu'elle mettait à l'apprivoiser, cette douleur si intense qu'elle la plongeait chaque fois dans une sorte d'anesthésie des sens, langoureux vertige si atroce et exquis, lui semblait salvatrice, capable de déjouer le cours de l'existence, de propulser la fadeur et la banalité de sa vie dans des sphères supérieures, interdites et secrètes.
Elle se souvenait de son corps, et du sens d'irrémédiable. Chaque matin et chaque soir, elle avait pourtant tenté de conjurer ce sens en nouant un bandage autour de son torse; pas un seul jour elle n'avait, depuis qu'elle avait remarqué l'infime transformation, manqué au rituel, et chaque fois elle serrait le tissu plus fort, indifférente aux hématomes qui naissaient sur sa peau juvénile. Et pourtant, malgré sa volonté toute puissante, ces protubérances, signes infects de reconnaissance sexuelle, avaient poussé. L'homme était mort, et elle se souvenait clairement avoir pleuré en pensant que ces nouveaux monceaux de chair ballante qui se développaient sous sa peau profanaient sa mémoire. Qui pourrait désormais la trouver désirable?
Et Lasténie, toujours marchant dans la rue dont le silence n'était troublé que du martèlement régulier de ses pas, songeait que, si elle avait cru alors être totalement décrépie, elle n'avait goûté encore qu'à une minuscule partie de cette irrémédiable décadence des corps, et que les suites de sa grossesse lui montraient à quel point elle pouvait sombrer, toujours plus profondément, dans les abîmes monumentaux de la laideur. Ce temps où l'homme caressait avec délices sa poitrine osseuse était bien révolu; qu'il soit mort était finalement préférable: elle n'aurait pu lui cacher sa maturité très longtemps, qui l'aurait répugné. Que les autres humains se soient appliqués depuis à rendre son existence insupportable était juste: elle n'avait pas su rester cette enfant qu'il aimait, elle avait mérité de souffrir. Et comme dans cette salle, où ils n'avaient pas le droit d'être puisque le collège fermait ses portes à dix-huit heures, et où elle devait faire l'effort, pour lui plaire, de ne pas crier ni soupirer trop fort, il lui avait fallu respecter le silence et comprendre que l'union qu'elle avait eue avec cet lui, qu'elle avait tant aimée et dont elle avait été si fière, était une union abjecte et condamnable.
Ces images nées du souvenir dansaient maintenant à tout moment derrière ses yeux ouverts qu'elle faisait aussi impassibles que ceux d'un cadavre, alors qu'elle regardait le père agiter frénétiquement des objets bruyants devant le monstre, alors qu'elle lui donnait son sein à sucer, alors qu'elle marchait, en plein jour, dans la rue, ayant eu soin de cacher de diverses étoffes l'avorton qui gisait dans la poussette, et dont elle avait honte: elle sentait son dos nu sur le bois dur du bureau de la salle 320, les poils drus et noirs de l'homme contre sa bouche, la démesure de son sexe érigé, le soupir des mots qu'elle n'entendait pas, et encore cette déchirure qu'elle avait appris à aimer, et que jamais elle n'avait éprouvée si intensément depuis. Absorbée de ses pensées, elle était indifférente à la transformation de l'enfant qui enchantait tout le monde, bien qu'elle singeât du mieux qu'elle pouvait les remarques creuses et les mimiques débilitantes qui semblaient de circonstance lorsqu'on le regardait.
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Message  Celeron02 Dim 31 Jan 2010 - 18:37

"dans les parties les plus obscures de l'oubli"

"l'union qu'elle avait eue avec cet lui" ; soit l'union qu'elle avait eu avec lui, soit l'union qu'elle avait eu avec cet homme

Ce texte m'a fait penser au Gainsbourg de Joann Sfar, nommément la figurine en latex qui accompagne Serge, son double ambitieux. Une sorte de muse au masculin ?
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Message  Invité Dim 31 Jan 2010 - 18:39

Alors là ! Excellent. J'adore la manière dont vous nous donnez à comprendre la souffrance de cette femme.

Mes remarques :
« espérant de trouver » : espérant trouver, non ?
« Edgar Allan Poe » : et non Edgard
« L'application qu'elle mettait à cacher son dégoût pour ce petit humain qui n'avait aucune aptitude à survivre tout seul, l'occupait tout entière. » : je trouve la virgule dommageable
« avec le froid de novembre »
« l'air froid sur la peau fine de son visage »
« relayée dans les parties les plus obscures de l'oubli »
« l'assaut des succions répétées »
« Et de la contemplation de ses (ces ?) paysages familiers »
« Elle se sentait l'éperdu besoin de cet homme, et (je pense qu’il pourrait être intéressant d’ajouter une virgule ici) à cette pensée, son corps frissonnait »
« être totalement décrépite » : « décrépie », à mon avis, c’est pour les maisons qui perdent leur crépi
« l'union qu'elle avait eue avec cet lui »

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Message  Celeron02 Dim 31 Jan 2010 - 19:01

Disons que cet homme initiateur et mort, tout physiquement présent qu'il fût, n'est plus : c'est en ce sens, que dans sa quête de sens, l'héroïne le retrouve en pensée comme le ferait une muse, ou une semi-divinité, une idole personnelle...

