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Message  sarella Lun 18 Jan 2010 - 21:02

Bonsoir et bonne année à toutes et à tous....
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23H04. Le lieu du crime

Un flash aveuglant que je pressens plus violent que les autres. Puis un nouveau, moins puissant celui-là, mais qui réussit néanmoins à retentir, à battre la mesure des pieds jusqu’à mes tempes. La froideur des dalles me fait sortir partiellement du néant. Mais un engrenage s’est grippé dans la mécanique, il s’entête et tourne sans fin sur lui-même, inutile et furieux de ne pouvoir jouer correctement son rôle. Un nouveau tressaillement parcourt mon corps ; j’ai comme une sourde pulsation qui cogne à ma tête puis qui repart vers des plaies ou lésions que je ne peux situer, comme hors de mon être. Peut-être mon cœur qui tente de se faire la malle par quelque trou béant de ma chair.
J’ouvre enfin les yeux pour découvrir un homme étendu sur son flanc. Il est à quelques mètres de moi, comme figé dans une apparence de béatitude. Lui est serein tandis que moi je souffre.
Etat amnésique. Je ne parviens pas à me rappeler des évènements qui m’ont conduite jusqu’à cette salle inquiétante, en plein milieu de la nuit. Je veux me relever mais rattrapée par un vertige, j’abandonne ma tentative dans un cri d’impuissance. Une véritable panique s’empare de moi. Je suis consciente de la transpiration qui colle à mes vêtements, des larmes qui coulent de mes yeux, d’une douleur qui m’engourdit singulièrement jusqu’à m’anéantir corps et âme.
Puis cette question qui me regagne ; qui suis-je et que fait cet individu sans vie à mes côtés ? Je reprends mes pérégrinations. Je ne sens rien sinon une odeur tenace de parfum cuivré et enivrant. Je n’ose bouger pour le moment alors j’écarquille avec grand peine les paupières. Je décèle deux larges fenêtres au dessus de moi ainsi qu’une longue tige en bois vissée à hauteur de taille qui court tout le long des ouvertures. Assommée de fatigue je me rendors un instant. A mon réveil, un quartier de lune s’est invité au centre d’une des fenêtres. J’y vois à présent un peu mieux. Le clair obscur qui baigne la pièce sertit d’une aura inquiétante la présence du corps à mes côtés. Il me guette et me nargue comme s’il se savait hors d’atteinte, à l’abri, dans une autre dimension de l’espace. C’est facile pour lui de se moquer, puisqu’il se sait intouchable, protégé par un mur indécelable et magique. Il n’y a rien d’autre à distinguer à part quelques chaises rejetées sur un pan de mur et une longue table à l’office mystérieux. Puis j’aperçois ma main droite ensanglantée, mes doigts vermeils comme lavés dans une mare d’apparence barbare. Je m'effraie à l’idée que je sois la meurtrière de ce mystérieux cadavre. Mais pourquoi être si bête ; peut être sommes nous tous les deux victimes d’une agression. Mais comment expliquer ma présence dans une pièce inconnue si étrange au beau milieu de la nuit ? La tige ou barre de bois, comme une tringle à rideau pour lilliputiens, serait-ce un indice capital ?
Ne pas bouger et réfléchir. Cette journée a bien du connaître un accro dans son déroulement. Un résidu obscur à drainer de ma mémoire, un indice qui me permettrait d’en savoir davantage. Ferme les yeux et focalise-toi sur les évènements des heures passées. Se souvenir et retourner à l’origine, faire comme dans une enquête criminelle, connaître les tenants et aboutissants. Et à la fin, être capable de donner le nom de l’assassin, du criminel et du témoin.
J’ai toujours aimé cogiter et inventer des histoires. Là aussi avec un peu d’acharnement je pourrais y arriver…

