Kaléidoscope : Et Théo en vit de toutes les couleurs

[Plotine]

Dans l'avion qui le ramenait vers la France, Théo somnolait. Il souffrait d'une légère migraine. Elle avait commencé à se manifester à l'aéroport de la Guardia et ne l'avait plus quitté.
Il rentrait d'un périple autour du monde. A la fin de ses études, il avait décidé de s'offrir une année sabbatique, réalisant un rêve d'enfant. Ses parents acquiescèrent et le financèrent. Théo joua donc au globe-trotter avec leur bénédiction. Ils approuvaient l'adage selon lequel les voyages forment la jeunesse.
Mais c'était fini. Il rentrait, des souvenirs plein la tête. Son aventure ayant pris fin à New-York, il était heureux à l'idée de retrouver sa famille mais, dans l'immédiat il y avait cette migraine et il avait froid. Il enfila son blouson, demanda un cachet anti-douleur à l'hôtesse et essaya de s'endormir. Il sommeilla plus qu'il ne dormît. Il se sentait bouillant et glacé tour à tour et, quand l'Airbus s'immobilisa sur la piste et qu'il dut se lever, il eut du mal à tenir sur ses jambes.
Il parvint quand même à suivre la file des voyageurs qui sortait de l'avion. Au bout du tunnel il aperçut ses parents et amis qui agitaient des banderoles à sa gloire et il les entendit pousser des "Hourras". Il voulut faire un geste de la main mais il s'évanouit.
Il était à Katmandou. Son attention fut attirée par des moines qui marchaient l'un derrière l'autre : saris bruns, saris pourpres, saris safran, saris bruns, saris pourpres, saris safran. La file était interminable, elle s'accéléra et bientôt il ne vit plus qu'eux, les saris bruns, pourpres et safran formant une roue et se mettant à tourner frénétiquement, se mélangeant et formant des figures toujours différentes.
Il fut ensuite dans une île des Cyclades où les portes et les fenêtres bleu-outremer se détachant sur les murs blancs des maisons s'envolèrent et vinrent rompre le cercle des saris. Une porte, une fenêtre, bleues comme la mer, puis encore et encore. Les bruns, pourpre, safran et bleu-outremer se séparaient, se rejoignaient, ondulant harmonieusement en des combinaisons renouvelées et ravissantes.
Il ne fut pas étonné de voir que des taxis jaunes new-yorkais, après avoir sillonné les rues à toute vitesse rejoignaient les figures géométriques et formaient avec elles de nouvelles images. Brun, jaune, bleu-outremer, safran, pourpre et puis les turquoises dont les femmes tibétaines ornent leurs coiffes des jours de fête. Ce turquoise ajoutait une nuance fascinante, d'abord isolée au centre d'une rosace et aussitôt éclatée à la périphérie.
Puis ce fut le vert amande des champs d'amandiers admirés en Espagne, et celui tendre des jeunes pousses des rizières du Laos ou celui plus sombre des immenses plantations de thé du Rajasthan qui vinrent ajouter leur note, donnant naissance à des dessins de plus en plus complexes.
L'orange et le jaune citron des champs d'agrumes de Californie s'en mêlèrent, éclairant de leur gaieté des motifs alambiqués sans cesse en mouvement . Brun, pourpre, citron, vert tendre, bleu- outremer, safran, turquoise, jaune, vert amande, orange se combinaient de mille façons.
Jaillirent alors les couleurs somptueuses de l'Inde dont les femmes savent merveilleusement jouer dans leurs toilettes, mêlant le rose fuchsia au bleu canard sans offenser le regard, formant des tableaux qui se renouvelaient à chaque mouvement de ses yeux, entraînant des métamorphoses inattendues.
Le spectacle si magnifique soit-il finit par le faire souffrir. Sa tête lui semblait près d'éclater et il ressentit une douleur vive qui ne le lâchait pas. Il n'en pouvait plus. Il aurait voulu quitter ces visions qu'il avait trouvées agréables au début mais dont le renouvellement incessant tant au niveau des formes que des couleurs l'épuisaient. Il sentait qu'il ne pourrait pas indéfiniment soutenir une telle magnificence. Il allait devenir fou ou en mourir. Il rassembla alors toutes ses forces, se forçant à ouvrir les yeux et s'écria : "Assez !"
Sa mère était près de lui, elle lui passait un linge frais sur le front. "Théo, lui dit-elle, tu m'entends ?". Il fit un signe de tête pour lui signifier qu'il l'avait comprise. "Enfin, dit-elle, comme tu nous as fait peur. Tu as fait une crise de paludisme avec une très forte fièvre".
"Ah, c'était ça le kaléidoscope" dit Théo, et il s'endormit d'un sommeil cette fois paisible.
«Quel kaléidoscope ?» demanda sa mère, mais il dormait déjà.