Quand j'étais jeune j'adorais errer et méditer dans les rues de Dijon. Que ce soit de jour ou de nuit, admirer les différents points de vue architecturaux, tout en fatiguant volontairement mon corps à la marche. Il me semble comprendre, donc, une petite partie du comportement de ton personnage principal... même s'il est, bien sûr, possible que je me trompe !
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Message  demi-lune Dim 31 Jan 2010 - 20:03

Terriblement dérangeant et réussi en ce sens. Je suis un peu étonnée qu'elle allaite cet enfant qu'elle ne supporte pas. J'ai supposé qu'elle avait cédé aux pressions de son entourage mais si la répulsion est violente, comment peut-elle s'y être soumise ?
Toujours bien écrit et mené.
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Message  midnightrambler Lun 1 Fév 2010 - 0:10

Bonsoir Philomène,

- ligne 4 : espérant trouver, bien sûr ...
- ligne 7 : ce qu'elle n'aurait jamais dû voir ?
- ligne 89 : cet lui, ... on comprend, mais ...
- ligne 89 encore : aimeé se rapporte bien à l'union et non à l'homme ou à ce "lui" ... c'est à cela que sert l'accord des adjectifs et des participes passés, me direz-vous ...

Magnifique, sublime et ... terriblement dérangeant effectivement ! ... autorité-viol-consentement ... combien y a-t-il encore de nourrissons dans des congélateurs ?

Amicalement,
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Message  Iryane Lun 1 Fév 2010 - 11:59

la premiere partie est étonnante,
il m'a fallu le lire deux fois, à la lumière du dégout de l'enfant,

cela décrit très bien ( trop bien ) la réalité de ce petit amas de chair pourtant tant chéri.

deuxieme parti, plus tourné vers la femme, qui ne se veut pas mère.
on est vraiment immergé, dans ses pensées...
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Message  Philomène Lun 8 Fév 2010 - 14:15

Ton souvenir en moi.

Non que Lasténie aimât ni son métier, ni même l'idée de travailler, elle qui ne s'était pas battue comme ces femmes révoltées dont on parle dans les archives d'actualité pour avoir le droit de sacrifier sa vie de rêverie soumise au quotidien vivifiant d'un emploi utile et social, mais elle n'avait jamais songé qu'elle pût simplement ne pas se rendre dans ce lieu donné, à une heure précisée par avance, pour gagner par l'accomplissement méthodique des tâches qu'on lui soumettait le droit d'être là sans qu'on se souciât d'elle. Ainsi s'étaient déroulées ses études, et ainsi s'était-elle insérée sans heurt ni passion dans la vie professionnelle, comme on se loverait dans un coin pour se fondre doucement dans le décor.
Ce jour-là, elle avait laissé le lambeau de chair hurlant à une autre femme dont l'emploi était précisément l'élevage de monstruosités comme la sienne, et elle avait repris sans bruit le chemin mécanique qui l'amenait au bureau. La légère fatigue que lui imprimaient ses promenades se remarquait à peine, pensait-elle, et elle ne craignait pas le regard de ses collègues qu'elle avait su endormir par une apparence normale et une dextérité extrême dans le langage phatique et creux qui rassure les humains.
Cet homme, elle ne l'avait jamais remarqué avant, et pourtant, en le revoyant, quelque chose d'indéfini et de diffus la frappa, comme une légère ressemblance, au niveau des commissures des lèvres, ou peut-être de la matière lisse des cheveux... Etait-ce parce qu'elle était revenue tout emplie des pensées de ses promenades parisiennes qu'elle avait vu ce souvenir en lui? Etait-ce son souvenir qui, par un besoin aigu de s'incarner dans le monde, se modifiait insensiblement jusqu'à ressembler à ce collègue de travail? Lasténie n'aurait su le dire, sans doute n'en voulait-elle rien savoir. Elle ne savait pour le moment que cette ressemblance frappante, ce je-ne-sais-quoi dont on parle dans les livres classiques et qui pourrait, au moins pendant un fragment de seconde, rendre presque heureux, par ce plaisir seul et intense de l'analogie. Jusqu'au soir, une impression diffuse s'empara d'elle; c'était un bonheur latent qui voisinait de très près la tristesse et le dégoût comme s'ils eussent été des composantes essentielles du plaisir. Puis l'impression étouffa sous les coups du réel, quand elle revit son enfant et qu'il fallut le prendre dans ses bras. Bien qu'il ressemblât de plus en plus, au fil des jours, à l'image qu'on pouvait se faire d'un humain, l'impression première était gravée dans le fond des rétines de sa mère, qui ne pouvait plus le voir autrement que sous la difformité monstrueuse de ses premiers instants.
Puis il y eut un jour, au bureau, où Lasténie, effleurant de ses doigts blancs le clavier de son ordinateur, écrivit sans s'en rendre bien compte les lettres qui composaient le son gravé dans ses pensées. Elle s'étonna elle-même du sens de cette chaîne graphique, le nom de ce collègue si insignifiant. Doucement, comme un viol, il s'immisçait en elle. Elle en conçut un début de rancœur, comme si la pensée de lui, qu'elle avait malgré elle, lui coûtait beaucoup plus que quelques précieuses minutes, son orgueil tout entier, la dure et laborieuse construction du masque qu'elle portait chaque jour. Elle voulut le voir et laissa la porte entrouverte pour guetter son passage dans le couloir. A dix-huit heures quarante-six, il sortit du bureau qui faisait front au sien, et s'engagea dans l'escalier d'une démarche preste, comme pour s'extraire rapidement du bâtiment qui les enfermait tous les deux; et elle le suivit de loin. La pénombre déjà tombait sur la ville alors qu'il s'engagea à travers les allées de voitures multicolores, et Lasténie put voir celle dans laquelle il prit place, d'un bleu si foncé qu'il eût pu sembler noir. Lorsqu'il passa à sa hauteur, il ralentit et la vitre sembla se baisser seule, comme si tout avait été méticuleusement agencé pour le malheur de Lasténie; il lui demanda si elle souhaitait qu'il la dépose quelque part. Elle n'eut que la force de décliner, sans fioritures polies, cette dangereuse invitation.