09H54. Le mobile

Mes pensées filent à la manière d’un albatros qui domine de ses hauteurs les contours de ma journée passée. Je m’appelle Eliane et je vois ma vie d’aussi loin que l’on peut la distinguer. Jusqu’à devenir une autre personne, une autre femme à observer avec détachement. De mon surplomb je la vois avancer dans un jardin public.
Eliane court sur le chemin gravillonné d’un parc qui remonte en un entrelacs de verdures vers le haut de la ville. De petits bancs parsèment les allées fleuries, la guidant dans son parcours. Ses chaussures tapent en cadence le sol d’un fin crissement presque aguichant, en harmonie avec cette nature urbaine. Ses formes sensuelles sont mises en valeur par l’écrin olive des parterres fleuris. Elle aurait ri si on lui avait lancé tout à trac qu’elle était jolie. Par habitude Elle occulte les voies capables de l’ouvrir au monde.
Dans son effort elle est sans imagination. C’est un peu ça qui l’attire dans la course. Ne plus se poser de questions et avancer tout droit, dans les montées ou les virages, devoir seulement porter son attention sur l’enchaînement de la prochaine foulée. Cela fait maintenant trois ans qu’elle court sans relâche tous les matins, pendant presque une heure. Courir ça use les neurones et l’imagination. Vider la tête pour ne plus y réfléchir. Rayer d’un trait sa maladresse d’autrefois.
Après « l’accident » comme on en parlait au village, elle était subitement devenue insensible à ses anciennes connaissances. Comme si la balafre indélébile récoltée sur sa joue droite, dans cette chute qui l’avait entraînée avec son frère dans ce ravin, avait créé une distance entre elle et le reste du monde. Son frère âgé de douze ans à l’époque des faits, trois de moins qu’elle, était mort sur le coup tandis qu’elle s’en était sortie avec quelques ecchymoses. En somme, une simple répartition des chances et des responsabilités. Etant l’aînée elle n’avait rien vu venir.
Désormais, son univers ne parvenait plus à pénétrer celui des autres. Elle n’était pas rehaussée ou déclassée dans leur estime, cependant un voile invisible avait furtivement glissé en douceur sur elle, dérobant sa souffrance à ceux qui ne pouvaient comprendre. La balafre signait d’un sceau funeste cet enchantement. Puisqu’en définitive, personne n’aime voir des personnes trop différentes des normes convenues. Des meurtriers malgré soi aux mains encore tâchées du sang de l’ignominie. Eliane se savait responsable de ce qui était advenu à son frère. Elle était donc coupable. Rien d’autre à ajouter.
Un grand chêne feuillu aux larges branches se dresse sur sa gauche, au sommet d’une volée de marches, rempart végétal à la maçonnerie de bois. Dans un dernier souffle, elle gravit ce dernier obstacle et touche le tronc rugueux du vieil arbre. Il la félicite et lui expédie à travers ses branchages des trouées lumineuses au toucher bienveillant. Eliane reprend son souffle puis fait le tour de la souche comme pour communier avec lui. Sa main à la fine transparence se contracte en un poing et se frotte, dans l’oubli de la douleur à l’écorce au rude crénelage. Ses articulations saignent par endroit sans que cela paraisse la tourmenter. Elle sourit et glisse du promontoire en descendant son versant opposé. Son souhait à cet instant prend la forme d’un ensevelissement. S’asseoir sur la pente herbeuse et se laisser gagner par cette formidable poussée des entrailles de la terre. Que les pissenlits, les roses et jacinthes se servent d’elle comme boue nourricière pour former un ensemble à l’odeur et à l’abord délectable. Elle fournirait d’essence à la pousse d’œillets aux arômes envoûtants, des violettes à la pureté virginale qui lierait les humeurs des feuillages tranquilles aux parfums musqués du sol. Qu’elle serve à quelque chose au-delà si ce n’est dans ce monde.
Mais il est déjà trop tard pour les rêves. Un rendez-vous l’attend et elle sait qu’elle ne peut s’y dérober.

