Variation autour de Christmas card from…(5)

[Yali]

Variation autour de Christmas card from a hooker in Minneapolis

J’étais assis dans le fond de la salle.
Dans l’ombre.
Peut-être bien que cela faisait des années que j’étais assis là.
Peut-être pas.
Elle est entrée. Elle a commandé un café, l’a bu au zinc, doucement, par petites gorgées que j’imaginais chaudes, bouillantes de réconfort.
Dehors il neigeait.
Un peu plus tard elle ressortait aussi discrètement qu’elle était entrée, enroulant autour de son cou une écharpe, laissant sur le bois du zinc un pourboire.
Lorsqu’elle a refermé la porte du bistrot derrière elle, j’ai pensé à deux adjectifs au féminin :
furtive ;
gracile.
Faut dire, préciser, qu’ils lui allaient si bien.
Du temps où nous vivions ensemble.
Longtemps.
Sortant de là à mon tour, j’ai pris une direction inverse à la sienne.
Comme bien des années plus tôt.
Marchant sur un trottoir de gel j’ai repensé aux adjectifs.
Marchant sur un trottoir de gel j’ai repensé à la façon dont elle souriait alors.
Bien des années plus tôt.
Longtemps.
Puis j’ai repris la route, la mienne.
Un peu plus de mille kilomètres.
Puis la neige s’est faite pluie.
Et dans les allers retours des essuie-glaces je l’ai rêvée encore.
Comme alors.
Et dans le soleil levant, un soleil vaporeux et blanc d’hiver, enclenchant la touche Play de l’autoradio, je me suis dit que peut-être cela faisait des années que j’étais assis là.
Derrière mon volant et derrière mon verre.
À mâchouiller la même idée.
Les mêmes adjectifs pour la même fille.
La même image toujours.
Tandis que toujours Tom Waits débute sa chanson par :

"hey Charley I'm pregnant
and living on 9-th street
right above a dirty bookstore
off cuclid avenue
and I stopped taking dope
and I quit drinking whiskey
and my old man plays the trombone
and works out at the track."

La même histoire toujours.
Mais peut-être pas.

[Invité]

La fin (les deux dernières lignes), très bien. Avant, eh bien je trouve le rythme trop saccadé, avec tous ces retours à la ligne, pour ce que dit le texte... Comme lectrice, j'ai été secouée, réveillée par de petits coups d'adrénaline, alors que par ailleurs les mots, me semblait-il, me parlaient d'engourdissement, de tristesse pâteuse comme un lendemain de cuite.

Mes remarques :
« Elle est entrée »
« par petites gorgées »
« je l’ai rêvée encore »
« je me suis dit »

[midnightrambler]

Bonsoir,

Intéressant, différent mais bien construit, très descriptif pour ce qui n'est qu'une image fugitive aujourd'hui ... comme dans un passé qui n'a guère duré plus longtemps ...
Nous aimons, nous les hommes, bricoler de ces retours improbables ... juste pour poser notre main bien à plat sur ce bois du zinc dont nous n'arrivons pas à décider s'il est chaud comme une essence végétale ou glacé comme une feuille de métal !
Un bon pouvoir d'évocation qui m'a touché ...
Pourquoi ces inutiles corrections de socque ? Une lecture trop rapide ? Une précipitation à vouloir corriger ? Le tout en huit minutes, montre en main !

Amicalement,
midnightrambler

[Invité]

La précipitation à vouloir corriger, je ne saurais la nier... Si Yali souhaite reprendre ces corrections de langue dans son texte, libre à lui.


C'est fait.
La Modération

[Invité]

Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, disait le poète.
Personnellement je me sens bien avec ces retours à la ligne qui suivent la pensée du narrateur ; tout comme les phrases qui, bien que courtes, lapidaires réussissent à créer une ambiance par le vide plutôt que par le plein. J'aime cette espèce de confusion du temps, l'absence de repères précis, comme une nébulosité où l'on flotterait, une rêverie où tout est permis.

[Invité]

Punaise, ça manquait du Yali !
Oui : ni tout à fait une autre ni tout à fait la même...
Et toi, toujours le même
Ou pas.
Mais talentueux, ça oui !

[mentor]

Retour au bistrot, canon sur zinc, une jolie fille, de la poésie et de la nostalgie, un p'tit bout de road movie, c'est Yali, pas de doute.
Jolies images.

[Contenu sponsorisé]