Ce soir-là Lasténie ne rentra pas chez elle. Elle voulait marcher et ne pas voir le monstre, ni le père. Elle déambula longuement dans les rues, goûtant la lente tombée de la nuit sur la ville. Quand enfin tout fut noir, elle laissa monter en elle l'image qui s'imposait, latente, à son fantasme; et elle ne sut reconnaître s'il s'agissait de l'homme de son enfance qui caressait un corps devenu celui d'une femme, où de Léonard T., tant la ressemblance était devenue frappante. De quel droit ce Léonard T. effaçait-il le corps adoré, enfoui dans le passé, pour imposer sa propre silhouette, sa voix, les traits de son visage? Elle se souvint que lorsqu'elle avait rencontré le père de son enfant raté, elle avait de toute son âme appelé cette analogie, pour avoir la force de paraître l'aimer, tant elle s'était dit qu'il était temps enfin de former un couple rassurant. Elle avait cherché en lui des réminiscences du souvenir de l'homme, et en avait fabriqué de toutes pièces, lui fabriquant un costume de fortune qui permettait à ses yeux de pouvoir, sous un certain angle et une lumière diffuse, le prendre pour un autre. Mais Léonard T. imposait cette analogie, la rendait évidente, à tel point qu'elle ne pouvait plus le distinguer de l'homme: chose étrange! Elle n'avait pourtant rien remarqué avant l'enfant.
Une ombre s'avançait sur le trottoir, au loin, en face, émergeant de l'obscurité, à peine un peu boiteuse. C'était un homme, et à mesure qu'il s'approchait, Lasténie remarquait qu'il s'était revêtu du même manteau qu'elle. Ses cheveux reflétaient les rares rayons de lune d'une façon peu naturelle, comme l'eau du canal qui coulait à sa droite, par éclats de lumière diffractée et humide. Lasténie se figea et obligea ses yeux à fixer l'espace qui les séparait, tant sa peur était grande de montrer à ce familier inconnu une marque de faiblesse. Puis elle reprit sa marche, elle voulait le croiser sans fléchir. Lorsqu'elle put distinguer les ombres de son visage, elle vit qu'il souriait, du sourire figé qu'ont les masques ou les fous, et ses yeux, comme entrainés par le mouvement que ce sourire imprimait au visage, s'étaient légèrement bridés. Ceux de Lasténie s'étaient emplis de larmes, tant il était difficile de les maintenir ouverts dans ce vent hivernal, sans ciller. Elle fut soudain étreinte d'un sentiment intense de honte, honte du bruit que faisaient ses talons, honte de porter un manteau si semblable à celui de cet homme démoniaque, honte de n'avoir pu accepter d'être ramenée en voiture, honte de ce corps qui pesait sur la terre. Lâche et faible, elle baissa alors le regard, et ne put voir distinctement cet être qui la croisait. Mais il lui sembla que lui ne l'avait pas quittée de ses yeux sarcastiques.

Son sang qui se fige.