13H33. Le suspect

Je suis retournée chez moi pour passer sous la douche et enfiler mes vêtements de ville, un jean et un corsage délavé. Je n’ai pas traîné et maintenant je suis devant mon docteur. Je déteste aller le voir celui-là. Dix ans qu’il me suit et qu’il m’expose à ne plus en finir ses fadaises. La première fois que je l’ai rencontré c’était avec mes parents. Ils pensaient tous que cela ne durerait que quelques mois. C’est pathétique quand on y pense. Un médecin de famille c’est aussi collant que l’éternel ancien copain de maternel. Quand on ne s’en débarrasse pas à l’adolescence, il vous colle à vie.
Comme il se croit obligé d’employer des périphrases pour en venir à ce qui l’intéresse chez moi, il commence à me parler de l’anniversaire. Il est si prévisible que je repère ses questions avec deux coups d’avance.
« Cela fera dix ans demain, il me semble, me lâche-t-il tandis qu’il plonge le nez dans sa paperasse l’air de s’en foutre comme d’une guigne. Tu en as parlé à tes parents ?
- Ils n’ont pas besoin de moi pour s’en rappeler.
- Tu as tort, rajoute-t-il alors qu’il extirpe enfin de son fatras la lettre qu’il cherchait, il est bon de resserrer les liens familiaux dans ces moments là. Depuis quand n’es-tu pas retourné les voir au village ?
- Et vous, fis-je provocante, vous y étiez ce fameux jour. Vous retournez parfois sur les lieux ?
- Ma foi non. Mais je ne vois pas pourquoi vu que je n’ai plus d’attache dans cette région. Alors…
- A part moi il me semble, le stoppai-je avec un brin d’ironie. »
Il lâche sa lettre et croit venu le moment de me livrer une pensée sincère.
« Après toutes ces années, tu ne peux continuer à t’en vouloir. C’était il y a si longtemps, maintenant cela ne compte presque plus. »
Je m’emporte devant cette saloperie.
« Compte plus … Vous n’avez pas tout vu ce jour là, sinon vous la fermeriez. Et avec tout ça on n’a jamais retrouvé son corps. Comment voulez-vous que ça ne compte plus. En plus vous êtes l’un des premiers à être venu à mon secours. Vous devriez le savoir. »
Là, il botte en touche et me lance une nouvelle niaiserie.
« Tu prends toujours tes médicaments ?
- Y’a pas de risque que j’oublie. Il n’y a que ça qui me fasse dormir.
- C’est le principal. »
Je ronge mon frein, prête à mordre.
« Comment ça ?
- Dans ton état il est important que tu te reposes au mieux. »
Pour le repos il n’y a pas de danger que j’y échappe. Cela fait des années que je suis dans le coma, incapable d’interagir avec ce monde. C’est une maladie qui me ronge la tête, araignée patiente et besogneuse qui connaît déjà le sort de la bataille. J’ai pris l’habitude de me contenter de ce qu’elle me laisse pour vivre. Et ça me satisfait.
Pour aujourd’hui il se contente de nos quelques échanges verbaux et me prescrit ma dose habituelle de médocs, seule raison de ma présence dans son cabinet.
Je me demande ce qui le pousse à continuer à m’autoriser toutes ces drogues. La nostalgie du temps passé peut-être. De celui où il me connaissait toute petite. On ne refuse rien à une enfant perturbée.