[Invité]

Joli voyage coloré, je ne dirai que ça.

[Invité]

Une jolie farandole ! Cela dit, j'ai l'impression que vous recourez trop systématiquement au procédé "Ouf ! Ce n'était qu'un rêve", comme si vos textes vous effrayaient, que vous cherchiez toujours à les désamorcer ; je trouve cela dommage. Et puis, franchement, que Théo voie ses parents avant, qu'il s'évanouisse et les revoie à son réveil... où est l'intérêt ? Il n'y a eu aucun déplacement de la narration.

Deux remarques :
il était heureux à l'idée de retrouver sa famille mais, dans l'immédiat (je pense qu’il serait préférable de compléter l’incise par une virgule ici) il y avait cette migraine
Il sommeilla plus qu'il ne dormit (et non dormît, pourquoi y aurait-il un subjonctif ici ?)

[Iryane]

Une réelle invitation au voyage, haut en couleur !
J’aime assez, on se laisse doucement emporter...
l'action du récit est tout intérieur.

"dont le renouvellement incessant tant au niveau des formes que des couleurs l'épuisaient"
le sentiment du personnage est bien ressenti par le lecteur, ne serait-ce que dans la façon dont sont décrit les souvenirs : accumulation, avec retour à la ligne, comme l'énonciation un à un des images qu'il a en tête.

[Celeron02]

Ah voilà une bonne idée de mise en œuvre du kaléidoscope ! Je pense que le paludisme, et ses fortes fièvres, peut bien provoquer cela. Réaliste, donc. Bravo.

[Lucy]

Beaucoup aimé l'idée. Les couleurs et l'Inde, forcément, le lecteur n'a pas de peine à les imaginer. Seul bémol : la mention du kaléidoscope à la fin. Pas besoin de le nommer, on le "voit" à la lecture. Ceci, à mon sens, casse un peu l'effet rendu grâce aux descriptions.

[Ba]

Malin jeu de couleurs et fièvre au bout.
J'aurais placé un passé " si magnifique fut-il, au lieu du si magnifique soit-il " puisque la narration se déroule au passé, sauf si le narrateur extra-diégétique décide d'intervenir, auquel cas il nous convie par le présent à suivre l'action sans distance temporelle.
petit quart d'heure de cuistrerie, yo.

[Ba]

" fût-il " bien sûr.

[Louis]

L’impression au début du texte de se retrouver dans le livre de Catherine Clément, Le voyage de Théo. Mais dans ton récit, Plotine, Théo ne rapporte pas de son voyage une connaissance des diverses religions et spiritualités du monde, mais un bouquet de couleurs chatoyantes, vives, bariolées, autant de teintes qui se mêlent et se composent comme sur la palette d’un peintre, en impressions kaléidoscopiques sous l’effet, non pas de la fièvre jaune, mais du paludisme. Dans son délire, Théo revoie l’ensemble du monde comme un grand tableau tacheté, comme une grande palette colorée, mais aux teintes mouvantes, miroitantes, fluctuantes, en un mot kaléidoscopiques. Son tour du monde fut un tour des couleurs, et dans son sommeil fiévreux, désormais les couleurs tournent autour du centre fixe de sa mémoire.
Beau texte, Plotine.

[Rebecca]

Trés joli carrousel de couleurs et de formes, on est emporté et enchanté jusqu'au tournis.

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