Elle était nue, au beau milieu de la nuit, et se regardait au miroir. Les rondeurs de la grossesse avaient largement disparu, mais son corps continuait de maigrir, et il semblait chaque jour un peu plus pâle, comme si la peau devenait diaphane. Les os de ses clavicules commençaient à poindre, et ses cotes ondulaient nettement la peau de part et d'autre de son sternum. Le ventre qui avait engendré l'enfant était encore légèrement proéminent, comme si la distorsion ne se voulait pas se refermer, mais les os du bassin pointaient largement et ses jambes étaient sinueuses et chétives. Seuls les seins restaient insupportablement gros, masses amorphes dégoulinant de chair pure. Sous le sein gauche, il y avait deux imperceptibles points rouges.

Tout le monde semblait ignorer la maigreur chaque jour un peu plus prononcée de Lasténie. Elle remplissait quotidiennement les tâches qui lui échoyaient sans mot dire, chaque action, chaque allaitement devenaient une façon d'entamer un peu plus sa chair. Le père ne semblait voir que l'enfant grossir, car il grossissait à mesure que Lasténie maigrissait, et il devenait énorme! A tel point que les composantes de son visage semblaient perdus dans un amas de joues et de double menton. Et il semblait étrangement satisfait de la tournure que prenaient les événements.
Elle voyait chaque jour Léonard T., et elle exhibait devant lui son visage resté inexpressif, mais où une immense lassitude se lisait malgré tout, dans les traits un peu plus creux que la veille. Chaque soir, elle prenait la décision de ne pas le croiser. Mais mue par une force qui la contrôlait tout entière, elle était là, toujours, dans le couloir, à l'attendre lorsqu'il sortait de son bureau, tapie dans un recoin obscur, épiant chacun de ses mouvements, et elle devait se repaître de son image jusqu'à ce point précis où le rassasiement se transforme en dégoût. Quelque fois, pour entendre le son de sa voix, elle croisait son chemin, et déclinait toujours sa proposition, de la ramener chez elle, tout en sachant qu'elle ne résisterait pas indéfiniment aux assauts répétés, et qu'il arriverait enfin un soir, où, alanguie et heureuse, elle monterait dans la voiture bleu-nuit. Puis elle partait, et déambulait de longues heures durant, jusqu'à ce que le ciel soit devenu opaque.
Elle passait ce soir-là devant des vitrines éteintes, dont l'accès était gardé par de lourdes portes grillagées. Les vêtements exposés lui semblaient un non sens de couleurs et d'étoffes diverses, accumulées pour cacher le corps nu et splendide des personnes de plastique; et soudain, elle crut voir dans la silhouette d'un mannequin celle de Léonard T., qui n'avait pas quitté depuis l'après-midi son esprit affolé. Epeurée, Lasténie recula d'un pas, mais se ravisa de fuir. La rue était peuplée de passants vespéraux qui ne faisaient pas attention à elle. Elle contempla longuement cet ersatz de Léonard T., cherchant à capter son regard, qui, hautain, ne reflétait que la vacuité et le néant. Lasténie se sentait proche jusqu'à l'exaltation de cette inexistence, et c'est avec un mélange de colère et d'envie qu'elle contemplait ce corps, parfait et immobile. Elle retenait l'émotion d'effleurer son regard, et se sentait si désespérément, atrocement et faiblement humaine, devant l'autre qui savait garder les yeux totalement vides, dont les traits réguliers ne laissaient échapper aucune esquisse d'un sentiment quelconque! Elle aurait voulu franchir la porte diaphane pour toucher de ses doigts cette effigie de Léonard T., mais cette simple vitre la tenait à distance de cet idéal comme s'il ce fût agi de l'infini lui-même!
C'est en regardant derrière lui, là où commençait l'ombre dans laquelle se perdait entièrement la fin de la boutique, qu'elle aperçut d'autres mannequins d'homme, entièrement identiques à celui qui était si semblable à Léonard T. Plus elle fixait ce vide semi-obscur, plus les figures semblaient se multiplier: étaient-elles engendrées du rayon de ses yeux, où apparaissaient-elles simplement du néant? Lasténie frémit de tout son corps, et elle eut la faiblesse de baisser les paupières pour voiler son regard. Mais elle eut alors l'impression vive que tous tournaient vers elle leurs orbites vides, globes ténébreux, qui, transperçant sa chair, contemplaient jusqu'au plus profond de son être, son morne squelette.
Exaspérée d'une peur muette et froide, elle rentra chez elle. Elle ouvrit doucement la porte, et pénétra dans le long couloir de cet appartement dans lequel elle vivait. Elle luttait contre la désagréable impression d'une présence toute proche. Elle avançait doucement, apprivoisant à tâtons chaque parcelle d'ombre autour d'elle. Elle pensait entendre quelque chose inspirer, comme une lente et menaçante respiration... et pourtant, était-il seulement possible que quelqu'un soit là, à l'attendre? Elle ne pouvait pas éclairer le couloir, de peur de réveiller l'enfant et son père, ou de voir en face ce qui se tenait là. Elle se figea et attendit que quelque chose se passe. Elle entendait toujours la respiration toute proche, régulière, elle ferma les yeux pour mieux entendre. Et soudain, une insupportable lumière, transperçant ses paupières closes pour atteindre le fond de ses orbites, la fit brusquement sursauter. Malgré les larmes que lui arrachait cet éclairage si cru, elle se forçait à entrouvrir les yeux, et elle distingua, comme une tache noire sur le mur blanc, une silhouette d'homme. Etait-ce le mannequin qu'elle venait de quitter? Elle s'aperçut alors qu'une voix lui parlait, et que, tant la force de ses pensées anéantissait toute manifestation du monde alentour, elle ne s'en était pas rendu compte. Et elle comprit alors que cet homme était le père du monstre, qui avait attendu son retour dans le couloir obscur.
Que pouvait-elle lui dire? Il n'aurait pas compris. Les larmes qui coulaient de ses yeux donnaient l'impression qu'elle pleurait – elle qui ne pleurait jamais – mais elle savait bien qu'il ne s'agissait pas de véritables larmes, de ces larmes que cause un quelconque sentiment. Il s'agissait de larmes froides, à peine salées, toutes physiques, qui ne pouvaient rien refléter des tréfonds de son être. Comment l'auraient-elles pu? Il y avait si longtemps qu'elle avait façonné ce masque, rien ne pouvait paraître au dehors. Les larmes étaient l'effet du changement trop brutal de luminosité. Mais lui, habitué par sa culture classique à chercher dans toute manifestation du corps un reflet de l'âme, exigeait un aveu, l'aveu de ce quelque chose qui causait ses pleurs et sans doute cette propension à fuir, seule (?), le soir. Or Lasténie, contrairement à ces héroïnes classiques, n'avait aucun aveu à faire. Eût-elle voulu confesser quelque chose, elle aurait été prise au dépourvu devant l'absence totale de faits objectifs qui constituait sa vie. Elle ne faisait véritablement rien qui fût digne d'être avoué, ni même de susciter un intérêt quelconque. Aussi resta-t-elle muette.
Mais l'autre, quand, le lendemain, comme elle n'avait pas eu, cette fois, le courage de résister à une invitation perverse, vit Léonard T. déposer en voiture sa compagne devant chez elle, déduisit de ces faits ce qu'il voulait y voir: il imagina que Lasténie, la nuit, se dévêtait devant Léonard T., et qu'elle lui faisait goûter ce corps que lui ne pouvait plus toucher. Lasténie comprit sans peine ce qu'il avait pu croire et ne fit rien pour le détromper (à quoi cela eût-il servi?), et l'imagina en train d'imaginer ces ébats improbables. Son attirance pour Léonard T. devint alors insoutenable. Tout son corps brûlait en pensant à ses mains sur sa peau, à des caresses électriques sur les os de ses hanches. Elle le voyait prendre entièrement possession de son corps, l'écraser de son poids sur la banquette arrière, la pénétrer avec violence, lui faire mal jusqu'à la jouissance.