17H22. L’arme du crime

J’ai passé l’après-midi à consulter des photos d’enfance tout en me bourrant d’antalgiques. Essentiellement celles où mon frère apparaît à mes côtés ou en famille. Ces visions se révèlent tristes et connes mais elles réussissent un temps à calmer mes plaies. Il avait onze ans à l’époque. Un anniversaire cela se marque comme on peut. Après je me suis fait une rétrospective des films de Kurosawa.
Stéphane est venu sonner, il y a une demi heure, alors que je commençais à peine « Rashomon ». Celui-là, c’est mon préféré. Ses racines sont comme nouées à celles des oeuvres de Dostoïevski ou de shakespeare. Les personnages vivent et meurent avec leurs tripes, et, quant à l’esthétique du film, je n’en parle même pas. Quand je pense qu’il n’était même pas sorti en France à l’époque !
J’ai laissé le lecteur DVD pour aller ouvrir à Stéphane. Quand il a vu les images sur l’écran ça a été plus fort que lui :
« C’est quoi cette merde en noir et blanc ?
- Des images trop compliquées pour ton petit cerveau, répliquai-je en plaisantant. Mais je suis sûre que tu vas adorer. »
Il s'installe avec moi sur le canapé. Stéphane, je l’adore, même si mes raisons de l’apprécier sont extérieures à sa personne. Je sais qu’il vit de vols et de recels, mais dans le fond je m’en moque. Je vois qu’il m’observe furtivement avant de me lâcher son affaire.
« Cela fait un bail qu’on ne t’a pas vu à la fac. Tu fous quoi ?
- Des choses et d’autres.
- Comme regarder des films chinois des années trente en version originale ?
- C’est japonais, et l’un des meilleurs que je connaisse.
- D’accord, te fâche pas, dit-il sur le point de rigoler. »
J’aime bien comme il rit, cela me fait comme une bouffée d’enfance. J’essaye de lui résumer le film en quelques mots alors qu’il s’avachit doucement sur un coussin.
« Tu vois, l’action principale se déroule au tribunal et l’assistance essaye d'éclaircir la mort d’un homme à travers le témoignage de quatre témoins clefs. Le truc est que chacun a sa propre vision de l’évènement qui vient contredire la déclaration précédente.
- Et c’est tout, ricane-t-il ?
- A part que ce film vaut dix fois un « pulp fiction » ou un « Usual suspect. »
On regarde le film dans notre bulle tranquillement, en se tenant la main. Il a beau dire, je le vois subjugué vers la fin du récit. Moi j’en acquière l’idée définitive qu’un crime se paie en soi-même avant de se régler devant un tribunal. A la fin du film, le générique du début se réenclenche sans qu’on ait bougé de notre nid. Je sais ce qu’il est en train de cogiter dans son cerveau. Pourquoi on se fréquente de cette manière douce, sans bruit ni sueur. Comment lui expliquer que ses yeux et tout son regard me le rappelle ? Il aurait eu son age aujourd’hui.
« Tu lui ressembles tellement, dis-je en un soupir.
- De qui tu parles là ?
- D’un fantôme.
- Arrête, tu vas finir par me faire peur, termine-t-il en un sourire. »
Il va comme pour m’embrasser quand, d’instinct, je me dérobe. Je vais jusqu’au bar et sort du buffet un gâteau d’anniversaire préalablement recouvert de dix bougies rouges et blanches. Je les allume et retourne vers le canapé.
« J’ai prévu un petit quelque chose, susurrai-je en prenant soin de ne pas trébucher. Un reste d’évènement à fêter. »
La lueur des bougies nous rappelle qu’à l’extérieur le jour a fui sournoisement. Je découpe les parts à l’aide d’un petit couteau aiguisé. Je souris tandis que je lui donne sa tranche sur une assiette en carton. Je prends ma part et nous commençons à manger en silence. Pour la première fois depuis le début de la journée, je suis heureuse. C’est à ce moment qu’il me parle une fois encore de son association culturelle à la noix. Son fameux « Coup sans risques ». Je l’écoute, histoire de m’intéresser à quelque chose. Il me répète qu’il n’y a aucun risque et m’énumère tout ce qu’il y a à gagner dans le casse.
J’acquiesce mécaniquement de la tête. En vérité j’ai peur qu’il ne parte trop tôt.