Comme un cœur qu'on afflige

Tous les soirs, vers 19h00, Léonard T. ramenait Lasténie jusque chez elle. Elle s'asseyait à la place du Mort, squelette laiteux au destin fatidique. Elle s'habillait chaque matin avec soin, pensant à ces quelques minutes d'éternité, durant lesquelles elle s'était octroyée le droit de côtoyer une parcelle, infinitésimale, de son désir. Léonard T. parlait peu, il était fier et tenait les épaules légèrement en arrière lorsqu'il conduisait. Lasténie ce soir-là portait une jupe courte et plissée, dévoilant sa maigreur, qui, elle le pensait sans trop se l'expliquer, devait séduire Léonard T., nécessairement amoureux des images macabres, comme le sont ces êtres altiers qui ne pensent qu'intérieurement et semblent n'avoir rien à faire dans ce monde d'humains. Elle n'osait regarder qu'obliquement cet homme qu'elle avait toute la journée imaginé dans des situations érotiques et improbables, et s'étonnait à chaque fois de ce qu'il soit somme toute plus simplement commun que le fantasme qu'elle s'était fait de lui. Seul le bruit du moteur émanait de leurs trajets. Lasténie, durant ces silences, s'imaginait qu'il guettait les variations imperceptibles des ondes de l'air, pour déterminer au rythme de ses expirations son degré de désir. Puis il déviait de sa trajectoire, prenant un trajet tout à fait inconnu, et un délicieux frisson parcourait tout le corps de Lasténie. Elle se laissait guider, aveugle, par cet être émergé de l'abîme de son esprit malade, langoureusement appuyée contre la banquette de ce siège du Mort. Un paysage urbain mais tout à fait étrange défilait à rebours dans le rétroviseur, et elle fermait les yeux, en prise à un vertige nébuleux. Léonard T. alors lâchait le volant d'une main et frôlait son épaule de ses doigts noueux. Puis il remontait vers la nuque et caressait la racine de ses cheveux tirés. La voiture s'arrêtait, et la ville était noire et déserte. Les vitres se couvraient de buée brusquement, on ne voyait plus l'extérieur, car la respiration de Léonard T. se faisait plus oppressante. Il fermait la main droite, agrippant les cheveux qui s'échappaient de la coiffure savamment élaborée de Lasténie. Elle avait mal, mais se laissait guider par cette main qui poussait maintenant son visage vers la vitre opaque, l'obligeant à grimper sur le siège, de façon à ce qu'elle ne puisse pas voir le reste de la scène. Elle sentait une main sous sa jupe, et cette douleur exquise.
Mais en réalité Léonard T. la ramenait toujours juste devant chez elle, sans détour, et prononçait, de son air dédaigneux, un « au revoir » inaudible et obscur. Et le père, empli d'une âcre jalousie, regardait Lasténie revenir, et sans le savoir par son simple regard et ses sous entendus nourrissait un peu plus le fantasme de sa femme.

L'enfant ne voulait plus du lait de sa mère. Lasténie pensa qu'il y trouvait le goût âcre du désir qui l'habitait, qu'il s'était abreuvé de ce désir, sans devenir plus beau, et maintenant la rejetait tout entière, comme le reste du monde. Le petit être enfin s'apparentait à ses semblables, comme s'il avait intuitivement appris à discerner le bien de l'immoral, et à comprendre, par quelque signe inconnu, lesquels de ses congénères étaient irrémédiablement viciés, et dont il fallait se tenir à distance. Aussi ne suçait-il plus le sein de Lasténie, rebut d'humain dont le corps amaigri était fait pour inspirer répulsion et horreur, sauf aux être supérieurs tels que Léonard T. qui devaient être séduits par l'image de leur propre finitude, et connaître l'association obscure qui existe entre désir et mort. Il fallait donc lui préparer des mixtures très-savantes, méticuleux dosages de poudres et eau filtrée dont les quantités devaient être respectées avec autant de soin que s'il se fût agit de quelque potion d'envoûtement ou poison délétère. Il suçait avec avidité – plus d'avidité qu'il n'avait jamais sucé le sein de Lasténie – la tétine en plastique, cet ersatz qui confirmait à quel point l'artifice remplace avec bonheur la Nature. Il grossissait sans cesse, et Lasténie avait remarqué récemment les hideuses petites rides qui se formaient à la commissure des coudes et des genoux, dont les os disparaissaient totalement sous l'amas de chair, donnant l'impression qu'il s'agissait d'une être totalement mou, rembourré de quelque substance flasque, et qu'on eût pu tordre en tous sens. Son regard imbécile et mouvant, qui ne fixait jamais aucun objet du monde, montrait à quel point il était dépourvu de toute forme d'intériorité, se résumant à un corps vivant, qui transformait inlassablement la poudre humidifiée en excréments orangeâtres. Ses mouvements ne semblaient subordonnés à aucune forme d'intelligence, épars et insignifiants. Il était l'incarnation de ce bonheur stupide, dépourvu de désir qui répugnait Lasténie à un point qui dépassait l'entendement.