21H05. Le témoin

Seule sur un banc isolé dans le fond de l’amphithéâtre. Elle m’est apparue le regard têtu, prise par quelques notes qu’elle venait de prendre. Son nez s’est plissé comme si elle tentait de comprendre pour la première fois le dialecte inconnu d’une langue indigène. Elle a levé les yeux et m’a regardé. Eliane, je l’ai trouvé belle depuis le début. Un brin cinglé aussi, mais je pensais qu’avec une fille pareille cela allait de soi. Je ne la voyais pas se lier aux autres groupes d’étudiants. Elle fuyait même toute avance amicale de la part des garçons. Pour moi seul bizarrement, elle a eu des prévenances. Amicales et nulles autres, entendons-nous. Mais cela me satisfaisait et j’attendis longtemps quelque signe d’encouragement. Je ne suis pas le genre de gars à attendre bien gentiment les attentions d’une fille, mais pour elle j’étais prêt à rompre cette habitude.
Ce fameux soir, elle était nerveuse, je veux dire encore plus que de coutume. D’abord, quand je suis entré, les volets étaient tous à moitié baissés ; ce penchant pour l’obscurité qu’elle a, comme si elle voulait en permanence se retirer du monde. Et puis, ce film japonais à moitié barge… j’ai failli m’endormir trois fois pendant qu’on le regardait. Enfin, il y a eu le gâteau. Un frisson d’acte funeste palpitait dans la pièce quand elle s’est empressée d’allumer les bougies. Cela a continué dans sa façon de l’amener jusqu’à moi, comme un geste malencontreux à l’effet indésirable. Et je l’ai vu glisser le couteau rétractile qui lui avait servi à couper les parts dans la poche intérieur de son jean. C’est bizarre, mais de la façon qu’elle l’a fait ça m’a fichu la trouille.
Alors j’ai remis sur le tapis l’idée de mon casse. Histoire de reprendre le dessus. Eliane sait que je vis de petits vols et de cambriolages. Cela ne l’a jamais dissuadée de me fréquenter. Sa personnalité un peu déjantée devait y être pour quelque chose. Cette fois il s’agissait d’un coup tranquille dans une des associations de quartier de la ville. Je connaissais l’emplacement des alarmes en place. A deux on pouvait faire la razzia en moins d’un quart d’heure sur l’informatique et la hi-fi. Mais il s’agissait de faire vite. Je lui demandai comme ça si elle était partante.
« Tu veux saccager un centre culturel alors.
- Seulement refourguer du matériel pour se faire un peu de fric. Ça ne t’intéresserait pas un beau voyage sur la côte, avec l’hôtel et tout le baltringue ?
- Tu m’achètes pas un peu là, hein, me tance-t-elle de son air narquois.
- Moi je parlerais plutôt d’une association à caractère lucratif, et plus si affinité. Alors, tu es partante ?
- J’avais prévu autre chose pour ce soir mais je peux toujours différer d’une heure ou deux, se fit-elle mystérieuse. »
En quittant son appartement un poids immense se détache de mes épaules. Si les pièces d’une habitation se chargent des émotions des personnes qu’elles abritent, je devine en Éliane une personnalité cassée.
On embarque dans ma voiture sans lâcher une parole. Moi je suis encore étonné qu’elle ait accepté ma proposition. Il n’y a personne sur le chemin et j’en profite pour emprunter à grande vitesse les lacets successifs qui mènent jusqu’à la rue en question. Je me gare finalement juste en face de l’association, ce qui facilitera les transbordements de matériels à la voiture. Le bâtiment d’allure modeste est comme cerné par les maisons alentours. Quand je m’extirpe de la voiture l’obscurité est à peine combattue par l’éclairage municipal. Eliane me suit flegmatique, attendant la suite des évènements.
La suite n’est que routine. J’entre en faisant pression sur la porte principale avec un pied de biche. Puis je neutralise comme il faut le panneau central de l’alarme. Nous entrons sans un bruit et nous dirigeons vers les salles qui contiennent le matos. Je sors ma lampe torche et balaye la volée de pièces successives. Dans mon emballement ma main s’empare de celle d’Eliane qui semble palpiter à la manière d’un petit oiseau peureux. J’ouvre les portes à la volée. Fantastique ! Elles ne sont même pas fermées à clef. Je tombe sur une salle de danse, puis sur d’autres qui ne contiennent rien de précieux. Les ordinateurs doivent forcément être à l’étage. Dans l’empressement du saccage j’ai lâché la main d’Eliane. Cerné par l’obscurité, j’ignore à présent où elle se trouve. Tant pis, je la retrouverai plus tard. Je m’empresse de monter l’escalier et à la seconde porte bingo, je tombe sur une porte renforcée. J’insère mon pied de biche contre le battant et tire de toute ma hargne. La serrure éclate et se rend dans un bruit sourd. Deux piles d’une dizaine d’ordinateurs portables m’attendent sur une table d’une blancheur immaculée. Dans mon enthousiasme je crie le nom d’Eliane. Mais elle ne me répond pas. Même quand je finis d’emballer le stock dans ma voiture elle se fait invisible. M’a-t-elle abandonné ? Par acquis de conscience, je me place une dernière fois à la croisée des deux couloirs du rez-de-chaussée et chuchote impatiemment son nom :
« Eliane… Je te préviens je me casse moi. »
La pièce qui me fait face est plongée dans le noir, la porte à peine entrebâillée. Et, soudain, je suis transi de peur, comprenant trop tard que je viens de prononcer la phrase de trop qui dans un film précipite la fin d’un témoin trop gênant. Ce sont ces ténèbres mouvantes qui semblent par moment émerger de ce trou d’ombre qui m’affole et me fait perdre mon sang froid. Un monstre à l’âme froide se vautre avec délectation dans son repaire, attendant impatiemment la révélation de l’acte final. Mais moi je ne veux pas attendre. Je piétine et rebrousse chemin à reculons, faisant bien attention à garder un œil sur cette porte entrouverte. Le contact rude du mur opposé me fait sursauter.
« Eliane, bredouille-je le plus doucement possible, je ne sais pas quoi faire, Eliane. »
J’aimerais traverser en deux bonds le petit chemin empierré, refermer le coffre bien garni de ma voiture et partir loin d’ici. Mais quelque chose, je ne sais trop quoi, me retient. Mes mains tremblent alors qu’une tonalité épouvantable cogne à mes oreilles.