Il y eut des semaines, et des semaines encore, oscillant entre désir exacerbé de Léonard T. et répugnance secrète de l'enfant.
Et puis il y eut un lundi où Léonard T. ne se présenta pas au bureau. Lasténie avait tant appris à l'attendre qu'elle savait reconnaître chaque bruit du couloir et déceler le moment exact de la pénétration de l'homme dans le corridor, son pas à peine boiteux, celui de la clef qui tourne, de la porte qui s'ouvre sans grincer, qui claque doucement, les boutons du manteau défaits un à un derrière la porte close, à partir du haut, d'un geste suave. Le duffel-coat s'ouvre alors doucement, laissant deviner sous la chemise le torse à peine couvert d'une délicieuse pilosité sombre. Au niveau du bas ventre, juste à la lisière de la ceinture, la peau a l'odeur de la salle de sport. Il est tout à fait possible, que, protégé par la solitude de son bureau, Léonard T. enlève également sa chemise pour travailler torse nu, ou même se dévête tout à fait, laissant respirer sa peau blanche au contact de l'air moite de la pièce. Et l'écran de son ordinateur imprime à ce corps nu des reflets psychédéliques, ombres électroniques et mouvantes que Lasténie ne se lasse pas de contempler.
Mais ce lundi-là, Léornard T. ne s'était pas présenté au bureau, affichant une indépendance hautaine, et Lasténie réalisa à quel point cet homme agissait de façon autonome. Elle le remarqua progressivement, à mesure de l'attente qui dura toute la journée. La nervosité croissait et imprimait à son visage des contractions involontaires. Elle espérait tant qu'elle pensa son désir assez fort pour le faire venir. Mais il ne venait pas.
Eperdue, elle attendit longtemps dans le bureau, elle attendit encore et encore, jusqu'à ce qu'il fasse nuit noire. Elle ouvrit toutes les portes closes avec la clef qui ne devait servir qu'aux rares personnes travaillant bien après l'heure de fermeture des locaux. Tout était calme, de ce calme rassurant, si rassurant qu'il en devient suspect et tourne à l'oppression. Quelque chose assurément devait mûrir dans l'ombre. Elle se rendit sur le parking, qui n'était qu'une vaste étendue d'asphalte striée de lignes blanches, qui ressortaient timidement de l'ombre, dans une géométrie proche de la perfection, grâce aux rayons de lune qui éclairaient le monde. Et tout au fond, là où convergeait la perspective vertigineuse des raies blanches, une masse luisait très-faiblement, d'un bleu si foncé qu'il eût pu aussi bien être une nuance du noir. Lasténie s'avança vers la voiture, à découvert dans le grand terrain vague. Elle chancelait sur ses jambes, mais ne voulait pas fuir une nouvelle fois devant l'intensité de son fantasme. Quand elle fut à quelques enjambées, la vitre s'ouvrit, et Léonard T. l'invita à prendre place sur le siège du Mort.
Ils roulèrent en silence, dans les rues désertes. Léonard T. roulait vite, les virages semblaient serrés et la route sinueuse. Au troisième feu, alors qu'il fallait prendre à droite pour se rendre chez Lasténie, il obliqua à gauche, et Lasténie sentit son corps frémir en voyant son fantasme devenir réel. Aucun doute n'était permis sur les intentions de cet homme qui était venu spécialement la chercher, en pleine nuit, sur le parking désert du bureau où ils travaillaient ensemble, et qui, loin de la ramener chez elle, la conduisait dans un lieu inconnu, où il pourrait avoir sur elle un contrôle absolu, la faire souffrir s'il le voulait jusqu'à ce point de jouissance, de plaisir intense dont nait le dégoût. Elle ferma les yeux, goûtant cette appréhension excitante, soulagée que la chose se passât enfin, après tant d'attente vaine. Elle ressentait intensément le roulis de l'automobile qui filait, ce vertige délicieux que procure la vitesse, le déplacement fluide des corps dans le vent hivernal. Puis tout à coup, une intense sensation de froid l'envahit, comme si tout se gelait en elle. Etait-ce enfin la sensation retrouvée de son enfance? Elle tenta de remuer, mais s'aperçut que ses intentions restaient vaines, comme si son corps s'était détaché de sa volonté, et s'apprêtait à vivre une inexistence propre, indépendante, sans doute parce qu'il appartenait tout entier à ce Léonard T. qui avait revêtu les traits de son premier amant. Ses yeux même refusaient de s'ouvrir, et elle contempla en silence les formes qui naissaient du néant de ses paupières, amas de figures qui se vidaient de leur sens. Etait-ce un souvenir d'elle-même, cette enfant qu'elle voyait confusément? Ou bien était-ce sa fille, qui lui ressemblait maintenant d'une façon frappante? Sans doute n'était-ce rien, car tout se perd, dans l'ombre, tout s'afflige.


Lorsqu'on retrouva Lasténie, on crut d'abord naturellement à un meurtre, tant sont courantes et délicieuses ces histoires crapuleuses sur des parkings déserts dont on parle à la télévision. Mais en examinant le corps, on découvrit de minuscules taches de sang sous le sein gauche, qui avaient sans doute causé la mort de la victime. Seul Léonard T., un collègue de travail qui ne connaissait que peu la jeune femme, mais qui se piquait de littérature, se souvint de cette forme de suicide qu'avait racontée Barbey d'Aurevilly dans Une histoire sans nom, où l'héroïne s'était tuée délicatement, en s'enfonçant chaque jour une épingle dans le cœur. Et il s'étonna de ce qu'une collègue si insignifiante ait pu s'imaginer une sortie si raffinée.
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Message  Invité Lun 8 Fév 2010 - 15:02

Eh bien, c'est absolument superbe ! Du beau boulot. Vous avez mis votre écriture limpide, nette, sans concession, au service d'une histoire où vous équilibrez à merveille introspection et action.
J'aurai un bémol sur le dernier paragraphe, car absolument rien n'annonce le mode de suicide de Lasténie, même dans les sensations liées à sa dernière hallucination ; cela, pour moi, n'est pas logique.

Mais enfin je boude mon plaisir. Quel beau texte !