23H15. Le meurtre

Voilà, je me retrouve à la case départ. Mon cerveau a tourné dans tous les sens à la façon d’un rubik’s cube et au final, je ne sais toujours rien de mon affaire. Tout ce chambardement pour retirer quelques bribes vermeilles à l’éclat prononcé. Je m’appelle Eliane, j’ai l’habitude de tourner autour des arbres, de me bourrer de somnifères en regardant des films japonais et de me lamenter sur un éboulement qui a emporté mon frère et failli me tuer, il y a tout juste dix ans de cela. Tu parles d’une vie ! Et comme si ce genre de fadaises ne suffisait pas, j’ignore toujours l’identité de cet enfant de salaud qui m’a poussée dans ce traquenard. Peut-être ai-je mal interprété un élément capital ?
Un glissement lent et sournois me fait perdre brusquement le cap sur cette mer huileuse qu’est devenue ma conscience. Je m’enfonce puis reviens à la surface par bouffées successives. L’angoisse me pousse au bord de la syncope, inanimée. Quand je reprends brusquement vie, c’est dans un déchirement mou de viscères et de poumons épuisés. Je récupère peu à peu mon souffle, songeant qu’il n’est pas encore temps pour moi de me noyer. J’entrouvre péniblement mes paupières et mes yeux trébuchent sur le corps engourdi qui est étendu sur le sol à deux mètres à peine de l’endroit où je gis.
Alors la conviction me vient de fouiller cette silhouette à peine esquissée qui continue de me narguer depuis sa position. Une partie de mes réponses s’y trouve forcément. Des indices essentiels doivent certainement se trouver sur elle, un visage qui la trahira ou de nouvelles pistes à sortir de ses poches. Je mobilise le peu de force dont je dispose encore et entame ma reptation vers ce coin obscur qui le protège. Une douleur insoutenable émerge de mon bras gauche. Je l’immobilise contre mon flanc et continue à ramper à l’aide de mon autre bras. Le beau clair de lune s’est déplacé de la fenêtre de gauche à celle de droite. Je devrais déjà apercevoir la masse du type mais il reste étrangement loin de mon environnement, comme plongé dans un univers parallèle. La lune éclaire en vain le fond de la pièce qui m’apparaît à présent en trompe l’œil, invisible à l’image d’une bulle protectrice éloignée de ce monde.
Je perds un à un le fil de mes sensations, comme autant de petits fusibles en perdition. Je continue cependant ma progression, n’ayant plus comme seul fin que d’atteindre ce corps vaporeux aux effluves enténébrés. Pourquoi ai-je la sensation perfide que cet être immobile veut m’échapper, qu’il est hors d’atteinte de ma portée ?
Mes ongles butent finalement en un bruit mat sur un mur à la tonalité cristalline. Je laisse glisser mes doigts sur cette étrange muraille qui se déforme à leur contact. Puis je cogne et frappe de mon poing le reflet qu’elle me renvoie. Je distingue une fille à la chevelure folle qui me scrute avec une intensité proche de l’indécence. Des larmes silencieuses noient mon visage. Je repère aussi une longue traînée de sang qui me poursuit depuis le milieu de la pièce.
Un miroir… Depuis tout ce temps c’était moi qui me regardais si tristement depuis mon promontoire. Je comprends un peu tard que je me trouve dans une salle de danse et que la tige en bois qui m’avait intrigué fait office en réalité de barre d’étirement. C’est alors que je me souviens enfin.


Le problème se posa dans cette ressemblance que je sus déceler entre mes souvenirs délavés et brisés et le visage de Stéphane. Je retrouvais dans ses yeux ce quelque chose d’enfantin qui avait bercé ma jeunesse. Cet air qui semblait prêt à relever les défis les plus extravagants. Selon moi cette similitude dans les traits n’avait rien d’innocent. C’était le signe que j’attendais patiemment depuis tant d’années. Je me suis rapprochée de Stéphane presque malgré moi, de par la magie de cette parenté fortuite. Depuis dix ans que je recherchais son pardon, j’avais devant mes yeux la matérialisation physique de ce phantasme. L’image de Stéphane devenu celle de mon frère, je quêtais son absolution derrière son regard.
Je flirtais depuis de longs mois avec la mort mais ce fut cette journée qui décida de mon sort. J’ai suivi Stéphane dans son escapade, ce vol improbable, dans une sorte de fuite en avant, impatiente d’en venir à l’essentiel. Ce fut ce long couloir puis une échappée vers cette porte entrebâillée abritant une salle de danse qui m’attira d’un long soupir palpitant. J’ai lâché sa main dans un réflexe. Craintive, j’ai poussé la porte et contemplai l’immense miroir qui couvrait tout un pan de mur. La porte se referma dans un fin crissement. Malgré l’obscurité j’y voyais assez pour me repérer dans la pièce. Et ce fut devant cette longue glace que l’idée d’une rédemption m’incita à provoquer l’irréparable. Je sortis d’une des poches intérieures de mon blouson la boîte de somnifères que j’emmenais toujours avec moi. Je l’ouvris et commençai par pleine poignée à ingurgiter les gélules. J’éprouvai au bout de quelques secondes du mal à avaler mais je finis par en finir presque entièrement avec la boîte que j’abandonnai, inutile à terre. Pendant l’opération mon reflet me scruta avidement, me guidant dans chacun de mes gestes. Puis sans plus réfléchir je sortis le couteau qui m’avait servi à découper le gâteau et me tailladai les veines en une large tranchée qui remonta jusqu’à mon coude.
Je me suis allongée bien tranquillement face au miroir et j’attends maintenant sa venue. Je patiente et sais au fond de moi qu’il va venir pour me pardonner de l’avoir abandonné, il y a dix ans. Je sais qu’il me sauvera et me défendra contre ce qui me ronge la nuit. Le sang s’écoule de mon poignet jusqu’à une petite mare en cours d’évolution. Je contemple ce spectacle en simple témoin. J’imagine seulement qu’il va venir me protéger et m’offrir ce sourire qui me guérissait de tout autrefois.
Je me trouve à présent au bord du gouffre mais j’ai foi en sa venue. Il va ouvrir prochainement la porte en grand et m’offrir son pardon. Et alors je pourrai de nouveau dormir le soir. Cela fait longtemps que je n’ai pas profité d’un vrai sommeil sans peurs ni cauchemars. Maintenant je souris. J’ai enfin résolu mon enquête. Dans cette affaire je suis l’enquêtrice, la témoin, la victime et l’assassin. Rien que tout ça à moi toute seule.
Oui, il va venir et tout sera arrangé. Je retournerai à ma vie d’avant…. Bientôt.
Et alors peut-être que …
FIN

sarella

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Message  Invité Lun 18 Jan 2010 - 22:04

J'ai bien aimé la découpe en paragraphes et la progression simple et logique en dépit de quelques doutes sur la crédibilité de la fin, lorsque la narratrice se souvient. Mais comme il y a une certaine dimension non pas fantastique mais étrange dans ce récit, je prends, parce que ça me plaît ainsi.
Quelques maladresses dans l'écriture parfois, ou plutôt une tendance à céder au lyrisme facile, par exemple ceci : Ses formes sensuelles sont mises en valeur par l’écrin olive des parterres fleuris.

Ci-dessous, quelques corrections orthographiques, de ponctuation ou d'expression :

Cette journée a bien du connaître un accroc ( de "accrocher") dans son déroulement.
Des meurtriers malgré soi aux mains encore tachées du sang de l’ignominie.