Sinon, je vous signale, si vous n'avez pas suivi, l'existence désormais d'un pseudonyme commun de publication, "jaon doe", à e pas utiliser pour les commentaires ni les réponses aux commentaires sur ses propres etxtes, l'objet étant de permettre au lecteur un premier abord du texte dégagé d'a priori quant à son auteur, et non de se livrer à un jeu de cache-cache un peu idiot sur qui a écrit quoi. Si cela vous intéresse pour vos prochains textes, vous pouvez m'écrire pour me demander le mot de passe de ce pseudonyme. Mon adresse mail se trouve page 2 du sujet "Anonyme", dans le salon "Conversations / atelier"

Diverses remarques :
"La pénombre déjà tombait sur la ville alors qu'il s'engagea" : le "alors qu'" au lieu d'un simple "quand" a arrêté ma lecture, je l'ai trouvé artificiel
"ses yeux, comme entraînés par le mouvement"
"ses côtes ondulaient nettement la peau" : "onduler" en verbe transitif, j'ai du mal, ça surpernd
"A tel point que les composantes de son visage semblaient perdues"
"Quelquefois (et non "Quelque fois" qui, dans le contexte, fait vraiment bizarre je trouve), pour entendre le son de sa voix"
"lui semblaient un non-sens"
"comme s'il se fût agi"
"étaient-elles engendrées du rayon de ses yeux, ou apparaissaient-elles"
"contemplaient jusqu'au plus profond de son être, (si vous tenez à la virgule ici, je pense qu'il serait préférable de compléter l'incise par une autre après "contemplaient") son morne squelette"
"durant lesquelles elle s'était octroyé (et non "octroyée" ; conjuguez le verbe avec "avoir" : elle avait octroyé à qui ? à elle ; quoi ? le droit de ; le complément d'objet direct est situé après, on n'accorde pas le participe passé ; c'est comme "nous nous sommes dit", ou "nous nous sommes permis") le droit"
"par son simple regard et ses sous-entendus"
"sauf aux êtres supérieurs"
"donnant l'impression qu'il s'agissait d'un (et non "une") être"
"Au niveau du bas-ventre"
"de plaisir intense dont naît le dégoût"

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Message  Celeron02 Lun 8 Fév 2010 - 16:24

Hum, il y a un perfectionnement de l'écriture. Il me semble que tu as parfait ton atmosphère. Aussi, le paragraphe de fin ne me choque pas.

Ces deux trous rouges pourraient, aussi bien, évoquer l'action d'un vampire. Cette incertitude sur les causes du décès me paraît bien caractéristique du fantastique.
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Message  Invité Lun 8 Fév 2010 - 17:07

Je commente d'abord le deuxième texte que je n'avais pas vu passer, d'abord pour émettre une légère objection à la contradiction que je vois dans ce passage :

"L'application qu'elle mettait à cacher son dégoût pour ce petit humain qui n'avait aucune aptitude à survivre tout seul, l'occupait tout entière. Il fallait méticuleusement fabriquer ce masque qu'il convenait de porter, devenir ce paraître total, ce faciès vide, ce corps qui ne reflète plus l'âme. Sa tâche de simulation lui parut étrangement simple, soit que ce déguisement, finalement, lui fût naturel, soit que les gens, qui ne voyaient plus que l'enfant, se fussent tout à fait désintéressés d'elle"

Dans le troisième passage, j'ai relevé ceci :

"comme si la distorsion ne se voulait pas se refermer,"

"Quelque fois ("quelquefois"), pour entendre le son de sa voix,"

"Quelque chose assurément devait mûrir dans l'ombre. Elle se rendit sur le parking, qui n'était qu'une vaste étendue d'asphalte striée de lignes blanches, qui ressortaient timidement de l'ombre, dans une géométrie proche de la perfection, grâce aux rayons de lune qui éclairaient le monde."

Sinon, rien à redire, c'est prenant, envoûtant dirais-je, cette façon d'analyser, d'amener le lecteur à plonger dans la féminité troublée du personnage. On se laisse prendre dans son enfermement progressif, c'est fascinant et convaincant (que de "ant" !). Je suis complètement ralliée à la cause. Et dieu que c'est bien écrit, fluide, élégant...
Si la méthode de suicide m'a paru inattendue (et contribue au charme étrange du récit), je me suis rappelé avoir été intriguée par le pourquoi des deux points rouges mentionnés plus haut dans le texte ; le tout est donc parfaitement ficelé je trouve, et retombe gracieusement sur ses pieds. Je suis vraiment très admirative de ce travail abouti. Bravo.

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Message  Celeron02 Lun 8 Fév 2010 - 17:22

Ce qui est encore propre au fantastique, c'est la proximité inquiétante entre l'homme de son adolescence - de la salle de sport - et son collègue de travail (l'odeur qui est similaire). Cet homme croisé la nuit, ce pourrait encore être lui, jusque dans la vitrine à l'infini.

L'idée aussi, que la mort est présente un peu partout ; l'enfant, le père, les autres personnages (mannequins), n'ont aucune épaisseur psychologique - il sont comme des pantins - seul le collègue de travail est une force agissante, et qui semble obscure, maléfique.
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Message  Rebecca Lun 8 Fév 2010 - 17:46

Trés beau texte, envoûtant, remarquablement bien écrit.
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Message  Yellow_Submarine Mar 9 Fév 2010 - 9:37

J'ai eu un peu de mal à y rentrer mais l'envoûtement agit
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