Elle fournirait d’essence à la pousse (il me semble qu'il y a un problème ici ; peut-être "elle fournirait d'essence la pousse..." ) d’œillets aux arômes envoûtants,
Un médecin de famille c’est aussi collant que l’éternel ancien copain de maternelle
Ces visions se révèlent tristes et connes mais elles réussissent un temps à calmer mes plaies. (je ne crois pas qu'on calme des plaies ; on panse des plaies et calme des douleurs)
Ses racines sont comme nouées à celles des oeuvres (ligature) de Dostoïevski ou de Shakespeare.
« Cela fait un bail qu’on ne t’a pas vue à la fac. Tu fous quoi ?
Moi j’en acquiers l’idée définitive qu’un crime se paie en soi-même avant de se régler devant un tribunal.
Comment lui expliquer que ses yeux et tout son regard me le rappellent ? Il aurait eu son âge aujourd’hui.
Elle m’est apparue le regard têtu, prise par quelques notes qu’elle venait de prendre.
Eliane, je l’ai trouvée belle depuis le début. Un brin cinglée aussi,
Et je l’ai vue glisser le couteau rétractile qui lui avait servi à couper les parts dans la poche intérieure de son jean.
Je me gare finalement juste en face de l’association, ce qui facilitera les transbordements de matériel à la voiture. Le bâtiment d’allure modeste est comme cerné par les maisons alentour.
« Eliane, bredouillé-je le plus doucement possible, je ne sais pas quoi faire, Eliane. »
La lune éclaire en vain le fond de la pièce qui m’apparaît à présent en trompe l’œil, invisible (virgule) à l’image d’une bulle protectrice éloignée de ce monde.
Je continue cependant ma progression, n’ayant plus comme seule fin que d’atteindre ce corps vaporeux
et que la tige en bois qui m’avait intriguée fait office en réalité de barre d’étirement.
L’image de Stéphane devenue celle de mon frère,
Craintive, j’ai poussé la porte et contemplai ("contemplé" ? particpipe passé ? "j'ai contemplé" au passé composé, pour être cohérent avec le verbe précédent ...) l’immense miroir qui couvrait tout un pan de mur.
Je l’ouvris et commençai par pleines poignées à ingurgiter les gélules. J’éprouvai au bout de quelques secondes du mal à avaler mais je finis par en finir presque entièrement avec la boîte que j’abandonnai, inutile (virgule) à terre.

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Message  Invité Lun 18 Jan 2010 - 22:45

J'ai beaucoup aimé à la fois l'histoire et le mode de narration en forme d'enquête ! Ainsi que ces passages du présent au passé qu'on peut trouver maladroits mais qui, selon moi, apportent un charme supplémentaire au texte.

Mes remarques (pardon pour les éventuels doublons avec Easter(Island), j'ai constitué la liste à mesure de ma lecture) :
« Je ne parviens pas à me rappeler les évènements »
« peut-être sommes-nous »
« Cette journée a bien dû connaître un accroc »
« Par habitude Elle (pourquoi cette majuscule ?) occulte »
« aux mains encore tachées »
« Ses articulations saignent par endroits »
« l’éternel ancien copain de maternelle »
« Ils n’ont pas besoin de moi pour se rappeler » (on se rappelle quelque chose, on se souvient de quelque chose)[/b]
« Et vous, fais-je provocante »
« le stoppé-je (récit au présent ici) avec un brin d’ironie »
« Vous n’avez pas tout vu ce jour-là »
« une demi-heure »
« œuvres de Dostoïevski ou de Shakespeare »
« un bail qu’on ne t’a pas vue à la fac »
« Moi j’en acquiers l’idée définitive »
« Il aurait eu son âge »
« J’ai prévu un petit quelque chose, susurré-je » (à ce moment, le récit est bien ancré dans le présent)
« Eliane, je l’ai trouvée belle »
« Un brin cinglée aussi »
« la poche intérieure de son jean »
« se fait-elle mystérieuse » (je trouve l’expression mal adaptée à un énoncé correspondant à une déclaration, un peu du genre : « Oui, ferma-t-il la fenêtre »)
« les maisons alentour (et non « alentours ») »
« à la seconde porte bingo, je tombe sur une porte renforcée » : la répétition se voit, je trouve
« Ce sont ces ténèbres mouvantes qui semblent par moment émerger de ce trou d’ombre qui m’affole et me fait perdre mon sang froid » : je comprends mal la construction de la phrase ; est-ce le trou noir qui affole le narrateur ? Dans ce cas, on attend une suite : ce sont ces ténèbres mouvantes [semblant] émerger du trou d’ombre qui font quoi ? Si ce sont les ténèbres qui affolent, eh bien elles affolent et font perdre le sang-froid. Par ailleurs, je trouve maladroite la suite de deux relatives introduites par « qui »
« bredouillé-je le plus doucement possible »
« le peu de forces »
« en trompe-l’œil »
« n’ayant plus comme seule fin »
« en un bruit mat sur un mur à la tonalité cristalline » : je trouve les deux termes contradictoires (le mat cristallin)
« la tige en bois qui m’avait intriguée (puisque la narratrice est une femme) »
« L’image de Stéphane devenue celle de mon frère »
« Craintive, j’ai poussé la porte et contemplé l’immense miroir »

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